Pau - 1979
Bernard AURIOL
Comment se fait- il que tel soit droitier, tel autre gaucher ? Peut on l'attribuer à des données héréditaires (théorie génétique) ?
On s'est efforcé de mettre en évidence cette théorie à de fréquentes reprises. Jusqu'à ce jour - à ma connaissance - rien de net n'a pu se dégager de ces recherches. Il existe parfois un "stock familial de gaucherie" qui dépasse ce que devrait donner le hasard : là ou un des parents est gaucher (ou les deux) on trouve plus facilement des enfants gauchers au mal latéralisés. Cela peut signifier trois choses : ou bien il s’agit d'une donnée héréditaire, ou d'une donnée éducationnelle, ou bien des deux. L'étude de vrais jumeaux élevés séparément semble faire pencher la balance vers la seconde hypothèse.(Cf. HECAEN et AJURIAGUERRA "Les gauchers") PUF 1963. On peut probablement conclure que le fait de baigner dans un milieu de gens qui sont gauchers favorise la gaucherie.
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Il existe un argument anatomique pour appuyer ces affirmation; en effet si la latéralité devait être liée exclusivement aux gènes, il faudrait avoir une proportion de gauchers et de droitiers sensiblement modifiée en cas de situs inversus.
Je rappelle qu'un sujet "situs inversus" présente une partie ou la totalité de ses organes en situation inverse de ce qui est habituel : par exemple le cœur à droite, le foie à gauche, etc... On découvre ces cas au cours d'examens médicaux de routine ou à l'occasion d'une maladie quelconque mais l'inversion n'a en elle- même aucun caractère pathogène. Or, chez les situs inversus recensés, on ne trouve pas une proportion de gauchers supérieure à la population de sujets normaux. (Dr M. RUEL "Contribution à l'étude de la latéralisation des situs inversus viscerum" thèse - Toulouse 1970). La gaucherie ne semble donc pas être d'origine purement génétique. Le syndrome de Kartagener est à l'origine de situs inversus. Cette maladie est liée à un dysfonctionnement des microtubules au cours de l'ontogenèse.
Au bénéfice de la théorie génétique, on ne peut ignorer certaines structures latéralisées complètement héréditaires dans certaines espèces. Sans remonter au crabe, rappelons que des deux ovaires présents chez la femelle ornithorinque, seul le gauche est fonctionnhel (d'après : Erica Cromer, Monotreme Reproductive Biology and Behavior, Iowa State University, avril 2004. ).
Il existe encore une théorie - qui pourrait comporter, éventuellement certains facteurs favorisants de type héréditaire, lesquels mettraient simultanément en jeu le patrimoine de l'enfant et celui de sa mère. Grapin et Perpère ont publié un travail (1) qui tend à établir une relation entre la position de naissance et la latéralisation fonctionnelle ultérieure. L'hypothèse leur en avait été suggérée par le fait qu'on trouve à peu près deux tiers de naissances en OIDA et seulement un tiers en OIDP. Ces proportions se rapprochent beaucoup de travaux antérieurs faisant état d'un tiers de gauchers pour deux tiers de droitiers chez les enfants laissés libres dans le choix de leur latéralité manuelle. Certains travaux parlent de 3/4 de droitiers pour 1/4 de gauchers.
Grapin et Perpère ont noté la position de naissance d'un certain nombre d'enfants puis ont réalisé une enquête et des tests pour vérifier la latéralité manuelle de ces mêmes enfants vers l’âge de un an. Ils ont constaté une assez bonne corrélation entre la position de naissance et la manualité, et dans le sens attendu d'après les proportions. Ils trouvent 1/3 de sujets dont la manualité est incertaine et 2/3 dont on peut faire l'évaluation. Les OIG sont tous droitiers ou incertains, les OID tous gauchers ou incertains. Une deuxième étude, menée ailleurs et concernant des enfants de 3 mois à 18 mois donne des résultats similaires quoique moins nets: ceci s'explique par des oscillations entre ambidextrie et latéralisation, oscillations physiologiques nécessaires si l'on en croit les travaux de Mesker dont l’œuvre sera bientôt traduite en Français.
