Thymie et Caractère :

A l'heure actuelle, du fait des découvertes psychanalytiques, microsociologiques et physiologiques, on ne peut soutenir une position radicalement génétique et constitutionaliste des troubles de l’humeur et des psychoses en général, même si les statistiques et l’observation amènent quelque eau à ce moulin. On trouvera ici un survol de ces positions et les stratégies thérapeutiques qui en découlent.

THYMIE ET CARACTÈRE :

QUELQUES REMARQUES

Paru in « La Caractérologie » N° 20 - P.U.F. - pp. 31-37 (1° trimestre 1976)

Dr Bernard AURIOL

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 Le problème de l'humeur en caractérologie est dominé  et comme empoisonné  par l'apport remarquable de Kretschmer qui, en divisant les hommes en quatre catégories (dont trois ne sont pas sans rappeler les tempéraments hippocratiques), tendait à lier la description caractérologique de la thymie à un constitutionalisme [1] .

 A l'heure actuelle, du fait des découvertes psychanalytiques, des observations thérapeutiques (notamment chimiothérapiques), des remarques récentes sur la psychogenèse familiale, etc., on ne peut plus soutenir cette position au plan théorique, même si beaucoup y adhèrent encore de fait, dans leur pratique.

 



 Les travaux de l'école freudienne et notamment ceux de Mélanie Klein sur le deuil normal et pathologique, la manie de deuil et la psychose maniaco dépressive, mettent en évidence de très nettes et profondes analogies entre la mélancolie, la manie d'une part, et la « position dépressive » du quatrième mois de la vie d'autre part. Ils établissent ainsi la possibilité d'une psychogenèse de la psychose maniaco dépressive. Ces travaux montrent que le deuil et la dépression mélancolique se structurent relativement à la perte de l'objet d'amour et à son intro­jection, au cours du stade oral dans sa phase sadique (Abraham: apparition de la faculté et du plaisir de mordre). Au niveau de l'action de l'environnement, il s'agit le plus souvent du sevrage.


Auteurs

Cyclothymie

Schizothymie

Kretschmer

Pycnique :

Syntone, Sociable, Réaliste,

Adaptable

{Pôle maniaque à tempo rapide, Pôle mélancolique à tempo lent}

Leptosome :

Distance relationnelle, Froideur, Apparente Timidité ou formalisme

Idéalisme ou rationalisme défensif, poussées d’hypersensibilité.

Carl Gustav Jung

Extraversion

Introversion

Sheldon

Endomorphe viscérotonique

Ectomorphe cérébrotonique

Hippocrate

Sanguin

Atrabilaire ou nerveux

Karl Abraham

Type Oral II

Type oral I

Mélanie Klein

Position dépressive

Position paranoïde

Louis Corman

Dilaté

Rétracté

Acupuncture

Yang

Inn

Szondi

Expression dominante de la pulsion de contact

Pôle dépressif àpulsion d’acquisition ;

Pôle maniaque à pulsion
d ’accrochage

Expression dominante de la pulsion du moi (vecteur catatonique et paranoïde)

(Egosystole et Egodiastole)

René Le Senne

E(A)P
Pôle maniaque (L)
Pôle mélancolique (nL)

EnAS parfois cryptémotif

Max Lüscher

Jaune en refus ou compensation

Ambivalence au jaune

(Refus ou ambivalence au bleu)

Rouge-orangé en refus ou compensation

Ambivalence au rouge

( Refus ou ambivalence au vert)

Léone Bourdel

Mélodique :

Groupe de sang O

Harmonique :

Groupe de sang A

Protopopov

Adrénergique

Sympathicotonique

Cholinergique

Vagotonique

Pavlov

Type de système nerveux fort déséquilibré

Type de système nerveux faible

Yoga

Hypertonie du Chakra svadhisthana (ou svadisthana ou svadistana) (phase maniaque)

Hypertonie du Chakra Vishudda ( phase mélancolique).

Leur alternance (P.M.D.)

Hypertonie du Chakra Muladhara

et

Hypertonie du Chakra Ajna qui fonctionnent de manière contradictoire.

 Les cycles manie/mélancolie deviennent alors : dévorer la vie à belles dents et détruire ainsi l'objet ; être privé de l'objet détruit et être détruit soi même par cette perte (ou menacé de l’être).

 Cette position dépressive succède chronologiquement, dans le développement infantile à la position paranoïde dont la parenté psychopathologie est à établir avec la schizophrénie, les phénomènes autistiques et, si l'on veut se référer à E. Kretschmer, la « schizo thymie ».

