le
9 Mars 1990
Aborder un sujet qui serait
collectif, serait ce pour le disqualifier, ne
saurait s'envisager bien sérieusement ici. Ou seulement
par jeu.
Le noeud Borroméen a une double origine connue : familiale et trinitaire. Encore la deuxième se laisse-t-elle ramener à un complexe familial (la trinité terrestre). Il est aussi le modèle du Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire pour le sujet de la psychanalyse. Dont nous tenterons de voir s'il peut être pris au pluriel.
Nous effleurerons cette question en nous référant à l'observation et en adossant notre réflexion à quelques concepts mathématiques, comme Saint Charles Borromée à l'autel contra-phobique !
LE collectif sera dans ces journées pris comme sujet de nos réflexions et de nos débats : comme objet donc.
UN collectif peut-il être, sous certaines conditions, considéré comme SUJET psychologique de perceptions, de représentations, de fantasmes, de pensée et d'action ? Il s'agirait alors de "NOUS" et pas seulement de "JE AVEC"...
|
Poussant encore plus loin, pourrions nous lui attribuer un "inconscient" ? Qui serait "collectif" si pas forcément archétypique, ni forcément repérable chez les individus ?
Mais ce NOUS, à qui et sur quel Grand Divan pourrait-il bien se dire ?
Aborder un sujet, qui serait collectif, serait-ce pour le disqualifier, ne saurait s'envisager bien sérieusement ici. Ou seulement par jeu.
Tel sera donc notre propos : L'Avenir d'une Allusion !
Chacun de vous le connait : il s'agit de trois
anneaux entrelacés de telle façon que si l'on brise l'un des trois, quel qu'il
soit, les deux autres sont séparés, alors que si les trois sont intacts, aucun
n'est séparable. Son nombre gordien est de DEUX (Jones, 1989). Magnifique
symbole, peut être même modèle, de l'indissociable unité, de la triple symétrie
et de la parfaite distinction que Lacan veut établir entre les registres du
Réel, du Symbolique et de l'Imaginaire.
Mais, en suivant son exemple et celui de Heidegger,
nous pouvons faire refluer ce complexe vers son origine et sa source afin
d'en découvrir la vérité
[1]
, et d'en essayer quelques questions.
Le noeud des Borromée-Arese
Sa description ne compte pas moins de 32 lignes,
à comparer avec celles des Borromeo de San-Miniato qui n'en comprtent que
deux ! Dans ces armoieries complexes figurent notamment dans le quartier dextre
inférieur de l'écartelé : "parti : a. d'argent à trois annelets mal-ordonnés
[2]
et entrelacés de gueule" (Rietstap,
1884).
On leur attribue de signifier l'Union de la
famille Borromée (Belaga, 1975, Kantor, 1978), telle que chacune de ses trois
branches est indispensable à l'union des deux autres. Il est sans doute abusif
d'avoir donné aux trois anneaux le nom de la famille Borromée puisque de telles
"vires" constituent des meubles attestés dans d'autres blasons (Larousse,
1948).
A côté du noeud borroméen accompli, il existe en héraldique celtique un entrelacement serpentin qui pour le rejoindre devrait se fermer triplement : trois serpents "entangled", entrelacés. |
Gules,
three snakes nowed in triangle argent--EDNOWAIN AP BRADWEN, Merionethshire.-(illustration
ci-dessous).
Sur le tableau du Musée du Pays de Galles
ou figurent les armoiries des 15 tribus du Nord, on peut lire à côté
de l'écusson des trois serpents noués entre eux : "Ednowain the
son of Bradwen of him (?) defended the men of Penarth". Dans un
ouvrage au sujet de l'héraldique welsh on trouve : "Grules; three
serpents interlaced Argent Ednywain ap Bradwen; Gruffudd ab Aron ab
Ednyfed; Lewes of Abernantbychan; Lloyd of Nantymynach". (The development of welsh heraldry,
vol III, Michel Powel Siddons; p124, National Library of Wales, Aberystwyth,
1993; ISBN 090715851X, p.124) D'une manière encore plus allusive on peut représenter l'entrelac de trois poissons :
(trois exemples de blasons de ce type
: Azure, three trout[interlaced, or] fretted in triangle, 'testes aux
queues argent, "TROUTBECK of Cornwall" (ci-dessus). Et aussi
: "Argent, on a bend sable three trout or--OSBORNE, London"
ou encore : |
Pour un véritable noeud borroméen, les serpents doivent se clore en ouroboros :
L'usage héraldique du Noeud Borroméen démontre son étroite connexion aux liens du sang.
La modernité reste fascinée par le noeud booroméen. On a tenté - et réussi - d'en réaliser un modèle physique ou chimique. On a aussi comparé l'interaction trimérique de Vitaly Efimov ("systèmes tri-atomiques géants", 1970) à un Noeud Borroméen : les trois atomes qui le composent sont connectés en trio et la rupture du lien entre deux d'entre eux rompt l'état d'Efimov. Il a été possible de mettre en éidence qu'un tel système est accessible, dans des conditions très précises de température et de champ magnétique (Pour la Science, 441, Juillet 2014, pp.8 sqq).
Mais nous connaissons un autre usage de ce noeud d'une allure plus relevée et qui serait mieux en harmonie avec les Consistances Lacaniennes. (Lacan, 1974) :
Le noeud Borroméen comme symbole trinitaire
On trouve déjà au III° siècle une structure borroméenne comme motif d'une mosaïque au niveau du sol, précieusement conservée en la Basilique de la Nativité à Bethléem (partie Byzantine) fondée par Ste Hélène à qui nous devons la conversion de l'empereur Constantin. Le schéma que nous en donnons ici aidera le lecteur a repèrer la structure inhérente à cette mosaïque. Souvent
employés en Belgique et en Allemagne durant le XV° et le XVI° siècle
(Barbier de Montault, 1890), les trois cercles entrelacés, (Manuscrit
de la bibliothèque communale de Chartres, XIII°s.), évoquent l'unité
de nature et la distinction des personnes de la Ste Trinité chrétienne. |
Pour
les bénédictins de Bruges, ce symbole n'est autre que celui qui est évoqué,
dans la vision du char d'Ezechiel :
"Je regardai les vivants, et je vis à terre, à côté des vivants, une roue, pour chaque face. Voici quel était l'aspect des roues et leur structure : elles étincelaient comme de la chrysolithe et elles étaient toutes les quatre semblables. C'était leur aspect. Quant à leur structure, elles étaient imbriquées l'une dans l'autre." (TOB, Ez, I, 15-16). La traduction de Chouraqui assez différente, reste proche en ce qui concerne la relation des roues entre elles : "Leur vision et leur action apparaissent quand le rouage est au milieu du rouage" (...) "leurs jantes sont pleines d'yeux autour [3] " (Chouraqui, 934).
