le 27 Janvier 1990
modifié et publié sous le titre " Le Foetus en Action" in "Parcours, Cahiers du Grep MP",
N° 3 & 4, 141-166, Avril 1991 (avec une série de dessins de Benjamin Auriol).
La notion de filiation mérite d'être envisagée du côté génétique (au sens biologique des chromosomes) et du côté psycho - sociologique et psychanalytique (en considération du triangle oedipien, surtout dans son sommet paternel). Beaucoup s'y emploient. Il est non moins utile de se pencher sur la dyade gestante en tant qu'elle implique le double aspect de ces deux ensembles et en assure l'intersection. Notre propos concernera donc certaines données biologiques et psychanalytiques que nous ne pourrons inférer intégralement du Divan mais construire, en partie, des données de l'observation. Il y sera notamment question du ftus en tant quil est agissant et en relation avec sa maman ! | ![]() |
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« et benedictusfructus ventris tui »
(Sainte Elisabeth)
L'ange apparaît à Marie et lui affirme qu'elle va enfanter, quoique vierge, car « rien n'est impossible à Dieu ! ».
Ce qui n'est pas sans rappeler[1] l'annonce faite à Abraham vieilli: « Je dois revenir au printemps et voici que Sara, ta femme, aura un fils » (Gen., XVIII, 14). Le texte, prudent, ne dit pas qui est le géniteur de cet enfant prévu dans les neuf mois qui viennent... La prédiction semble cocasse à Sara qui rit. Est-ce que son mari avale tout ? Il chasse Hagar et son fils (qui était de lui, précise l'auteur sacré) et admet que c'est d'Isaac qu'il aura sa descendance, même si, un certain jour il croit nécessaire de l'offrir en holocauste puis se rétracte. La Genèse établit un lien métonymique entre l'annonce à Abraham (par Michaël dit le Zohar[2]) et la destruction de Sodome par l'ange Gabriel (Zohar): comme s'il s'agissait d'exorciser quelque homosexualité[3]...
A vrai dire, les problêmes de filiation abondent dans le monde religieux : nous venons d'évoquer le cas de Jésus et celui d'Isaac; la Bible nous offre aussi celui de Moïse, persécuté dès la naissance, orphelin abandonné au fil de l'eau et recueilli par une reine... Samson était le fils tardif d'une femme stérile. Mohammed aussi était orphelin.
Quant au Bouddha, sa maman devient enceinte par la pénétration en son flanc droit d'un éléphant blanc à six défenses (ce qui met hors jeu le père légitime : Suddhodana).
Krishna, incarnation de Vishnu, l'Etre Suprême, naquit de Devaki, soeur et prisonnière de Kamsa qui tuait tous ses enfants pour éviter d'être détroné. Bien sûr Krishna échappa au massacre et fut élevé à la campagne par des paysans, pour finalement s'emparer du pouvoir...
Ganesh est issu de la sueur de sa mère ( Parvati ) et non des oeuvres de Shiva, son dieu de mari. Décapité par son père à qui il interdisait l'union à la mère, il sera restauré de sorte qu'il porte en sa tête tout l'Univers en tant qu'il est le Seigneur des Catégories. C'est dire qu'il préside au Symbolique...
Le Zohar (Livre de Ruth, 49) considère que le lieu natal, la terre de naissance, c'est le ventre de la mère. L'enfant sera le fruit de cette terre : "fructus ventris"
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La construction du système nerveux n'est pas une simple mise au moule dans
la matrice, elle est liée à l'inter-action (matériel génétique / environnement
maternel). Les premières perceptions sont déjà des actions et les premières
actions dépendent étroitement des informations internes ou externes à l'embryon
(Gerber A., 1949).
Il est hasardeux en pratique et totalement illégitime en théorie, de dissocier l'action de la perception.
En effet la perception et, plus généralement, toute forme de modification d'un être par son environnement, si elle suppose l'intervention d'une énergie allant du dehors vers le dedans (par exemple: un ensemble de photons), se concrètise dans un ré-arrangement, plus ou moins important à l'intérieur de l'individu recepteur. Ce ré-arrangement implique soit une réponse, plus ou moins prompte, soit une modification dans les actions ultérieures.
La perception est loin d'être un phénomène passif, elle comporte l'usage de différentes formes de la motricité (mouvements des yeux, des oreilles, des narines, de la langue, de la main, etc) si elle doit aboutir à une information.
Réciproquement, (et hormis le cas, fort hypothétique, d'une spontanéité absolue prétée à certains actes ou certains êtres), on ne peut imaginer une action qui ne résulterait pas (au moins en très grande partie), d'influences, perceptions, sensations reçues auparavant. Plus encore, l'action, si simple soit-elle, nécessite un ajustement permanent qui ne peut se concevoir sans l'usage simultané de l'un ou l'autre sens.
La construction du système nerveux n'est pas une simple mise au moule dans la matrice, elle est liée à l'interaction {matériel génétique / environnement maternel}. Les premières perceptions sont déjà des actions et les premières actions dépendent étroitement des informations internes ou externes à l'embryon (Gerber A., 1946).
Etudier les sens du Foetus concerne aussi son activité : non seulement il est porté mais aussi il s'accommode à l'espace qu'on lui fait. On a découvert que, dès la vie intra-utérine, les récepteurs vestibulaires du fœtus sont déjà capables de lui faire rétablir sa position en fonction des déplacements du corps de la mère.
Non seulement il entend mais il se met à écouter (Busnel, 1988), non seulement il rêve la lumière (Auriol, 1988), mais il la suit des yeux, non seulement il suce le liquide amniotique et y prend goût, mais aussi il l'avale.
Non seulement il désire respirer, mais il commence à s'y exercer (déplaçant à chaque mouvement une infime quantité de liquide). Ces mouvements respiratoires sont très lents comme le montre l'échographie (J.S. Wigglesworth and coll., Is fetal respiratory function a major determinant of perinatal survival, Lancet, 30 january 1982, p.264; G. Pontonnier in QM du 22 4 1982). Les yogis, et surtout les taoïstes, n'ont-ils pas en ligne de mire le nirvana d'avant la naissance lorsqu'ils s'essaient à ralentir jusqu'au prodige les mouvements de leur respiration ? Tout comme les plongeurs en apnée, dans la jouissance d'aller au delà de la soif excessive d'un air qu'on attendra encore un peu !
La respiration embryonnaire du TaoïsmeLa méditation spirituelle (zuo wang ) consistait à visualiser les principes spirituels liés aux différents "souffles" en intériorisant le regard (sorte de metanoïa par retournement vers la lumière intérieure : fan guang ) pour ordonner les souffles via la contemplation. Le Huangting Jing (Livre de la Cour jaune ), décrit cette exploration du monde intérieur: Respirez à travers la Hutte (le thorax) jusqu’au Champ de cinabre; que l’eau claire du Lac de jade (la bouche) vienne irriguer la racine merveilleuse.» Un passage du Huangting jing fait allusion à une région du corps où s’accomplit la fusion des souffles et où naît l’embryon d’Immortalité qui réunit les deux éléments contradictoires, le Yin (le nadir, le nord, l’eau) et le Yang (le cinabre, matière alchimique de l’Immortalité). Cette région s’appelle le Champ de cinabre (dantian ou tantien. Cf le svadishtana chakra des indiens ou le hara japonais). Située dans le bas du corps, c’est vers elle que sont dirigés les souffles que l’adepte aspire, ainsi que la salive qu’il avale sans cesse. La «respiration embryonnaire» (taixi ), résumée dans ces quelques vers, était la pratique physiologique de base des taoïstes de l’époque. Son but était de restituer la respiration de l’embryon, et pour l’adepte, qui, retournant à l’état de fœtus dans la matrice, se nourrissait comme ce dernier d’essences subtiles, et pour l’embryon de l’Immortalité germant dans le Champ de cinabre.
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Il essaie aussi de parler, de vocaliser et progressivement s'en remettra à l'hémisphère gauche qui s'y entend mieux et boucle plus vite le circuit :
Cortex G à mésencéphale G à corde vocale D |
L'équilibre se fait au niveau du circuit court :
noyau mésencéphalique à voix |
il n'empèche que la différence de longueur des récurrents donne le pas au noyau de droite qui prend la direction du gauche: il y a alors rétropropagation des poids synaptiques et le cerveau gauche aura le privilège de parler.