De cette corrélation manifeste, Grapin et Perpère donnent une explication surprenante que je citerai in extenso "Dans la grande majorité des cas où se rencontrent les positions « gauches » au cours des trois derniers mois, le fœtus étant « couché » sur son côté gauche, c'est ce côté, plus bas que l'autre pendant le sommeil de la mère, qui bénéficie d'une hyperhémie, c'est à dire d'une trophie relativement plus grande que l’autre. Malgré le peu de différence «d’altitude »des deux côtés, il est plausible que cet effet se fasse sentir quelque peu sur la partie gauche du corps(développement relatif de la face gauche, léger allongement du membre inférieur gauche, surélévation relative de l'épaule gauche), mais beaucoup plus sur le cerveau (par hypothèse en période de poussée hypertrophique, donc 'sensibilisé'), particulièrement sur les secteurs d'acquisition évolutive récente et notamment, pour la question qui nous occupe, sur les territoires néo-corticaux correspondant aux régions du corps les plus évoluées au point de vue moteur, c'est à dire celles qui gouvernent la main et les organes de la phonation".
Cette explication, pour le moins hardie, m'a semblé nécessiter une vérification, au moins au niveau de la condition nécessaire qu'elle implique, à savoir : pour qu'il existe cette différence d'altitude de manière nette entre les deux hémisphères cérébraux, il faut considérer uniquement les périodes où la mère est allongée sur le dos. Une enquête auprès de 144 femmes enceintes concernant leur position de sommeil au cours du dernier trimestre de gestation a montré qu'une très faible proportion d'entre elles vérifie cette condition. Voici nos résultats à ce sujet :
N |
% |
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Sur le dos |
24 |
16 |
Sur le côté |
120 |
83,33 |
Total |
144 |
100 |
Je pense que même si les femmes couchaient généralement sur le dos, il serait vraiment difficile d'expliquer la latéralisation par cette différence d'altitude des hémisphères cérébraux au cours du dernier trimestre de gestation. En effet, quoique nos pieds soient situés plus bas que le crâné, de manière habituelle, on ne peut en conclure qu'ils reçoivent, pour cette raison, plus de sang, ni attribuer à ce fait leur développement plus grand que celui des bras...
Nous rejetons donc fermement l'explication de Grapin et Perpère quant au mécanisme qui favorise chez les OIG la droiterie et chez les OID la gaucherie. Pouvons nous trouver une explication plausible ?
Tout d'abord le phénomène peut s'expliquer au niveau des facilités de fonctionnement musculaire :
Il ne semble pas qu'on puisse établir une hypothèse explicative par l'intervention de l'oreille labyrinthique : elle tomberait en effet sous la critique que j'ai porté aux idées de Grapin et Perpère.
Les deux hypothèses retenues ne s'excluent pas réciproquement et même s'accordent harmonieusement à expliquer la vocation - chez le droitier - de chacun de ses hémisphères. Restera à expliquer pourquoi nous n'assistons qu'à un renversement partiel des valeurs droites et gauches chez le gaucher même le plus affirmé.
Il reste un mystère à éclaircir : pourquoi certains enfant se présentent ils en OIG et d'autres en OID ? Doit-on l'attribuer au type de mouvements, de postures et d'attitudes de la mère ? A la conformation de son anatomie ? A la provenance de l'ovule et à l'implantation sise de manière préférentielle ? A des mouvements fœtaux particuliers liés à une psychologie naissante ou à une programmation héritée ?
Je me contente de poser ces questions et de souligner celles qui ont ma préférence (que je trouve les plus plausibles) sans exclure une causalité multiple et des facteurs non envisagés ici.
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Some handprints accompanying the most famous ancient cave paintings of ice age mammals such as horses and mammoths—long attributed to males—may have actually belonged to women. That’s the conclusion of a new study, in which a researcher compared the silhouettes of 32 handprints found next to 12,500 to 40,000-year-old cave paintings in southern France and northern Spain. Many of the prints, possibly one of the first forms of artist’s signature, are small, which has led some scientists to infer that the art was painted by adolescent males. But the new work, reported this month in American Antiquity, concludes that 24 of the hands belonged to females, based on both the length of the hand and fingers as well as the ratios of lengths of the index finger, ring finger, and little finger. Of the eight remaining handprints, only three depict the hands of adult males; the rest are of adolescent males. It’s likely that each of the hands stenciled on the cave walls—such as these in El Castillo cave in Spain—belong to the artist, not a model, the researcher contends. For one thing, the caves are typically small, so two people would probably have had trouble fitting into the small space together. Also, more than three-fourths of the hands depicted are left hands, which is the most likely one to be stenciled by a right-handed artist. Pedro Saura/AFP/GettyImages/Newscom |
On voit que les propositions précédentes constituent une théorie acceptable de la prévalence sensori-motrice d'un hémicorps sur l'autre, de la signification psychoaffective des expressions et impressions dissymétriques en tant que telles. On peut également en attendre la spécification des hémisphères cérébraux pour autant que leur organisation fonctionnelle serait en partie liée aux possibilités d'exercice au niveau de leurs effecteurs et à la nature de l'imprinting au niveau de leurs capteurs respectifs. Des synergies motrices pourraient rendre compte d'une éventuelle primo- latéralisation du regard que l’imprinting des premières visions, après la naissance, confirmeraient ou non .Dans cette dernière hypothèse on devrait avoir une corrélation pied-main-oreille supérieure à la corrélation œil-pied; œil-main ou œil-oreille. Ceci en négligeant tous les facteurs d'homogénéisation propres à l'action finalisée de l'enfant qui conjugue peu à peu sa visée motrice et sa visée sensorielle.