Alfödi (1949), est du même avis : il imagine, d'après le Char de Mithra
(Avesta) ou celui du dieu Soleil, quatre roues, les unes dans les autres qui
finissent par se fondre en une seule. On lit dans les Védas "le Resplendissant
se meut sur son orbite avec son char à UNE roue" (Mahâbhârata, 12,
362, 1), tiré par un dragon (Nâga) ou "ses sept chevaux"
(Rig Véda, 5, 45, 9).
L'exégèse moderne s'inscrit en faux contre
l'ensemble de ces interprétations et ne lit dans ce texte qu'une description
de chaque roue individuelle, roue pleine avec un tracé de cercles concentriques.
D'après les vues cabalistiques, le char (meskavah) est le
trône divin, les animaux (Hayyot) et les roues (ofannim)
sont des anges. C'est passé dans la liturgie synagogale, par exemple dans
la prière du matin
[4]
: " Et les ofannim et les saints Hayyot,
avec un grand bruit, s'élèvent devant les Séraphins, et devant eux ils louent
en disant : "Bénie soit la gloire de l'Eternel depuis son lieu" ".
Le rapprochement du Noeud Borroméen et de
la mystique se fait autour du Dogme Trinitaire, dogme parmi les plus spéculatifs,
dont les mystérieuses profondeurs semblent moins faciles à sonder que de vider
l'eau de la mer en la versant dans un trou creusé dans le sable
[5]
...
Ci-contre, l'Eglise "Saint Pierre en Gallicante"
(construite en 1931), Elle comporte une mosaïque au sol de l'allée
centrale (ci-dessus; photo de Jacques Denis). C'est un noeud borroméen
qui se réfère explicitement à la Trinité
: "Una est Sancta Deitas, Sancta et Una Unitas, Vera
et Una Trinitas"; |
peinture sur une colonne de l'Église Saint-Julien et Sainte-Basilisse, du XIVe siècle à Bram (C) Manijeh Nouri et Bernard Auriol. |
(Droit
Réservé) (cité d'après une photographie prise au Musée d'Art et d'Histoire de Genève par Olivier Watson, auteur du chapitre "La Céramique"; dans le magnifique catalogue de l'exposition : "Trésors de l'Islam" (1985), p. 218 - isbn 2-86656-023-x; Nous n'avons pu contacter la maison d'édition, car elle n'existe plus ! (Nous remercions ici le Pr Manijeh Nouri pour sa précieuse contribution). |
|
L'image de gauche est la citation originale; l'image de droite la reprend avec une coloration grossière des trois brins pour mettre en évidence la structure brunnienne du noeud. |
A moins qu'il ne soit dû à un artiste chrétien travaillant pour un commanditaire musulman, on ne peut imaginer qu'il soit là pour évoquer la "trinité" puisque ce dogme est interprété par la plupart des musulmans comme une dérive polythéiste ("trois personnes divines").
Comme nous le signale Pierre Dehornoy, il est incorrect de ranger cet entrelacs musulman du XV°s parmi les noeuds borroméens au sens strict. En effet cet entrelacs est plutôt de type "brunnien" car "chaque cercle passe par-dessus chaque autre, deux fois et non une" Il ne s'agit donc pas de l'entrelacs chrétien utilisé comme représentation de la trinité, mais d'un autre symbolisme, insistant de toute façon sur l'unité du multiple.
Noeud Brunnien à trois brins. |
Entrelacs brunnienEn théorie des nœuds, un entrelacs brunnien est un nœud non trivial qui devient trivial si l'un quelconque de ses composants est enlevé. En d'autres termes, couper n'importe laquelle des boucles libère toutes les boucles de l'entrelacs. L'adjectif brunnien vient de Hermann Brunn, qui a rédigé un article en 1892 prenant pour exemples de tels nœuds. Le plus simple et le plus connu est le nœud borroméen, un entrelacs de trois éléments non noués entre eux. À partir de trois éléments, il existe une infinité d'entrelacements possibles contenant le même nombre de boucles. Voici quelques exemples d'entrelacs brunniens à trois composants qui diffèrent du nœud borroméen (d'après Wikipedia.fr Décembre 2009). |
|
Entrelacs brunnien à 12 croisements. |
Entrelacs brunnien à 18 croisements. |
La Trinité : un Collectif
Richard de Saint Victor (De
Trinitate, livre III) démontre la nécessité métaphysique pour Dieu le Père
de se donner des Associés
[6]
: La vertu la plus éminente est la Charité. Or Dieu
est parfait, donc il possède la perfection de Charité totale.
Or jamais on ne dit de quelqu'un
qu'il possède proprement la charité à raison de l'amour qu'il se porte à soi-même
: pour qu'il y ait charité, il faut que l'amour tende vers un autre. Donc
la personne Divine a besoin de s'Associer une autre personne, digne de son
Amour. Etant Tout Puissant il le peut. Il y a donc au moins Deux personnes
Divines.
Il y en aura Trois car:
"uterque oportet ut pari voto condilectum requirat"
; l'un et l'autre doivent réclamer d'un même désir un aimé commun (pour réaliser
la perfection de leur Amour).
Mais ces Trois ne font qu'un : d'où l'UNITAS à l'entrefer
des cercles. C'est là que réside "le secret de la vie commune et
sociale" selon l'expression de Feuerbach (1843).
On la représente parfois au dessous de celle
du Ciel. Un cantique, qui fit plus rire le frère Sylvestre
[7]
qu'il n'aurait dû, se faisait entendre dans la Province
de Lyon :
Chantons
dans la Grand Nef
N'est-ce pas les particularités de "Jésus,
Marie, Joseph" qui ont tant fait réfléchir les croyants des premiers
temps et les théologiens de tous les siècles, pour établir LE mystère des
mystères : la Sainte Trinité
[8]
?
Marie, fiancée à Joseph, aura un enfant qui n'est manifestement pas
de lui; lui dont elle ne se laissera jamais approcher (elle restera toujours
vierge : "virgo permansisti").
