Lin
Grimaud[2]
« Si l'analyste ne s'occupe pas de l'institution, l'institution s'occupera de lui . »
Maud Mannoni
Ce texte reprends les
éléments de présentation du séminaire « Psychanalyse et Institution »
que j’ai animé dans le cadre du congrès « Travail Social et
Psychanalyse » auquel m’avait convié Joseph Rouzel. J’y ai ensuite intégré
certains points des discussions préparatoires que nous avons eu entre
intervenants[3], ainsi que
d’autres points du débat qui a eu lieu
avec les participants.
1- Position du problème
Il apparaît que ce rapport
entre psychanalyse et institution est multiple. Effet de la culture du travail
social en Europe mais surtout en France, il se développe au cours de la période
d’expansion du travail social, au cours des décennies soixante et soixante dix.
Les premières traces de ce rapport sont beaucoup plus anciennes, elles se
manifestent dans un texte de Ludwig Binswanger de 1920, signalé par Ginette
Raimbault, et dans l’ouvrage d’August Aichorn « Jeunesse à
l’abandon » de la même année.
On pourrait dire, dans une
perspective sociologique, que l’usage du discours psychanalytique est devenu
un stéréotype du travail social au cours de sa période de mise en place institutionnelle
massive.
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La réalité est que le
travail social a construit son discours avec celui de la psychanalyse, du
marxisme, de la psychosociologie, comme aujourd’hui il le fait avec celui du
management social. C’est une constatation associée à la crainte que l’envahissement
du travail social par la logique manégériale n’entraîne la liquidation de la
référence psychanalytique. La logique de la procédure se substituant à celle de
la démarche.
Car la démarche analytique
en institution est difficile à argumenter, à faire valoir et à défendre. Ses
effets en termes de spécification des pratiques n’est pas schématisable et
n’obéit pas à la logique d’application de modèle.
Les pratiques institutionnelles référées à la psychanalyse
varient d’un établissement à l’autre et aussi selon le moment de
l’histoire de l’établissement.
De fait, certains établissements ont construit plus ou moins durablement de véritables dynamiques innovantes sur la base de la référence analytique. D’autres établissement se sont contentés de la citer dans la présentation de leur projet sans autre intention que de sacrifier au standard ambiant. D’autres encore s’y sont opposés, en évoquant notamment le modèle comportementaliste comme contre – référence analytique. Ce qui apparaît comme une opposition forcée, voire artificielle, dont la raison sous jacente apparaît comme le projet de se donner une image de cohérence à peu de frais plutôt que d’engager honnêtement la recherche sur le champ de validité de chaque référence et leur éventuelle complémentarité.
2- Psychanalyse et
clinique institutionnelle
Qu’il s’agisse d’aborder le
problème sous l’angle de l’intervenant extérieur qui aide l’équipe et peut lui
fournir ponctuellement une écoute de type analytique, ou qu’il s’agisse de
l’usage de la référence psychanalytique dans l’organisation du quotidien
institutionnel, il va falloir nous
questionner sur le type d’effets recherchés.
Le problème est déjà
délimité de deux côtés :
- d’un côté, il n’existe
pas d’étude scientifique systématique qui ait globalement qualifié la
psychanalyse dans ses présupposés, sa méthode, son action et la nature de ses
conséquences en pratique institutionnelle ; de plus il est probable que la
construction d’une telle étude soit impossible. C’est d’ailleurs une limite qu’exploite
assidûment les détracteurs du freudisme.
- d’un autre côté, il est
patent que la référence analytique peut tendre efficacement à intensifier,
diversifier et approfondir l’attention clinique au sein des pratiques
éducatives, pédagogiques ou thérapeutiques. Au travers de la référence
analytique, la clinique bénéficie d’une théorie qui se base sur l’attention
portée aux variations de l’expression du sujet et aux inflexions de la relation
transférentielle.
Tirant partie d’une
doctrine qui met en œuvre une attention à la fois ouverte et structurée, la
clinique y puisera efficacité et validité. D’autant que dans un cadre
institutionnel il s’agit de construire un réseau d’attention qui exige un
engagement collectif au delà de la juxtaposition des compétences professionnelles
de chacun.
