Conférence Le Son au Subjectif Présent du 15.12.89 à Toulouse
Au cours de ma vie professionnelle, de Pédiatre et psychologue, j'ai été amené à intervenir auprès d'enfants à tous les stades de leur croissance, de leur naissance (et parfois même avant), à leur entrée dans l'âge adulte en fin d'adolescence. Ils m'ont été présentés lors de situations aussi diverses que des perturbations ou des détresses physiologiques ou psychologiques, d'ordre familial, scolaire ou social.
Cette pratique m'a persuadé du rôle capital qu'exerce sur le développement du jeune être humain, l'impact sonore sous toutes ses formes. II m'a paru de plus en plus incontestable que par la voix, le chant et la musique, le son demeure constamment présent au subjectif de l'enfant et influe en permanence sur son comportement somato-psychique.
Il n'est actuellement plus nécessaire de rappeler que l'enfant, dès qu'il est bébé (et même avant) est une personne.
Mais, dans cette assistance, il m'est agréable d'envisager ce terme dans son aspect consonantique, c'est -à -dire en tant que per-sonare, comme un être à travers lequel ça sonne. Dès lors, il n'est pas étonnant qu'il se mette à vibrer, à entrer en résonance avec l'environnement.
Très vite ce jeune être apprendra à ne plus être naturel. Il va revêtir un masque (théâtral), un persona qui va l'enserrer dans un carcan. Sa résonance ainsi entravée, très vite de ré-sonneur, il deviendra raisonneur sans pour autant devenir plus raisonnable.
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Ne soyons plus étonnés de nous trouver souvent en présence d'enfants interloqués, puisque leur dialogue est faussé voire interrompu. Ils ont subi une véritable castration de toute émission sonore harmonieuse, si ce n'est pas de la parole.
Heureux sera l'enfant qui aura la chance de pouvoir s'exprimer par son corps, ou à la limite par une légère somatisation. Dans le cas contraire ce mal-dit qui doit s'exprimer d'une façon ou d'une autre, risque de se transformer en maladie plus ou moins sévère.
Mais soyons positif. Avec du recul, je m'aperçois que j'ai essayé d'utiliser toutes les possibilités de rencontres sonores avec l'entant aux divers âges de son développement.
Résumer en 7 minutes une expérience professionnelle de 20 ans demeure une gageure.
Aussi, pour gagner du temps et rompre la monotonie d'une énumération fastidieuse, je vais décliner ce son présent au subjectif de l’enfant.
Il est superflu de rappeler ici que le foetus vibre et entre en résonance avec l'environnement... surtout sonore.
Je suis souvent sollicité par de futures mamans pour les préparer, non à un accouchement improprement dénommé sans douleur, mais à la maternité. Dans cette optique, il demeure important de les faire pénétrer dans leur rôle de mères en les ouvrant à une pleine acceptation de l'enfant qu'elles portent. Toute jeune mère doit accepter son enfant tel qu'il est et tel qu'il doit être, par ce fait lui ouvrir d'emblée son auto-nomie qui consiste avant toute chose à avoir son propre nom (et déjà le rôle du son pointe l'oreille), à vivre sa vie.
Cela commence par la préparation de l'acceptation du vide qui suit l'expulsion
(l'inverse étant souvent responsable de la dépression du post
partum). C'est dans cette acceptation d'un début de renoncement que commence
l'émancipation de l'enfant et se détermine le degré de
sa libération.
Mais pour atteindre ce but, la future maman doit réaliser que l'être
qu'elle porte n'est pas dans une dépendance amorphe, mais peut déjà
manifester en partie sa personnalité car il est déjà capable
de dialogue et de partage.
Personnellement, j'utilise la relaxation sophrologique (où la voix joue
un rôle important) pour matérialiser la communication mère/enfant.
Selon mon expérience, il est ensuite plus facile d'inciter la mère
en devenir à s'adresser à son enfant par le chant et la parole.
Très vite la future maman est surprise de constater qu'il participe à
l'échange verbal dans un début de dialogue, qu'il réagit
pour démontrer qu'ils se comprennent.
Le père doit aussi être impliqué dans cette démarche
de dialogue. Dès qu'il est persuadé que son enfant entend et réagit
à sa voix, il faut l'inciter a lui parler. En effet, sa parole vécue
comme rassurante in utero, pourra devenir très utile plus tard lors de
fortes tensions psychologiques et même physiologiques vécues dès
la petite enfance.
Je puis vous assurer que cette révélation de l'audition foetale
au père ne donne pas que des joies intellectuelles d'ordre écologique,
mais peut s'avérer parfois très utile. Je n'en veux pour preuve
que ces enfants calmés lors des coliques des 3 premiers mois (d'ailleurs
à connotation psychologique) par la voix ou le chant du père déjà
perçus dans le ventre maternel, ou comme nous allons le voir, dans certains
état de prématurité.
Toutes les naissances ne se déroulent pas sans incident. Certains états de détresse physiologique imposent la mise en incubateur et un traitement intensif de réanimation. Des gestes thérapeutiques qui, bien que salvateurs, conservent un côté frustrant, associé à l'isolement du bébé et à la séparation brutale du contact maternel. Ces phénomènes sont souvent à l'origine de troubles relationnels mère / enfant (et souvent le point de départ de certaines maltraitances d'enfants).