Cet enfant messianique serait-il un batard
?
Ce n'est pas acceptable, sinon d'une batardise
transcendante. Il est Fils du Père Céleste, par l'effet de son Esprit.
Les espagnols ont donné au godemichet le nom de "consolador",
terme dont les théologiens justement caractérisent le Saint Esprit. Consolateur
de la Veuve ou de la fille-mère abandonnée, opérateur de la naissance au Nom
du Père...
Nous savons que ce complexe familial engendrera la Complexité Trinitaire.
|
|
On
kolme unta sisäkkäin
On kolme unta sisäkkäin Unessa unesta tehty nainen nukuu pehmeästi, Kuka niin käski sanoa ? |
Trois
rêves entremêlés
Trois rêves entremêlés, l’un dans l’autre, Dans un rêve fait d’un rêve, une femme dort, Qui t’a demandé de le raconter ? |
Traduction du texte finnois de Paavo Haaviko (1931-2008) |
Cela va me permettre de poser la question
d'une subjectivité plurielle.
L'ouvrage
du Dr Streletski intitulé 'Clavier Psychologique" (Vigot
- 1942) porte un dessin de noeud borroméen en première
page de couverture. On n'y trouve aucune explication de cette insertion.
Etait-ce pour signifier l'unité psychique individuelle ou groupale
? Une simple choix décoratif de l'éditeur ? |
Jacques Lacan dans le séminaire sur le Sintome utilise un noeud borroméen à 4 brins, comme ceux-ci :
Ces schémas de C. Van de Walle,
sont extraits de la Tribune des Lecteurs de "Pour la Science"143,
9, 1989, p.4
L'union et l'existence des trois cercles,
la distinction du Symbolique, de l'Imaginaire et du Reel et leur triple alliance
prennent leur nécessité des divisions et unifications que nous établissons
entre les objets et en nous même.
Ce double mouvement, en s'échangeant et se
communiquant, se porte à la puissance de l'abstrait et du langage. Le principe
de division et de séparation est limité par la recherche d'unités permanentes
localisées. Ainsi construisons nous des objets et des mots.
La construction d'un objet-subjectif, à savoir
l'autre (aussi bien que le moi), passe par le miroir et l'identification imaginaire.
En foi de quoi nous parlons en première personne, entre nous...
Cette construction d'un sujet conscient sera
notre première question en regard du collectif : ces individus qui se rencontrent
et se rassemblent forment-ils ainsi un nouvel être subjectif capable de parler
en première personne du pluriel ?
Ce qui fait l'unité d'un objet se découvre
notamment lorsque celà est supprimé et que l'unité disparait comme conséquence
:
1) l'unité a pour condition des données quantitatives
comme illustré par la bombe atomique avec sa "masse critique" ou
par la cellule vivante : la mérotomie n'est pas sans limite. De même au niveau
de l'atome qui, à force de perdre des particules change de nom ou même disparait
comme atome.
Pour l'organisme humain, nous nous référons à St Jacques (l'intercis)
qui, "à chaque doigt coupé glorifiait Dieu d'une façon nouvelle":
"au septième doigt qu'on lui coupe, il dit "sept fois par jour
j'ai loué le Seigneur !". Au huitième "c'est le huitième
jour que Jésus a été circoncis. Permets à l'âme de ton serviteur, Seigneur,
d'être, elle aussi, purifiée par les rites sacrés !" Au neuvième
doigt, il dit "c'est à la neuvième heure que le Christ a expiré sur
la croix". Ses bourreaux lui coupent tour à tour, non seulement
les doigts et les orteils, mais les mains, les pieds et les jambes. Il dit
alors "Dieu des vivants et des morts, écoute moi, qui suis à demi-vivant
et à demi-mort ! Je n'ai plus de doigts, ni de mains à tendre vers toi, plus
de genoux à fléchir devant toi ! Je suis comme une maison qui s'effondre,
ayant perdu toutes les colonnes qui la soutenaient". On lui tranche
alors la tête. (J. de Voragine, 1255)
2) Pour qu'un ensemble d'êtres soient considérés
comme formant un seul, il faut que leur comportement manifeste une certaine
unité, qu'ils aient une frontière qui les maintient ensemble et que leurs
interactions aboutissent à un effet commun. Il est évident que si ces interactions
conduisent à la destruction de ce tout, il ne pourra subsister comme unité.
Par ailleurs cette unité sera d'autant plus manifeste qu'une certaine stabilité
sera manifestée par l'ensemble. Pour examiner les conditions d'interaction
entre les individus, nous pouvons faire appel à l'effort mathématique : il
s'agira d'individus qui pourront fort bien n'être que des neurones, des populations
d'êtres vivants ou des points mathématiques au sein d'un graphe. Nous attirons
votre attention sur le caractère purement analogique de ce qui va suivre :
les simplifications et abstractions opérées seraient source d'abus si nous
les prenions autrement que pour point d'appuis, suggestions pour réfléchir.
Nous considérerons un système d'agents en
interaction; il n'est pas nécessaire de préciser la nature de ces agents :
il peut tout aussi bien s'agir d'espèces biologiques que d'espèces chimiques,
d'agents économiques ou de neurones formels...
Nous supposons simplement qu'un agent "i" est caractérisé, du point de vue considéré, par la valeur Xi (variable caractérisant la densité de cet agent). Pour caractériser le système dynamique qui régit l'évolution des agents en interaction de 1 à n, nous pouvons écrire, l'équation différentielle :
dxi/dt = Fi(x1,....xi,....xn)(i=1,...,n)
Cette forme trés génèrale d'équation d'évolution
est déterministe. Si les différentes interactions sont connues, étant donnée
une configuration initiale, on aura une seule lignée historique, une seule
histoire, qui serait reproduite si on retrouvait les mêmes conditions initiales.
Autrement dit : si on connaît, à un instant donné, l'état du système (par
exemple la densité de chaque espèce), la "Loi" d'évolution (les
fonctions Fi ) détermine son état à tout instant ultérieur et seule
la configuration initiale (la soupe primitive) détermine l'histoire du système.
Cette histoire serait reproduite si on retrouvait la même configuration initiale...