François Tosquelles
définissait sous la formule de « Clinique Institutionnelle » la
dynamique d’attention aux signes du quotidien étendue au fonctionnement global
de l’établissement de soin.
A noter que cette dynamique
produit un effet retour sur l’équipe elle - même, générant des effets
d’autorégulation et de croissance psychique dans le groupe soignant. On peut
même penser que l’inflation de la demande provenant des équipes pour de
l’intervention extérieure, supervision ou analyse des pratiques, serait parfois
à comprendre comme la signature d’un abandon de la dynamique clinique
interne.
Mais revenons à notre
hypothèse :
La référence
psychanalytique, en tant qu’ensemble ouvert de propositions théorico –
pratiques, peut favoriser le développement d’une structure d’attention qui
soutient à son tour le processus de pensée entre soignants et soignés.
3- Freud et
l’institution
Le premier analyste à
s'occuper de l'institution fut Freud lui – même. A son institution psychanalytique
tout d'abord il a su donner un élan de recherche qui ne s'est pas démenti. Il a
posé les bases qui ont assuré jusqu'à ce jour sa prospérité et sa pérennité.
Faut - il rappeler la place qu'il y a occupé de
géniteur symbolique et de maître. Non sans la férocité politique que la tenue
d'une telle position semble aussi devoir impliquer. Les destins tragiques de certains psychanalystes comme Tausk,
Ferenczi, Silberer, mis en impasse dans leur rapport à l'institution, sont bien
connus grâce notamment au livre de Paul Roazen : « Toi animal mon
frère. » Et, comme l'a dit Freud, avec son honnêteté coutumière : «
La psychanalyse consomme beaucoup de personnel. »
De l'institution comme
champ ouvert à la théorisation Freud a aussi tenu compte en reconnaissant l'articulation du psychique et du social.
Rappelons ce qu'il en dit
au début de "Psychologie des foules et analyse du moi" un texte de
1921:" Dans la vie psychique de l'individu pris isolément, l'Autre
intervient très régulièrement en tant que modèle, soutien et adversaire, et de
ce fait la psychologie individuelle est aussi, d'emblée et simultanément, une
psychologie sociale, en ce sens élargi mais parfaitement justifié."
Difficile d'être plus clair dans l'affirmation qu'il n'y a pas de subjectivité
sans intersubjectivité. Affirmation reprise plus tard par Winnicott dans une
formule choc " Le bébé n'existe pas" pour dire que la réalité du bébé
ne saurait s'appréhender sans la prise en compte des liens à son environnement.
Même si Freud n'a pas
débouché sur une théorie clinique du lien, il en a posé le principe d'une problématique en héritage pour les
psychanalystes à venir.
Freud s'est engagé dans la
théorie psychanalytique des organisations humaines suivant deux axes :
- l'un, notamment étudié
par Eugène Enriquez dans son ouvrage: « De la horde à l'état »,
recouvre ce qui a été appelé l’œuvre sociologique de Freud qui comprend six
textes: "Totem et Tabou, 1912; Considérations actuelles sur la guerre et
la mort", 1915; "Psychologie collective et analyse du moi",
1921; "L'avenir d'une illusion", 1927; "Malaise dans la
civilisation", 1930; "Moïse et le monothéisme", 1939.
- l'autre est dégagé par
l'introduction du « surmoi » au cœur du système théorique, le surmoi
représentant l'instance psychique qui résulte de l'intériorisation de l'ordre
social. Pour intégrer ce concept à la théorie, Freud a dû la modifier
globalement en ajoutant à la première topique
(le système inconscient – préconscient – conscient), la deuxième topique
(système ça – moi – surmoi.)
C'est donc l'exigence du
surmoi, à savoir la nécessité de reconnaître une part d'extériorité à
l'intérieur même du psychisme, qui a contraint Freud à formaliser la seconde
topique, à enrichir l’outil conceptuel de la psychanalyse tout en le
complexifiant.