 Il s'agit ici de la modalité des relations d'objet spécifique des quatre premiers mois de l'existence (mais qu'on retrouvera éventuellement dans le cours de l'enfance ou chez l'adulte en état paranoïaque ou en état schizophrénique). Dans cette « position » les pulsions d'amour et de haine sont intenses et unies. L'objet de cet amour haine est partiel : il s'agit du sein maternel ou de ce qui en joue le rôle. Cet objet est vécu comme clivé en {« tout bon » / « tout mauvais »}, selon que l'enfant projette son amour absolu ou sa haine totale. Les circonstances de gratification et de frustration des besoins jouent le rôle détonateur. Le Moi est très peu intégré et doit, pour «se tenir », utiliser divers mécanismes de défense comme l'idéalisation, le déni (l’objet de haine, persécuteur n'existe pas), la mégalo­manie (je peux me rendre parfaitement maître de l'objet).

 Les observations thérapeutiques atténuent considérable­ment les limites nosographiques qui classaient les individus en « ceci » et « cela » (par exemple en schizophrènes et maniaco­dépressifs), de telle sorte qu'à la suite de séjours psychiatriques ou d'une chimiothérapie adaptée, un certain nombre des patients qui auraient classiquement évolué vers la schizophrénie à la suite d'un « épisode fécond » se retrouvent dans la catégorie des « psychoses circulaires ».

 Mieux encore, un même accès « mental » devient de plus en plus malaisé à classer dans la mesure où les conditions d'ob­servation et de prise en charge varient. Tel sujet classé à l'hôpital universitaire comme atteint d'une « schizophrénie gravement évolutive, à pronostic très sombre », se retrouve, après un mois de vie régressive en communauté rurale, parfaite­ment adapté sans qu'il ait absorbé toute la panoplie de psycho­tropes prévue. Tel autre, personnage en relief, passionné de vie naturelle, se voit enfermé avec son épouse parce qu'il est végétarien, passionné de mystique  le diagnostic sera celui de « délire à deux » avec « phénomènes dépressifs à type d'ano­rexie » (ce « malade » ayant cherché à protester contre son hos­pitalisation par une grève de la faim)...

 En cette observation, nous ne sortons pas du sujet : en effet tout un courant de la psychiatrie, en devenant peu ou prou « anti », met en évidence les lacunes monstrueuses d'une « science psychiatrique » qui oublie la dimension éthologique de l'homme... Un Laing, un Cooper et d'autres, nombreux et moins connus, apportent la preuve que la maladie n'est pas limitée au malade. La famille ou le microcosme groupal qui entoure telle personne la présente comme aliénée, étrange et étrangère. Or cette étrangeté est paradoxale car si l'on parvient à réunir les membres de ce microcosme et si on les invite à parler ensemble, l'étrangeté devient la clef des mystères de ce groupe. On s'aperçoit que le « malade» l'était comme l'estomac de celui qui a trop mangé ou les poumons du tabagique...

 Dès lors la typologie à établir n'est plus celle des individus, mais celle des familles ou des groupes de vie à fonction familiale... On en viendra à distinguer des groupes dans lesquels la relation s'établit schizophrénisante par exemple, par opposition à des groupes dans lesquels elle serait « cyclothymisante »...

 Il s'agit d'ailleurs en partie du même genre de processus : très souvent celui d'une double contrainte adressée au sujet dans son identité même 

Dans le cas de Jean C.... ce mécanisme est bien évident et typique : le dossier qui pèse plusieurs kilogrammes, et où je consigne tous nos entretiens, pourrait se résumer ainsi :

Tout ceci ne doit pas donner à penser que l'on peut rejeter les travaux des généticiens qui ont mis en évidence une cer­taine influence de l'hérédité en étudiant des couples de jumeaux homozygotes comparés à des couples de jumeaux hétéro­zygotes. Ces recherches conservent leur valeur, laquelle doit être évaluée avec justesse : certaines personnes sont constitutionnellement prédisposées à faire une psychose maniaco dépressive plutôt qu'une épilepsie ou une recto­colite ulcérohémorragique, ou plus disposés à commettre un crime, à devenir un porteur d'armes, etc.

 Les déterminants d'évolution archaïque (première enfance), d'éducation à l'âge scolaire, d'adolescence, les circonstances familiales et sociales de l'âge adulte diront si ce sujet devra utiliser la maladie pour essayer de survivre ou s'il vivra sans que jamais sa « prédisposition » se manifeste. Il en irait ici comme du « favisme», prédisposition héréditaire à une maladie qui se déclenche seulement chez le mangeur de fèves.

Revenons à la description des types.