Cette lignée historique peut dans certains
cas être d'une simplicité biblique: lorsque, par exemple, on aboutit à un
état stationnaire (chaque densité de population se stabilise alors). Dans
d'autres cas, cette unique trajectoire pourra revêtir une certaine, une plus
grande ou une extrême complexité. Citons par exemple le cas où elle est attirée
par un cycle limite, par un tore, ou même par un attracteur étrange...
C'est dire que la rigueur de la Loi n'exclut pas la richesse des comportements. Le système peut aussi bien évoluer vers un point d'équilibre (chaque Xi se stabilise), ou un attracteur périodique (chaque Xi oscille) que vers un tore de grande dimension (chaque Xi oscille selon plusieurs fréquences) ou un attracteur étrange (le système est turbulent, hypersensible aux conditions initiales dont d'infimes variations peuvent engendrer des conséquences totalement différentes ; d'autre part, l'attracteur étrange ne peut-être déterminé, par l'expérience ou le calcul, que point par point ; ceci lui donne une allure aléatoire alors qu'il est déterministe).
Les interactions locales entres les agents sont caractérisées par la matrice jacobienne du système.
Matrice d'Interaction (jacobienne ) J = (DFi/DXj) {i = 1 à n ; j = 1 à n} |
Le signe de (Dfi/Dxj)
nous renseigne sur la nature de l'action de l'agent j sur l'agent i.
Si (Dfi/Dxj)= 0 cela signifie que l'espèce d’agents
i n'a aucune action sur l'espèce d’agents j.
Si (Dfi/Dxj) > 0 c'est que l'agent j "excite"
i
Si (Dfi/Dxj) < 0 c'est que l'agent j "inhibe"
i
A cette Matrice, il est commode d'associer
le Graphe orienté, dit graphe d'interaction, déterminé de la façon suivante
: on peut représenter l'ensemble des populations en interactions par un graphe
orienté dans lequel la population "i" est représentée par le point
"i" . Les différents points sont liés entre eux par des flêches.
Chaque sommet du graphe représente un agent. Prenons les points i et j. Une flêche va de i vers j si et seulement si (Dfi/Dxj)est différent de 0 : ce qui signifie que i agit sur j. Si (DFi/Dxj) > 0, une flèche munie du signe plus va de j à i (action excitatrice). Elle est munie du signe négatif si ce rapport est négatif ((DFi/Dxj) < 0) (action inhibitrice.).
Graphe 1 dx1/dt = x1 ( -1
+ ax2 ) a > 0 dx2/dt = x2 ( -1
- ax1 + bx3 ) b > 0 dx3/dt
= x3 ( -1 + ax1 - bx2)
x1 > 0 |
On dit qu'un tel système est coopératif si tous les signes du graphe sont positifs; on dit qu'il est compétitif si tous les signes sont négatifs, ceci sans prendre en considération la flêche allant de i vers lui-même.
Cette définition formelle ne colle pas toujours à l'appréhension intuitive de la coopération et de la compétition; par exemple si deux employés entrent en compétition pour produire chacun plus que l'autre, ils coopèrent au succès de l'entreprise. S'ils cherchent chacun à nuire à l'autre, ils se peut que leur compétition leur nuise à tous deux ainsi qu'à leur entreprise.
toute trajectoire converge vers un état d'équilibre (Hirsch).
Pour un système compétitif, dès que le nombre d'espèces est strictement supérieur à 2, tous les comportements dynamiques sont possibles (convergence, oscillation, chaos) (Smale).
la frustration : schéma du graphe, représentation temporelle, schéma d'orbite hétéroclinique (voting paradoxe, ciseau, pierre, papier; noeud borromeen).
Le Noeud Borroméen répond à ce modèle en ce sens que si nous l'avons noué de trois couleurs (Noir, Vert et Rouge par exemple), nous observons que le cercle Noir passe au dessus du Vert, lequel passe au dessus du Rouge, lequel passe au dessus du Noir :
{Noir > Vert > Rouge > Noir}
Selon la description structurelle de Jacques Lacan le Réel précède le Symbolique, qui précède l'Imaginaire qui, à son tour précède le Réel ==>
{Réel > Symbolique > Imaginaire > Réel}
Selon la description épistémologique et génétique de Peirce, l'Index permet d'extraire l'Icone, qui permet d'abstraire le Symbole qui permet de conclure à l'Index ==>
{Index < Icone < Symbole < Index}
Les deux formules sont équivalentes !
Les Tibétains ( A. Govinda, 1960)
considèrent que le monde de notre expérience courante est conditionné
par l'illusion d'un moi distinct, l'attraction ou la répulsion pour certains
objets. L'illusion du moi est figurée par un sanglier
[9]
noir, les appêtits passionnels par un
coq rouge et l'hostilité ou répulsion par un serpent vert...
N > V > R > N (schéma d'orbite hétéroclinique)
Or, tout comme les trois cercles borroméens, ces trois animaux, qui constituent
le moyeu et le moteur du tournoiement illusoire de ce monde impermanent, ces
trois animaux sont en interaction : le Sanglier précède le serpent qui précède
le coq qui, à son tour précède le Sanglier (dans le sens anti-horaire).
Nous retrouvons le cycle déjà repéré dans le noeud borroméen. Les intersections
produites par les entrelacements de ce dernier, sont ici représentées par
le fait que chaque animal mord la queue de son prédécesseur.
Ils tournent ainsi sans cesse autour d'un vide, aisément assimilable au
point central de serrage du noeud borroméen, c'est à dire à l'objet
a. La question de savoir si nous sommes en présence des fondements
du sujet individuel ou d'un grand Autre ne se posent pas. Il s'agit d'une
illusion qui ne diffère de la pathologie hallucinatoire que de façon accidentelle
: c'est une hallucination collective, un délire plus ou moins partagé.
Graphe 2 L'agent 1 domine l'agent
2 qui domine l'agent 3, qui domine à son tour l'agent 1. Ceci nous rappelle
le jeu de la pierre qui casse les ciseaux qui coupent le papier qui
enferme la pierre... Cette situation engendre des oscillations non périodiques et l'attracteur des trajectoires n'est ni un point, ni un cycle mais une orbite hétéroclinique. |
Graphe 3 x1 en fonction du temps : noter le caractère non periodique du phénomène => alors que x1 semble avoir gagné, il redisparaît pour renaître plus tard de ses cendres. x2 et x3 recevraient une représentation analogue mais décalée dans le temps. |
La Sicile s'est donné comme emblème un symbole très semblable à la représentation tibétaine (il s'agit de trois jamnes qui courent dans le sens horaire :
Des points Collectifs ?