Cette question des rapports
entre psychisme et institution est donc prise en compte par Freud dans la
seconde moitié de son oeuvre. Il en parle comme d'un paradoxe structurel
mettant en jeu l'exigence de la pulsion pour trouver les voies de sa décharge
et les exigences de la réalité qui contraignent à différer la satisfaction
pulsionnelle, à en transformer les buts et à y renoncer en partie. Autrement
dit, l'effort de civilisation pour
échapper à la violence sociale primitive s'accompagne inévitablement d'une
intensification de la souffrance psychique impliquée par le renoncement
pulsionnel.
La civilisation fonctionne
comme une promesse mensongère dit en somme Freud. Il en veut pour preuve
l'émergence inévitable des grandes désillusions qui scandent le parcours des
individus comme celui des groupes sociaux. Dans son texte de
1915: « Considérations actuelles sur la guerre et sur la
mort. », il pose exemplairement la problématique entre
institutionnalisation et illusion et
conclut ainsi: "Supporter la vie reste bien le premier devoir de
tous les vivants. L'illusion perd toute valeur quand elle nous en
empêche."
Cette formulation exprime
aussi l’utilité du rôle de la psychanalyse en institution: aider les patients,
et nous – mêmes les professionnels, à démystifier la part d'illusion qui nous
empêche de supporter la vie en nous enfermant dans un système de
représentations guidé par nos tendances dépressives et paranoïdes.
4 – Les voies de la
subjectivation
Il ressort qu'en matière de
condition humaine les solutions sont, pour Freud, souvent pires que les maux.
Mais il s'agit là d'un pessimisme fécond à replacer dans un contexte historique
paradoxal où culminait l'idéalisation du Progrès, concomitamment à la
gigantesque boucherie que fut la
première guerre mondiale.
Freud rejoint, me semble –
t – il, une critique de la morale de l'action et réaffirme la fonction d'une
pensée qui ne soit pas de conquête, de surface, mais au contraire
d'approfondissement. Comment, se demande – t – il en substance, l’homme
occidental massifié par les procédures de la rationalisation peut – il
retrouver les voies de la subjectivation ? La question garde aujourd’hui toute
sa pertinence, elle n’est pas sans rapport avec celle des conditions d’une
éthique du sujet.
Néanmoins, Freud assume de
s'appuyer sur la démarche scientifique tout en se réservant la possibilité,
comme l'ont fait d'autres grands esprits de son époque, d'en montrer les
limites et d'en modifier la portée. Il désigne, en des termes compatibles avec
le discours scientifique alors en vigueur, quelque chose qui le contrarie
radicalement : qu'une part essentielle du savoir échappe à l'objectivation et
appartient aux logiques subjectives de la construction et de la transformation
de soi dans son rapport aux autres.
Dans cette perspective,
l'essence du psychisme n'est plus une formule close sur elle – même qu'il
s'agirait de décoder, mais plutôt une grammaire générative, un processus ouvert
aux possibles.
5 – Opposer le
transdisciplinaire au sectaire
Les soignants
institutionnalistes sont non seulement confrontés aux grandes souffrances
psychosociales et aux structures psychopathologiques qui les défendent, mais
aussi à notre tendance individuelle à la répétition ainsi qu’à la tendance
générale des groupes à se figer en pratiques inertes.
En effet, nos patients
produisent leur effort de remaniement
psychique dans la stricte mesure où nous produisons le notre
individuellement et collectivement. De ce fait la psychanalyse a un rôle de
fond à jouer dans nos équipes soignantes. Rôle à redéfinir au fur et à mesure
des transformations opérant dans la culture de l’établissement et du service,
mais qui ne saurait pourtant aller jusqu’à dicter les conditions d'un
fonctionnement institutionnel qui doit rester transdisciplinaire. Pour dresser
le cadre d’une clinique saine, il ne faut pas de totalitarisme dans le choix du
référentiel. Les modèles théorico – cliniques et les styles personnels de
formulation doivent nécessairement se croiser.
Aussi les aspects du modèle
psychanalytique utilisés en institution - concepts, parties du système
théorique, type de dispositifs et postures professionnelles - sont à éprouver
et critiquer quant à leur validité vis à vis du projet d’établissement, du
projet de service et du projet individualisé.