Il existe pour les premiers influx qui se font sans doute un peu au hasard, d'un côté ou de l'autre, un circuit plus court, plus rapide que l'autre: en effet, le nerf récurrent gauche est plus long que le droit. Cette plus grande rapidité donne une prime au fonctionnement du côté droit, commandé par les parties gauche du cerveau. D'où un plus facile exercice, une sélection des initiatives situées de ce côté là, par rapport à la vocalisation et à son écoute. Il ne faut sans doute pas chercher plus loin - notamment PAS dans une information génétique spéciale - le plus grand étoffement qu'on repère très généralement dans la zone temporale gauche (le fameux "planum temporale") située au carrefour des informations actives et passives concernant l'expression vocale.
De toutes ces considérations il ressort que toutes les actions foetales s'orientent à créer les meilleures conditions de ses futures compétences perceptives.
Il commence à bouger ou s'y trouve contraint, mais ce n'est pas facile: spécialement côté gauche. Ce côté là devra se contenter de fournir l'appui, alors que l'autre pourra se mouvoir plus librement: contraction isométrique / isotonique. Pourquoi ? Parceque, dans les deux tiers des cas, son côté gauche est apposé au dos de la maman plus raide, plus résistant, moins souple que le ventre maternel à quoi s'affronte le côté droit du bébé. Ainsi connaitra-t-il les premières sensations musculaires ! Ainsi apprendra-t-il que certains gestes (ceux de droite) ou certains appuis (ceux de gauche) sont plus faciles ! Ainsi se mettra-t-il en position de naissance...
On a montré, chez l'oiseau, que l'immobilisation plus ou moins serrée d'un membre avant la naissance pendant un ou deux jours (5 à 10 % du temps de la gestation) entraînait une atrophie musculaire et l'ankylose du membre concerné (Gottlieb, 1976). Ces faits ont été retrouvés accidentellement chez l'être humain.
Un foetus en bonne santé se doit de bouger et il le fait sentir à sa mère au moins trois fois par heure, soit environ un déplacement important toutes les vingt minutes. Si ce n'est pas le cas, il est en danger comme une étude Danoise l'a montré (Neldam, 1980).
D'autres études font état d'un rythme moins fréquent (toutes les 4O minutes environ), combiné à une périodicité de l'ordre du cycle de sommeil maternel (toutes les 90 minutes environ): ces derniers mouvements étant sans doute réactifs à l'état physiologique de la maman (Sterman, 1971).
L'étude du prématuré a montré pourtant que nous ne sommes ici que dans les commencements du mouvement: les structures cérébrales dominantes sont celles , enfouies sous le manteau cortical, qui sont apparues les premières dans l'évolution des êtres vivants et qui ont mûri d'abord chez le foetus. Le prématuré, au repos, reste en attitude repliée; les mouvements sont "explosifs", en décharge, ils manquent de souplesse. C'est comme si les excitations s'accumulaient, sans produire de réponse immédiate, puis que de cette accumulation jaillisse une réaction disproportionnée par rapport à l'état actuel de l''environnement. Le tonus musculaire d'ensemble est plutôt faible contrairement au nouveau-né à terme qui est hypertonique.
Le comportement du prématuré ne peut nous révéler exactement ce qui concerne le foetus de même âge; d'une part, il est souvent malade, fatigué, et d'autre part il n'est pas dans son milieu naturel liquidien. Il est évident que ce milieu a un effet mécanique d'amortissement qui arrondit le geste, évite les à-coups brutaux, donne une apparence de souplesse. Avec la maturation des "réflexes archa~iques", le nouveau-né à terme rétablira cette modération des impulsions par des procédés, non plus mécaniques-externes mais neurologiques-internes, d'amortissement et de controle (utilisant notamment le cervelet, les noyaux gris, la boucle gamma.
Les mouvements du foetus peuvent être la réponse à une excitation excessive venant de son environnement (un bruit par exemple); le plus souvent, ils sembleront spontanés, survenant sans cause extérieure évidente (phénomène d'accumulation décrit ci-dessus pour le prématuré) ou dans l'activité de Sommeil Paradoxal qu'on a coutume d'assimiler au rêve. Les mouvements "spontanés" du foetus semblent obéir à deux rythmes qui se mélangent: il existe une périodicité de mouvements qui surviennent toutes les 40 minutes environ et s'intrique à un rythme plus lent (97 minutes en moyenne). Ce deuxième rythme est en relation directe avec les alternances d'activité et de repos chez l'adulte (environ 100 minutes). Il coincide assez bien avec les alternances Rêve/ Sommeil Lent de la mère (Sterman, 1971).
Il semblerait que les mouvements, spontanés ou provoqués, du foetus puissent être à l'origine du travail et de la naissance: c'est ainsi qu'un conditionnement sono-moteur adéquat permet à Feijoo et à ses élèves de déclencher une épreuve du travail (un essai d'accouchement) sans l'emploi des produits habituellement utilisés pour celà (ocytociques). Feijoo et ses émules établissent un conditionnement du foetus, tel qu'à un signal musical bien choisi, il réagisse par des mouvements. On répète ensuite le signal toutes les cinq minutes. On observe alors que l'utérus se met à se contracter au même rythme (qui est celui du travail). Il n'est pas encore bien établi s'il s'agit là d'un réflexe local (le mouvement du foetus stimule l'utérus qui, en réponse, se contracte) ou d'un réflexe global (le mouvement du foetus déclencherait un accroissement des sécrétions d'ocytocyne). Il est vraisemblable que ces deux explications s'appliquent toutes deux: le réflexe local étant couplé, en feed-back positif, à la sécrétion hypophysaire...
Toutes les actions du ftus s'orientent à créer les conditions optimales de ses futures compétences perceptives.
Il y a quelques années, un ami pédiatre s'étonnait qu'on puisse envisager une psychologie des bébés "puisque ils ne parlent pas"... Nous dépendons tellement des apparences, dans nos recherches, qu'il a fallu plus de soixante ans pour que l'idée d'une vie psychique prénatale accède au rang des évidences - et, encore à ce jour, pas pour tous ! Le travail de Milakovic (1967) constitue un pas décisif, quoique méconnu, dans cette voie. Il remarque la bizarrerie de faire commencer la vie pulsionnelle et instinctuelle à un moment précis (fut-il celui de la naissance). Ceci revient au préjugé de notre pédiatre et conduit à une stricte dichotomie entre la psyché et le soma - avatar persistant du cogito cartésien - que les scolastiques eux-mêmes auraient trouvée choquante Il existe donc, pour lui, un stade qui précède l'oralité. L'acte de téter survient plus tardivement que l'acte d'avaler. En néo-natologie, le succés des initiatives récentes concernant les bébés-tasses, confirment la valeur de ce point de vue: les grands prématurés sont mieux capables d'avaler que de téter (ce qui offre une alternative à l'usage excessif du gavage à la sonde ou des perfusions nutritives). Milakovic' fait remarquer que la déglutition est dominée par le "vide": la succion se fait grâce à un vide créé dans la bouche, pour avaler c'est un vide au niveau du pharynx... le tout étant très exactement coordonné. Or l'usage du vide est surtout important pour avaler les liquides. Nous savons que le foetus avale de temps à autre du liquide amniotique: il avale, selon Milakovic' dans un état d'harmonie entre son besoin et son action, sans résistance ni répression, dans un sentiment d'absolue certitude, pour restaurer le calme et la paix. Aspiration à être rempli, pulsion de plénitude, qui annoncent l'auto-érotisme ultérieur: il se met à sucer son pouce ou même sa propre langue... Il s'agirait là du fondement nécessaire du stade oral que nous connaissons chez le nouveau-né. |
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Une patiente caractérisée par un psoriasis fluctuant, parfois très étendu, s'exprime ainsi au cours d'une séance d'analyse ponctuée de larmes et de sanglots :
"Tout est mélangé. Un véritable fouillis. Une lutte qui n'en finit pas ! J'ai soif ! Toujours prisonnière ! On dirait que je suis coincée dans une galerie avec tous ces remous, toutes ces forces ! Ballotée, enserrée, je n'ai pas trop d'espace ! C'est un endroit très réduit ! Comment voulez-vous que je bouge ? Je peux pas circuler ! Toujours dans le noir ! C'est un endroit qui n'est pas calme, mouvementé ; je m'y sens comme bousculée, agitée. Pas de souplesse : toutes ces forces qui se contredisent ! Comme s'il y avait plusieurs courants et tout qui arrive d'un coup ! (...) Comme si j'étais prisonnière, en chaînée ! Est-ce que ça vaut le coup de vivre ? Il faudra bien que je m'en sorte !... C'est le grand vide ! Que dire de plus ? Il est partout !".
