Vers une crise des modèles de
management ?
[Muriel
Jasor in LesEchos du 08/10/09
]
Avivées
par la crise économique, les critiques pleuvent à l'encontre des actuels
modes de management des entreprises. Beaucoup accusent cette discipline de trop
sacrifier le facteur humain au profit des chiffres.
Le management, par temps de crise et
tel qu'on le pratique en entreprise aujourd'hui, est sous les feux roulants de
la critique. Perte de sens, violences au travail, suicides de salariés… les
signaux d'alarme se multiplient. Et les ouvrages aussi : « Mortel
Management », « Insupportables Pratiques », « J'ai fait HEC
et je m'en excuse », « Petit Bréviaire des idées reçues en
management », « L'Anti-bible des ressources
humaines », etc. Des conférences, des séminaires, des
« majeures » de « business schools »
recourent aux oxymores les plus audacieux pour trouver des modèles
alternatifs : le « capitalisme coopératif », l'« économie
solidaire », l'éthique et le social business, etc. Le grand public
aussi s'empare du sujet. A tel point que France 3 va diffuser une série
documentaire intitulée « La Mise à mort du travail » et que le grand
écran met en scène le monde de l'entreprise avec le film de Mathias Gokalp « Rien de personnel ».
Enfin, même des personnalités de
premier plan du monde financier et économique finissent par mettre les pieds
dans le plat. Comme, il y a une quinzaine de jours, lord Turner, le patron de
l'autorité financière britannique (FSA), qui a fustigé les déviances
managériales devant la fine fleur de la City, médusée. D'Adam Smith à Peter
Drucker en passant par Max Weber, Taylor ou Fayol, les grands principes du
management ont bien prospéré. Mais aujourd'hui, le tocsin a-t-il sonné ? Peut-être…
Car, petit à petit, des groupes, à l'instar de Casino Supermarchés, affichent
le souci de réintroduire « de l'humain dans la gestion de
l'entreprise ». En théorie, en effet, chacun s'accorde pour estimer
que les meilleures stratégies sont le résultat d'un vrai dialogue et d'une
étroite collaboration entre les responsables opérationnels, la direction de la
stratégie et le comité exécutif, que l'implication de personnes issues
d'horizons multiples leur permet d'être mieux conçues et mieux mises en oeuvre, que les modes de gestion les plus en pointe passent
nécessairement par de l'écoute mutuelle, de la capacité à donner du sens et une
direction aux actions à mener, du leadership ou encore de l'intelligence
émotionnelle.
Mais, en pratique, la compétition mondiale,
la pression de la performance à court terme et les impératifs de la concurrence
ont conduit à un retour en force des modes de direction autoritaires. Face
à cette situation, début septembre, Jean-Paul Bailly, le patron de La Poste,
fort chahutée ces jours derniers en raison de son projet de changement de
statut, a prévenu dans un courrier interne : « A la dureté de
la crise ne doit pas s'ajouter la dureté du management ; cela doit se
manifester dans les comportements au quotidien, dans la qualité de l'écoute,
dans le respect des personnes. »Voeu pieux,
simple opération de « com » interne ou
réelle prise de conscience ?
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Favoriser
l'innovation
« Le management en tant que
théorie constituée est confronté à ses limites, pour ne pas dire à ses errements », estime Catherine Blondel, directrice scientifique du cycle
pour dirigeants de l'institut de l'Ecole normale supérieure.« Mais, la
situation que nous vivons actuellement n'est pas exactement la crise des
modèles de management. Elle est plutôt la crise même des fondements de
ce qui est légitime dans nos sociétés »,nuance Rodolphe Durand,
professeur à HEC, à la tête du département stratégie. L'envie de comprendre
pour agir sur la complexité d'un monde globalisé rempli de technologies de
pointe, de nouvelles règles du jeu économique, de consommateurs aux
comportements fluctuants, de salariés en quête de sens et d'actionnaires férus
de retour sur investissement ne cesse de grandir. Du coup, pour mieux
appréhender cette complexité, il devient urgent pour l'entreprise de sortir de
sa traditionnelle boîte à outils, des recettes préétablies et de ses classiques
silos organisationnels (finance, marketing, ressources humaines, etc.).