Car le point d'articulation
entre psychanalyse et institution, s'il peut permettre un appui inégalable pour
la mobilisation du potentiel thérapeutique
de l’équipe, ne saurait constituer
une problématique autonome.
Tout contre sens recèle
dans ce domaine des pièges qui peuvent s'avérer destructeurs pour la bonne
menée de nos missions soignantes. Intuitivement, en effet, on sent bien le
risque d'introduire avec la psychanalyse dans l'institution une pensée unique,
à tout le moins une pensée dominante maintenue par une caste de clercs faisant
prospérer un pouvoir rassis. On peut même imaginer le cas de l'institution
déchirée par différentes cléricatures psychanalytiques qui tendraient à faire du champ soignant le théâtre de leur rivalité. On peut
imaginer aussi cette fonction psychanalytique s'enkyster après avoir été un
temps féconde, ou se dévoyer dans l'ordre sectaire du « parler
psy ».
6 – Du modèle du
fantasme à celui du trauma
La fonction de la
psychanalyse dans l'institution diffère de la tenue d’un discours. Elle est
plutôt de frayer une voie transversale, de repérer les indices convergents qui
dessinent la figure d’un autre discours prenant corps aussi bien au travers de
l’effort de penser ensemble que des productions symptomatique de l’équipe, ses
ratés, ses routines, ses préjugés.
Ce discours transversal aux
discours de chacun, filet de sens mouvant en arrière – plan des échanges
explicites, on peut dire que c’est celui de l’inconscient.
Faut – il rappeler que
Freud n’a jamais évoqué que « L’hypothèse de l’inconscient » et non
l’inconscient en soi, pris comme une substance. Il est donc bien compris, dés
la mise en place de la théorie psychanalytique, que ses hypothèses sont amenées
à se transformer sous l’impulsion de la recherche clinique et des
transformations du corps social.
Si la naissance de la
psychanalyse est due à l’abandon par Freud de la théorie du trauma au profit de
celle du fantasme, il se trouve que les psychanalystes contemporains ont
tendance à faire un chemin qui les conduira peut – être à refonder en partie la
théorie sur la question du trauma.
On s’est en effet aperçu
que le modèle du fantasme, comme cause des troubles névrotiques, ne permet pas
de fournir un appui intéressant pour ceux des patients qui présentent un état
de rupture psychique manifesté par une interruption du sentiment continu
d’existence dans un climat interne de sidération. S’agissant de tableaux
cliniques en expansion, qui semblent suivre l’évolution de nos sociétés
occidentales, le modèle du trauma qui permet d’en rendre compte est donc revenu
par cette voie au cœur de la psychanalyse.
Ajoutons que les personnes,
enfants ou adultes, qui ont besoin d’un soin institutionnel global présentent
typiquement de telles souffrances identitaires plus ou moins liées à des
défaillances de leur environnement relationnel.
Le modèle du trauma, à
l’origine de la recherche freudienne, reste donc pertinent pour figurer comment
le sujet débordé par la rupture dont il est captif dépend subjectivement de la
répétition qu’il met en œuvre. Répétition qui sert de bordure à ce « trou
actif », véritable zone de démaillage du tissu psychique qui fonde pour le
sujet un vécu de hantise impensable que Winnicott appelait « la crainte de
l’effondrement. »
Reste pour les soignants à
construire les cadres d’expression qui permettront au patient de situer cette
hantise et de l’organiser dans le registre du narratif avec la visée d’en
modifier l'effet d’aliénation.
7 – Le narratif
S'il y a un principe qui
ressort de l'effort théorique de Freud, c'est bien celui du narratif dans son
rapport au fait psychique.
On pourrait penser que de
définir la psychanalyse dans ses rapports au narratif est une forme de
réduction et que ce serait faire de Freud un enfonceur de porte ouverte. En
effet, le narratif est une constante
anthropologique au sens où toutes les sociétés en ont soigneusement
institué la fonction.