Le stade déglutitif se manifeste à nouveau dans les états régressifs sous la forme d'une totale "inhibition de l'action" (Laborit, 1979; Resnais, 1980) succédant à l'échec du combat pour la survie : un tel abandon conduit, par l'usage de mécanismes physiologiques surannés, au choc irréversible et à la mort.
L'expérience de ceux qui ont survécu y fait correspondre, non le désespoir mais un état de conscience particulier, dépourvu de crainte, avec la sensation d'un bonheur dépassant la volonté de vivre. Milakovic' parle d'une plongée en des régions sans retour de plénitude et parfaite harmonie, dans le nirvana idéal dont l'individu a rêvé toute sa vie au plus profond de son âme...
C'est sur cette base qu'il faudrait comprendre le désir de mort au plus fort de la jouissance, désir manifesté jusque chez l'animal qui omet, au plus fort de l'orgasme, de se défendre pour échapper à la mort... Thanatos serait donc le vestige de notre racine la plus essentielle, la vie foetale...
Cette description paradisiaque de la vie utérine et du "requiescant in pace !" présentent un aspect illusoire lié à ce besoin d'absolu qui caractérise l'être parlant; nous le voyons pousser le mystique à plus de jouissance, selon cette pente malaisée de l'abandon et de la résignation.
D'autres considérations permettent de corriger le point de vue de Milakovic' en remarquant l'importance du système vestibulaire, du fait d'être porté et rythmé par les mouvements maternels et de s'y accomoder par ses propres mouvements (ce que nous démontre amplement l'haptonomie).
Au cours d'une psychanalyse ou d'une autre forme de psychothérapie, l'évocation de la vie intra utérine peut être lue dans une attitude musculaire: se positionner en foetus, en chien de fusil... ou plus elliptiquement, « faire le dos rond ». Joséfa déclare « quand j'étais petite, pour espérer, je faisais le dos rond, espérant qu'il allait se passer quelquechose ! ( ) Le dos rond, c'est comme la tortue, dépassionnée, très confortable mais sans grand désir ».
Nous portons tous la cicatrice de la corde qui nous liait au jumeau placentaire, fait des mêmes cellules que les nôtres mais réduit à une existence vicariante éphémère. Terpsichore fait mine de s'en souvenir dans un de ses rêves éveillés, lorsqu'elle dit :
"Entre la lune et moi, il est un grand fil d'argent qui aboutit à mon nombril. La lune me fait mal au ventre car elle tire sur mon nombril. Selon sa position, mon ventre se soulève tout autour du nombril, comme une capsule..."
Que maman fasse l'amour ou la guerre, les situations d'extrême existence se font sentir chez le bébé qui peut ainsi enregistrer de bien belles empreintes ou d'horribles marques.
Est-ce de telles expériences que nous rapporte Clotilde ? Elle évoque une scêne entre ses parents, dont elle a oublié la nature mais elle sait que c'est quelque chose qui fait peur...
« Cela s'est passé dans la cuisine, mon père avait rejoint la cuisine » (elle se croise très fort les doigts des mains droite et gauche) « ça m'avait coupé le souffle; même maintenant, quand j'en parle, j'en ai le souffle coupé, la respiration est retenue : il ne faut pas faire de bruit, se tapir, comme les animaux qui sentent un orage, un danger ! ( ) Une porte qui se ferme; peur d'aller au delà de cette porte. En plus, j'ai même pas d'image, ce n'est qu'un sentiment. Déjà, ce sentiment, je l'avais oublié ! ( ) Il y fait sombre dans cet endroit ! ».
Lexpérience de Boris évoque aussi cette protoconscience :
« Au début votre salle d'attente me gênait; progressivement j'y avais créé mon petit monde. Tout à l'heure, j'ai curieusement pensé au ventre de ma mère. Votre salle d'attente, c'est le ventre de ma mère; il y rêgne un silence marin, subaquatique.
Très bizarrement, le silence, chez vous ne s'entend pas pareil qu'ailleurs... ici les sons sont tout autres ! Je pense à un film dont le héros est totalement farfelu. Il se recroqueville dans un ascenseur. Quand il arrive et que la porte s'ouvre, il dit "je veux retourner dans le ventre de ma mère". J'avais beaucoup ri dans ce film. Je me dis cette phrase assez souvent ! Pourquoi vouloir retourner dans le ventre de ma mère ? C'est pas une protection : dans la salle d'attente, j'entends absolument tout, même les sons désagréables... mais ils sont moins gênants qu'au dehors... Je les entends de façon filtrée.. La pire des choses pour le cerveau humain, c'est le bruit ! Ce qui m'agresse le plus, c'est ce qui passe par l'oreille. C'était la seule communication avec l'extérieur dans le ventre de la mère. En même temps, le silence me fait peur ! Ca fait un blanc dans ma tête. Je ne suis pas ma^itre de ma tête, c'est un silence trop fort qui m'empèche de voir ou de sentir. J'ai l'impression de fonctionner ici d'une façon différente, de ne pas respirer pareil, de ne plus sentir mes jambes, de me métamorphoser, l'oeil toujours fixé sur la même fissure du plafond, depuis le début[4] ! ».
Plus tard, avant d'interrompre son analyse, il précise le motif de cette fin. Il explique, à propos d'une famille qu'il a croisée dans la salle d'attente :
" Rencontrer ces gens que je vous ai envoyés est pour moi comme un viol que je subis, une pénétration dans mon monde, dans le ventre de ma maman... j'aimerais tant retourner dans le ventre de ma maman, être petit ! ".
Tout cela, sans qu'on puisse rien retenir qui fasse preuve, suggère la vie intra-utérine: lieu sombre, fermé, crainte de quitter ce lieu, absence d'image visuelle, respiration arrêtée, se blottir, se tapir alors qu'il y a l'orage. Cela peut suggérer une expérience précoce, plutôt de dispute que d'amour, entre ses parents, alors qu'elle est aux premières loges...
On peut aussi bien limiter ces données à leur contenu explicite : ce qui se passa alors qu'elle était petite fille, dans le couloir et la cuisine...
Il restera au jeune enfant et à l'adulte la nécessité d'agir pour piloter la perception et la rendre pertinente à ses besoins ou désirs. Dès la naissance, l'action s'intensifiera et se dirigera vers d'autres que le sujet lui-même. Avant de naître, il s'agit pour lui, plutôt de se construire que d'atteindre quoique ce soit dans l'environnement. Hormis sans doute cet intérêt qu'il manifeste pour les sons venus d'ailleurs comme la petite lumière qui donne envie d'aller au bout du tunnel pour connaître enfin la lumière...
Valentine lorsqu'elle évoque, dans son rêve éveillé de la mer, les sensations qu'elle éprouve note le silence et une présence vivante sans individualité:
« Je sens des présences mais je ne vois rien, ce sont des sortes d'algues gluantes, collantes, un peu dentelées, longues, un peu comme des cheveux. Il y a aussi des algues rondes avec un trou au milieu, molles, un peu comme de la peau ou du caoutchouc... Enfin, je ne sais pas trop... C'est marrant de mettre les doigts dedans. Ce n'est pas agressif, c'est très doux, très agréable... Elles sont à l'intérieur du rocher où je suis entrée. Ca fait une cavité protectrice rassurante. Si j'avale du liquide, il a un goût salé, un petit goût animal, comme de la crevette ou du saumon... C'est fort, mais c'est bon hein ! Il nourrit de partout, pas seulement par la bouche. Tout le corps s'imprêgne de ça ».
