Lettrines

Dr Bernard Auriol

 

 

 

 

 

Qu'est ce qui nous amène de la découverte d'indices à la construction d'images et de là, à leur perverse universalisation en concepts parlés pour retourner au symbole-indice, fil d'encre traçant le labyrinthe bien pensant ? Qu'est ce qui pousse certains à vouloir ainsi, au delà des us pragmatiques, solidifier leur parole: monument pour les générations ou journal intime au destin ambigu ?

L'oral et l'écrit : deux voies culturelles, deux façons d'être à l'autre, deux lieux du cerveau, deux.

  Les paroles s'envolent, restent les écrits : pactes des hommes et même avec Dieu, le diable ou la femme, pacte du mort avec ses vivants hargneusement penchés sur les dernières volontés...

 Les écrits restent, mais pas seuls : la Tradition (talmudique, chrétienne, islamique, védique, scolastique ou freudienne, etc.) en donne l'interprétation autorisée. L'herméneutique explose les petits signes, en cent enseignements et mille polémiques.


 

 Les approches sémiotiques, éthologiques et psychanalytiques nous disent quelquechose de la lettre. Sera-ce lettre morte, message au déchiffrement contestable ou sans destinataire ? Sera-ce lettre qui tue, imposant à ceux du présent ce qui fut dit pour d'autres, autrefois, loin d'ici. Pourquoi doit-on brûler publiquement les livres mauvais ? Pourquoi tant de cérémonies autour des bibles ?

 

 Le statut de l'écrit est foisonnant de questions parcequ'il redouble, miroitise les problêmes de la parole, Echo replet, figé, passant de main en main, manifestation matérielle de l'esprit, densification du souffle...

 

 PLAN

 

 Introduction

 L'écriture comme Trieb Anal (de l'indice à l'icone)

 L'Ecriture qui trans-met (de l'icone au symbole)

 L'Ecriture : mémoire non volatile individuelle

 L'Ecriture : mémoire non volatile collective

 Sainte Cloture et Défenses d'y voir

 Mektoub

 

               

 

 

 Introduction :

 

comme mon titre le suggère [1] , cette intervention est à exclure du thème obvie de ce jour: il est hors-texte mais hors-sujet que nenni ! Plutôt note de bas de page, ou de fin de chapitre, annotations marginales, rappels évidents qu'il est bon de se remettre en tête...

 

 

 L'écriture comme Trieb Anal (de l’indice à l’icône)

 

 

La racine arabe KTB désignait primiivement, les trainées laissées derrière eux par les chameaux ! La source éthologique nous apprend comment se marque le territoire. Cet aspect "anal" du littéraire se marque plaisamment dans cette chaise-percée du Château de Lamothe-Fénelon [2] , en Dordogne, qui représente une pile de gros livres: lorsqu'on ouvre celui du dessus, on découvre le trou pour se soulager...

  

 Les brahmanes, dit-on, ne devaient pas regarder leurs fèces : cela eut pu les souiller. Doit-on en rapprocher la surprise qui me saisit lorsque je découvris que les textes sacrés les plus anciens, ceux du Veda, ne furent écrits qu'en dernière extrémité, après la plupart des autres. Ils restèrent longtemps des psalmodies et des chants scrupuleusement transmis par les familles de pandits.

 

 Bernard Menez est moins pur, lui qui s'affole de ne rien découvrir lorsqu'il veut contempler son oeuvre (in "Le chaud lapin")...

 

 Cette origine anale de l'acte graphique se fait voir dans les frontières qu'on trace, le bornage des propriétés, les marques apposées aux objets personnels (ex-libris, initiales du trousseau), les tatouages des bestiaux ou même des humains (par exemple les esclaves, certains prisonniers). Sans oublier la marque au pied des prostituées grecques qui donnait à leur empreinte sur le sable chaud un attrait évident pour les hommes en chasse.

 

 L'origine de "marque" n'est autre que "marka", racine germanique signifiant frontière.

 

 

L'étymologie insiste aussi sur les liens que Freud a découvert entre l'analité et le sadisme. En grec, la racine "grapho" (qui a donné graphisme/ graphique / graphologie) signifie : inciser, écorcher, égratigner, écrire. Grabouiller est du même tonneau ; nous l'avons du moyen néerlandais : gratter. Quant à gribouillis, en ancien français il s'agissait des borborygmes intestinaux, préludes informes à des réalisations plus parfumées ! Griffonner vient de griffe qui signifie aussi 'signature'.