A ce stade, il est donc important de sortir le nouveau né de son isolement sonore en l'entourant de bruits naturels. Cela commence par une sensibilisation du personnel infirmier qui doit parler au nourrisson pendant les soins et les toilettes.
Ce nouveau né en difficulté doit ensuite être sécurisé par des bruits entendus in utéro (voix de la mère, bruits cardiaques, borborygmes). Dans le service de néo-natologie où je suis attaché, une étude actuellement en cours semble démontrer l'influence bénéfique de ces sons sur le comportement physiologique du prématuré avec raccourcissement du temps d'hospitalisation dans l'unité de néo-natologie.
Mais cet enfant a surtout entendu la voix de ses géniteurs pendant sa vie intra-utérine. Frustré par le vide créé par l'absence de la voix maternelle, il faut y pallier au plus vite en permettant à la mère de pénétrer dans l'enceinte stérile dès qu'elle le peut afin qu'elle nurse son bébé. Si cela lui est impossible pour cause d'hospitalisation, il ne faut pas oublier que le père est là, et que sa voix demeure aussi très confortante et apaisante pour l'enfant puisqu'elle aussi a été perçue (de façon moindre certes), in utéro.
Heureusement ces situations ne sont pas majoritaires lors des naissances. Aussi, les mamans qui ont eu la chance de pouvoir conserver leur bébé près d'elles doivent lui parler, chanter, babiller, gazouiller etc...
va se conjuger lorsqu'il s'agit de corriger des perturbations scolaires, comportementales,
psychologiques ou sociales, en un mot dès qu'une rééducation
est proposée.
Mon expérience m'a appris qu'il ne faut jamais s'attaquer au symptôme en essayant de le supprimer. Il y aurait alors grand risque de détruire un équilibre péniblement acquis pour surmonter un stress, gérer une situation. Pour être utile, il est préférable d'essayer de revenir à la situation antérieure au trouble, sans pour autant entraîner une régression chez l'enfant. Celui qui fera l'économie de cette démarche risque de placer une prothèse, sans pour autant amener de correction durable.
Dans cette optique j'utilise deux méthodes :
1) Les sons filtrés en passe haut concernant la voix de la mère,
du père, du sujet. Je ne m'attarderai pas sur ce problème maintes
fois traité mais soulignerai simplement son importance pour la pleine
acceptation de la voix de l'autre et surtout de sa propre voix.
2) La méthode de rééducation de Mesker. La parole est un
geste sonore, l'écriture en est la trace phonétique. La parole
doit se saisir à bras le corps et pour ce faire, le sujet doit pouvoir
s'exprimer, en long, en large, en hauteur afin d'extérioriser son intériorité
et inversement.
Le but de cette méthode est d'entraîner le sujet à penser, tracer, prononcer, voir et entendre ce qu'il désire communiquer par la matérialisation du tracé d'un geste sonore. On lui fait réaliser cet exercice à deux mains, sur un tableau vertical, en direction centrifuge (en droitier), puis centripète (en gaucher) afin de l'entraîner à une utilisation harmonieuse de sa latéralité hémisphérique.
Mais avant de parler de rééducation, ne serait-il pas préférable de s'intéresser à l'éducation, notamment sonore, et de placer l'enfant dans des conditions adéquates à son bon développement acoustique.
A mon avis, il est urgent de lutter contre les pollutions sonores que nous faisons supporter à nos jeunes. Etes vous restés longtemps dans certaines cantines ou même dans certaines crèches ou garderies sans être agressés par des gerbes de décibels vraisemblablement intolérables dans le monde du travail.
L'expression passe par la pleine possession du geste sonore déjà évoqué, mais plus précisément par
1) La découverte des lieux sonores
Elle consiste à rechercher des zones de résonance corporelle lors
de l'émission de certains phonèmes. Cette quête enthousiasme
vite le jeune, même et surtout l'adolescent, dès qu'il s'aperçoit
qu'il est un corps vibrant et émetteur.
2) L'utilisation des harmoniques
Il implique d'abord la découverte de leur écoute, puis de leur
émission et va aboutir à la perception et à la réalisation
d'accords parfaits en résonance naturelle.
Le jeune perçoit alors le volume sonore et découvre le relief du paysage sonore. Dès lors langage et harmoniques sont perçus comme intimement liés. Les harmoniques deviennent porteurs de sens sémantique, puis traduisent les différentes personnalités (chaque être sonnant de façon différente).
De même, ils permettent d'émettre dans toutes directions (graves, aigus, haut, bas...) La parole devient alors vivante, interpellative et permet le dialogue.
Mais le dialogue ne consiste-t-il pas à s'exprimer à travers le logos, le lux, la lumière, la vibration pour devenir une vibration cosmique.
Permettre à l'adolescent cette découverte, dans notre civilisation actuelle qui essaie d'établir une communication inter-continentale à travers le cosmos, n'est-ce pas lui donner déjà la possibilité de conjuguer la présence du son au présent.
9 Mai 2008