Le dessin qu'elle apportera lors de la séance suivante, afin de donner une représentation de ce qu'elle vient de raconter, la montre adulte et habillée dans une anfractuosité assez évocatrice d'un milieu utérin (avec une sortie allongée et très étroite).
Ici se pose, comme dans les autres témoignages cliniques présentés ultérieurement, la question de la fidélité de la mémoire, concernant des situations aussi lointaines que celles de la vie foetale.
Poser la question suffit presque à la résoudre : non seulement le temps écoulé est très long, mais surtout l'absence de langage à cette époque archaïque, la nécessité d'y recourir pour tenter de se souvenir, le passage de toute remémoration par les défilés du signifiant, l'impact sur le témoignage des craintes et des attentes liées aux temps ultérieur ainsi que les mécanismes d'oblitération dégagés par Freud sous le terme d'amnésie infantile, tout cet ensemble de faits ou de mécanismes s'oppose à ce que l'énoncé de l'adulte, fut-il vécu avec une grande certitude par le sujet qui en est le porteur, soit pris au pied de la lettre, pour argent comptant...
A quelques nuances près, il est nécessaire d'appliquer la plupart de ces réserves au discours de quiconque prétend se ressouvenir, y compris d'un évènement moins ancien ou même tout à fait récent. La perception immédiate elle même n'est pas à l'abri de nombreuses illusions, liées au contexte langagier, aux mésaventures de l'illusion perceptive, aux malentendus des points de vue distincts possibles ...
On n'attendra donc pas de notre petit reportage une bien grande objectivité.
Il s'ajoute aux incertitudes que je viens d'évoquer, celles qu'on doit à la sélection partiale des matériaux présentés et aux facettes quelque peu arbitraires de leur récit et de son interprétation. Il s'agit d'une incursion dans le domaine du subjectif, de l'évanescent et du possible.
Il restera au jeune enfant et à l'adulte la nécessité d'agir pour piloter la perception et la rendre pertinente à ses besoins ou désirs. Dès la naissance, l'action s'intensifiera et se dirigera vers d'autres que le sujet lui-même. Avant de naître, il s'agit pour lui, plutôt de se construire que d'atteindre quoique ce soit dans l'environnement. Hormis sans doute cet intérêt qu'il manifeste pour les sons venus d'ailleurs comme la petite lumière qui donne envie d'aller au bout du tunnel pour connaître enfin la lumière...
Michel explique:
« Je me vois comme un bébé, en train de pleurer pour réclamer !... J'ai soif ! Je ne sais si c'est de faim ou bien de contact ! Etre pris dans les bras, me sentir contre quelqu'un !.. Je la sens assez disponible, j'ai pourtant envie de pleurer ! (après une interruption par le téléphone) Je me sens davantage encore en boule, je me replie sur moi-même.. J'imagine que je suis dans le noir.... ça me serre à la gorge et au plexus, comme s'il y avait une peur.... Peur de naître ? D'affronter la vie ? Ou bien des émotions de ma mère que je ressentais ? C'était en 1944, il pouvait y avoir de la peur ! Ou peut être est-ce une peur que je ressens maintenant, une peur à vivre, à me lancer dans la vie ? ». A la suite de cette séance il rêve d'un bateau, « le mien » dit-il, « porté dans un autre bateau, lui-même dans l'eau. Je n'avais rien à faire, c'est lui qui savait ce qu'il avait à faire: sécurité sans liberté ».
Les jours suivants, il achètera une pendule ancienne pour son "tic-tac" tellement rassurant.... Nous ne pouvons vérifier la valeur proprement « historique » de ce témoignage. Michel reconstruit ce qu'il énonce comme un souvenir. Comme tel, il ne peut nous laisser indifférent...
Même dans les conditions d'un accouchement à la maison, la coopération de la parturiente et du bébé peuvent être évidentes et profondément ressenties.
La maman de Prunelle, est réveillée par des contractions qui se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu. « Lorsque Claude, la sage-femme, arrive, j'ai déjà eu une forte poussée. Je ne souffre pas du tout. Le souffle m'aide dans la douleur et je récupère entre les contractions. Chaque poussée est forte et bonne à vivre. Je sens la tête de Prunelle qui s'engage lentement. Elle descend, puis remonte. Claude retrousse ses manches. Prunelle descend, travaille à sa descente et je l'aide. Je le sens bien. Claude commence à masser mon périnée car je m'étais fortement déchirée lors de l'accouchement d'Eric. L'huile d'arnica et le massage si doux, puissant de Claude assouplissent le périnée. La tête de Prunelle apparaît. Alors je me rends compte que je n'ai pas encore perdu les eaux. En effet ce n'est pas sa tête, cette masse grise. C'est la poche des eaux qui la protège ! Je vais tout à fait bien. Sur une forte poussée, la tête de Prunelle sort. Claude incise la poche des eaux. Prunelle pousse un petit cri, je la prends, la voilà sur mon ventre. On reste toutes les deux, elle toute mouillée, chaude, sur moi, un long moment; emmitouflées ».
"on m'avait dit que Chloé allait naître avec un mois et demi d'avance. Au moment annoncé, j'ai eu des contractions. Alors je lui ai parlé « si tu nais maintenant, on va pas se voir parcequ'on te mettra à l'hopital dans une couveuse »... Alors, elle a attendu le terme et elle est venue d'une façon parfaite, merveilleuse ! ... "
Ce discours étonnant revendique l'efficacité d'un discours adressé au foetus. Nous savons qu'il en entend quelquechose. Il serait bien imprudent de préciser le mécanisme de son action.
Comme le remarque Tomatis, il est exclu que la signification des mots soit accessible à ce foetus, pas plus qu'à aucun autre. Mais n'y a-t-il aucune possibilité qu'il s'agisse d'un changement d'attitude de la mère et par là de ses productions hormonales à l'occasion de ces paroles ? Non pas à la simple façon de l'auto-suggestion, mais en intégrant cette réalité du dialogue commençant : puisqu'elle lui parle, c'est qu'il devient une personne à laquelle déjà elle s'attache et qu'elle ne peut plus expulser sans ménagement... On ne peut sans doute exclure la survenue d'une forme mal définissable mais tout à fait réelle de tendresse que perçoit l'enfant dans le ton de la voix, le rythme de la phrase, telle variation vasculaire ou métabolique affectant les échanges placentaires. On ne peut, à la fin, exclure que le petit organisme engramme ces données comme autant d'encouragements au status quo ...
Côté bébé, la naissance pourrait être vécue très intensément (au point que Rank (1924) parle, à ce sujet, de traumatisme). Josué nous fait entendre un discours qui mèle le présent à une telle idée de sa naissance sans prétendre à l'objectivité du souvenir:
" J'imagine comme un tourbillon d'eau, il n'y a pas de fond. Il est tout petit, 20 à 30 cm de haut, il bouge continuellement. Il y a un courant qui le fait tourner sur lui-même sans savoir jusqu'où il tourne... Il commence à créer une sensation de vide. Ma tête est attirée par ce vide... comme si elle allait entrer dans cet espace, dans ce vide, comme un sexe de femme, un vagin, un utérus.... comme si je me retrouvais dans le ventre de ma mère, ça me fait drôle. il n'y a que la tête, le reste ne passe pas. Désagréable, je n'ai pas envie de rester dans ce ventre ! Je me vois sortir et marcher tête haute. J'ai pas trop envie de penser à tout ça. " .
Lorsque la mère s'intéresse moins, ou avec moins de tendresse au bébé, il est lui même plus enclin aux pleurs et aux réactions négatives la rapidité de l'intervention maternelle a un effet sécurisant plus le bébé est jeune et plus il est rassuré par le contact avec sa mère (être pris dans les bras supprime les pleurs dans 86 % des cas au premier trimestre de la vie : on peut alors suggérer qu'une tonicité utérine suffisante et son augmentation par moment, est un facteur de sécurisation pour le ftus. Les anciens qui ficelaient leurs bébés l'avaient compris, quoique avec moins de doigté que les africaines qui s'attachent le leur bébé dans le dos.