On peut s'intéresser à des ensembles de points, regroupés en "collectifs",
et tenter de déduire si ce regroupement permet d'envisager qu'ils se comportent
comme des "super unités"...
On peut démontrer aussi que si les super-unités sont au nombre de
trois et que leurs interactions sont négatives deux à deux, l'ensemble sera
encore une fois coopératif. De même si deux flêches sont négatives et une
positive.
Cependant, si deux flêches sont positives et une seule négative, alors
le réseau est frustré.
Il est probable que les flêches positives peuvent être considérées
comme un ciment qui établit une certaine cohésion entre les points ou les
ensembles de points qu'elles unissent.
Du point de vue de l'opposition "coopératifs/compétitifs",
il apparait que la coopération parfaite conduit à une stabilisation du système
et, par là, s'éloigne de la vie en tant que cette dernière est mouvement.
La compétition "excessive" conduit au Chaos, à l'informe et au vide,
condition non-suffisante de la vie qui serait ainsi réduite à quelque ensemble
brownien. La constitution d'une unité dynamique, qui reste unie toute en manifestant
la vie, se situe bien entendu, entre le cristal et la fumée, que ce soit dans
ses manifestations les plus élémentaires (cellules) comme les plus complexes
: (collectifs).
Mettre ensemble et faire interagir des individus, n'implique pas qu'ils
se constituent en sujet collectif. Il y faut d'autres conditions. Notamment
la CONSCIENCE hors de laquelle ils ne seraient que des égrégores
[10]
...
CONSCIENCE DU SUJET INDIVIDUEL (PEIRCE) ET CASTRATION
CONSCIENCE DU SUJET COLLECTIF
La castration symbolique comme la taille des arbres sont garants d'une unité renforcée plus que de sa disparition: on en voit l'exemple dans la monolithisation de l'Eglise Chrétienne puis catholique au moyen des excommunications. Jusqu'à ce que survienne la conscience du déssèchement, de la squelettisation et que naisse l'Oecuménisme.
LES LIENS DE FAIT ET LES LIENS DE CHOIX (travail,
famille, patrie...)
ETYMOLOGIE du nom personnel pluriel "NOUS"
Le gothique utilise l'accusatif "uns" qu'on retrouve
en allemand "uns" et en anglais "us".
Ces formes dérivent du sanskrit "nas" (enclitique, génitif
et accusatif de "vayam") (Renou, 1984)....
En sanskrit on avait "vaya'm" (nominatif) qui a
donné "weis" en ancien gothique "Wir"
en allemand et "we" en anglais... (Onions, 1966)
Le pronom personnel "nous" dérive du latin "nos" [11] . Dans le parler accentué, on ajoutera "autres", destiné à marquer la frontière entre le groupe qui s'exprime vis à vis des autres collectivités ou de l'Autre (Bloch et Wartburg, 1975).
Le "nos" latin vient du Sanskrit "nas"
et "nah" (Ernout, 1985). Il est notable que "nah"
est aussi un verbe qui signifie "attacher, lier, nouer, joindre,
équiper". Il a donné le participe "naddha": "attaché,
assemblé, entremélé, équipé". Le nom de même forme signifie ...
"attache, entrave, noeud".
En anglais, le terme "knot" qui signifie "noeud",
s'emploie aussi pour désigner un petit groupe (Smith, 1988).
Noeud que le sage saurait dénouer pour diriger des citadins l'inextricable enchevêtrement mais que l'homme sans Loi se contente de trancher.
NOUS AUTRES (OSTRACISMES)
Excommunications variées, inquisitions et gethos, racisme et xénophobie,
toutes façons d'insister sur l'altérité, de durcir les positions et de s'affirmer
comme NOUS au détriment des AUTRES... S'affirmer jusqu'à sacrifier quelque
partie de soi, qui en l'occurence sont des individus qu'on appelle habituellement
Héros...
Les NOUS qui existent
Les fourmis et les termites
La société humaine
considérée d'un point de vue économique:
Adam Smith
"The rich only select from the heap what is most precious and agreeable.
They consume little more than the poor, and in spite of their natural selfishness
and rapacity...they divide with the poor the produce of all their improvements.
They are led by AN INVISIBLE HAND to make nearly the same distribution of
the necessaries of life which would have been made, has the earth been divided
into equal portions among all its inhabitants" (Adam Smith, The theory
of Moral Sentiments, IV, 1, 10).
Pour Smith l'intérêt national est le résultat providentiel et l'horizon
des intérêts privés de toutes sortes.
La division du travail est un effet de l'échange, elle n'en est pas la cause.
politique :
en prenant pour exemple l'actualité de la démocratisation planétaire,
non seulement à l'Est, mais aussi et auparavant sur le continent américain
et en Afrique du Sud.....
Les Eglises, les Sectes, les Communautés liées par une culture propre dans un environnement bien différent ou même hostile, les petits groupes, les groupes moyens, les foules: lorsque les individus sont réunis en foule ils montrent une sorte d' "âme collective. Cette âme les fait sentir, penser et agir d'une façon tout à fait différente de celle dont sentirait, penserait et agirait chacun d'eux isolément. (...). La foule psychologique est un être provisoire, composé d'éléments hétérogènes pour un instant soudés, ABSOLUMENT comme les cellules d'un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères forts différents de ceux que chacune de ces cellules possède." (Le Bon, 1895).
Le Bon
Il dégage certaines propriétés des individus en foule :
Insistons sur la différence qu'il convient de faire entre "foule"
au sens de "masse inorganisée" et "groupes" quelle qu'en
soit la taille, aptes à s'autoréguler. Le chaos n'est pas sans dégager, plus
souvent qu'à son tour, de l'ordre, de la structure, de l'organisation...
Le groupe est parfois "primitif" en son âme, il revêt alors
un comportement "de masse" ductile que nous avons appris à redouter
après Hitler, le Stade du Hézel, Pol Pot et d'autres ... Il peut, et sans
doute plus banalement, adopter un comportement moins sauvage...
LES GROUPES PSYCHANALYTIQUES
La Psychanalyse, comme institution n'en a pas usé autrement et sans
attendre que Lacan se prenne pour Spinoza victime du grand Hérem (ou Schammatah)
(Roudinesco, II, 371 sq), les factions, exclusions et schismes ont dès l'origine
assis cette comparaison. Faut-il rappeler Jung, Adler, Reich, Rank, etc...
