Résumé : Ce texte reproduit la discussion qui eut lieu au Colloque dAvignon à propos des oto-émissions-acoustiques et des cures soniques. Il montre que les mécanismes actifs de la cochlée permettent dexpliquer la possibilité des systèmes dentraînement de lécoute et les paradoxes sonores de lexpérience mystique.
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Maupassant, Mont-Oriol. |
Bernard Auriol : leffet des cures soniques peut se rattacher à des mécanismes dordre psychologique ; il y a aussi des phénomènes dordre physiologiques ou/et psycho-physiologiques ! Déjà Tomatis a basé son travail sur des mécanismes actifs quil rattache au fonctionnement de loreille moyenne : gymnastique du muscle de l'étrier et du muscle du marteau. Cependant, ces mécanismes ne peuvent aller au delà dune gestion globale de lensemble des aigus par rapport à lensemble des graves. Peut être pourrions nous prendre en compte une gestion beaucoup plus fine des fréquences, quasi « chirurgicale » par le tapis des cellules ciliées externes de la cochlée ! Ces contractions cellulaires pourraient sans doute rendre compte des variations fines de lécoute que nous observons sous oreille électronique ?
Dr J.L. Puel (Service du Pr Pujol, Montpellier) : Ce qui est intéressant c'est que ces mécanismes actifs, ces contractions cellulaires, ne se situent que dans les fréquences aiguës. Dans les fréquences graves on n'a pas besoin de mécanismes actifs tandis que dans les fréquences aiguës on en a besoin. Ce qu'on peut imaginer c'est que pendant cette thérapie par sons filtrés, avec utilisation de sons aigus, on fait précisément une gymnastique des cellules ciliaires externes.
Est-ce que c'est simplement qu'une théorie ? Pas tant que ça parce qu'on a montré qu'on pouvait entraîner les cellules ciliaires externes, les muscler. Je veux citer une expérience qui a été faite par Barbara KANELONE en Suède : elle prend deux groupes d'animaux. Au premier groupe elle fait entendre pendant des heures, voire des jours des fréquences de 6000 Hz et suffisamment faibles pour que cela n'entraîne pas de coma acoustique ( 50, 60 db). Elle contrôle bien avant, pendant et après que cela n'a pas endommagé l'oreille . Ensuite elle a un deuxième groupe témoin qui est mis dans le silence, etc. Ensuite derrière elle fait un trauma acoustique à 6000 Hz.
Dr Bernard Auriol : justement la fréquence utilisée au préalable.
Dr J.L. Puel : la fréquence utilisée d'entraînement. Et ce qu'elle constate, c'est que les animaux qui ont été entraînés à entendre du 6000 Hz à intensité faible sont moins traumatisés que les animaux témoins.
Dr Bernard Auriol : très intéressant.
Dr J.L. Puel : d'où cette idée qu'effectivement on peut les entraîner et que l'on peut formuler ainsi: faire une gymnastique des cellules ciliaires permet qu'elles soient plus aptes à supporter ce traumatisme.
Ca c'est l'hypothèse. On a quand même plusieurs éléments. Un des éléments et que l'on sait aussi c'est que le système efférent médian protège contre les traumatismes acoustiques. On sait que des animaux qui n'ont pas de système efférent médian sont plus sensibles aux traumatismes acoustiques que les animaux qui ont un système efférent. C'est la première des choses. Et comme ce système efférent est directement connecté aux cellules ciliées externes, on sait que les cellules ciliées jouent un rôle dans le trauma acoustique. Or de là à penser quand on utilise des sons filtrés en passe-haut, qu'on s'adresse aux cellules ciliées il n'y a qu'un pas. C'est une interprétation. Par ailleurs, si l'on jette un regard en histologie on s'aperçoit qu'il y a moins de perte cellulaire chez ces animaux que chez les autres.
Dr Gardey : Je voudrais poser une question sur le problème poétique des sons mystiques d'après les études de Louis B. As tu connaissance des études du soufisme iranien par Henri CORBIN qui rapporte dans ses traductions des récits visionnaires d'AVICENNE. L'expérience d'une écoute particulière de la voix entre veille et sommeil. Qu'est ce qui se passe dans les différentes phases du sommeil en ce qui concerne précisément ce cheminement mystique dont les soufis ont l'habitude.