Depuis un siècle (ou plus) nous nous insurgeons, au nom de la liberté, de l'initiative et de la respiration contre la barbarie du maillot serré. Le Dr J. Rengade (1881) renchérissait :
" Malgré tout ce que les hygiénistes ont écrit contre l'usage du maillot, un grand nombre de nourrices et de jeunes mères, persistent encore dans les campagnes à l'employer pour vêtir leurs nourrissons. Il ne serait point difficile de trouver les causes de cette préférence pour un vêtement que le raisonnement le plus simple aurait dû faire proscrire depuis longtemps ; les enfants emmaillotés, serrés comme dans une camisole de force, et paralysés sous les spirales de toile qui maintiennent dans une tension perpétuelle leurs jambes et leurs bras, s'endorment, paraît-il, même accrochés à la muraille, plus facilement que ceux qui dans leurs berceaux, peuvent remuer leurs petits membres à leur aise. On en a conclu que le nouveau-né préférait à la liberté cette étroite prison de langes et de bandelettes."
Toute la vérité n'est peut-être pas dans le puits de l'indignation... Je me persuade que cette ancienne pratique n'était pas si absurde. N'était-ce point une façon de retrouver cet enveloppement de chair, de chaleur, de mouvements dont il jouissait, qui le sécurisait en le contenant...
Ainsworth (1972) estime que "les enfants qui apprécient particulièrement le contact physique avec leur mère en tirent suffisamment de satisfaction pour accepter sans problème que ce contact s'arrête". Nous pouvons transposer cette remarque en deçà et poser l'hypothèse que le nouveau-né est d'autant plus en mesure d'affronter sa nouvelle condition qu'il a mieux bénéficié du dialogue psychomoteur instauré dans les derniers mois de sa vie intra-utérine. C'est sans doute une des raisons qui rend compte des difficultés de certains enfants dont la mère a été immobilisée pendant le dernier trimestre ou qui sont nés prématurément et confinés dans une couveuse.
Il nous a été suggéré par une maman qui avait échangé ces informations avec plusieurs de ses amies que les foetus très remuants (coups de pied, etc.) se transformeraient en enfants sages et réciproquement : à foetus trop calme, bébé agité !
Si les contacts mère enfant - spécialement les initiatives de ce dernier - sont largement dépendants, y compris dans la nature, des gestes maternels, de l'attitude globale qu'elle adopte vis à vis de cette naissance (Ainsworth, 1972), qu'en est-il de ces contacts avant la naissance ?
1. Point de vue respiratoire
2. Point de vue alimentaire et médicamenteux
3. Point de vue hormonal
- la gestualité et les postures habituelles de la mère, en tous temps, indépendamment de sa grossesse
- les effets sur la mère de sa grossesse, selon qu'elle l'accepte, qu'elle la considère d'une façon ou d'une autre, les mouvements qu'elle fait au niveau de son bassin, les positions qu'elle donne à son abdomen vont se structurer d'une manière bien particulière, même si l'étude de tels faits n'a pas encore été entreprise.
A la précédente séance, au lieu de se diriger vers la sortie, elle a ouvert la porte de l'armoire, comme pour y entrer et a souri en prenant conscience de ce geste incongru (d'autant plus inattendu, que l'armoire métallique ne ressemble en rien à la porte de sortie). Cette fois, après avoir évoqué les attitudes contradictoires qu'elle adopta jusqu'à l'âge de onze ans (extravertie à la maison, inhibée à l'école), elle déclare :
« je me suis vue, dans un délire, à l'intérieur du ventre de ma mère. J'ai pensé qu'elle n'avait pas pu m'aimer quand j'étais dans son ventre... Son père est mort à cinq mois de la grossesse; puis sa mère est morte quand j'avais deux mois. J'avais l'impression que ma mère me donnait des coups parcequ'elle pleurait son père. Sa grossesse est un sujet taboo pour ma mère, elle n'en parle jamais... Chaque fois qu'il s'agissait de 1956, l'année de ma naissance, ma mère pleurait et mon père laissait passer de l'angoisse dans sa voix ».
Il est probable que la brusquerie de la femme enceinte, les contre temps rythmiques, les variations imprévisibles ou le désert moteur pourraient avoir des conséquences fâcheuses sur son bébé. Tout comme en auront d'heureuses ses gestes harmonieux pour marcher tranquillement, danser avec grâce, s'exprimer avec tendresse, etc... Ces faits vont nécessairement se conjuguer pour donner aux intégrateurs labyrinthiques du foetus certaines caractéristiques histo-fonctionnelles qui devraient le marquer sa vie durant, notamment en lui communiquant un style, une base sécurisante ou des conflits d'une profondeur inexpugnable.
Il est certainement dommageable de priver le foetus des mouvements de sa mère, fussent-ils maladroits. Même dans ce cas, ils ont le mérite d'exister et de lui donner signe de vie. Le confinement dans un lit, pour éviter une prématurité est parfois nécessaire, mais ne pourrait-on imaginer quelque palliatif ("rocking-chair", hamac, balancelle, etc) permettant un minimum d'activité labyrinthique au foetus. Sans cela, les organes de commande psycho-moteurs pourraient s'apauvrir. Ce qui pourrait avoir des conséquences sur la formation du système cérébelleux et retentir sur le psychisme tout entier si se confirment les corrélations qui semblent lier la survenue d'un autisme à l'anatomie du cervelet.
Le cas de Ninette, sans avoir abouti à d'aussi graves ennuis, confirme les inconvénients d'une immobilisation prolongée pendant la grossesse:
Elle insiste sur son "hérédité", sur un tas de déterminismes qui ne laisseraient place à aucune liberté et se plaint de ce qu'elle ait été "conçue dans la contrainte".
« Ils s'étaient mariés à cause de ça: j'étais la trace de la première contrainte de mon père sur ma mère, la trace ineffaçable du péché que voulait effacer ma mère, le péché de ma conception ».
Ninette a l'impression que le décés prématuré de son père était dû à la mésentente de ses parents. Peut être, elle-même était-elle de trop ?: « ils ne me désiraient pas ( ) Il n'existe aucune photo où je sois dans les bras de ma mère ».
Dans sa famille on s'étonne lorsqu'elle se marie et conçoit un enfant. Elle aurait dû se cantonner au rôle de tante-gâteau vieille-fille.
Sa grossesse n'ira pas sans mal: les médecins lui prescrivent une totale immobilité les derniers mois. Ce qu'elle observe à la lettre dans la clinique qui l'accueille.
Elle donne naissance à un petit Joachim, très vivant mais qui pleure de manière déchirante très souvent et sans raison bien évidente, notamment quand sa mère « pense à lui », alors même qu'elle est dans une autre pièce...
Plus tard, il montrera une capacité ébouriffante à percevoir ses moindres sentiments, ses plus petites pensées, jusque dans le détail:
« il traduit en paroles ce que j'ai pensé trois secondes plus tôt, ( ) Parfois il énonce mes sentiments AVANT que je n'en ai conscience !, il formule mes plaintes !. Lorsqu'il utilise des pronoms, il dit "JE" quand il s'agit de moi et "TU" pour lui-même ».
Joachim se fait le siamois de sa mère, il troque son moi contre le sien, comme perdu dans un miroir qui nous conduirait au rejet qu'on fit de ses premiers vagissements à elle....
Elevé en couveuse, il est lui aussi privé des mouvements de sa maman. Et de bien plus ! Il arrive encore qu'il soit, de fait, totalement privé de sa maman et de tout contact non scientifique, pendant les mois les plus décisifs de sa vie. Qui sera sauvée ! Mais le prix est élevé ! Heureusement les tentatives de progresser en ce domaine ont accompagné les prises de conscience. On commence à remplacer la couveuse par la chaleur du sein maternel dans l'expérience des bébés-kangourous à Bogota. On met de la musique douce, ou des enregistrements familiers près du bébé, on économise les sons fracassants. Peut-être imaginera-t-on quelque système berceur qui lui permettrait de rencontrer les rythmes irremplaçables de sa mère ? Freedman (1960) a montré sur des jumeaux de faible poids de naissance, que si on berçait l'un des deux mais pas l'autre, le premier grossissait mieux et souriait plus facilement que le second....
