De l'Acte Gratuit au Pari

Henry Beulay

Meurtre d'un chauffeur de Taxi Toulousain (La Dépêche du Midi, Grand Toulouse, Mercredi 20 Janvier 1993, p.17)

Le jeune homme qui, vendredi soir, avait abattu un chauffeur de taxi a été inculpé d'assassinat. Pour expliquer son acte, le meurtrier invoquerait une « pulsion » contre les taxis après un incident dans la région parisienne.

« Orange mécanique» ou « Nikita » ?

Peu importe, c'est un scénario d'horreur de la même trempe qui s'est déclenché, en quelques minutes, vendredi soir, entre le quartier de la gare Matabiau à Toulouse et un chemin forestier de Castelnau'd'Estrétefonds, une commune résidentielle à 20 km plein Nord.

Deux hommes, qui ne se connaissent pas, sont embarqués dans une tragique randonnée. Marc Sanchez, 39 ans, un colosse convivial, passé récemment de la vente de voitures au volant d'un taxi, chauffeur d' Inter-Taxi-Radio s'est rendu à un appel rue de Bayard, peu après 19 h 30.

La commande de la course vient d'une femme, une prostituée. Mais c'est un homme qui monte à bord de la Mercedes 300 de Marc Sanchez. Le passager s'appelle Christian Jertis [pseudonyme NDLR], 25 ans. Il est venu àToulouse avec la voiture de son père, un entrepreneur installé à Saint-Sauveur. Christian Jertis, qui travaille dans une société parisienne de forage, mais sur des chantiers à côté de Lille, est en arrêt de travail et en séjour, pour quelques jours, chez ses parents. Le garçon fréquente les milieux interlopes. Ce fan des arts martiaux aime aussi le tir.


Guetapens


Lorsqu'il monte dans la Mercedes 300, Christian Jertis est porteur d'un pistolet 22 long rifle. La voiture prend la direction de la banlieue nord. Au bord du CD 4, le client fait virer la Mercedes sur un chemin de terre. Marc Sanchez comprend que l'itinéraire, ne semble mener nulle part. Alors qu'il enclenche la marche arrière, Christian Jertis l'abat d'une balle dans la tête. A bout portant. Le jeune tueur, qui a engagé le taxi dans un secteur boisé de Castelnau qu'il connaît bien, a-t-il prévu une issue aussi rapide pour le traquenard qu'il semble avoir monté ? Il aurait tenté de hisser le corps de sa victime dans le coffre de la Mercedes, mais Marc Sanchez est un homme solide, pesant plus de 100 kg. Alors, son assassin l'a fait basculer dans un fossé.


Avant de prendre le volant de la Mercedes, Christian Jertis a pris le temps d'emporter un porte-monnaie, contenant plus de 1.000 F, la recette de la journée du chauffeur sans doute, et d'enlever la montre du poignet de sa victime.


Une panne imprévue


Le tueur fonce en direction de l'autoroute. Il prend le péage à Saint-Jory. Direction Castelsarrasin, une ville qu'il connaît bien. Mais la Mercedes tombe en panne de gasoil, 7 ou 8 km avant la sous-préfecture tarn-et-garonnaise. Alors, il met le feu à la Mercedes et s'engage sur un chemin de campagne. Dans un fossé, il va abandonner le pistolet 22 long rifle et le porte-billets du chauffeur de taxi. Il aurait, ainsi, réussi à relier à pied Castelsarrasin où, peu avant minuit, il a pris une chambre dans un hôtel.


Alors qu'il marchait vers Castelsarrasin, un automobiliste de passage, apercevant le brasier, a alerté le peloton autoroutier de gendarmerie, vers 22 h 45. Ce n'est que le lendemain que la voiture sera identifiée comme appartenantà Marc Sanchez.


Christian Jertis, après une courte nuit à l'hôtel, reprend, samedi très tôt le matin, un train pour Toulouse, récupère la voiture de son père et rentre chez ses parents.

Le corps de Marc Sanchez sera retrouvé samedi, vers 10 h 30, par un cycliste de passage. Les gendarmes de la section de recherches de la brigade de recherches de Toulouse-Saint-Michel vont procéder aux investigations sur place, toute la journée. Le soir, Christian Jertis serait revenu sur les lieux du crime...


Il a été arrêté dimanche, en début d'après-midi, par les enquêteurs. Des témoignages de chauffeurs de taxi, mais aussi de la jeune femme qui, vendredi soir, a commandé la voiture, rue de Bayard, ont été déterminants dans l'accélération de l'arrestation.