« Le management manque de
pensée réflexive : il est devenu fonctionnaire. Il accomplit des missions
sans âme et sans remords au nom d'un dogme »,reconnaît Rodolphe Durand. Ce qui, inévitablement, donne à
la discipline une apparence trop analytique, trop froide, trop
rationnelle : « Le management ne s'adresse qu'à une partie de
notre humanité mais néglige tout le reste, les passions, les instincts, les
aspirations », déplore Frédéric Fréry,
professeur à l'ESCP Europe dans sa préface de l'ouvrage de Gary Hamel « La
Fin du management ».
Conséquence : un fort besoin de
pensées alternatives se fait sentir. Les scientifiques, sociologues, historiens
sont appelés à la rescousse. Les pratiques des milieux associatifs, du secteur
coopératif ou du microcrédit scrutées à la loupe. « On va assister
à une énorme remise en cause de concepts que l'on croyait intangibles ;
c'est ça qui va nous faire avancer. Il va falloir s'ouvrir, pour de bon, à
la différence », prévient Jehan de Castet,
PDG de Courtanet, un comparateur d'assurances. Il
faudra aussi se déshabituer des compilations de meilleures pratiques et des
exhortations managériales - dénoncées notamment par le sociologue Jean-Pierre
Le Goff et la philosophe Michela Marzano - et s'alléger du poids d'organisations
qui étouffent l'innovation.
« Tout y pousse :
l'internationalisation des modèles de direction, les excès des déviances
managériales et la mentalité des jeunes générations. C'est une lente
évolution vers la fin du modèle pyramidal de management. » Un modèle encore très prisé en France,
pays peu ouvert aux innovations managériales, d'après Frédéric Fréry : « Le conformisme managérial s'y heurte
aux innovations radicales, à la créativité collective et à la contestation
des hiérarchies établies. » |
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Sortir
de la pensée unique
« Rappelons quand même que
travailler suppose une action qui consiste à produire un effort en vue d'un
résultat utile. Et cet effort, il faut bien le mesurer ! », s'agace Thierry Asmar, le PDG d'Altares. Il n'empêche. Même les plus prestigieuses écoles
de commerce cherchent à sortir de la pensée unique à coups de cours d'éthique
ou d'alter-management.
« Car l'erreur, souligne Catherine Blondel, consiste à se servir de
livres de recettes comme de manuels de réflexion. ». « Aliénation,
déshumanisation, désindividualisation, dépersonnalisation, sur-contrôle… De
part et d'autre de l'Atlantique, on assiste, au même moment, à une crise de
légitimité du secteur public en France et du secteur privé aux
Etats-Unis », relève Rodolphe Durand.« Des formes
d'organisation ancrées sur des socles plus humains et solidaires inspirent
aujourd'hui des organisations de plusieurs centaines de milliers d'employés.
Avec l'objectif de refonder l'action légitime, de jauger le faisable, de
s'enrichir de la différence d'autrui. Mais il reste toutefois à déterminer si
ces nouveaux principes peuvent produire un “ sens ”
économique. »
Il faudrait en effet, comme le
rappelle le professeur d'HEC, que ce sens économique revisité soit acceptable
par quantité d'acteurs : les analystes, les évaluateurs, les investisseurs
et autres détenteurs de capitaux.
MURIEL JASOR
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L’Express, numéro 3040, Octobre 2009
L’Express constate en effet sur 4 pages : « Suicides, dépression,
violences, la détresse des salriés est sans précédent
».
Le magazine relève que « le phénomène, amplifié
par la crise, n’est pas français. Mais il fait des ravages dans un
pays où le métier et l’entreprise restent des valeurs phares
».
L’hebdomadaire remarque que « les arrêts de travail explosent
par la seule faute du stress », et note que « selon le ministère
du Travail, 1 salarié sur 2 trime dans l’urgence, 1 sur 3 reçoit
des consignes contradictoires et/ou se plaint d’un climat de tensions ».
L’Express interroge notamment Bénédicte Haubold, fondatrice
du cabinet Artélie Conseil et psychologue clinicienne, qui prévient
: « Comptez 6 mois d’attente pour obtenir un rendez-vous à la
consultation «souffrance et travail» de l’hôpital de Garches
».
Le magazine précise que « la France n’est pas la seule à
souffrir : 29% des salariés européens déclarent connaître
des problèmes de santé liés au stress », mais indique
que « les entreprises commencent à prendre le mesure du problème
et explorent des pistes ».
L’hebdomadaire relève entre autres que « chez EDF, 50 médecins
du travail ont lancé un réseau de veille médicale des
risques psychosociaux ».