L'effet des soins hospitaliers dans leur forme actuelle la plus banal amènent le bébé sur une mauvaise pente dont on mesurera les effets sa vie durant: sous forme d'un "défaut d'élaboration mentale et de symbolisation". Les troubles peuvent s'observer précocément et prendre la forme d'anorexie, de troublmes du sommeil, de décharges motrices, de troubles du comportement (colères, spasmes du sanglot, instabilité motrice). Plus tard on aura une "mauvaise organisation du schéma corporel (maladresse motrice, attitudes raides et bloquées, difficulté de contrôle émotionnel) (Ferreri, 1978).
Même les singes - et tous les mammifères - souffrent du manque de contact vivant et chaleureux avec leur mère (ou au moins des ersatz évocateurs) (Desportes, 1975).
L'évènement de la naissance est peut-être lui-même utile à l'évolution psychique du nouveau-né, à moins qu'il ne s'agisse des difficultés liées à la césarienne: les enfants nés de cette façon crient moins fréquemment, présentent une réactivité moindre et une léthargie générale plus marquée que la normale (Anonyme, 1965).
Il n'est pas moins important. Il fonde probablement ce que Freud appelle « fantasme » : en effet « si le fantasme combine le vécu, l'entendu et le vu, c'est à partir des choses entendues qu'il est constitué » (Freud, 1897; Major, 1969). On a remarqué combien l'activité cérébrale du foetus est de type onirique[5]. Il combine alors, en une seule activité le kinesthésique qu'il apprend, l'auditif qu'il appréhende, et le visuel qu'il prépare. Cette combinatoire, dont n'est sans doute pas absente l'information génétique (Jouvet, 1973) et la mémorisation à long terme, restera utile, quoique à un degré sans cesse décroissant, tout au long de la vie. La maturation qui différenciera progressivement la vie diurne et la vie nocturne de la psyché, laissera toujours subsister le pont du fantasme dont les pseudopodes nous permettent d'apprendre, de créer, de répéter.
Freud (1915) associe le retour sur soi que représente le sommeil, au retour vers l'époque utérine:
« L'homme chaque nuit dépouille les enveloppes dont il a recouvert sa peau et aussi, éventuellement, les accessoires qu'il utilise pour compléter ses organes corporels: lunettes, perruque, dentier, etc... On peut ajouter qu'en allant se coucher il dévêt de façon tout à fait analogue, son psychisme, renonçant à la plupart de ses acquisitions psychiques, de sorte que, des deux côtés, il se rapproche à l'extrême de la situation qui fut le point de départ de son développement. Le sommeil, du point de vue somatique, est une reviviscence du séjour dans le corps maternel dont il réalise certaines conditions: position de repos, chaleur et mise à l'écart de l'excitation; bien des hommes reprennent même dans le sommeil l'attitude corporelle du foetus. L'état psychique des dormeurs se caractérise par un retrait presque total du monde environnant et par la suspension de tout intérêt pour lui ».
A ceci près que l'extérieur existe pour le foetus, même si cet extérieur n'est autre que l'environnement maternel !
« Dans une rêverie, je me vois en bord de mer: la forme de la crique est comme une parenthèse qui n'aurait que le premier côté (celui de gauche): cela forme une barrière, une protection, une rupture, un rempart alors que l'autre côté de la plage est ouvert sur l'immensité, l'inconnu ! ( ) Image de la vie embryonnaire ! La mienne !! Si je plonge dans l'eau, c'est un Univers à la fois vivant et mort (parce qu'inconnu). La vie est quand même sur terre (les fleurs, les plantes, les animaux)[6] ! ».
Les remarques de Freud rencontrent aussi l'écho d'une de nos patientes qui utilise le rêve éveillé et raconte:
« Le petit poussin soulève la surface irisée de l'eau, comme une couverture, sous laquelle il se blottit. Il met ses deux mains jointes sous sa joue et il essaue de s'endormir... Il voit une bulle bleue . Il se pelotonne dans cette bulle bleue qui roule et se ramollit en roulant . C'est comme si je voulais rentrer dans l'utérus maternel ! ».
Les études des activités « in ovo » (Ripley, 1972; Changeux, 1983) qui montrent l'animal s'exerçant patiemment aux gestes qui lui permettront de briser sa coquille nous laissent deviner qu'il en est de même, en quelque façon, pour le bébé. Ses rêves, ses gestes s'ordonnent à ce qu'il devra, plus tard, faire : il suce déjà son pouce dont il ne devrait attendre aucun lait, il pousse avec ses jambes comme pour aider maman à le mettre dehors, et bien avant son heure. Ainsi, comme l'adulte, il hallucine, pour autant qu'il le puisse, son désir de vivre et de se développer.
Il discerne aussi, il commence à le pouvoir, la réalité actuelle de ces créations reçues du fond des gênes. Comment ? Comme nous ! Il dispose d'une « innervation motrice qui permet de décider si on peut faire disparaitre la perception ou si celle-ci se révèle résistante ». Comme le dit Freud (1915), « l'épreuve de réalité n'a pas à être autre chose que ce dispositif ».
Cette possibilité est très restreinte, il est vrai, et peu utilisée. Restreinte car les déplacements du foetus, sont étroitement contenus dans sa chaude prison. Peu utilisée puisque la première, la principale activité du foetus est de se laisser porter, de s'accomoder, comme le danseur, aux mouvements de sa partenaire. Plutôt que la danse, c'est la moto qui nous enseignera. Lorsque vous êtes sur le siège de l'engin, telle BB sur sa Harlay-Davidson, vous devez, pour la conduire, apprendre à lui obéir: vous pencher quant elle se penche sans vous raidir dans votre quant à soi, épouser son attitude plus que vous opposer à la pesanteur... Cet apprentissage est une véritable action, même si c'est une action d'allure passive: et vous savez comme il est difficile de porter quelqu'un, fut-il tout petit, qui ne veut pas l'être...
nous livre, en sa rêverie - mais n'y a-t-il de celà rien à garder ? - quelques eaux mélées de l'instant et du très ancien :
« c'est comme si je nageais dans une mer orange, gluante. Le fond de cette mer est comme une cuvette. En nageant j'aperçois un passage étroit. J'essaie de m'y glisser, mains au dessus de la tête...J'arrive avec un grand effort musculaire à me glisser dans cet espèce de boyau : tension de tous les muscles. De temps en temps, j'ouvre les mains qui font comme un entonnoir. Cette matière pénètre entre mes mains et mes bras... J'avance difficilement.. Je monte en oblique... J'arrive dans un endroit qui ressemble à un oursin vert. C'est assez grand pour que je puisse m'y blottir.
L'oursin se referme et j'ai la sensation d'être emprisonnée et en même temps de me sentir un peu comme endormie, comme dans une zone d'oubli, comme un enfermement souhaité... Je sens un léger balancement qui m'apaise comme si j'étais à l'intérieur de quelqu'un qui marche. C'est une impression, à la fois de douleur dans l'estomac et quelque chose aussi au niveau des sentiments : comme le regret de quelquechose ! J'ai envie de chercher un passage, un peu comme si j'en avais assez de cette cadence un peu douceâtre... Je tâte la paroi : elle est très lisse. Je rencontre quelque chose de fibreux, une matière que j'arrive à écarter...; peut être l'enveloppe d'un cocon... que j'essaie de percer. Cette sensation de fibres sèches, je la sens dans ma bouche et mes mains; c'est comme de la barbe à papa ! Quand mon père était petit, son père l'a jeté à l'eau pour lui apprendre à nager. Il s'est agrippé au ponton et les oursins lui sont rentrés dans la chair : il en a toujours gardé les cicatrices ».
De cette action, de cet apprentissage, de cette danse, va résulter la sécurité de base et le sens de l'espace chez le futur homme. Surtout en découlera l'impression d'être objet et qu'il y a donc un autre.
Quitte à jouer aussi le rôle moteur en y répondant (Schaffer, 1977), lors du repos maternel: de fait c'est à ce moment là que le bébé se met « à donner des coups de pied[7] » !