Ce crime aveugle a provoqué colère et consternation chez les chauffeurs de taxi toulousains qui ont été nombreux à accrocher des crêpes noirs à leurs voitures. Marc Sanchez, leur nouveau collègue, marié, père de deux enfants, animateur d'un club de moto, était un passionné du volant. Vendredi 'soir, il ne pressentait pas avoir rendez-vous avec l'horreur.

Un jeune homme à double face

Christian Jertis a une apparence lisse : discret, calme. Sans problèmes matériels (il gagnait environ 18.000 F. par mois). Sportif, amoureux d'arts martiaux, il avait une activité professionnelle qui le faisait voyager dans toutes les régions.


Quelles rencontres a pu faire ce jeune homme ? Selon Maitre Martin, l'avocat qui l'assistait, Christian Jertis aurait été victime d'un viol, il y a deux ans, dans la région parisienne. Affirmation qui devra être confirmée. Christian Jertis, ce weekend, avait, semble-t-il, décidé de « se faire un taxi ». Il aurait confié son projet à un camarade qui a été entendu lundi. P. C.... 24 ans, qui habite dans la rêgion de Castelnau, aurait été le premier confident du crime de Christian Jertis. Le témoin d'un défi annoncé.


Henry BEULAY.

L'avis du psy :

De l'acte gratuit au pari


Les cas ne sont pas fréquents, mais ils ont inspiré de nombreux écrits...Les psychiatres se sont penchés avec beaucoup d'intérêt sur ces meurtriers qui tuent apparemment sans raison. L'acte gratuit a aussi inspiré les écrivains,et Gide, avec « Les Clés du Vatican », en est l'un des exemples les plus célèbres.

Pour le Docteur Bernard Auiol, ce passage à l'acte marque l'entrée dans une forme de maladie mentale grave. Certains cas sont très ambigüs et peuvent s'accompagner de vol comme si c'était le motif du crime alors qu 1 il n'en est rien. Impulsion, pari envers soi-même ou envers les autres, les experts ont un rôle difficile quand il s'agit de déterminer la culpabilité, la responsabilité de ce genre de criminel. « Cette notion de responsabilité, c'est la bouteille à l'encre », constate le spécialiste. Parfois, le coupable agit comme dans un rêve et, très souvent aussi, le choix de la victime n'est pas aussi gratuit que l'on pourrait croire, la psychanalyse peut
montrer des motivations ap paremment irrationnelles, mais qui ont leurs racines dans l'histoire du meurtrier., Folie ? Ce passage à l'acte dénote de toutes façons un état pathologique grave.


J.E. B.

A SaintSauveur, il a laisse le souvenir d'un garçon discret


A SaintSauveur, neuf cents habitants, c'est l'êmoi. Pour tous, Christian Jertis était un enfant sage « très doux, docile même ». Que s'estil passé entre une enfance modèle et l'instant où il aurait froidement abattu un homme à bout portant ?


Ainé de trois enfants, Christophe apparaît comme le plus effacé. A l'école privée où il est resté jusqu'au CM 2, on se souvient d'un gosse « rêveur, se laissant marcher sur les pieds parfois. Il ne se révoltait jamais, appliqué à réussir ». Trois années passées au collège du Ferradou n'ont pas laissé plus de traces.


Au bar de la commune proche de Fronton, on évoque également une personnalité discrète : « C'est un garçon qui n'avait jamais eu d'histoire, Les souvenirs qui surgissent remontent à son enfance ; depuis qu'il était parti travailler à Paris, on ne le voyait pas au village. Je ne l'ai jamais vu ici ». La mère d'un ancien copain de classe décrit Christophe comme « très calme. Il ne se faisait jamais remarquer. ». A SaintSauveur, on ne lui connaît pas de relations amicales suivies : « Il ne fréquentait pas les jeunes d'ici. Cela fait des années qu'on ne le voyait plus. » Technicien en forage, il aurait rompu avec le milieu local en amorçant une vie professionnelle le conduisant un peu partout en France. Il retrouvait la maison familiale pour le weekend, à l'écart du centre villageois.

Pour ses parents, « c'est une histoire de dingue, Il n'a jamais fait le moindre défi, ce n'était pas son tempérament ». Sa mère évoque « des projets d'avenir, une vie calme ». Consternée, elle précise : « Vendredi après-midi, il a fait du footing avec un copain. A 19 heures, il est rentré manger après avoir raccompagné son copain. Mon mari est parti à 19 h 20, Christophe était encore là. On est certain de tout ça car un copain l'a demandé au téléphone. On ne l'a pas vu sortir, on ne sait pas a quelle heure, il est ensuite parti. »
Au cours d'une audition chez les gendarmes, les parents de Christian Jertis sont revenus sur ces déclarations qui l'innocentaient.

C. G.


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15 Novembre 2010