Si cette théorie est recevable chez le droitier (D), qu'en est il des gauchers (G) et ambidextres (DG) ou des maladroits (dg) ?
On peut utiliser une présentation graphique pour symboliser l'effet du milieu ambiant sur la latéralité. Soient deux axes de coordonnées rectangulaires divisant un cercle en quatre cadrans.
Appelons x=+ 1 la droiterie à 100%, x= - 1 la gaucherie à 100%, y= - 1 la maladresse à 100%.
On peut admettre que un milieu donné influence un individu donné en fonction du pourcentage de droiterie/gaucherie/maladresse. L'individu arrivant avec son potentiel d'orientation latéralisée acquis in utero. S'il est droitier, il sera - dans un milieu majoritairement et "atmosphériquement" droitier - porté à le rester. S'il bénéficie d'un cadre favorable il acquerra une faible part d'ambidextrie et sera fortement droitier. Si les conditions sont défavorables, il développera plutôt la droite que la gauche, mais c'est avec une composante de maladresse que se combinera sa droiterie.
Le gaucher, quant à lui, sera attiré vers la droiterie (et donc vers l'axe des Y) : il montrera donc un coefficient important d'ambidextrie (dans un milieu favorable qui lui permettrait d'exercer sa gauche tout en l'incitant à l'usage de la droite) ou, si le milieu est défavorable, il montrera un coefficient important de maladresse.
On devrait donc trouver des gauchers dépassant la moyenne des performances parce qu'utilisant de manière efficace leurs deux hémisphères cérébraux, des gauchers de performance semblable aux droitiers quoique comportant un léger handicap dans une culture faite par et pour les droitiers; enfin, on devrait rencontrer des gauchers très gênés dans leurs performances, parce que utilisant très mal leurs deux hémisphères.
Il semble bien que les résultats des recherches sur la latéralité soient conformes d'assez près à ce modèle. Il conviendrait d’aller plus loin en établissant un test permettant de situer les individus dans le cercle proposé ci dessus.
On peut supposer que la majorité droitière déterminée « obstétricalement » a entraîné la constitution progressive d'une dominance culturelle, pratique, symbolique, etc de la droite; cette influence a pu amener la droite à investir progressivement tout ce qui est du précis et du l'analytique, par opposition à l'ensemble droite / gauche gardant la main mise sur les valeurs holistiques, intuitives, artistiques.
La spécialisation hémisphérique résultant d'une convergence de facteurs culturels. Le problème se complexifie encore si on sait que la dominance hémisphérique est différente chez l'homme et chez la femme, à différents âges de la vie etc ... Cependant, et globalement, ces faits sont en accord avec la théorie ci- dessus en ce sens que toutes ces variations semblent avoir plus une origine culturelle que génétique même si on fait intervenir des processus hormonaux (dont on sait combien leur régulation est soumise aux données de l'environnement).
Ces remarques vont nous conduire à nouveau à examiner la signification symbolique de la droite et de la gauche. En effet, nous avons admis que la majorité des êtres humains étant poussés dès leur naissance (au moins) à la droiterie, allaient se comporter comme toutes les majorités : c'est à dire tendre à faire disparaître la minorité par tous moyens explicites et implicites. Ainsi les gauchers sont poussés vers la droite : ils pourront se plier quasi totalement à cette influence et pourront passer pour droitiers, s'y refuser avec 'fierté' et conserver une gaucherie intransigeante dans la plupart des domaines sauf - sans doute - ce qui concerne le langage (à moins qu'ils se refusent à toute communication et se réfugient dans l'autisme). Ils pourront adopter une attitude mal assurée, hésitante et gauche, gauchers pour ceci, droitiers pour cela, ambidextres ou maladroits pour le reste.