Première condition du langage qui est toujours dialogue: la capacité d'intervenir, chacun à son tour... (Duncan, 1972). A défaut, nous aurons la base du masochisme primaire organique, tel que le décrit Nacht : impossibilité d'établir clairement l'opposition d'objet et de sujet, autrement dit, fusion intégrale, qui ne permet rien que l'autisme, l'auto-érotisme et l'auto-mutilation (Desportes, 1975) ...
L'évocation de la vie intra utérine peut être lue dans une attitude musculaire: se positionner en foetus, en chien de fusil... ou plus elliptiquement, « faire le dos rond ». Joséfa imagine de toutes petites filles qui jouent dans le gué du ruisseau : elles ont pied, c'est que la traversée est accessible pour quelqu'un de tout petit. Elle déclare « quand j'étais petite, pour espérer, je faisais le dos rond, espérant qu'il allait se passer quelquechose ! ( ) Le dos rond, c'est comme la tortue, dépassionnée, très confortable mais sans grand désir ».
Dans une rêverie, il se voit en bord de mer: la forme de la crique est comme une parenthèse qui n'aurait que le premier côté (celui de gauche): cela forme une barrière, une protection, une rupture, un rempart alors que l'autre côté de la plage est ouvert sur l'immensité, l'inconnu !...
« Image de la vie embryonnaire ! La mienne !! Si je plonge dans l'eau, c'est un Univers à la fois vivant et mort (parcequ'inconnu). La vie est quand même sur terre (les fleurs, les plantes, les animaux) ! ».
Commentaire
La discussion aurait peu de bases qui essaierait de déterminer en quoi ce qu'on vient de lire est de l'ordre du fantasme et en quoi il s'y trouve quelque vestige, quelque trace mémorisée du vécu utérin. Il y a de toute façon un intense travail d'élaboration, de construction, d'ordonnancement lisible dans le sous entendu lui-même. Par exemple celui de la parenthèse dont nous n'avons que le premier membre qui ouvre sur la plage. Le deuxième membre, qui achèverait le propos, complèterait à droite, l'image d'un orifice vaginal dont nous n'avions que la moitié gauche... Cette complexité de la suggestion, cet enchevètrement du métaphorique au symbolique, cette évocation subtile suppose que l'évocation des premiers temps ait été modelée ou remodelée, de tous les acquis intermédiaires. L'accès au plus que passé ne peut se faire ici - mais le peut-il ailleurs - que dans l'encastrement des passés qui le sont moins, des acquis intermédiaires de toutes natures.
Cette remarque dépasse sans doute cet exemple pour s'étendre à tout souvenir dont aucun n'est photographique (et le serait-il qu'il y perdrait la vie).
« Au début votre salle d'attente me gênait; progressivement j'y avais créé mon petit monde. Tout à l'heure, j'ai curieusement pensé au ventre de ma mère.
Votre salle d'attente, c'est le ventre de ma mère; il y rêgne un silence marin, subaquatique. Très bizarrement, le silence, chez vous ne s'entend pas pareil qu'ailleurs... ici les sons sont tout autres ! Je pense à un film dont le héros est totalement farfelu. Il se recroqueville dans un ascenseur. Quand il arrive et que la porte s'ouvre, il dit "je veux retourner dans le ventre de ma mère". J'avais beaucoup ri dans ce film. Je me dis cette phrase assez souvent ! Pourquoi vouloir retourner dans le ventre de ma mère ? C'est pas une protection : dans la salle d'attente, j'entends absolument tout, même les sons désagréables... mais ils sont moins gênants qu'au dehors... Je les entends de façon filtrée.. La pire des choses pour le cerveau humain, c'est le bruit ! Ce qui m'agresse le plus, c'est ce qui passe par l'oreille. C'était la seule communication avec l'extérieur dans le ventre de la mère. En même temps, le silence me fait peur ! Ca fait un blanc dans ma tête. Je ne suis pas ma^itre de ma tête, c'est un silence trop fort qui m'empèche de voir ou de sentir. J'ai l'impression de fonctionner ici d'une façon différente, de ne pas respirer pareil, de ne plus sentir mes jambes, de me métamorphoser, l'oeil toujours fixé sur la même fissure du plafond, depuis le début ! ».
« J'imagine comme un tourbillon d'eau, il n'y a pas de fond. Il est tout petit, 20 à 30 cm de haut, il bouge continuellement. Il y a un courant qui le fait tourner sur lui-même sans savoir jusqu'o| il tourne... Il commence à créer une sensation de vide. Ma tête est attirée par ce vide... comme si elle allait entrer dans cet espace, dans ce vide, comme un sexe de femme, un vagin, un utérus.... comme si je me retrouvais dans le ventre de ma mère, ça me fait drôle. il n'y a que la tête, le reste ne passe pas. Désagréable, je n'ai pas envie de rester dans ce ventre ! Je me vois sortir et marcher tête haute. J'ai pas trop envie de penser à tout ça ! ».
« Je me vois comme un bébé, en train de pleurer pour réclamer !... J'ai soif ! Je ne sais si c'est de faim ou bien de contact ! Etre pris dans les bras, me sentir contre quelqu'un !.. Je la sens assez disponible, j'ai pourtant envie de pleurer ! (après une interruption par le téléphone) Je me sens davantage encore en boule, je me replie sur moi-même.. J'imagine que je suis dans le noir.... ça me serre à la gorge et au plexus, comme s'il y avait une peur.... Peur de na^itre ? D'affronter la vie ? Ou bien des émotions de ma mère que je ressentais ? C'était en 1944, il pouvait y avoir de la peur !
Ou peut être est-ce une peur que je ressens maintenant, une peur à vivre, à me lancer dans la vie ? ».
A la suite de cette séance il rêve d'un bateau, « le mien » dit-il, « porté dans un autre bateau, lui-même dans l'eau. Je n'avais rien à faire, c'est lui qui savait ce qu'il avait à faire: sécurité sans liberté »...
Les jours suivants, il achètera une pendule ancienne pour son "tic-tac" tellement rassurant....
« M'allonger sur ce divan me rappelle mon enfance. Je devais faire la sieste, dans une pièce en haut . Il y avait un sentiment non de mort mais... de non-vie. Le tic-tac de l'Horloge, l'odeur de puossière chaude, l'impression de vide, de non-être.... Un silence insoutenable que j'ai encore du mal à supporter. La chambre de l'hopital, ce silence autour de vous. Avec toutes ces choses qui se disent, qui se préparent, sans que vous soyez au courant... votre vie se jouant... en dehors de vous: être dans la main des autres, sans aucune prise sur son destin ! Toutes les nuits, gamin, j'avais peur du noir et d'être couché. On m'attachait dans le lit (comme ça se faisait à l'époque). Le silence est vraiment insoutenable avec des bruits qu'on ne sait identifier, comme si la vie se passait au dehors sans savoir ce qui se passe.... J'avais l'impression qu'on me refusait le droit d'exister ! d'agir par moi-même. Se sentir au chaud, exclu, la vie qui continue autour et d'être là : presque une douleur, comme un noyau dans une sphère. La digestion me donne un état léthargique et sans angoisse. Le symbole de l'ile déserte.
Je ressens le besoin d'être dépendant, soumis, j'ai besoin d'amour, de me sentir exister et de vivre émotionnellement, intensément ».
Gabrielle pénètre dans une grotte, en bord de mer, "par tunnel".
"Je me retrouve dans une pièce ronde ... L'ensemble me fait penser
à la naissance (utérus : grotte ; vagin : tunnel d'entrée).
C'est rond. C'est un endroit où je suis bien. Le sol est de couleur chaude,
couleur sable. j'ai déjà vu cela, souvent, en rêve. Je cherche
quelque chose ..., je fais le tour ... par rapport au mur ...
Selon que je touche les murs, ça peut se modeler, prendre la forme que
je veux lui donner avec mes doigts. Pour l'instant, rien de précis ...
Cela se transforme comme je veux ... pas au hasard ... ce n'est pas simplement
passif, il ne s'agit pas seulement de se laisser faire ... ; c'est un complément
avec moi ... ce n'est pas .étranger ... je ne sais comment l'expliquer.
Comme un jeu de laisser des empreintes, des marques de doigt !
(dès que je me réveille, comme là, il faut que je mange
( ...)