Si j'osais, je déroulerais à votre réflexion, le tapis des Groupes
Psychanalytiques, depuis les premières hérésies jusqu'aux dernières chapelles...
Un sujet collectif est-il possible ou Réel ?
[12]
Si nous admettons cette possibilité, pouvons nous déceler son éventuelle
réalisation ? A quel signe le reconnaitrons nous ?
Avant de parler de sujet au sens analytique, ou dans un sens extrapolé
qui en dériverait, examinons si le groupe comme tel peut revêtir les caractéristiques
d'un organisme vivant et intelligent ?
L'observation nous met en face de petits groupes dont le rassemblement
s'est fait, soit par les dures contraintes du pain quotidien, soit par les
attractions indéfinies de l'agglutination ludique ou spontanée. Le plus souvent
ces petites formations ne sont ni libre choix, ni pure contrainte (Auriol,
1973) mais un mixage varié de hasards, d'infortunes, d'idéalisations, d'entrainements,
de séductions, etc...
Les groupes constitués de manière externe à des individus auxquels
on a prescrit d'être ensemble, enserrent ces derniers de la carapace des lois,
obligations, enfermements nécessaires à l'objectif qui les a réunis. Ils n'ont
d'autre ressource que de s'organiser face à cette peau artificielle qui finirait
peut-être par n'être plus indispensable à leur cohésion, sinon pour les défendre
des attaques venues d'ailleurs.
Ceux qui se constituent en groupe de leur propre chef ne parviennent
à s'entre-tenir qu'en se dotant d'un système de fonctionnement, contraignant
à son tour, comme le squelette qui impose au vertébré, sans qu'il y paraisse,
plus de segments durs qu'il n'en faut à la moule.
Même alors, comme le prétend Marie Bonaparte (1952): "quelque
soit l'état social où s'intègrent les individus, certaines compétitions restent
inévitables (...). Et entre collectivités, elles sont plus inévitables encore,
l'agression n'atteignant jamais à de telles proportions que lorsque les individus
qui constituent les cellules d'une société parviennent à rejeter l'agression
à la périphérie de cette société même."
Ainsi du langage !
La langue n'est pas la dernière à jouer les osselets : comme l'Institution (Barus-Michel, 1987) elle est "fasciste" (Barthes, 1978). Quitte à nous découvrir des failles inattendues qui sèment la division dans l'empire de Babel... Et chaque nation, chaque région, chaque laboratoire, chaque discipline et chaque bande d'avoir la sienne...
Le Mythe communautaire (répond à L'ILLUSION
DU MOI)
Il n'est pas question, ici de faire l'historique du mythe communautaire,
de son apparition et de ses avatars. N'insistons pas sur les plus communs,
si j'ose dire, que sont la famille et la nation. Signalons seulement leur
caractère naturel, pseudo génétique
[13]
. Cette inflation imaginaire de soi, médiatisée par le groupe,
était déjà signalée par Summer (1907), lorsqu'il opposait "in-group"
et "out-group". Dire nous opposition à eux permet toutes sortes
de représentations, de comparaisons et de sentiments, généralement hostiles,
entre groupes.
Ce mythe apparaît aussi dans des formations religieuses, philosophiques,
politiques : Eglise et EgliseS Chrétienne(s), Umma Islamique, Sangha Bouddhiste,
Internationales Marxistes ou Psychanalytiques, Loges Maçonniques, Monastères,
Sectes, Ashrams.
Israël est un cas particulier, dans la mesure où la religion, la nation
et finalement la patrie, ont de telles connexions qu'il est par moment difficile
d'en faire les parts. Le génie de la Bible est d'avoir identifié le dieu de
la nation, dieu parmi les dieux (Elohim)
[14]
à Dieu, Seigneur Unique, Créateur de l'Univers (Adonaï,
YHWH)
Les premiers Chrétiens mettent tout en commun, " ils n'avaient
qu'un cœur et qu'une âme " (Actes, 4, 32).
L'idéal communautaire est plein d'illusion de fusion, d'auto disparition
et d'identification au Tout du groupe. De là peut-être l'emploi emphatique
de NOUS pour "JE".... (le roi en tant qu'il EST l'ensemble de ses
sujets). On voit là que le contrat institutionnel, le nœud des écrits et des
lois a remplacé les liens implicites et magiques.
Le "Noun" égyptien désignait le chaos liquide originel,
l'océan primordial, la fusion fœtale, dont les très grands groupes reconstituent
parfois les conditions magmatiques, déresponsabilisées (Freud, 1921) et omnipotentes...
Un NOUS idéal cède la place à un NOUS empirique bien analogue au Moi
de la psychologie (oserai-je ajouter "individuelle"
[15]
?)...
Il "constitue un tout irréductible à la pluralité de ses membres,
une union indécomposable où, cependant, l'ensemble tend à être immanent à
ses parties et les parties immanentes à l'ensemble" (Gurvitch)
Mais ce NOUS empirique, s'il a ses frontières comme une peau, ses drapeaux comme un dérisoire phallus, ses colifichets, ses miroirs de toutes sortes comporte également des zones d'ombre, des signifiants déniés ou réprimés par diverses censures, divers caviardages, des thèmes systématiquement écartés de l'explicite et dont la seule évocation peut déclencher des réactions inattendues (Auriol, 1973), à proportion du totalitarisme, apparent ou non, du groupe considéré...