Dr Bernard Auriol : D'abord il faut remarquer que l'état veille et sommeil était cultivé par toutes les cultures spirituelles, religieuses et mystiques, etc... comme étant la meilleure voie pour atteindre ce qu'on appelle le quatrième état de conscience, ce que dans la culture védique on appelle "turyia" c'est-à-dire un état de conscience qui serait contemporain des trois autres puisque les indiens bien avant nous physiologistes connaissaient l'existence de trois états distincts, ils faisaient déjà la distinction entre les 3 états
1. de sommeil profond2. état de sommeil onirique3. état de veille
Ils ajoutaient un 4ème état, qui était un état dans lequel on était conscient et témoin des 3 autres états.
Par exemple dans cet état on peut assister à son sommeil ou à ses rêves; donc on a des rêves et en même temps on en est témoin, c'est-à-dire qu'on n'y participe pas; pour le rêve ce n'est pas trop étonnant mais pour le sommeil ce l'est un peu plus et aussi pour l'activité parce que cet état de témoignage en réalité est tout aussi bizarre vis-à-vis de l'activité, c'est-à-dire qu'il y a un état tout-à-fait calme qui coexiste avec l'invitation de la vie. C'est-à-dire que l'état de méditation devient comme temporaire. Ils emploient souvent une métaphore qui est celle de la pièce d'étoffe que la femme indienne trempe dans la teinture et puis qu'elle sort à l'air, à la lumière et au soleil qui la fait pâlir puis elle la retrempe dans la teinture, puis elle la remet au soleil qui la fait pâlir, etc... et au bout d'un certain temps le soleil ne fait plus pâlir la teinture.
Donc ils disent à force de pratiquer les techniques de méditation, c'est-à-dire de se plonger dans un état particulier dont je pourrais expliquer justement qu'il est très parent avec un intermédiaire entre la veille et le sommeil, et bien à force de faire cela l'état en question devient contemporain des 3 autres états de conscience. Personnellement je prétends qu'il y a en fait en dehors du 4ème état de conscience défini par les débats, qu'il y a en réalité un 4ème état de conscience tout-à-fait standard qui nous appartient à tous et que je vais vous suggérer par une fenêtre à 4 ouvertures.
Activité diminuée |
Activité Augmentée |
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Vigilance augmentée |
Eveil paradoxal |
Eveil standard |
Vigilance diminuée |
Sommeil standard |
Sommeil paradoxal |
Exemple : En abscisse, on va mettre selon l'axe horizontal l'ACTIVITE, et selon l'axe vertical la VIGILANCE. Et là on peut placer les 3 états de conscience que nous connaissons tous, c'est-à-dire quant on est éveillé et actif et bien on est dans l'état où nous sommes actuellement maintenant et donc on va l'appeler ETAT d'EVEIL. Il y a un état qui s'oppose diamétralement, dans lequel on est ni éveillé, ni en activité, on est donc non éveillé et non actif, c'est l'ETAT de SOMMEIL STANDARD, NORMAL. Sommeil normal pourquoi, même sommeil trivial si vous permettez, trivial ayant aucun sens péjoratif mais au sens sommeil. Alors qu'on va trouver ici une autre forme de sommeil : le SOMMEIL PARADOXAL : La VIGILANCE est à son minimum, elle n'est pas plus forte que dans le sommeil lent, elle est même plus faible, on réveille difficilement la personne qui est dans cet état et pourtant cette personne est active. Dans certains cas elle est active au point d'agir carrément si par exemple son locus seruleus est détruit mais même si son locus seruleus fonctionne cette personne est active par exemple au niveau des yeux. Elle est active éventuellement au niveau des extrémités des membres et elle est surtout active au niveau sexuel, ce qui est d'ailleurs une preuve indirecte de la justesse des vues de S. FREUD, puisque tout rôle qu'il soit heureux, angoissant, érotique, pervers ou pas du tout amène une excitation sexuelle quand vous rêvez.
Je vous propose d'imaginer qu'on puisse remplir ce 4ème carreau, c'est à dire d'un état où l'activité serait faible et même plus faible que dans l'état de sommeil trivial (selon des travaux psychologiques qui ont été faits) et même extrêmement faible et pourtant une vigilance extrêmement grande. C'est-à-dire que dans cet état on peut être extrêmement éveillé et extrêmement au repos. Pour cette raison j'ai proposé de l'appeler : VEILLE PARADOXALE.
