femme qui sort ou qui se voile

Dr Bernard AURIOL

                                                              

La lecture de ce texte m'a laissé perplexe. Que peut-on rajouter, sinon de plus occidental, de plus moderne, de plus réfléchi ?

J'ai trouvé pourtant qu'il n'en fallait pas plus ! et même bémoliser la critique de moeurs dont tous les aspects ne méritent pas d'être confondus, ni condamnés sans discernement. La planétarisation culturelle me semble inévitable; et d'ailleurs je la souhaite, j'y applaudis, je m'y inscris ! De là à juger, depuis les pyrénées ce qui se passe dans les atlas... A moins de prendre quelque recul avant l'ukase...

De ce recul, sont nés les mots qu'on va lire : la femme qui sort ou qui se voile, vue d'ici et d'hier... juste un coup d'oeil, même pas historique !

SORTIR

L'étymologie, sans ouvrir toutes les portes, donne parfois de bonnes clefs pour entrer dans le sens profond d'un mot ou d'une coutume, même lorsqu'elle se vêt des habits somptuaires de la Foi.

En français, le mot sortir vient du latin "sortiri" et de "sors, sortis" qui concerne le tirage au sort. On fait aussi appel à "sortus", "surrectus" en provenance de "regô", "rêctus" qui signifient "droit, se lever, se dresser, prendre le pas sur..."

Les expressions de la langue nous fournissent aussi quelque piste de réflexion : "faire une sortie", "sortir quelqu'un", "sortir de soi-même", "sortir sa voix", "être assortis"...

En Anglais, l'idée de sortie, de mouvement vers l'extérieur ou d'ouverture pour y aller, se traduit par "OUT" qui provient de "UD", racine indo-européenne utilisée en sanskrit pour marquer, non seulement le "mouvement hors de" , mais aussi le fait se s'élever et de s'élever avec orgueil.

Ainsi les langues indo-européennes associent la sortie avec le risque et la puissance. Qu'en est-il des langues sémitiques, et plus spécialement de la langue arabe ?

En arabe, la racine KhRJ est extrêmement utilisée et se développe sur trois colonnes dans le Dictionnaire de D.Reig (Larousse). Examinons la liste des traductions attachées à cette racine (tableau). Cet ensemble nous confirme les remarques précédentes en y ajoutant des données du registre "anal" (au sens psychanalytique qui jettent un éclairage supplémentaire en signifiant l'idée de maitrise et d'offrande de son propre corps par la femme qui risque alors de vivre l'amour sous l'angle domination-soumission. Aspect bien des fois souligné. Probablement trop, par négligence des corrections compensatrices qui se sont établies sans démolir la façade critiquée : pas la rue mais les terrasses, le voile qui cache se fait séducteur  (pour si peu de découverte que ce soit...). Interdite à la ville mais malika chez elle... Est-on bien sûr qu'il y ait moins d'illégitimes au Maroc qu'en Angleterre ? L'étude statistique des gênes pourrait bien nous surprendre !

Autre aspect indéniable : la valeur de symbole que revêt le voile. Trait distinctif, il insiste sur une différence de conception qui oppose la pute folle à la vierge sage... Là n'est pas toutefois l'essentiel comme je viens de le souligner. L'essentiel ce n'est pas la différence, mais sa marque. Les cultures Sud ne peuvent rester des sub-cultures ! L'Occident envahisseur, pilleur et exploiteur d'hier ne peut d'un même élan se couvrir des oripeaux de la belle âme, exporter d'un seul élan son coca cola et une morale qui a perdu sa légitimité, qui n'a même plus d'apparence. [1]

Il est bon, de mon point de vue, que chacun retrouve son centre, fut-il coranique ! Le risque existe pourtant de placer mal ses troupes et de mener de travers le combat : comme serait de défendre mieux le drapeau que la ville [2] ...



          

 

SORTIR

    aller dehors, prendre la porte,  issue, orifice
    partir, se retirer, prendre le large, abandonner, rejeter

    HORS LA LOI

    faire sécession, entrer en dissidence,rejeter un principe, abandonner une habitude contester, mettre en cause la tradition, s'insurger, se révolter, dérogation

    DEHORS

    Extérieur, externe, extraire
    Hors les murs, hors texte, hors cadre, hors concours, hors du sujet

    étranger, mettre dehors, sortir quelqu'un, l'exclure, l'exproprier

    S'en Sortir, se ménager une porte de sortie, s'en tirer, trouver une issue,

    débouché, échappatoire, exutoire, faux-fuyant, subterfuge

    Sortir de ses gonds, être hors de soi, attaquer
    dérailler, déraillement
    excréments, abcès, boutons, tumeur, excrétions

    dépenses, revenus, frais, coûts, taxes, impôts, tribut

Sortir et les chrétiens

Il ne faudrait pourtant pas limiter le problème à celui des femmes maghrébines. La spiritualité chrétienne, notamment catholique et orthodoxe, s'est beaucoup penchée sur la notion de "sortie dans le monde" par opposition à l'idée de "retraite", que ce soit dans la cellule du moine, la grotte de l'ermite ou la colonne du stylite. Les considérations qu'on en faisait s'adressaient plutôt aux religieux, plus encore aux religieuses "cloitrées"; on les appliquait pourtant, quoique avec bien des codicilles qui les privaient de leur rigueur, aux ecclésiastiques "séculiers" et aux laïcs eux-mêmes.