 

 Le poignard qu'on nommait greffe est devenu poinçon à écrire, puis a donné greffier, greffes du tribunal (lieu de dépôt des minutes des actes), graffiti gratter.

 

 L'écriture comme indice se retrouve dans quelques expressions savoureuses de notre langue : on trace des pattes de mouche, on écrit comme un chat... Et la clé, dans Barbe Bleue trahit la curieuse : elle n'échappera au châtiment (de ses désirs incestueux ?) que par l'intervention de ceux de son âge (son frère et sa sœur). On sait, depuis longtemps, jouer de la note [3]   , pour publier la faute, engendrer l'infamie: c'est le cahier plein de tâches exposé dans le dos du pauvre cancre, c'est l'étoile jaune. Utilisée à l'envers, la procédure consiste à publier la pureté de la vierge par le linge sanglant au petit matin de la nuit de noces.

 

(Echo Replet, Narcisse sale), reflet de la voix; mariage enfin de Narcisse et d'Echo: Narcisse retourné vers Echo. Comme le remarque Lacan, ce dernier présente une affinité extrême pour le double, cet autre en soi qui redit les pensées et critique vertement celui qui l'héberge, montrant par là son "affinité évolutive avec la répression morale" (Lacan, Complexes familiaux, p.81).

 

Nous verrons que l'écrit est comme le reflet de cette ombre, ou plutôt le sceau qui la perpétue en forme d'épitaphe. La Loi positive morte, retombée exsangue de l'Esprit qui vivifie le Bon Sauvage.

L’Ecriture qui transmet (de l'icône au symbole)

 

 

 Des petits étrons - sentinelles au dieu Terme du bout du champ le voyage était de R en I, du soubassement inhérent à l'usage imaginaire; jusqu'aux dessins rupestres et aux sculptures de boue qui rejoignent presque l'Autre. Le pas fut fait: en enjambant les marques sur les pots; et ce fut la monnaie [4]  ! . Marque au coin du roi sur l'échange de ses sujets, domination du Maître sur la circulation des biens, du moindre colifichet aux latifundia. Ce partage est symbole et contrat comme en témoigneront toutes les inventions fiduciaires (de l'or trébuchant aux assignats et autres MATIF).

Dans les grands moments tragiques, l'astuce populaire y revient, abandonnant les écritures comptables et les tracasseries policières des tickets de rationnement :

Pendant l'occupation allemande, lors de le deuxième guerre mondiale, certains boulangers bretons, pour court-circuiter les règlements de Vichy, échangeaient directement, sans tickets, le blé ou la farine de leurs clients paysans contre du pain. La farine était livrée lors de la moisson et le pain distribué les mois suivants. Pour tenir compte de la quantité reçue, le boulanger confectionnait une baguette de noisetier (bois qui servait par ailleurs à la cuisson) sur laquelle était symbolisée la contre-partie de pain qu'il aurait à livrer; puis la baguette était, tel le symbole grec, fendue en deux sur toute sa longueur : l'un des exemplaires restait à la boulangerie alors que l'autre passait aux mains de l'agriculteur. A chaque "achat" de pain, une marque était gravée sur les deux demi-baguettes, jusqu'à épuisement de la quantité prévue ! (information reçue de Gilles Noury, entrepreneur)

La création littéraire est une production, non un enfantement comme voudrait le faire croire l'écrivain ou son critique, ou s'il en s'agit, c'est à la manière, cloacale, des poules (aux œufs d'or ?) qui pondent plutôt que d'accoucher.

 

La marque du sujet par le roi - dieu de la Thora: circoncision, sortie d'Egypte, agneau pascal. Il s'agit d'une appropriation de Yahweh sur son peuple; une saisie pourrait-on dire, que les juifs appliqueront à leurs ennemis et à leurs esclaves.

  

L'histoire de l'écriture commence par le chiffre (A. Leroi-Gourhan : 50,000 B.C., incisions régulièrement espacées dans la pierre ou l'os). C'est qu'apprendre à compter précède dessiner, lire et écrire. Sigmund nous l'avait bien dit.