Le Pr PATY de Bordeaux a beaucoup travaillé sur ce sujet. Il a étudié les états de sophronisation, les états de training autogène, ou les états de méditation transcendantale ou de Zen, et il a montré qu'en effet ces gens étaient extrêmement au repos et extrêmement éveillés; par exemple si on demande à une personne se trouvant dans l'état où les ondes électro-encéphalogrammes semblent être tout-à-fait endormies : quand on fera telle chose dans la pièce tout-à-fait minime vous appuierez sur telle bouton la personne appuie sans problème et même plus vite que quelqu'un qui a les yeux ouverts et qui est éveillé. De même on a montré que dans cet état le métabolisme de base est plus abaissé que dans l'état de sommeil lent. Il y a des caractéristiques électro-encéphalographiques particulières à savoir une plus grande cohérence de l'E.E.G. par exemple entre l'avant et l'arrière du scalpe ou entre la gauche et la droite.
Cet état est effectivement entre la VEILLE et le SOMMEIL et toutes les techniques mystiques on dit : il faut essayer de se stabiliser dans l'état entre la veille et le sommeil. Peut être cet état fait-il partie du cycle standard qui existe sauf que sans doute nous y passons très vite.
Dr Gardey : Ce qui est caractéristique dans ces récits qui sont à peu près les mêmes, ou qui ont en tout cas la même structure dans la mystique soufi et iranienne c'est que pendant cet état il y a une voix qui est perçue, la voix du guide, et très curieusement le guide prend le veilleur par la main et lui fait traverser tout un tas de zones étranges qui ressemblent un peu à des figures, à des métaphores spirituelles et qui le mène vers le roi. Là il y a des descriptions d'une poésie remarquable. Quant on repère la structure, c'est toujours une structure ascensionnelle.
Dr Bernard Auriol : C'est une métaphore qui est connue dans le Yoga avec les chakras, dans le judaïsme avec les séphirots, dans la mystique chrétienne (Thérèse d'Avila) avec les demeures du Château de l'âme, St Jean Climaque : les degrés de l'échelle mystique, etc... Cela nous éloigne un peu des sons sauf que les degrés nous disent des choses qui peuvent intéresser peut être les physiologistes.
Dr Gardey : Les iraniens nous disent qu'il y a une voix.
Dr Bernard Auriol : C'est particulier; mais tous ne disent pas cela. Par contre, tout ce que les yogis disent c'est que une épingle qui tombe fait du bruit comme le tonnerre et le tonnerre fait du bruit comme une épingle.
C'est en effet une chose qui peut s'observer et qui physiologiquement devrait avoir une conséquence. Quelqu'un qui médite, il y a un petit bruissement et cette personne va être extrêmement perturbée, elle va sursauter. Par contre vous avez des coups de feu à la télévision ou quelqu'un qui se met à jouer un instrument de musique très fort, etc... le méditant ny prétera pas attention, ne saura pas que cela s'est fait ; et pourtant un froissement détoffe auprès de cette même personne la fera sursauter. Donc il y a une espèce d'état paradoxal vis-à-vis de la perception, en particulier de la perception auditive telle que les sons faibles deviennent très dérangeant et très forts et les sons forts passent inaperçus, complètement inaperçus. Je ne sais pas si l'on pourrait trouver un mécanisme qui expliquerait cela ?
Personnellement je ne pense pas que la personne devienne sourde aux sons forts mais je pense que ces sons forts sont complètement négligés dans son fonctionnement haut. Par contre les sons faibles la dérangent beaucoup. Et l'on constate chez les gens qui pratiquent assidûment les autres techniques que leur seuil audiométique s'améliore de manière quelquefois tout-à-fait surprenante qui dépasse parfois la capacité des appareils que nous utilisons généralement. Alors probablement leur oreille ne devient pas meilleure ; simplement ils s'en servent mieux.
Il faut sans doute rapprocher cela du fait que le système des cellules ciliées externes ne se met en action que pour amplifier les sons faibles ; il a probablement une action inverse en cas de sons excessifs !
Cf. larticle de J.L. Puel et al. : Selective attention modifies the active micromechanical properties of the cochlea, Brain Research, 44, 380-383, 1988.
On trouvera ici une magnifique synthèse des données actuelles sur le fonctionnement cochléaire.