De la drogue et des drogues

Présentation

du N° 153 de Raison Présente

 

Jean-Philippe Catonné, MD, PhD

        

 Unicité du phénomène drogue et multiplicité des drogues, double dimension à laquelle on se confrontera ici. Multiplicité tout d’abord : ainsi, traditionnellement, en Arabie et en Afrique orientale on mâche des feuilles fraiches de khat, substance ayant un pouvoir excitant. Les Yéménites en font un large usage. Ailleurs, en Amérique du Sud, on a mastiqué pendant des millénaires des feuilles de coca pour des pratiques rituelles et religieuses. Ces feuilles sont capables de faire disparaître la faim et de protéger du froid ; les Conquistadores espagnols en ont utilisé le pouvoir stimulant pour exploiter les Incas dans les mines d’or et d’argent. La cocaïne fut isolée et purifiée en 1860, sa formule identifiée en 1865. En Europe, elle y devint populaire à partir de ces découvertes. Avant de devenir le narcotique bien connu, elle fut utilisée comme anesthésique et même comme traitement de désintoxication pour l’alcoolisme, la morphinomanie ou l’opiomanie. Aujourd’hui, par euphémisme, on parle de son usage récréatif. Dans le monde, la cocaïne vient en second rang des drogues posant problème. Depuis dix ans, en Europe, la tendance générale est à la hausse.  En France, on note une constante augmentation de sa consommation, principalement ches les hommes âgés de 18 à 44 ans [1] . Toutefois, dans ce pays, la préoccupation majeure de santé publique repose sur une drogue légale : l’alcool. Elle détient avec le tabac le plus grand pouvoir meurtrier. En France, le côut social de l’alcool est évalué à 20 milliards d’euros par an, soit 1,42% du PIB, ou encore 20% de plus que le tabac et près de 10 fois plus que les drogues illicites [2] . Déjà, dans l’Antiquité, on considérait Dionysos, dieu de la vigne et du vin, comme un dieu certes généreux mais aussi cruel.


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         Le constat d’un recours aussi général à la drogue dans le temps et dans l’espace conduit alors à considérer l’unicité du phénomène, par-delà la multiplicité de ses modalités d’expression dans l’histoire et dans les régions du monde. La drogue constitue-t-elle un remède à l’existence ? Telle est la question que je pose pour ouvrir le premier des trois volets présentés dans ce numéro. La réponse comporte au moins deux aspects. Le premier consiste à montrer  que ce recours tourne le dos à un projet éthique de liberté. Mais le second est politique. Il tient compte des faits et propose, dans l’état actuel des pratiques et des réflexions à leur sujet, une légalisation contrôlée des drogues comme la solution du moindre mal. Elle a de plus le mérite de la franchise dans un domaine où l’hypocrisie se manifeste allègrement. Dans l’article suivant, Yves Buin adopte délibérément le primat du politique Il opère un déplacement dans l’ordre des responsabilités : de l’usager stigmatisé par une société hypocrite à cette société elle-même, consumériste et complice des profits de la mafia. Il refuse donc de cautionner une vision selon laquelle le drogué serait un délinquant, ce qui fait oublier le crime organisé lié aux pouvoirs en place. Alain Labrousse complète cette analyse de responsabilité politique par des données économiques montrant la puissance des réseaux de la drogue et leur poids sur les Etats. Jean de Maillard explique les résultats médiocres obtenus dans la lutte contre la pègre par une complexe  intrication avec les paradis bancaires, fiscaux et judiciaires, « trous noirs » de la mondialisation, écrit-il. Son constat quelque peu désabusé, son analyse lucide n’est pourtant pas exclusive d’une volonté d’action.

         Après cet éclairage politico-économico-financier sur la drogue dans son unicité, son poids mondial et ses réseaux, un volet informatif sur les produits dans leur multiplicité : les drogues  et leurs dangers. Il s’ouvre avec Michel Craplet et l’alcool dont il rappelle l’histoire et étudie la sociologie. Par-delà l’usage modéré du vin, il montre que l’illusoire libération par l’ébriété conduit à l’asservissement de la dépendance. L’alcoolisme peut détruire les cellules neuronales d’une manière irréversible. Utile précision fournie par l’auteur : l’alcool tue 300 fois plus que les drogues actuellement illicites. Gilbert Lagrue traite de cette autre drogue licite représentée par le tabac. Depuis un demi-siècle et surtout au cours de ces deux dernières décennies, le tabagisme a été reconnu comme un problème majeur de santé publique avec des succès notables résultant de la politique de prévention. Pourtant une forte proportion de la population européenne reste encore attachée au tabac : de 30% à 40%. Dans une étude savamment documentée, Lagrue analyse les pouvoirs complexes de ce produit : à la fois stimulant, anxiolytique et antidépresseur, ce qui explique son attrait et son pouvoir de dépendance. Enfin, Michel Hautefeuille complète cette étude sur les produits en s’intéressant aux drogues illicites. Il rappelle les résultats du rapport Roques remis à Bernard Kouchner en 1998, lequel concluait à une moindre dangerosité du cannabis par rapport à l’alcool et au tabac. Après un passage en revue des autres substances, Hautefeuille conclut en considérant la drogue comme une réponse pharmacologique aux tracas de l’existence en société et milite, lui aussi, contre le risque de dépendance.

         Le dernier volet s’intéresse aux réponses thérapeutiques et préventives à propos de la drogue. Comment traiter les personnes dépendantes ? Comment, en particulier chez les jeunes,  prévenir l’usage de la drogue et surtout l’entrée dans la toxicomanie ? Paolo Antonelli répond à la première question. Il analyse la psychologie du toxicomane, condition pour un long et patient travail dans une prise en charge individuelle et institutionnelle. L’auteur considère la toxicomanie comme signe d’une globalité psychosociale de la personne. Dépassant l’alternative entre sevrage et substitution, il vise à construire un lien existentiel avec un individu toxicomane par le primat de la parole. La dernière question, la note finale revient à Francis Curtet, spécialiste qui nous a amicalement aidé pour la préparation de ce numéro. Il traite de la prévention, en particulier en milieu scolaire. Il insiste pour bien distinguer l’usager du toxicomane. Il met plus l’accent sur la personnalité de ce dernier que sur le produit qu’il prend. Il centre sa politique de prévention sur une information véridique évitant aussi bien la dramatisation que la banalisation.

 

 

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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3 Juillet 2006

 



[1]C. Mahaut et alii, « Epidémiologie des consommateurs de cocaïne : évolution, aspects actuels », in Synapse, n° 218, octobre 2005, p. 21-26.

[2] »Le côut social des drogues licites et illicites en France », Observatoire français des drogues et toxicomanies, 2000.