 

 

 L'Ecriture Symbole de Symbole

 

 

 Les mathématiciens se le disent depuis Poincaré [5]  et Peano : si ça récurre une fois, ça récurre jusqu'au bout et il n'y a pas de fin ! On appelle ça "induction complète" et la plus grande part des mathématiques repose dessus !

 

 

 L'algèbre [6]   est une élévation de l'écriture à sa propre puissance, elle réduit nos contorsions imaginaires, elle panse nos infirmités logiques, nettoie les aspérités de nos pénibles efforts de calcul. C'est une formation réactionnelle relativement à l'analité dont elle procède. (Par ses petites lettres,) elle vole au nombre ce qu'il compte et lui conquiert l'incomptable (par le zéro qui dit le rien, le négatif qui dit le manque et l'infini qui se prolonge sans retenue) ! Sans parler d'autres éclisses comme les réels, les transcendants, les irrationnels, les imaginaires et les complexes !

 

 

 La lettre algébrique est symbole de symbole de symbole, c'est le joker qui permet de généraliser le maniement du jeu et sans y perdre aucune rigueur ! Ainsi l'usage mathématique de l'écriture permet-il de dissocier la démarche logique de ses contenus.

 

 

 Trois amis se rendent tous les jours au même restaurant o| ils payent la modique somme de 1 FF chacun. Jusqu'à ce fameux Dimanche o| ils y vont pour faire bombance. Le repas terminé, c'est Dix fois plus cher: 3O FF au total.

Ils payent mais demandent, qu'en raison de leur fidélité, on leur consente une réduction. La serveuse se fait leur interprète et le patron consent à n'empocher que 25 FF. La serveuse, sur ces 5 FF, met 2 FF en poche et rend 1 FF à chacun des trois clients. Ils ont donc payé 9 FF chacun, soit 27 FF. Avec les 2 FF de la serveuse, cela fait 29 FF. O| est donc passé le 1 FF qui manque ? (en fait 30 - 3: ils ont donné 27 FF; la servante a empoché 2 FF et le patron 25 FF ce qui fait bien 27 FF; l'erreur consiste à ajouter à ce qu'ils ont donné les deux francs qui en font partie).

 

 

 Comment résoudre, sans l'écrire, l'énigme lorsqu'elle nourrit son mystère des pièges de la suggestion imaginaire ?

 

 Le même principe s'appliquera plus tard au fonctionnement des systèmes, fussent-ils très complexes: cela donnera les organigrammes en sociologie, la boxologie dans les neurosciences.

 

 

 L'Ecriture : mémoire non volatile individuelle

 

 

 Les cailloux (calculs) du petit poucet lui permettent de garder trace, matérialiser le chemin qu'on veut lui faire perdre... L'oralité qui imprègne le conte, de la famine à la dévoration de l'ogre, est la menace comme elle est le piège. Les solides petits cailloux de l'analité et les bottes de la propriété [7] , seront les seules armes utiles.

 

 

 L'histoire de l'écriture nous enseigne (Leroi-Gourhan, 1964 et 1965) que l'idéographie, malgré son parti pris de rester iconique (pictogrammes, idéogrammes) tend à la symbolisation et à la phonétisation (alphabets).

 

 L'usage symbolique et numérique, comme il advient dans l'évolution du jeune enfant, précède même l'effort de représentation et l'exactitude imagée est de venue tardive (Goodenough, Kellog).

 

 

 

 L'écriture est utilisée comme aide-mémoire individuel ou limité à quelques individus. D'où l'expression "pour mémoire ...", et la désignation de certains écrits à usage plus ou moins restreint comme "mémoires" (de Maîtrise par exemple), "mémorandum" dans lequel se conjugue avec l'impératif le rappel des choses à ne pas oublier... Aide-mémoire opposable au signataire (contrat, reconnaissance de dette, etc...) ou se garantissant de lui lorsqu'il disparaît ou s'absente (procuration, testament): on en vient aux écrits avant d'en venir aux mains; lorsque la parole n'est plus possible, l'angine membraneuse de la mauvaise foi doit céder la place aux "diphthérai" de cuivre, de peau ou de papier.

 

 

 

 Elle ouvre le champ de tous ces carnets intimes, confidences à soi-même lancées à travers les ans et qu'on ne relira peut-être pas; avec le risque calculé qu'elles tombent aux mains de l'autre dont on ne peut être sur de qui il s'agira. Colère, effroyable ou rentrée, de l'adolescent trahi par l'indiscrétion de ses parents à qui il offrait pourtant la tentation de ce viol du for intérieur. Le sac des femmes targui dont elles sont seules à posséder la clé a probablement même signification: que le mari l'ouvre [8]   et elles sont déliées du contrat de mariage !