Le mythe le plus explicite
quant à cette fonction est développé dans le recueil de contes « les Mille
et Une Nuits » : Le roi de perse Chahriyar a décidé de prendre chaque
soir une nouvelle épouse et de la faire étrangler le lendemain .La fille de son
vizir, Shéhérazade, s’offre pour cette union , mais au milieu de la nuit commence un conte passionnant, au point que
le roi remet l’exécution au lendemain, et ainsi de suite d’un conte à l’autre
jusqu’à renoncer à son projet sacrificiel.
Il est vraisemblable qu’un
sens de ce mythe soit de désigner la nature de l’effort que met nécessairement
en œuvre le sujet humain pour assurer sa survie psychique.
Le roi et Shéhérazade
représenteraient les deux tendances internes qui constituent le psychisme
humain : l’énergie du pulsionnel et l’effort de symbolisation qui
l’organise.
De ce fait, le récit est
donc bien le moyen de la construction identitaire, comme le dit Paul Ricoeur.
Il est aussi ce par quoi une expérience privée peut s'articuler à un sens
commun et, par là, affranchir le sujet du repli mortifère sur sa propre
jouissance.
Pourtant, le narratif, s’il
est un terme nécessaire à la construction du sujet dans le lien groupal, n’est
pas suffisant. En effet, on peut tout
aussi bien concevoir un récit en circuit fermé, discours de vérité prisonnier
de sa pente paranoïaque.
8 – Collectif et
processus de pensée
Les élaborations du
mouvement de la psychothérapie institutionnelle, depuis maintenant une
soixantaine d’années font, plus ou moins consciemment, partie de la culture des
institutions soignantes. Les textes législatifs régissant nos secteurs
sanitaires et sociaux en sont eux – mêmes imprégnés.
On doit à ce mouvement
l’essentiel de la rencontre entre psychanalyse et institution soignante et,
sans doute aussi, une voie de progression pour la psychanalyse elle – même.
La notion de
« Collectif » est au centre des conceptions de la psychothérapie
institutionnelle. En voici une définition que nous devons à Michel Balat :
« C’est la manière d’être ensemble pour accueillir du singulier ».
La formule « Manière
d’être ensemble » indique un mode relationnel professionnel. Un mode
relationnel implique à son tour une façon de penser ensemble. Ceci ne revient
pas à dire que tout les membres d’une équipe doivent penser la même chose. Il
s’agit, au contraire de mettre l’accent sur le fait que la qualité d’un
fonctionnement institutionnel dépend du différentiel de perspective entre les
cliniques éducative, pédagogique et thérapeutique. L’expression de ce
différentiel permet seul de mettre au travail de la pensée la douleur psychique
qui confère au symptôme son opacité résistante.
Précisons que la fonction
narrative dans le groupe ne se limite pas à l’énoncé de discours ; elle
opère par la rêverie dont elle s’accompagne et relève ainsi d’une co-production
psychique.
Ici, on pense aux
considérations de Bion sur la fonction de la rêverie maternelle dans la
construction psychique du nourrisson, ainsi qu’à un ensemble de propositions
psychanalytiques relatives au soubassement symbiotique indispensable à
l’émergence du sujet[4].
Ainsi donc, la pratique de
la psychanalyse ne s’arrêterait pas à
l’analyse des contenus, mais réaliserait aussi une construction psychique.
Difficile de ne pas établir de correspondance avec l’acte narratif susceptible
aussi de livrer un contenu et de créer à la fois un événement
« tonal » entre les participants. Dans les deux dispositifs la
figurabilité ne constitue pas un but en soi.
Il ne suffit pas de permettre la représentation, de suivre un fil
manifeste ou latent, encore faut – il admettre d’appuyer le processus sur ce
qui se révèle progressivement comme co-création et contenant psychique
intermédiaire.
L’étude du lien précoce,
appelée « épigenèse interactionnelle », les pratiques de la thérapie du lien parents - enfant, la prise
en compte des effets « transféro – contre transférentiels » dans la
cure analytique, ont validé ce niveau d’engagement et d’élaboration de la part
du thérapeute.
