Les béta-bloquants en psychiatrie

Dr Bernard Auriol

 

La mise en évidence de deux types de récepteurs adrénergiques par Ahlquist en 1948 (1) et la découverte de produits stimulant ou bloquant électivement l'un de ces deux types de récepteurs ont entraîné un usage courant de ces produits en thérapeutique cardio-vasculaire, en raison des effets périphériques de ces substances.

Les récepteurs «  béta » en particulier peuvent être bloqués par le 1-propranolol, le 1-alprénolol, le 1-prométhanol, le 1-pindolol, etc. Ces produits sont spécialisés sous forme racémique (dl-propranolol. dl-alprénolol. etc.) malgré l'inconvénient de la présence de la forme dextrogyre, inefficace sur les récepteurs « bêta » et souvent douée d'activité propre indésirable ou non (2).

Certains travaux ont montré l'action du propranolol au niveau du système nerveux central (hypothalamus, substance réticulée) (3) (4) : il lutte contre l'anxiété, contre l'excitation maniaque et les symptômes délirants aigus (5) (6). Dans les états maniaques et dissociatifs, Atsmon a obtenu, chez certains malades, la disparition complète de la symptomatologie en moins de 48 heures grâce à des doses très élevées de propranolol (jusqu'à 5 800 mg per os, pro die ) (6). On ne savait s'il fallait attribuer l'action sédative du propranolol a sa structure bétabloquante ou a l'existence du groupe Naphtyl ou Naphtoxy dans sa formule et dans celle du pronéthalol.

Nous avons administré du pindolol, béta-bloquant qui ne comporte pas un tel radical, à trente malades mentaux psychotiques, dont plusieurs étaient devenus résistants à toute chimiothérapie classique (antidépresseurs ou/et neuroleptiques). Les posologies quotidiennes administrées allaient de 7.5 mg à 45 mg. Il s'agissait de dépressions mélancoliques aiguës ou chroniques, de bouffées délirantes aiguës et de « schizophrènes » autistiques ou athymormiques.

Plusieurs études [Shek et al., 2010] ont tenté de mettre en évidence un effet des bêta-bloquants (beta-blockers) dans les schizophrénies. L'ensemble de ces études ne permet pas de conclure car elles sont peu nombreuses et présentent des résultats trop peu détaillés ou ne remplissent pas tous les critères d'une étude rigoureuse (double-aveugle, etc.).

Les auteurs d'une revue de la littérature anglophone à ce sujet concluent qu'il serait intéressant de mener un travail rigoureux et suffisamment étendu sur l'effet des beta-blockers dans les schizophrénies rebelles au traitement standard.

 

Tous les patients ont réagi, dans un délai de 48 heures à 3 semaines par une désinhibition, une euphorisation, un déblocage de l'expression verbale et mimique, une augmentation de l'intérêt au monde environnant et parfois une insomnie. Dans les mélancolies délirantes et les psychoses d'origine puerpérale ou d'allure dissociative, le délire a disparu. Les effets secondaires du produit relevés sont : l'insomnie, phase d'hallucinations hypnagogiques ou diurnes transitoire (2 cas), hypomanie, mouvements anormaux parfois spectaculaires (2 cas) bien contrôlés par la lévomépromazine ou la réduction de la posologie. Nous avons observé dans un cas des dyskinésies pharyngo-linguo-bucco-faciales rendant l'élocution incompréhensible et l'alimentation difficile, et, chez le même sujet des chutes en statue sans hypotension déjà décrites par Atsmon (6) et disparaissant au bout d'une semaine. Une ancienne asthmatique dont nous ignorions les antécédents a vu ses crises reprendre et nous avons dû interrompre la thérapeutique. Sudation fréquente et selles molles.

La stabilité du résultat obtenu semble dépendre de la nature psychotique de l'affection visée : les névrotiques que nous avons traités, après une amélioration parfois spectaculaire, voyaient ultérieurement leurs symptômes reprendre.

Notons que des travaux ultérieurs ont montré que les béta-bloquants atténuent ou suppriment certains conditionnements engendrant la peur, par exemple la peur liée à un bruit particulier :


" The Amygdala and Auditory Memory . Behavioral studies to date have shown that “fear conditioning” to sound is facilitated by post-training administration of the stress hormone corticosterone, and that such facilitation is impaired by blocking beta-adrenergic neurotransmission in the basolateral amygdala"

N M Weinberger,
Long-term retention of learning-induced receptive-field plasticity in the auditory cortex..

 

L'effet désinhibiteur et thymo-analeptique du pindolol, aux doses employées, semble s'opposer à l'effet surtout sédatif qu'Atsmon a mis en évidence pour le propranolol. Il n'est pas impossible que les doses élevées employées par cet auteur expliquent, en partie, cette différence. Il est surprenant de constater qu'un produit aux effets psychotropes aussi manifestes soit employé couramment par les cardiologues sans qu'ils en aient souligné l'action psychotrope. Il semble que l'étude des bloquants sympathiques ouvre un nouveau champ thérapeutique à la psycho-pharmacologie.

Service de Psychiatrie (Dr R. Soubrier) Centre Hospitalier, F 82 - Montauban

Bernard AURIOL, Nicole PALANDJIAN, Monique BORD et André VALS.

 

Bibliographie très sommaire

 

I. Ahlquist R.P. : A study of the adrenotropic receptors. Amer. J.Physio1., 1948, 153, 586-600.

2. onard B.E. The effect of tome béta-adrenergic receptor blocking drugs on carbohydrate metabolism in mouse brain. Neuropharmacology, 1971, 10, 127-144.

3. Stern S., Hoffman M., Braun K. : Cardiovascular responses to carotid and vertebral artery infusions of propranolol. Cardiovasc. Res., 1971. 5, 425-430.

4. Murmann W., Almirante L., Saccani-Guelfi M. : Central nervous system effects or four neta-adrenergic receptor blocking agents. J. Pharm. (Lond.),1966, 18, 317-318.

5. Wheatley D. : Comparative effects of propranolol and chlordiazepoxide in anxiety states. Brit. J. Psychiat., 1969. 115, 1411-1412.

6. Atsmon : The short-term effects of adrenergic-blocking agents in a small group of psychotic patients. Psychiat. Neurol. Neurochir.,1971, 74, 251-258.

Cf. aussi Presse méd., 1971, 79, 740.

7. Shek E, Bardhan S, Cheine MV, Ahonen J, Wahlbeck K. Beta-blocker supplementation of standard drug treatment for schizophrenia. Cochrane Database Syst Rev 2010; doi: 10.1002/14651858.CD000234

 


Extrait de la « La Nouvelle Presse médicale, 20 Mai 1972, 1, n°21, Page 1439. »

 

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Mai 1972

MAJ December 2010