 

 

 La Correspondance est, bien sûr, avant le téléphone, moyen de transmettre de loin; elle a l'avantage de rester. Plus tard la fille relira sa propre histoire dans les confidences qu'elle fit à sa mère. Nous connaîtrons la naissance de la psychanalyse ou pourquoi Gide n'a pas suivi Claudel...

 

 

 La Prise de Notes, dont l'analyse linguistique offre tant de difficultés, kaléidoscope les mille façons d'entendre et de se faire entendre à l'interface maître / élèves. Quant au psychanalyste, selon le conseil de Freud, généralement, il s'en garde: à quoi je défaille...

 

 

 

 L'Ecriture : mémoire non volatile collective

 

 

 Le Poids des lettres face à l'incroyable légèreté de la Parole: pactes des hommes et même avec Dieu, le diable ou la femme, pacte du mort avec ses vivants hargneusement penchés sur les dernières volontés...

 

 

 

 L'oral et l'écrit : deux voies culturelles, deux façons d'être à l'autre, deux lieux du cerveau, deux. On oppose langue écrite et langue familière : (c'est l'opposition de ça et de cela: le premier s'empoisse de ce qu'il désigne que le second effleure à peine du bout de ses longs doigts). Les formes de la langue écrite sont beaucoup mieux fixés, et constituent une sorte de contrepoids stabilisateur, une référence, un appui sécuritaire et conservateur par opposition à l'oral plus mobile, évolutif et révolutionnaire.

 

 L'écrit est de droite et la parole de gauche ! Jean Jaurès face à Charles Maurras.

 

 

 

 L'angoisse devant la page blanche évoque l'immémorial du malaise dans la civilisation, le joint de la nature et de la culture, la pulsion qui se sublime...

 

 

 

 Le littérateur est d'abord un maître de grammaire, il enseigne les formes correctes imposées par la Langue, exige un langage "châtié". Dans la Culture Arabe la littérature (ADaB), c'est aussi la courtoisie, la bonne éducation, la correction, punition, châtiment... Nous en avons fait les Belles-Lettres qui sont tout de même policées [9] , ouvrage cent fois remis sur le métier.

 

 

 

 La langue de bois, cet ON substantivé fait figure de parent pauvre devant la plastique dont l'emprise approche ! Désolation du traitement de texte informatisé : plus de trace de ces ratures, de ces pâtés qui donnent tant de prix au manuscrit de Madame Bovary... Il n'est pas de littérature sans quelque apprêt, mais la machine absorbe les reprises, ratages et autres bégaiements de l'inspiration : le texte design bien léché semble évadé d'une usine japonaise; la litière sur quoi il fut mis bas, ses déchets "litter" [10] , sont mis à la trappe électronique. Pur produit sans interstice ni bavure. Clean ...

 

 

 L'indépendance maxi entre écrit et oral se voit pour le chinois qui permet de communiquer par écrit à des gens trés éloignés par la langue parlée et pour l'hindi et l'ourdou qui peuvent se comprendre oralement mais sont totalement différents sur le plan de l'écrit.... sans parler de la singerie hébraïque (qaf) qui impose de lire (Qery) tel mot tout autrement qu'il n'est écrit (Ketyb) [11] .

 

 

 Sainte Clôture et Défenses d'y voir

 

 

 Les approches sémiotiques, éthologiques et psychanalytiques nous disent Quelque chose de la lettre. Sera-ce lettre morte, message au déchiffrement contestable ou sans destinataire ? Sera-ce lettre qui tue (St Paul, II Cor., III, 6) imposant à ceux du présent ce qui fut dit pour d'autres, autrefois, loin d'ici.

 

 

 Et les bonnes sœurs sorties de l'esclavage, je parle des Papins, n'en font pas moins: elles font à leurs maîtresses défense d'y voir puis s'acharnent à en marquer le corps, gratuitement pourrait-on dire s'il ne s'agissait d'un salaire, et de s'écrier d'anti-écriture en anti-phrase : "en voilà du propre !".