Ce que Freud avait désigné
comme « Matière psychique commune » apparaît bien comme objet
transversal dont le potentiel réside dans le fait qu’il conserve une propriété d’indifférenciation
permettant l’appui pour l’émergence de la forme psychique différenciée.
Ce qui amène, par exemple,
la psychanalyste Sara Botella a parler « d’inséparabilité du processus
psychique. » Notion dont le sens va se retrouver dans ce que les institutionnalistes
ont traité en termes d’élaboration des « ambiances » comme outil
thérapeutique global.
L’idéologie de la
« sur individuation », caractérisant l’état actuel de notre
civilisation, apparaît donc fatale au processus psychothérapeutique comme elle
l’est au développement du tissu social.
Il est vrai que cette
tendance lourde, dont on perçoit de plus en plus clairement les effets, rend
nécessaire d’associer les termes de soin, pensée et collectif afin de
sauvegarder les conditions qui sont la base du thérapeutique par le symbolique,
c’est à dire par l’intégration groupale. Du point de vue de l’anthropologie, un
soin psychique est nécessairement un soin psychosocial.
On comprend alors mieux
pourquoi le clivage forcé entre psychisme et intégration groupale tend à
apporter une légitimité à une conception du soin enfermant l’individu dans son
individualité. En niant l’enjeu structurant entre l’individu et le
collectif, cette idéologie ultra moderne
assigne le sujet à un état de dépendance maximum aux procédures de la
production et de la consommation.
Pourtant, pas de subjectivité sans intersubjectivité, pas de
subjectivation sans relation interpersonnelle. Et la relation professionnelle
soignante a beau opérer « sous transfert », elle n’en engage pas
moins les protagonistes, sur la modalité de l’alliance, jusqu’à leur fond
subjectif personnel. C’est ce qui fait sans doute la richesse d’enseignement et
la difficulté de nos métiers.
Il serait sûrement
intéressant de connaître les raisons qui ont amené Freud à ne pas systématiser
plus avant les aspects de sa théorie concernant le rapport entre subjectivité
et intersubjectivité.
Je pense qu’une des raisons
est que cette orientation fait inévitablement apparaître le dispositif lui –
même comme co- création entre analyste et patient. Or, Freud ne pouvait pas
tout lâcher. Après avoir, en laissant la parole au patient, partiellement
renoncé aux aspects actif et dominant du rôle médical, il s’est quelque peu
agrippé au dispositif de la « cure type » et lui a conféré ce statut
d’objet fétiche qu’il tend aujourd’hui à perdre sous la pression des besoins
des patients.
Pratiquement, il me semble
que la clinique institutionnelle continue d’orienter la psychanalyse vers
l’approfondissement de ses présupposés par l’investissement du collectif en
tant que matrice du psychique.
D’une certaine façon
l’institution soignante tend à dé-fétichiser la psychanalyse, c’est un
inestimable service qu’elle lui rend en même temps qu’une invitation à investir son champ. Il me semble que c’est
là le sens de l’exergue de Maud Mannoni : « Si le psychanalyste
ne s’occupe pas de l’institution, l’institution s’occupera de lui. »
Il serait en effet catastrophique que la rencontre entre
psychanalyse et institution de soin n’ait plus lieu. Maud Mannoni pensait que
si cela arrivait ce serait de la responsabilité de l’analyste, par
méconnaissance de la valeur clinique du terrain institutionnel dont il serait
alors exclu.
Trente sept ans après l’énoncé
de cet avertissement, où en sommes nous ?
[1] Texte pour le 1° congrès européen « Travail social et Psychanalyse », Montpellier, 5,6,7 Octobre 2004.
[2] Psychologue, intervenant pour l’analyse des pratiques.
[3] Christian Ayerbe, Jeanne Lafont, Claude Sibony, Florence Plon, Didier Potin, Serge Vallon.
[4] Evoquons, par exemple, la notion
d’ « Identification adhésive » d’Esther Bick, de
« Contenants de pensée » chez Didier Anzieu, de «Noyau
agglutiné » chez José Bleger, de « Contrat narcissique
primaire » chez Piera Aulagnier, ainsi que les recherches sur le
narcissisme par Heinz Kohut ou Béla Grunberger.