Parmi ces derniers, les femmes se devaient - au besoin on les y contraignait - à une grande réserve, une discrétion, une retenue éclatantes si l'on peut se permettre cette contradiction. Les femmes et surtout les jeunes filles dont les errances auraient pu conduire à la honte d'une grossesse avant le mariage auquel, tout comme en terre d'Islam, on se devait d'arriver vierge.

Les choses n'allaient pas toujours de soi; les moines devaient aussi être apôtres, c'est à dire prêcher au peuple et cela les jetait dans la mélée extérieure... Les femmes de l'aristocratie étaient entourées de nombreux serviteurs, devaient recevoir les amis de leur Seigneur et ne méritaient pas toujours la couronne de la fidélité. Au point, qu'avant de découvrir que la terre est ronde on inventa la ceinture de chasteté !

Les exégètes de l'évangile ont coutume de préciser que si l'écriture sacrée déclare que "le monde tout entier se vautre dans le mal" (I Jean, V, 19) ce n'est pas pour condamner toute la société mais seulement les tentations qui nous écartent de Dieu. Il n'en reste pas moins que la peinture de la vie "extérieure" que font les croyants la montrent remplie de dangers pour le salut et tend à en écarter le fidèle. Mais ces périls, que sont ils ?

"le monde réveille et attise en nous le feu de la concupiscence; il nous séduit et nous terrorise. Il nous séduit en prêchant l'amour du plaisir, en flattant la curiosité, la sensualité et la volupté. "Pour rendre le vice attrayant, on le dissimule sous forme d'amusements qu'on appelle honnêtes et qui ne laissent pas d'être dangereux, comme les robes décolletées, les danses, et surtout certaines d'entre elles qui ne semblent pas avoir d'autre but que de favoriser des regards lascifs et des enlacements sensuels. Et que dire de la plupart des représentations théatrales, des spectacles offerts au public, des livres licencieux qu'on expose partout". Les auteurs pieux enjoignent logiquement aux fidèles de fuir le monde pour éviter les occasions dangereuses; si des visites extérieures sont indispensables elles seront abrégées au maximum (cf Tanquerey). L'Imitation de Jésus Christ, un best seller pluriséculaire de la spiritualité catholique s'adresse ainsi au croyant :"Mon fils, il faut que vous vous teniez dans l'ignorance de beaucoup de choses, que vous soyez comme mort au monde, et que le monde soit mort pour vous. Il faut aussi fermer l'oreille à bien des discours, et penser plutôt à vous conserver en paix...." (chap. XLIV)

Sortir en Extrême Orient

On rencontre des considérations analogues dans certaines des religions orientales, notamment dans le bouddhisme qui édifie des monastères où les religieux se vouent pour une période longue ou courte à la séparation du monde extérieur et au célibat.

Jalousie ?

Ainsi, les diverses formes du monothéisme et le bouddhisme limitent les sorties ou conseillent de les limiter. Cette contrainte est souvent plus marquée à l'égard des femmes vouées à l'intérieur de la maison alors que l'homme va aux champs ou à la pèche ! Les polythéismes et l'hindouisme semblent beaucoup moins pressants sur ce point. S'agit-il d'une exigence du Dieu Jaloux relayée - O Combien ! - par la jalousie du mâle humain, trop content, en la circonstance de faire respecter par sa compagne, des commandements qui servent si bien ses propres travers...

Poser ainsi la question, n'est ce point aller vers une autre compréhension des textes ? Mohamed Arkoun a su nous expliquer que si l'auteur du livre est divin, celui à qui il s'adresse demeure humain. C'est dire que le récepteur du message doit faire l'effort d'interpréter dans les mots de son siècle ce qui fut, tout d'abord adressé à des hommes d'un autre temps. Un message se rédige en fonction des pensées de l'émetteur mais doit être traduit en concepts par le récepteur. Toute lecture est une herméneutique, qu'elle soit celle d'un individu ou d'un groupe, qu'elle concerne une langue, une ethnie ou une époque. La question du voile et de la vie extérieure n'échappe pas à cette nécessité des temps et des lieux; il en a d'ailleurs été ainsi depuis fort longtemps comme en témoignent la diversité des coutumes concernant l'habillement des femmes et leurs usages de vie dans les pays musulmans...

BIBLIOGRAPHIE

1.     Reig D.       Dictionnaire Arabe Français, Larousse, 1983

2.     Anonyme    L'Imitation de Jésus Christ, traduction de F. de Lamennais, Turnhout, Brepols, 1905

3.     Tanquerey A. Précis de théologie ascétique, Desclée, 1923

Google
  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

3 Novembre 2005

[1] sinon celle de la démocratie limitée à quelques secteurs bien pourvus de la planète; autant dire qu'elle est censitaire !

[2] Ceci sans négliger le fait que chacun a bien le droit de s'habiller comme il veut!