 

 

 Les écrits restent, mais pas seuls : la Tradition (chrétienne, védique ou freudienne) en donne l'interprétation autorisée. L'herméneutique explose les petits signes, en cent enseignements et mille polémiques. Le "Siphr" ("livre" en hébreu) sera déchiffré.

 

 

 aide-mémoire de la Culture, message adressé à la postérité, au A (?) Les écrits peuvent être oubliés, passés au pilon, mal diffusés Les écrits peuvent être refoulés : brûler les "mauvais écrits", les mettre à l'enfer du couvent ou pourchasser de mort l'auteur des "Versets Sataniques"...

 

 

 Ecrit élevé au Sacré: les Saintes Ecritures (du vers récité au verset écrit), Toute Ecriture est-elle Sainte (St François d'Assise) ? Thora, Nouveau Testament, Coran, Mormons, Védas, Zend Avesta, etc...

 

A travers la Sacralisation ou l'infernalisation des écrits nous discernons un Surmoi, communautaire sinon collectif, avec son Idéal et son Ca refoulé...

 

L'Ecrit invite au Commentaire et à l'Herméneutique. C'est l'explication, la désintrication, le défilement du texte (qui en reçoit consécration) [12] , dévoilement jamais pris en défaut par absence de feed-back; dévoiement diront les tenant de l'orthodoxie; suspecte infaillibilité, dans tous les cas infalsifiable...

 

 

 Herméneutique jamais prise en défaut quoique parfois proche de la faute: scrutation de l'insondable, dévaluation de l'indicible disent les ésotéristes qui entendent en garder la jouissance. Curiosité - mal placée - répondant au Secret de ce qui est scellé au plus grand nombre, enfermé dans le pli cacheté du signifiant obvie.

 

 

 

 Mektoub

 

 

 Le terme "rédiger" implique d'écrire sous la forme prescrite ou d'une manière définitive, achevée. Il évoque donc l'immuable. Il laisse ainsi transparaître ses origines obscurément réactionnaires: s'il pousse, c'est pour faire revenir les troupeaux dans leur enclos, affirmer les valeurs du passé, faire rentrer l'argent, réduire et soumettre.

 

C'est la loi qui fait le péché et résulte en sentence, en destin. Elle tourne le fuseau cette Lachésis du mythe grec, chrétien ou coranique. On est passé du trieb anal au tribunal...

 

 Au journal intime répond le Grand Livre du Ciel, plus intime encore et tout à fait exhaustif. Il est au chevet de l’Œil Cyclopéen dans son triangle qui poursuit Caïn jusque dans la tombe. Témoin sans faiblesse du Jugement dernier, peut-être est-il écrit déjà quand nous naissons: Mektoub coranique, prédestination chrétienne, karma oriental ou prénom du frère mort (comme l'enseignait Françoise Dolto).

 

La racine sémite de Mektoub est KTB. En arabe nous aurons: "Katab = écrire" dont la racine servira pour "nommer", "destiner", "se faire un devoir de", "s'engager", "imposer, prescrire", "être fatal". Le nom Kitab a donné "notariat", "lettre, livre", "Coran et autres livres sacrés", "école", "escadron", "agence, bureau", etc.... Des dérivations analogues se trouvent en hébreu.

 

 

Pour Lacan, partant de l'expression latine "necesse est", le nécessaire, l'ananké, l'inévitable destin à quoi on est contraint, forcé est ce qui ne cesse pas de s'écrire.

 

 Le fatum c'est l'inévitable, la destinée qui aboutit toujours à la mort, au cadavre. Le mot fatum vient du verbe "for, fari" qui signifie "parler": le fatum correspond à une énonciation divine qui ne peut être modifiée, tout comme un écrit, elle demeure. Le destin c'est le dessin de quelque divinité ou de l'Inconscient, c'est le "dessin de dieu"... Ce qu'il a décidé est ce qui sera dessiné !

 

 

 

 

 

Conclusion

 

 

 Je crois, à l'issue de cette analyse avoir démontré les bases pulsionnelles de l'acte d'écrire et de la chose écrite. Ces quelques données étymologiques, paléographiques, psychogénétiques et sociologiques - à quoi je n'ai pas cru devoir, aujourd'hui, ajouter les arguments cliniques - vont à dire qu'il s'agit d'analité. Plus précisément de la conjonction, bien établie déjà en ce qui concerne les arts plastiques, entre la pulsion scopique et la pulsion anale. L'écriture est une analisation sublimée de la parole.