On peut même imaginer un droitier qui se raidisse dans le négativisme et utilise une latéralité qui ne lui convient en rien, dans le seul but inconscient de s'opposer aux valeurs du milieu ambiant ou parce que ces valeurs sont minées d’ambiguïté. Le problème est alors à rapprocher quelque peu de ces enfants qui se situent paradoxalement dans d'autres axes de l'espace comme le Haut et le bas, le Devant et le derrière Ou l'Avant et l’après.
Nous pouvons ainsi compléter le symbolisme psychologique de la droite et de la gauche par les notions d'acceptation ou de refus des normes. Ces nouvelles significations pouvant se combiner avec celles - plus fondamentales - fondées sur la physiologie et évoquées plus haut.
Ainsi le symbolisme de l'espace découvert par les graphologues (Sherman, Pulver, Theilhard) et repris dans l’interprétation des tests projectifs (Arbre, village, etc) ou dans la compréhension des déformations morphologiques, mimiques, aponévrotiques (Corman, Ermiane, Mézières, Rolfing, etc) ne constitue pas une donnée gratuite, occulte, ésotérique.
Le symbolisme rend compte de phénomènes concrets et objectifs du genre : la droite, majoritaire, représente le groupe social; la minorité gauchère représentant d'une certaine façon les "marginaux", des gens qui sont plus ou moins obligés, pour vivre leur spécificité, de se réfugier dans quelque intimisme, dans quelque particularisme.
Il existe par ailleurs un autre rapport de force, dans la plupart des sociétés : le rapport masculinité/féminité. Rapport qui pouvait être avant tout une distribution des tâches telle que l'homme mieux doué pour la course et le combat s'adonnait à la chasse, cependant que la femme allaitait les enfants et préparait le repas. Ce rapport assimilait progressivement masculinité et extériorité, féminité et intimité.
On voit comment pouvait être - et a été - facile, le glissement
la contamination réciproque :
Droite |
Valeurs du Groupe large |
Extériorité |
Masculinité |
Gauche |
Valeurs de l'Intimité familiale |
Intériorité |
Féminité |
Gauche |
Droite |
Valeurs de l'Intimité familiale |
Valeurs du Groupe large |
Féminité |
Masculinité |
Intériorité |
Extériorité |
maternelle |
paternelle |
sororale |
fraternelle |
méprisée |
valorisée |
sacrée |
profane |
passive |
active |
Orientée vers le passé |
Orientée vers le futur |
Nous pouvons compléter maintenant ce que nous disions plus haut au sujet de l'action en retour du domaine du symbolisme sur celui de la physiologie. La nécessité de s'affirmer face à un milieu négateur peut amener la gaucherie comme mesure de sauvegarde : dans ce cas moins par moins donne plus; l’individu niant ce qui le nie a quelque chance de s'affirmer... Je ne dis pas que le seul moyen est de s'affirmer en s'opposant, mais ça peut en être un qui comportera toutes sortes de connotations complices dont nous venons de parler, pouvant aller jusqu'à la catégorie du sinistre. Il est à noter que cette expression va pouvoir se manifester à de multiples niveaux et selon des modalités très variées auxquelles nous avons déjà fait allusion : au niveau psychosomatique, psychofonctionnel, mimique, graphique, projectif, etc...
Dans notre Société, il y a connivence profonde entre les valeurs culturelles, économiques et sociales dominantes et les valeurs annexées à la droite au niveau embryo- foetal (pour la majorité des individus). Ceci est moins violent dans certaines sociétés orientales ou les valeurs peuvent être moins hiérarchisées entre droite et gauche (je pense aux écritures idéographiques d’Extrême Orient, à l'écriture sémitique des juifs et des arabes avec sa progression centripète, etc).
Dans le monde occidental donc, il est très apparent que le droitier aura plus de facilités d'adaptation que le mal- latéralisé ou le gaucher. On doit cependant attendre que le véritable ambidextre (compétent des deux cotés au niveau manuel mais aussi visuel, auditif, etc...) jouisse à la fois d'une grande capacité d'adaptation et de grandes possibilités supplémentaires au niveau créatif, intuitif, etc ...
Ce problème se pose pour tout utilisateur de la méthode Tomatis.
Vous savez que, dans cette méthode, nous passons de l'équilibre 7
(ou malgré un discret affaiblissement des sons adressés à l'oreille gauche subsiste une relative égalité) à l'équilibre 1, dans lequel l'oreille gauche ne reçoit qu'une très faible partie de la puissance sonore alors que l'oreille droite est copieusement pourvue.
