La largeur du champ de conscience

Dr Bernard Auriol

La caractérologie est basée sur des questionnaires et des psychographies littéraires (Heymans, Wiersma, Le Senne, G. Berger) qui ont permis de dégager trois grandes composantes : l'Emotivité, l'Activité et le Retentissement. Cette discipline s'est attiré le mépris de beaucoup de penseurs au nom de son côté réductioniste et classificateur, au même titre que d'autres typologies (tempéraments). Cependant la mode obsolète est souvent appelée à revenir au goût du jour et je pense peu sage de jeter aux oubliettes un cadre qui pourrait se révéler plus humaniste et plus utile qu'on n'a voulu le penser.

 



Il faut saluer, dans ce cadre, la tentative d'enrichissement proposée par avec ce qu'on appelle des facteurs "complémentaires" : polarité Mars-Vénus, Avidité, Intérêts sensoriels, Tendresse, Passion intellectuelle et Largeur du Champ de Conscience.

Ce dernier facteur mérite de retenir notre attention, notamment dans le cadre de ce site dont une partie scrute les phénomènes intuitifs.

« D une manière générale, l étroitesse du champ de conscience est remarquable quand on la rapporte à ce que représente l accumulation de souvenirs et d expériences d un homme même moyennement cultivé [1] . Si l on ajoute à la conscience claire la pénombre de la conscience margin,ale, le champ total varie beaucoup selon les individus » (Mounier, 1947, p.286).

Il y a longtemps que les psychologues, à partir de leurs réflexions sur le phénomène de l'attention ont pris en considération des degrés dans l'ampleur du champ de conscience. Notamment Pierre Janet explique les phénomènes d'automatisme psychologique et les symptômes physiques de l'hystérie par un rétrécissement du champ de conscience, d'ailleurs concomitant, dans ce dernier cas d'un rétrécissement du champ visuel.

"Tous, au cours de notre vie, nous faisons l'expérience des variations d'ampleur dont notre conscience est capable.

Dans le premier cas le champ de la conscience sera dit "Large" (L); dans le second cas, "Etroit" (nL).

"Chez tout le monde sans doute, l'émotion ou la volonté peuvent concentrer l'attention sur un petit nombre d'images, d'idées ou de sensations, en repoussant les autres dans la zone diffuse de la subconscience ou même en les éliminant tout à fait".

L'émotion, l'urgence, l'attention focalisée, la passion, une intentionnalité déterminée rétrécissent le champ de conscience.

La froideur, le détachement, la sérénité, la vacance de l'esprit, l'absence de volonté déterminée ou de but précis l'élargissent.

La moyenne de ce phénomène, chez un individu donné prend l'aspect d'un trait de caractère; cela permet de différencier des sujets Larges et des sujets non-Larges, ce qui "correspond au fait que des individus différents ont naturellement dans l'esprit, à un même moment, un nombre plus ou moins grand de représentations différentes.

"En dehors de tout intérêt exceptionnel, il y a des gens qui sont continuellement tendus, "braqués". D'autres, même quand un événement important les concentre, ont toujours un large halo autour de ce qui occupe le centre de leur pensée" (Berger G., 1963, pp.54-60).

Les uns sont toujours dans un état qui flirte avec la rêverie, les autres sont concentrés au maximum.

Il ne faut pas confondre cette opposition avec celle, plus classique, qui oppose "analyse" et "synthèse". Gaston Berger remarque bien justement qu'il s'agit toujours là d'attitude "découpante", "morcelante", même lorsqu'on se redonne l'image à partir des morceaux du puzzle. La synthèse suppose la réalité préalable d'un découpage ! Analytiques ET synthétiques sont des "non Larges" au sens de la caractérologie.

Ils s'opposent ensembles aux intuitifs pour qui l'analyse tue le réel.

Descartes, Baudelaire, Ingres sont des nL typiques. Bergson, Verlaine, Rembrandt sont des L évidents.

D'après Berger, le nL est lié à l'espace et le L au temps.

Le nL se braque sur une idée dans la discussion et il n'en démordra pas, imperméable aux arguments qui voudraient l'en détourner.

Corrélations caractérologiques

 

Raideur nL

Souplesse L

 

Le nL est comme braqué vers son but. Sa conscience se ferme à toute autre préoccupation que le souci de l'atteindre. Son activité est raide, sa conscience n'a presque pas de frange. Il ne perçoit presque plus ce qui dans l'environnement est autre que ce qu'il vise. L'étroitesse de la conscience a partie liée avec la détermination, des objets nettement définis, distincts les uns des autres. Nous sommes ici orientés vers la sphère verbale (et l'hémisphère gauche). Cette activité précise, orientée, pragmatique ou théorique, refoule hors de la conscience tout ce qui n'est pas idée claire et distincte. Son idéal est l'évidence tautologique. Il peut y avoir tendance aux stéréotypies, aux automatismes et à l'obsessionalité.