 

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  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

17 Février 2008
(
révision du texte du 25 Février 1989)

 

NOTES

 

[1] lettrine: il sagit d'une petite lettre placée en décalage du texte et qui renvoie à une "note" de bas de page ou de fin de chapitre. C'est devenu une lettre ornée, une belle lettre enluminée. Le rapprochement avec les latrines est de rencontre : c'est là, chacun sur son trou, que les romains de Timgad ou les flamands aimaient discuter, échanger des idées... Sans parler des anciens chinois: "quand vous passez, à Pékin, le long des murs du Palais, vous voyez des théories de paisibles chinois, accroupis, devisant des choses du jour, comme au cercle." (Dr Cabanès, Moeurs intimes du passé, Première Série, Albin Michel, 1908 p.360 et 466)

[2]    in Dr Cabanès "Moeurs intimes du passé", Albin Michel, 1908, 1ère Série, p. 417.

[3]   "note" ne désigne pas seulement une façon d'écrire la musique, mais aussi depuis le latin, la marque d'une infamie. A noter (!?) la richesse psychanalytique de l'étymologie, dont Lacan a souvent montré la valeur interprétative: le monde sonore c'est la musique, c'est aussi le champ d'expression parano~iaque (hallucinations auditives infamantes). On aime à dire que l'ontogenèse reproduit la phylogenèse; oserons nous ajouter (en extrapolant de Bopp F., 1866, lequel ne pouvait se référer à Freud !) que la psychogenèse reproduit la linguistico-genèse ? (cf. Franz Bopp Grammaire comparée des langues indo-européennes comprenant le sanskrit, le zend, l'arménien, le grec, le latin, le lithuanien, l'ancien slave, le gothique et l'allemand.; Paris, imprimerie impériale et imprimerie nationale, 1866 et 1885).

[4]   entre autres le Mark allemand !

[5]   Poincaré H. La Science et l'Hypothèse, Chap. 1, Flammarion, 1906 Science et Méthode, p.159, Flammarion, 1927

[6]   algèbre vient de la racine arabe al-djabr : "bander, panser, restaurer, rebouter, réduire (une fracture), attelle, éclisse, consoler, venir en aide à, libre de, arrondir une somme (cf Dictionnaire Arabe-Français, Larousse, article 886). En Hébreu cette racine (GBR) signifie la force, la dominance, le renforcement, le coq, la virilité.

[7]   J. Servier écrit (in Les Portes de l'Année, Laffont, p.123, 1962) "Marcher avec des chaussures, c'est prendre possession de la terre". Il asseoit son affirmation sur nombre d'arguments puisés dans les grandes cultures occidentales, orientales et nord-africaines. Cf. le Dieu Hermès qui est chaussé, la coutume biblique dont témoigne le livre de Ruth (IV, 7), le Chat Botté qui fait son maitre possesseur de multiples territoires, etc...

[8] ce n'est pas un excès freudien d'y voir l'expression, non seulement d'un pouvoir de la femme assez exceptionnel, mais aussi d'un tabou concernant la Sodomie que rejoint toute "curiosité mal placée": on y repensera en lisant ce que nous disons de l'herméneutique et du conflit "ésotérisme / exotérisme".

[9]   "ce que tu racontes c'est de la littérature !" <---> manque de sincérité.

[10] Onions (Oxford) rapproche "letter" de "litera", "lino, linis"  (dont dérive "litura" qui signifie "enduit", "rature", "correction", "tâche"). Il y a seulement un rapprochement homophonique avec "litter" en anglais, "litière" en français (paille pour les animaux, portée <---> nombre de petits lors d'une mise bas, accumulation désordonnée de choses)

[11]   Dans le texte biblique, il n'est pas rare qu'un mot soit inexactement écrit (il est alors surmonté d'un petit cercle). Dans ce cas, une note marginale, précédée de la lettre "qaf" indique la vraie lecture. (cf C.F. Jean, Grammaire Hébraïque élémentaire, suivie de notions d'araméen biblique, p. 17, ] 9, Letouzey et Ané, 1943.

[12]   "Texte" vient d'un mot latin signifiant tissu; il s'agissait au départ du passage d'Evangile dont le prédicateur prenait argument pour son prône. Le même champ sémantique resurgit dans des expressions comme "défilements du signifiant", "au Fil des Mots", ...