Ce procédé a fait 1 'objet de nombreuses critiques de la part de ceux qui se réfèrent au respect de la gaucherie et qui ont crainte qu'il ne s'agisse ici de « contrarier » le gaucher auditif. En fait, les considérations précédentes ont montré qu'en raison de la latéralisation hémisphérique quasi- universelle par rapport au langage, nous étions fondés à opérer ainsi.
Les travaux canadiens et sud-africains versent leur poids expérimental et clinique en notre faveur dans cette bataille, notamment en ce qui concerne le problème de la dyslexie. Sidlauskas a constaté que la latéralisation à droite de l'oreille était favorable généralement chez le gaucher auditif, curateur de sa dyslexie. Spirig a fait les mêmes remarques.
On pourra objecter que cette amélioration fonctionnelle pourrait s'accompagner de troubles plus profonds au niveau psychoaffectif, dans la mesure où, nous l'avons vu, latéralité et symbolisme affectif sont étroitement liés. Nombre d'entre nous ont eu l'occasion de souligner cet impact émotionnel du passage à droite, particulièrement reflété dans les rêves, les discours (je veux devenir « gauchère », etc), et les dessins des enfants ou adultes rééduqués sous oreille électronique. Dans ces conditions, il est important, comme l'a remarqué Françoise Lassus que l'Apépiste soit formé aux phénomènes relationnels, capable de comprendre le bouleversement suscité par la méthode, à même d'y répondre avec la souplesse, le doigté et la compréhension requises grâce à un minimum d'analyse de son propre contre- transfert.
Au niveau tout simple de la méthode appliquée à la lettre se pose le problème du point de départ ? Latéraliser oui mais quel besoin de le faire chez quelqu'un qui l'est déjà ? Si cette personne est gauchère ou non latéralisée, comment le savoir ?
La méthode la plus primitive pour tester cette latéralisation auditive consiste à demander de tendre l'oreille vers un bruit faible. Entre autres on a utilisé le tic-tac d’une montre : le sujet doit écouter la montre et la porté à l'une ou l'autre oreille qui serait l'oreille directrice. En réalité, le travail de Montaud et coll. a montré que ce test ne disait rien de valable sur la latéralisation auditive et qu'il était plutôt lié à la latéralisation manuelle. Le sujet prend la montre avec sa main dominante et la porte vers l'oreille du même côté même si cette oreille n'est pas 1 'oreille directrice.
Une autre méthode d'évaluation est présentée par Tomatis et parait plus sophistiquée : on utilise l'audiolatéromètre. Cependant cet appareil, - simple au demeurant - donne des résultats qui laissent beaucoup à désirer lorsqu'il est manipulé par quelqu'un d'autre que Tomatis. En effet, il s'agit d'apprécier sur divers critères (thème, débit, prosodie, élocution, timbre, rythme, etc...) à quel moment la voix du sujet "passe" de gauche à droite ou de droite à gauche. Le niveau du changement constitue la mesure du phénomène et s'apprécie avec une fidélité inter- juges très médiocre, y compris chez ses « meilleurs » élèves. Tel que, ce test n'est pas correctement transmissible. D'ailleurs la passation mettant en jeu la qualité d'écoute du testeur il n'est pas étonnant que la fidélité inter- juges soit insuffisante…. Nous savons que l’écoute varie considérablement d'un individu à l'autre, y compris après avoir mené à bien une cure d'O.E. importante : chacun est amélioré, mais pas tous de façon à aboutir à une perfection absolue et à une identité « métrologique ».
Dans ces conditions, je propose, non d'abandonner ce test mais de l'améliorer. On peut bien sûr, comme le fait Spirig, demander au sujet lui- même de dire à quel moment il se sent passer d'un contrôle audio-phonatoire droit à un contrôle audio-phonatoire gauche et réciproquement. Mais cet indice - intéressant en lui-même - ne donne pas la clef du problème comme l'a souligné A. Tomatis. Ce n'est que par une longue habitude que nous percevons nous-mêmes, sur nous-mêmes, les nuances des voix droites et gauches, c'est donc trop demander que d'en faire juge le sujet lui-même : on se trouvera devant des indications intéressantes mais grossières quand elles sont correctes et parfois totalement erronées.
Je pense que l'amélioration doit consister en ce que l’appréciation que le testeur devait faire soit le fait d'un appareil de mesure s'il existe. Or, il existe probablement.