 

Le L au contraire n'est pas braqué, il flâne, "l'attention se détend et s'étale dans la multip^licité fondue des représentations qui s'offrent ensemble à son éclairage." Au lieu de la forte dénivellation entre ce qui occupe le foyer de la conscience et le reste, refoulé dans la subconscience, que nous constations chez le nL, nous sommes témoins d'une fluctuation qui maintient dans une lumière moins forte et à peu près égale un jeu doucement mobile d'impressions. Avec le nL nous étions dans le découpage, ici dans le continu (Cf. la notion de "durée" chez Bergson).

 Le Senne observe finement " un homme distrait et braqué, distrait parce qu'il est braqué, se heurte en avançant à un coin de table, à un tabouret, renverse un vase de fleurs : aveuglement de la conscience étroite ; un autre au champ de conscience large voit tout, et sans abstraire il évolue plus lentement, mais avec plus d'adresse entre les obstacles". Le premier se limite à son texte, le second en admet le contexte !

"L'intensité des actions spéciales de l'esprit est en raison inverse de l'ampleur de la conscience. Tout se passe comme si la totalité de l'énergie mentale en voie de libération qui, lorsque le champ de la conscience est distendu, élargi, s'étale sur toute l'étendue de son contenu, était amenée par le rétrécissement de la conscience à se concentrer sur un élément privilégié de ce contenu. Jusque là l'esprit ne faisait que viser, par le rétrécissement il se met à tirer. Une puissance dispersée sur vingt objets se ramasse sur un seul. Inversement, que la conscience se détende, revienne à son ampleur normale, l'étendue de l' illumination mentale s'agrandit mais, comme en pareil cas celle de l'illumination physique, l'intensité de l'illumination diminue[2]". (Le Senne). Nous pouvons en déduire que le concept comme tel (et le langage en général) réduit l'ampleur du champ de conscience, favorise l'action spécialisée, intentionnelle.

L action a un but, comme telle elle focalise l attention et restreint le champ de la conscience de manière aussi appropriées que possible à l obtention de ce but. Ce dispositif est efficace sauf quand un contexte imprévu par l acteur prend de l importance et disqualifie ses efforts. Selon les circonstances, un halo plus important de champ « inutile » peut s avérer capital pour obtenir le succès. Ceci est également vrai du champ visuel, sonore, et du champ sensoriel en général[3].

« Le rétrécissement de conscience élimine de l aperception claire un grand nombre de représentations, qui autrement y eussent possédé leur part d influence.

a)      L exemple le plus courant en est une forme de distraction : la représentation dominante accapare si complètement  l esprit que l attention à cette représentation refoule l attention à la vie, la docilité envers l imprévu, le soin de maintenir ou de renouveler notre nécessaire adaptation à un milieu changeant

b)      Le deuxième effet de ce rétrécissement est la transition du rêve au plan.

q       Dans le rêve, il y a bien une intentionnalité, la visée d un désir, mais de manière indéterminée, sans précision de temps et d espace. L intentionnalité est ouverte prête à accueillir des possibles très différents, plus soucieuse de trouver et de recevoir que de réaliser. L avenir est devant le rêveur avec son indétermination.

q       Par la transition du rêve au plan, l intentionnalité de mentale, devient volontaire. La conceptualisation, la détermination du visé dans un projeté est si nette, et souvent de plus en plus, le voulu s empare du voulant. ( &) C est le but défini d une intention qui est le plan, système des moyens convenant à cette fin ».

 

Conclusion

« L ampleur du champ de conscience mesure le rapport du moi en tant que sujet conscient et volontaire au moi en tant qu il contient toutes les représentations actuelles ou possibles » (Le Senne).

Références :

Berger G., (1963), Traité Pratique d'Analyse du Caractère, Paris - PUF.

Le Senne R., (1963), Traité de Caractérologie, Paris - PUF.

Mounier E., (1947), Traité du Caractère, Paris, Seuil.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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19 Mai 2002



[1] « Quel que soit son degré de culture, un individu ne peut percevoir clairement à la fois plus de cinq ou six objets, une dizaine de sons et certainement encore moins d idées. Nos sentiments s excluent mutuellement, se disputent le terrain avec nos idées, quand une émotion exclusive ne leur a pas préalablement interdit la place aux uns et aux autres. Spearman en constatant ce fait étrange, s étonne que l on se soit si peu arrêté à son mystère, car enfin la perception dispose à son service de quelque trois à six millions de cônes rétiniens et de l intellection de quelque quatre vingt douze millions de cellules nerveuses. »

[2] Il se pourrait que les phénomènes d ESP ne puissent se produire qu au prix d un élargissement du champ de la conscience. Ceci rendrait compte en partie au moins du fait que l intention de s informer du message puisse être nuisible, que la relaxation favorise la manifestation de ce type de phénomène, que la rigueur apparente du dispositif expérimental soit défavorable, que les messages visuels, et surtout les éléments contextuels, soient plus accessibles que le point focal proposé à l émetteur, etc.

[3] Cela doit également concerner l ambiance émotionnelle et la référence subconsciente au passé de cette action, de cet individu et peut être à la part de futur  si elle existe  accessible à une éventuelle précognition.