Les concepts sont choses sociales. La société les crée par une pensée qui a sa vie et ses lois propres : pensée collective, impersonnelle, à prétention universelle, relativement stable et dans laquelle communient plus ou moins les consciences individuelles. Selon Durkheim, « le concept est une représentation essentiellement impersonnelle. S'il est commun à tous, c'est qu'il est l’œuvre de la communauté. Puisqu'il ne porte l'empreinte d'aucune intelligence particulière, c'est qu'il est élaboré par une intelligence unique où toutes les autres se rencontrent et viennent en quelque sorte s'alimenter. S'il a plus de stabilité que les sensations ou que les images, c'est que les représentations collectives sont plus stables que les représentations individuelles ». « Toutes les fois que nous sommes en présence d'un type de pensée ou d'action qui s'impose uniformément aux volontés ou aux intelligences particulières, cette pression exercée sur l'individu décèle l'intervention de la collectivité » (Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 619-620). Les concepts « expriment la manière dont la société se représente les choses ». Les concepts possèdent une compréhension sociale qui déborde largement la compréhension qu'ils ont dans l'esprit d'un individu : La signification totale du mot chien est éparse dans les traités de zoologie, dans les monographies consacrées à l'étude des races canines, dans les ouvrages très nombreux qui traitent de l’art cynégétique; il n'existe peut-être aucun esprit individuel qui se la soit appropriée intégralement. . . L'approche du langage comme expression des individus membres du collectif amène Burloud à déclarer "la société ne pense point par elle-même, elle n'est pas directement créatrice". Aurait-il la même position aujourd'hui que l'intensité et l'ubiquité des moyens de communication permet de juxtaposer à la langue (ou aux langues !) l'incroyable diversité des échanges, l'importance du "buzz", l'émergence d'une sorte de nouvelle conscience englobant les individus et s'étendant sur toute la planète ? d'après A. Burloud, Psychologie, Hachette, 1948 |
Les trébuchets de la subjectivité collective
Freud (1905) (1928) a insisté sur l'intervention de l'inconscient
dans le comique, le "witz" et l'humour. Déjà, l'usage distinct de
ces trois mots nous dit quelque chose de leur spécificité culturelle. Chaque
individu exhibe une forme propre du rire, soit dans les modalités qui le produisent
chez lui, soit dans sa manière de le déclencher en autrui, soit dans l'expression
mimique du protagoniste. Il est important de souligner ici, que, non seulement
le rire est communicatif et par là manifeste la connivence des inconscients,
mais aussi qu'il ne peut se concevoir en dehors d'un collectif qu'il engage
toujours (fut-il réduit à trois membres comme dans l'anecdote produite par
Alphonse Allais avec la complicité de son ami Georges Auriol). Enfin, comment
ne pas voir qu'il revêt, plus encore que de la personnalité de chacun, un
caractère spécifique à une certaine communauté de vie ou de pensée. Les augures
ne rient pas dans l'isolement de leur chambre : ils ont besoin de se rencontrer
pour le faire. Ceci dans l'exercice de leur ministère : c'est à dire en regard
de la naïveté du peuple auquel ils dissimulent leur collusion.
Le rire est spécifique du collectif dans lequel il s'échange : il
se dévalue à l'exportation. Ainsi les films comiques américains ou anglais
ne sonnent pas tout à fait comme il faut dans la salle française. L'histoire
de Nasreddine entendue à Tizi Ouzou ne vaut pas son pesant de Djaha. Que dire
des histoires de froggies, des histoires belges. Le major Thomson ne rit pas
de la même façon que le "thick Mick"
[16]
ou le rabbin polonais. Sans parler des confessions que
se racontent, au pousse café, les curés et les psychanalystes.
Il existe des Micro cultures de l'humour dont l'extension peut se
limiter à telle bande de rue, à tel groupe familial ou tel trio de whist...
Il en va ainsi des rites religieux et de ceux de l'amour, de la manière
de faire la guerre (guerre, vendetta, loi du milieu, etc...), sans parler
des parlers locaux, des expressions, dictons et proverbes... qui constituent
autant de symptômes spécifiques d'un groupe ou de l'autre... Nous pourrions
enfoncer ici toutes les portes ouvertes par les différentes Cultures et leurs
diverses façons d'exprimer leur malaise.
Chaque groupe a son dire : génie de chaque langue, expressions et
proverbes, slang, argot, spectacles, modes vestimentaires. Il a son écriture
: monuments, littérature. Il a son savoir qui peut dépasser (de beaucoup)
celui des membres qui en détiennent les bribes: la science... Il existe des
Micro-paroles comme il existe des microclimats et il est peut-être
nécessaire, d'instaurer l'étage de CES micro-cultures entre le Sujet et LA
Culture.
Le spectacle antique aimait mettre en scène, non seulement le mythe
mais l'émotion groupale qui y répond en chœur.
Les toxicomanies
[17]
ont aussi leurs
spécificités qui sont autant de signes dont on pourrait donner une interprétation
concernant le système des valeurs, l'idéal et le réprouvé pour un ensemble
humain, éventuellement très vaste.
Il existe même un cri groupal : la CLAMEUR, des fantasmes collectifs
: la RUMEUR...
Peirce (1868) montre que la conscience d'un moi (et nous pourrions
ajouter son corollaire : l'inconscient) ne peut apparaître que comme découlant
de l'erreur de la dénégation et de l'ignorance. La conscience du NOUS ne lui
peut advenir que des mêmes sources et par dépassement de l'illusion d'idéal
communautaire.
Ces quelques données, et bien d'autres, pourraient conforter l'application
des formules lacaniennes à un groupe: il suffirait de mettre le $au pluriel
et de prendre en considération la métonymie de ses productions signifiantes.
On retrouverait l'erreur du NOUS derrière celle du MOI et la présence du sujet
comme discontinuité dans le réel (Lacan, 1960).
Inconscient Collectif et Sujet réparti:
Ce n'est pas faire allégeance à Karen Horney ou Eric Fromm, moins
encore à C.G. JUNG (1953) : en effet leur point de vue est centré sur l'individu
EN QUI ils lisent un substratum génétique ou culturel qui le dépasse. Ceci
mériterait une autre discussion.
La simple allusion que j'ai voulu essayer ici concerne un point de
vue centré sur le groupe comme tel. Sa qualité de sujet ne saurait se décrypter
au niveau DU sujet individuel, pas plus qu'on ne pourrait comprendre l'organisme
sur la base de ses cellules prises une à une.
Nous accepterons beaucoup plus volontiers toute critique nous faisant
grief de systémisme... Nous parlons donc d'un sujet réparti
qui N'EST PAS L'INCONSCIENT COLLECTIF.
Ce sujet réparti, nous en dégageons l'idée par élargissement de la
question " Grand Mère " (Grumbach A., 1989). Cette
question des formalisations connexionistes peut se caricaturer ainsi :
"Est-il pertinent de parler d'UN
neurone associé au concept Grand Mère"
A supposer qu'il faille associer au concept Grand Mère une collectivité
de neurones et non pas un seul, nous pouvons passer à l'échelon supérieur
de la complexité et nous demander s'il n'existe pas des pensées collectives
dont les éléments ne pourraient être associés à aucun des individus isolés
constituant ce groupe mais à telle ou telle partie de l'ensemble des parties
de ce groupe.