Je vous dirai donc ici quelques mots de 1 'Intégrateur de Densité Spectrale (I.D.S.) inventé par le Pr Leipp et le Pr Sapaly. Il s'agissait pour Leipp de se donner le moyen pratique pour mesurer les événements sonores dans leur coloration telle que la sensation auditive les intègre sur un temps relativement long. Il ne pouvait donc s'agir du sonographe, qui permettait certes d'y arriver, mais au prix de longs relevés et de nombreux calculs.
Leipp admet tout d'abord que notre cerveau pour les sons comme pour la couleur distingue nettement huit bandes de fréquences (par référence aux "couleurs de l'arc en ciel"). Il cherche ensuite à déterminer quelles sont ces bandes et il remarque qu'on ne peut se borner à une division en huit portions égalitaires de la gamme des fréquences perçues. Pour déterminer les bandes fréquentielles réellement signifiantes, Leipp dans un morceau de musique enregistrée, supprime par filtrage des bandes de fréquences de différentes largeurs, centrées sur différentes fréquences moyennes et détermine à partir de quelle largeur de bande supprimée autour de cette fréquence moyenne la « couleur sonore de l'enregistrement est perçue modifiée par des auditeurs d’audition normale et exercés à l'écoute par leurs études (étudiants du conservatoire). Ces tâtonnements ont conduit à retenir huit bandes sensibles dont le découpage n'a rien de très rationnel : on passe successivement de deux octaves(50-200 Hz) à une octave ( 200-400hz) plus tard à une quinte (dans le médium, etc... Leipp remarque « cette anomalie de découpage fréquentiel n'est qu’apparente ». En effet comme nous partons de la réalité sonore d'un message conçu par l'homme pour le système auditif de l'homme, il ne peut y avoir aucune systématique dans les bandes sensibles pour la bonne raison que l'oreille, contrairement à ce que l'on pense et dit, n'est en réalité ni linéaire, ni logarithmique lorsqu'il s’agit de messages informationnels. Par contre, tout le monde sait que l’oreille est beaucoup plus sensible dans la région de 1000 à 2000 Hz; non seulement en fréquence, mais aussi en pouvoir séparateur temporel. C'est bien pourquoi les praticiens des messages sonores ont de tout temps exploité cette zone fréquentielle ou il est possible de communiquer le maximum d'informations dans le minimum de temps. Bref, « les irrégularités aberrantes des bandes sensibles, déterminées expérimentalement, sont simplement le signe tangible de l’inégalité de capacité de saisie d’information par l’oreille dans les diverse régions fréquentielles ».
L'I.D.S. ou Intégrateur de Densité Spectrale est l’appareil correspondant à ces travaux : il est capable de donner sur une durée pouvant atteindre dix minutes la quantité d'énergie contenue dans une bande sensible par rapport à la quantité d'énergie contenue dans les autres bandes sensibles. On a ainsi une sorte d'histogramme donnant une vue exacte de la composition spectrale d'une fourniture sonore d'une durée choisie entre 0 et Dix minutes.
On peut dès lors comparer deux instruments de musique, deux voix humaines ou la voix d'une personne avant et après rééducation, etc ... On peut aussi comparer la voix droite à la voix gauche chez un individu donner et déterminer si et quand il y a changement de timbre entre l'une et l'autre. L'IDS est bien le complément objectif de l’audiolatéromètre. Reste que son prix actuel est quelque peu rebutant (5 à 6 millions), si bien que dans un premier temps je pense utile de travailler chez le Pr. Leipp lui- même afin de déterminer s'il existe expérimentalement et de manière mesurable, cette différence de timbre que nous croyons et affirmons discerner entre les voix droite et gauche d'un même individu (Leipp E. « L’IDS et ses applications » in revue du GAM N° 94 de Décembre 1977).
L'Oreille pourrait être latéralisée dans d’autres fonctions comme par exemple le pouvoir séparateur temporel dont Leipp a montré l'importance dans l'écoute. Ce pouvoir séparateur varie de deux millisecondes pour les plus doués à 250 millisecondes (1/4 de seconde !). Ceci peut avoir des conséquences directes et le mesurer permettrait d'éviter des erreurs comme celle que j'ai observée récemment d'une jeune fille s'escrimant en vain à apprendre la sténographie alors que son pouvoir séparateur temporel auditif était voisin de 250 ms ! On aurait pu lui éviter une année de peine et des somatisations variées liées à son sentiment d'échec et d'incapacité. J'ai réalisé une bande sonore permettant la mesure du pouvoir séparateur temporel .