Elle évoque un rêve éveillé d'il y a deux mois
: celui du cobra ... Pour moi, c'est le magasin (qui porte ce nom). J'y suis
bien, c'est familier ... Je n'ai rien à lui dire pour me ressourcer auprès
de lui ... Il est à la fois ce qui me ressource, mais aussi froid et
puissant ... Je n'arrive pas à bouger dans la scène mais ça
ne me gêne pas ... Ce cobra est ambivalent : à la fois masculin
et féminin, puissant et serein, hors du temps, à l'abri ...
Sylvie est hantée par deux idées : celle du suicide et celle de la vie utérine. Elle rêve de placards ou d'armoires dans lesquelles elle montait, toute enfant, pour se cacher, s'enfouir dans les vêtements et les naphtalines. Il fallait se terrer, se sécuriser, fuir le camion sanguinolent de l'ogre?boucher. Se placardiser jusqu'à se confondre avec le mur, laisser seulement subsister un petit passage pour la sortie, une bouche vaginale.
"Plus je dessinais mon rêve et mes souvenirs, plus je pensais
dans un ventre ! ... C'était peut?être une idée spontanée
ou le rejeton du courant permanent de ma pensée car j'y pense tout le
temps : je pense tout le temps à la vie utérine ... C'est pour
moi aussi présent que l'idée de suicide, quoique ça n'ait
aucun rapport ! Ce sont des thèmes qui reviennent sans cesse simplement!"
Elle rejoint par là de nombreux mythes de mort et renaissance et met
le doigt sur une des significations possibles du suicide : il ne s'agit alors
pas de terminer la vie mais plutôt de revenir à son commencement,
de retourner en un point de nouvelle initiative. Non qu'on dédaigne d'être,
mais plutôt qu'on en revendique la source noire : il n'est pas réellement
question de mourir, mais plutôt de dé-naître !
L'impact de la vie utérine peut se découvrir ultérieurement
de sorte que les bébés ne manifestent pas le même comportement
lorsqu'ils sont mis en présence du feuilleton favori de leur mère
durant la grossesse ! Ils savent aussi reconnaître les caractéristiques
de sa voix et même le texte qu'elle leur répétait. les bruits
intestinaux enregistrés, amplifiés et diffusés dans une
crèche modifient considérablement l'ambiance, lors des premières
présentations : les enfants arrêtent leur agitation, convergent
vers le haut parleur ou vers les éducatrices, cessent de pleurer, adoptent
des jeux coopératifs plus que compétitifs, dorment mieux ...
Cette mémorisation et les conditionnements, déjà assez variés, que l'on a pu produire chez le foetus suggèrent une véritable expérience prénatale (au sens psychique du terme)... Elles impliquent, de toute manière, la possibilité d'un apprentissage, non seulement de certaines structures dans leur diversité et (environnement psycho?moteur et bio?chimique qui leur correspond : les rythmes de la colère, de l'angoisse, de la tendresse, etc, sont bien distincts chez la mère ; ils sont perçus par le foetus, non seulement par la variation des battements cardiaques et des mouvements respiratoires, mais aussi et peut?être surtout par les modifications de position de la mère, la dynamique de ses gestes, les aléas de sa démarche. Le foetus reçoit aussi une information cérébrale directe de l'ambiance émotionnelle en cours grâce aux produits bio?chimiques que lui apporte le sang maternel : dérivés catécholaminergiques, taux d'oxygène et de gaz carbonique, acide lactique, dérivés thyroïdiens, surrénaliens, hypophysaires, glycémie, insulinémie, etc.
Cet ensemble d'informations peut être plus ou moins apaisant, sécurisant
ou inquiétant, angoissant. Il faut noter spécialement la possibilité
de messages contradictoires, peu logiques ou mal harmonisés dont on sait
le rôle dévastateur que leurs avatars moins précoces peuvent
avoir chez le jeune enfant ou l'adolescent (rôle connu pour faciliter
l'apparition de phénomènes psychotiques).
On comprend mieux que certains puissent évoquer « un diagnostic prénatal des troubles psychiatriques »… (Bouvard, 1990).
21 Janvier 2007
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[1] Mohammed, sans expliciter ce lien, l'expose en enchaînant curieusement les deux récits. D'abord Marie, auquel l'ange apparait sous forme d'un homme accompli, et tout de go : Ibrahim ...(al Qor'an, XIX)
[2] Vayera 99a, d'après Le Zohar, T.II, p.55-81 aux éd. Verdier - 1984. Le Zohar précise à propos de cet épisode que la « conjonction du masculin et du féminin est le secret de la vraie croyance ».
[3] Ou quelque jalousie!
[4] Gaspard lui fait écho: "M'allonger sur ce divan me rappelle mon enfance. Je devais faire la sieste, dans une pièce en haut . Il y avait un sentiment non de mort mais... de non-vie. Le tic-tac de l'Horloge, l'odeur de poussière chaude, l'impression de vide, de non-être.... Un silence insoutenable que j'ai encore du mal à supporter. La chambre de l'hopital, ce silence autour de vous. Avec toutes ces choses qui se disent, qui se préparent, sans que vous soyez au courant... votre vie se jouant... en dehors de vous: être dans la main des autres, sans aucune prise sur son destin ! Toutes les nuits, gamin, j'avais peur du noir et d'être couché. On m'attachait dans le lit (comme ça se faisait à l'époque). Le silence est vraiment insoutenable avec des bruits qu'on ne sait identifier, comme si la vie se passait au dehors sans savoir ce qui se passe.... J'avais l'impression qu'on me refusait le droit d'exister ! d'agir par moi-même. Se sentir au chaud, exclu, la vie qui continue autour et d'être là : presque une douleur, comme un noyau dans une sphère. La digestion me donne un état léthargique et sans angoisse Le symbole de l'ile déserte Je ressens le besoin d'être dépendant, soumis, j'ai besoin d'amour, de me sentir exister et de vivre émotionnellement, intensément ....".
[5] Il s'agit du sommeil agité dont l'évolution aboutira chez l'enfant et l'adulte au sommeil paradoxal au cours duquel le rêve domine. Le vécu du foetus pendant le sommeil agité est, jusqu'à nouvel ordre, totalement inaccessible. Je postule qu'il s'agit d'un vécu onirique ou préonirique sur la base de la continuité développementale entre sommeil agité, sommeil paradoxal et vie onirique. D'autant qu'il existe des Mouvements Oculaires Rapides pendant cette phase ( Aserinsky, 1955; Etevenon, 1987; Jouvet, 1973; Laget, 1982; Sterman, 1971
[6] La discussion aurait peu de bases qui essaierait de déterminer en quoi ce qu'on vient de lire est de l'ordre du fantasme et en quoi il s'y trouve quelque vestige, quelque trace mémorisée du vécu utérin. Il y a de toute façon un intense travail d'élaboration, de construction, d'ordonnancement lisible dans le sous entendu lui-même. Par exemple celui de la parenthèse dont nous n'avons que le premier membre qui ouvre sur la plage. Le deuxième membre, qui achèverait le propos, complèterait à droite, l'image d'un orifice vaginal dont nous n'avions que la moitié gauche... Cette complexité de la suggestion, cet enchevètrement du métaphorique au symbolique, cette évocation subtile suppose que l'évocation des premiers temps ait été modelée ou remodelée, de tous les acquis intermédiaires. L'accès au plus que passé ne peut se faire ici - mais le peut-il ailleurs ? - que dans l'encastrement des passés qui le sont moins, des acquis intermédiaires de toutes natures.
Cette remarque dépasse sans doute cet exemple pour s'étendre à tout souvenir dont aucun n'est photographique (et le serait-il qu'il y perdrait la vie).
[7] Ce qui revient à dire que la motricité ne relève pas, purement, simplement, complètement de l'analité, d'apparition beaucoup plus tardive (Grunberger, 1975). Cet angle d'observation permet de souligner la prudence quasi-lacanienne avec laquelle il convient de trancher entre les données psychiques qui relèveraient d'un "stade" ou d'un autre. Non que les remarques freudiennes manquent de pertinence, mais leur durcissement pourrait conduire à la fossilisation.