Cette question ne peut être complètement assimilée à l'enveloppe psychique
groupale, telle que la voit Anzieu (1984); malgré son effort, il arrive mal
à se dégager de l'idée que le moi groupal est présent en chacun des n membres,
sous forme d'une représentation reproduite à n exemplaires. Il nous conviendrait
mieux de dire que le Sujet Collectif est présent à
chacun des membres, sans être englobé par aucun d'eux, comme le tissage à ses
brins. Sujet collectif réparti, conscience englobante dont nous ne pourrions
parler qu'allusivement
[18]
...
16 juillet 2014
[1] Etymologie : l'étymologie d'étymologie nous ramène à "étym" qui signifie vrai, réel. Lacan déclarait dans "Les Non-dupes errent" :"Si vous n'interrogez pas le vrai de la Trinité, vous êtes faits comme des rats, comme l'Homme au rats" (9 Avril 1974)
[2] ordonnés Ils sont "mal ordonnés" car, en héraldique, pour que trois meubles soient bien ordonnés, il faut en avoir deux en chef et un en pointe c'est à dire, deux au centre haut et un au centre bas : ce n'est pas le cas ici, les trois cercles dessinent un cercle pointe en haut et non pointe en bas.
[3] Roués : La traduction de Cambridge est "and their appearance and their work was as it were a wheel in the middle of a wheel"
[4] matin : Je dois divers éclaircissements concernant ce texte au Pr Simon Légasse : Comm. pers. (1990).
[5] La Trinité égyptienne donnait : Rê (maitre de l'Univers) Nout (sa Mère) Geb (Dieu de la Terre) (E. Hornung, 1986).
[6] ce terme est précisément celui que Le prophète récuse (Koran, 112, 3-4).
[7]
à qui
je dois le texte et les paroles de ce refrain (dont la musique est calquée
sur celle de l' "Ave Maris Stella", à une transposition près)
:
Chantons dans la grand nef
[8] Trinitaire : ce qu'on lit ici ne préjuge en rien de la nature des faits qui ont eu lieu, historiquement, ni de la valeur des spéculations qui s'en sont suivies. Nous nous intéressons au déroulement des phénomènes selon une interprétation minimale, laissant entre parenthèse le bien fondé de la Foi qui s'y rapporte).
[9] Un tel modèle est sans doute applicable aux états de (Sommeil Rêve / Veille) puisque leur évolution, en l'absence de synchroniseurs externes, aboutit, précisément à une distribution hétéro-clinique de leur cycle : les journées de ce fait passent de 24 H à 48 ou davantage... On peut envisager l'hypothèse que chacun de ces états ait tendance à dominer / dévorer le suivant...
[10] " égrégore ", c’est-à-dire non seulement une somme d’expériences individuelles mais aussi l’unité vivante d’une conscience commune. "J’appelle égrégore, mot utilisé jadis par les hermétistes, le groupe humain doté d’une personnalité différente de celle des individus qui le forment", précise Mabille (Universalis).
[11] Nous avons des formes similaires dans les langues sémitiques puisque "nous" se dit "nou" ou "anou" en hébreu, "nahnou" ou "na" en arabe.
[12] Cette question en guise de sous titre se permet de suggérer qu'il y a, de toutes manières, un (des) sujets collectifs...
[13] les "liens du sang" sont ceux de la famille, y compris quand sa forme légale vacille. La nation fait référence à la communauté de naissance et présente, de la sorte, quelque chose de "racial"; ce qui est moins le cas de la "patrie" qui désigne la terre des pères et n'exclue pas qu'on s'en donne une autre.
[14] Le Désir d'Elohim (Ex VI) : Elohim est un pluriel et correspondrait à un polythéisme primitif qui aurait basculé plus tard dans le monothéisme : au moment de la sortie d'Egypte ou même bien aprés car si Yahweh est jaloux, c'est qu'il y a matière à l'être "la revendication de l'unicité de YHWH est faite en un langage qui, non seulement n'exclut pas l'existence d'autres dieux, mais encore s'accompagne de la reconnaissance parallèle de leur légitimité pour d'autres nations; c'est YHWH lui-même qui les leur a donnés en partage (Deut 4, 9) (Norbert Lohfink d'après JP Torrell in Revue Thomiste, 78, 3, Juil-Sept 1978, 450).
[15] Les observations d'Adler ne manquent pas d'intérêt et on connait leur bonne fortune dans le public : complexe d'infériorité. Les individus peuvent trouver à se soutenir dans certains groupes... De même certains groupes affirment leur identité sur des notions hiérarchiques (la race supérieure, l'équipe qui gagne, l'esprit maison, etc) parfaitement illusoires mais qui, justement, un temps, font illusion...
[16] Par exemple, les irlandais n'hésitent pas à rire de la simplicité de leur "Paddy": Il est émigré à Londres et travaille à la garde des éléphants du Zoo. Il se trouve qu'à la même époque, le responsable des gorilles qui a la chance de posséder le seul gorille femelle de la planète, a obtenu de son homologue New-Yorkais l'envoi du seul gorille mâle albinos encore vivant; mais ce dernier meurt durant le voyage qui le mène à Londres. L'adjoint du gardien des gorilles lui suggère de le remplacer par Paddy qui est bien ressemblant.. Après quelque hésitation, les deux hommes lui font cette demande: "20 £ pour faire des enfants à la gorille albinos". Paddy demande à réfléchir, puis, après quelque jours, déclare "J'accepte, à trois conditions : 1) Ne pas avoir à embrasser la gorille 2) Que les enfants seront catholiques 3) Qu'on lui accorde une semaine pour réunir les 20 £...
[17] L'alcool, le hashish, les stupéfiants, la cocaïne, etc.. commencent à être utilisés un peu partout. Cependant ils ont connu des patries spécifiques, des aires d'influence privilégiées et même dans le brassage actuel, on connait certaines oppositions entre ceux qui affectionnent l'alcool et ceux qui préfèrent les hallucinogènes, par exemple. De même les junkies ne sont pas forcément les mêmes que les utilisateurs de cocaïne, etc... (cf Auriol, 1990)
[18] cette dernière phrase comporte une provocation faite de la négligence d'une probabilité : l'existence de représentations semi-distribuées, dans lesquelles toutes les parties seraient prises en considération, y compris celle qui ne comporterait qu'un seul individu.