Ceci nous conduit directement à prendre en considération le remarquable travail de Montaud et collaborateurs (mémoire d'orthophonie - Toulouse) qui proposent une nouvelle façon de mettre en évidence l'oreille directrice. Si l'on adresse aux oreilles d'un sujet sa propre voix avec un retard approprié par rapport au temps d'émission (temps de l'ordre de 200 à 250 ms)on constate des perturbations de l'élocution, de la prosodie, du timbre, etc. Ces remarques d'Azzi Azzo sont à l'origine d'une théorie du bégaiement bien connue des élèves de Tomatis.
Montaud propose d'utiliser ce phénomène pour perturber une seule des deux oreilles du sujet. Il émet 1 'hypothèse que dans ces conditions la perturbation de l'oreille directrice par la voix retardée doit être plus perturbante sur l'émission vocale du sujet que la perturbation de l'autre oreille. En utilisant une série d'épreuves élocutoires standard, on peut comptabiliser les perturbations sur chacune des deux oreilles, comparer ces chiffres et en déduire la gaucherie, droiterie ou ambilatéralité auditive. Ils ont ainsi testé 342 sujets de 7 à 14 ans et ont trouvé 55% de droitiers, 23,7% de gauchers et 21,3% d’ambilatéraux.
Chez les sujets présentant un niveau scolaire normal on trouve 66,6% de droitiers, 17,7% de gauchers et 15,7% d'ambilatéraux; chez ceux qui ont un retard scolaire d'un an ou plus on a : 45% de droitiers,34,8%de gauchers et 20,2% d’ambilatéraux. Par ailleurs on observe une latéralisation homogène main- oreille chez 70% des normaux alors qu'elle n'est que de 44% chez les enfants ayant un retard.
On voit que cette étude en confirmant les affirmations de Tomatis sur l'importance de 1'Oreille Droite pour le langage nous donne un moyen, qu'il conviendrait sans doute d'affiner et de standardiser, pour évaluer la latéralité auditive du contrôle élocutoire.
On voit qu'il y a une coïncidence étonnante entre la proportion de droitiers auditifs pour le contrôle phonatoire et de sujets nés en OIG (2/3; 66,6%).
Cette épreuve est elle pratique et universalisable ? Je le crois; en effet la Voix Répétée Retardée est facile à mettre en œuvre avec un magnétophone du commerce. Il existe cependant une première difficulté de standardisation ici : les têtes d'enregistrement et de lecture ne sont pas éloignées de la même distance dans tous les appareils si bien que le retard, pour une vitesse égale de défilement, ne sera pas le même. Par ailleurs on doit tester d'abord une oreille puis l'autre. Dans un souci de comparaison on utilise le même texte. Cependant cela constitue un apprentissage par rapport à la deuxième oreille testée. Il serait dans ces conditions sans doute utile d'utiliser un texte artificiel composé de mots sans signification, construit selon les procédés proposés par Leipp et Liénart. On pourrait ainsi avoir deux textes équivalents et supprimer ce facteur d'apprentissage par rapport au texte. On continuera de négliger - au moins provisoirement - le problème de l'apprentissage par rapport à la situation elle-même de Voix Répétée Retardée. Ce dernier facteur ne paraîtrait éliminable qu'à la condition d'exercer préalablement les deux oreilles.
La latéralisation du contrôle du langage peut affecter la phonation, mais aussi la compréhension du message auditif reçu passivement.
Depuis quelques années nous voyons paraître un grand nombre de travaux (auxquels j'ai déjà fait allusion) concernant une stimulation simultanée mais totalement différente des aires perceptives droite et gauche à partir de chacun des capteurs physiologiques connus : stimulation dichaptique, dichotique, etc ...
Ce qui intéresse le plus notre propos est sans conteste l'épreuve dichotique. Il s'agit d'adresser à chaque oreille un message signifiant sonore différent, de type verbal ou musical. L'étude des résultats a généralement mis en évidence la fonction langagière du lobe gauche et de l'oreille droite chez le droitier. On peut se demander si ce genre de test ne conviendrait pas à notre recherche de l'oreille directrice.