Après ce petit parcours nous nous devons d'abandonner notre naïveté, même si certains veulent la conserver au nom des signes physiques de la constitution génétique.

Parmi ces signes, les plus évidents au niveau empirique et statistique sont les notions de longueur et de poids. On l'a vu pour Ernst Kretschmer, on pourrait le redire pour Corman, Martiny, Sheldon, Viola, Pende, Sigaud, Carton...

 Dans tous les cas, il s'agit d'une relation et non d'évalua­tions dans l’absolu. Or la clinique m'a démontré que cette rela­tion peut se modifier jusqu'à s'inverser. Ainsi tel leptosome, EnAS, schizophrène, est devenu, à l'issue d'une cure de Sakel (comas à l'insuline), un pycnique, nEnAP, sans qualification psychiatrique très déterminée (mais avec les psychotropes, cela n'a rien d'étonnant).

Très généralement ces données mor­phologiques peuvent être considérées comme relativement congénitales, avec cette nuance qu'une donnée comme l'adi­posité est grandement sous l'influence de la façon d'alimenter l'enfant dans les premiers temps de sa vie et pas seulement liée à des facteurs génétiques.

 Ce point de vue théorique ne doit pas être perdu de vue lorsqu'au niveau pratique on prétend utiliser les données, parfois précieuses (voire irremplaçables), de la caractérologie.

 Le point de vue néerlando français sur les troubles de l'humeur demande alors à être précisé.

 A première vue, dans l'opposition manie mélancolie, il est aisé de dire que le maniaque est actif, le mélancolique non actif. Or la définition que propose Le Senne de l’Activité par rapport à un obstacle interdit une évaluation aussi simple. Il déclare « est un actif l'homme pour lequel l'émergence d'un obstacle renforce l'action dépensée par lui dans la direction que l'obstacle vient couper ; est un inactif celui que l'obstacle décourage ». A partir de là, on voit que la manie, fuite perpétuelle en avant, suite de réac­tions instantanées, basée fondamentalement sur une peur inconsciente (puisqu'il s'agit d'un moyen de défense contre l'angoisse) est signe de non activité.

 La manie pourrait même, si on voulait pousser cette remarque, être considérée comme plus non active que la mélan­colie, dans la mesure où cette dernière donne des réactions plus harmonieuses, par rapport à la situation de détresse du sujet.

 Ce point de vue confine au paradoxe et je pense que nous devrions nous contenter d'admettre que les pôles de la psychose maniaco dépressive sont tous deux le reflet d'une insuffisance du capital énergétique du sujet par rapports aux nécessités actuelles de la situation. Il s'agit donc d'une non activité relative, étant bien entendu que tout homme peut être plongé dans l'excitation maniaque ou dans le tunnel mélancolique si le milieu est suffisamment contraignant dans ce sens. La caractérologie pourrait intégrer cette notion de « capital énergétique » qui explique qu'un même degré d'inactivité génétique puisse se manifester simplement par de l'inactivité ou par une plus grande prédisposition aux phénomènes pathologiques.

 Il est clair qu'on doit admettre que les sujets plus facile­ment accessibles aux phénomènes maniaques et dépressifs sont des émotifs. Les maniaques qui se caractérisent par leur réaction instantanée sont évidemment des Primaires. Leur champ de conscience est par ailleurs du type large. Dans la phase mélancolique on observe au contraire une secondari­sation et surtout un rétrécissement considérable du champ de conscience. Le tempérament de base du cyclothymique, pré­disposé aux accès maniaques ou/et mélancoliques, est de type extraverti, primaire émotif large et apparemment actif (c'est en fait un « réactif »). Le schizothyme serait un non actif, émotif, secondaire : son degré d'activité reflète fidèlement son amélioration ou sa chute.

 Ces remarques caractérologiques, dont nous avons indiqué le caractère non constitutionaliste peuvent être d'une grande utilité dans la conduite d'une cure ou pour l'aide psycho­logique à un patient :

 Par exemple, il est inutile de freiner l'activité du maniaque, tandis que les techniques visant à une réduction de l'émotivité lui sont d'un grand secours (techniques issues du hatha yoga, mantra yoga, méditation, etc.). Par contre la stratégie de retraite égocentrée du mélancolique sera parfois déjouée avec succès si, au lieu de l'inciter à dormir, on l'empêche de le faire.

 Dans tous les cas on gardera à l'esprit la nécessité d'agir au niveau du groupe où évolue le sujet afin qu'il puisse abandonner la seule stratégie qui lui était jusque là accessible du fait des circonstances, de son histoire et de ses gènes: l'accès psychotique.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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29 Mai 2001