J'ai tenté - comme d'autres : Spirig, Sidlauskas, etc.- d'utiliser une épreuve dichotique afin d'évaluer la latéralité auditive. Cependant la difficulté technique de création d'une telle bande dans laquelle on doit respecter scrupuleusement la simultanéité des « attaques » et des durées, le corollaire de cette première contrainte qui est de n'utiliser que des mots très courts, monosyllabiques dans l'idéal, la stricte égalité des intensités (qui est une limite qu'on n'atteint pas, surtout si on considère qu'il ne s'agit pas de vibrations strictement comparables, chaque mot ayant une distribution spectrale différente), toutes ces difficultés m'ont découragé de créer une telle bande et ont semé le doute dans mon esprit par rapport à celles qui existent et que les chercheurs gardent jalousement (je dois signaler, à la honte de ceux- ci, qu'aucune des trois équipes que j'ai contacté n'a accepté de me faire une copie de la bande qu'elles utilisaient sinon à un prix rédhibitoire pour l'une d'elles).
Dans ce genre d'épreuve, le sujet, entendant deux mots simultanés doit énoncer ce qu'il a entendu : il peut n'en avoir saisi qu'un seul qui soit systématiquement celui de l'oreille droite (ou plus rarement gauche), il peut être dérouté et incapable de répéter un de ces mots, il peut "mixer" ce qu'il a entendu ou enfin répéter les deux mots en privilégiant un côté ou l'autre (il entend par exemple d'abord le mot de droite et secondairement celui de gauche).
J'ai cru utile d'utiliser une méthode beaucoup plus "globaliste" et offrant moins de difficulté au niveau de la réalisation technique. Il s'agit simplement d'enregistrer un texte peu connu sur une piste droite et un autre texte sur une piste gauche. Le sujet écoute cette bande, chacune de ses oreilles n’entend qu'une des deux histoires. Ensuite, il doit raconter tout ce qu'il a retenu. Un certain nombre de sujets optent rapidement pour l'une des deux histoires et se montrent incapable de retenir l'autre. S'il s'agit de l'histoire droite on qualifiera le sujet de droitier pour ce test, s'il s'agit de l'histoire gauche, on le qualifiera de gaucher pour ce test. Parfois il est incapable de raconter quelque chose de cohérent, il s'est simplement trouvé très perturbé par la situation et n'a retenu que des bribes incohérentes appartenant aux deux pistes. Dans quelques très rares cas enfin, il se montre capable de raconter fidèlement les deux textes (ambilatéraux).
Cette épreuve peut se réaliser également avec une mélodie musicale différente sur chaque piste et en demandant au sujet de chanter ce qu'il a retenu (Spirig).
Ce type de test lorsqu'il sera bien au point sera sans doute plus fructueux que les bandes dichotiques actuelles dont on a montré que les résultats devenaient indifférenciés lorsque la mémorisation n’entrait pas en jeu (utilisation de séries de monosyllabes ou dissyllabes sans aucune répétition.
A titre purement documentaire (car notre population n'a rien de défini statistiquement), voici les proportions que nous avons trouvé actuellement :
53 droitiers, 14 gauchers, 9 qui « mixent », 1 qui est ambilatéral. Soit un total de 77 Sujets.
Type de latéralité |
Symbole |
% |
Droitiers |
D |
69 |
Gaucher |
G |
18 |
Mal latéralisés |
dg |
12 |
Ambilatéraux |
DG |
1 |
Total |
100 |
On voit que ces proportions se rapprochent des autres méthodes d'évaluation, Cependant une double correction doit être apportée car nous risquons de voir en consultation plus de "gauchers auditifs" que dans la population standard d'une part - et en sens inverse - comme nous "latéralisons" nos clients à droite et qu'un grand nombre des sujets testés l'ont été en cours de cure, la proportion de "droitiers" a pu être fortement majorée. La comparaison avec les autres méthodes d’évaluation devra se faire en soumettant un certain nombre de sujets à plusieurs méthodes successivement et dans un temps bref : ainsi verrons nous si toutes ces épreuves mesurent la même latéralité auditive, ou s'il convient de distinguer la latéralisation du contrôle du timbre, de l'élocution, de la compréhension, etc ...
Il se peut aussi que la latéralisation du contrôle ne soit pas toujours homogène en fonction de l’intensité, de la zone fréquentielle, etc... Une grande richesse d’interprétations psychologiques et un grand nombre de conséquences pratiques sur la conduite de la cure pourraient résulter de toutes ces investigations.
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(I) in "Main droite et main gauche" - PUF - 1968 pp 83 - 100
(II)Il s'agit de sons N<3000 mais les plus aigus de ces graves perçus sont ceux de la voix maternelle.