Théâtre à la Folie, Actes des IV° Rencontres de Saint-Jean de Braye, 21-23 Mai 1992, organisé par l'Association AKTIS avec le concours de la Croix-Rouge Française, en partenariat avec l'Université Paris VIII, (Pr J.M. Pradier), pp. 52-62.
Rapport invité au XLVIII° Congrès de la Société Française de Phoniatrie, 14-15 Octobre 1992 (publié in Revue d'Audio-Phonologie) Ce rapport reprend et complète la Conférence précédente.
H.W. Longfellow
Résumé : Nous étudions l'étymologie du mot "Voix" et de ses équivalents anglais, allemand, latin, grec, sanskrit, hébreu et arabe en établissant un lien avec la tradition du yoga. Nous envisageons aussi les diverses utilisations de la voix telles que le cri, le chant et la parole
Summary : We study the etymology of the word 'voice' and its French, German, Latin, Greek, Sanskrit, Hebrew and Arabic equivalents. Then we consider the ideas and feelings linked to the vocal expression in the tantric theory. Finally we recall some noteworthy facts about screaming, singing and talking.
Mots Clés : Voix, Chant, Cri, Parole, Tantrisme, Audiophonologie.
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Le terme lui-même de VOIX attirera d'abord notre attention : nous en évoquerons la racine indo-européenne et spécialement ses réalisations dans le sanskrit puis le latin. Nous apparaîtront dès lors les liens de la voix avec le cri, le chant, la vocalisation et les voyelles. Son rôle de lien entre la chose et le mot, l'émotion et son explicitation.
Les grandes caractéristiques de la voix : son intensité, sa mélodie, son rythme, ses harmoniques, son registre et ses inflexions peuvent beaucoup nous dire; non seulement à ce premier degré conventionnel qu'il ne nous est pas permis de ne point entendre, mais aussi dans ses mystères, ses insinuations, son indicible qui nous parle de ce que nous pouvons vouloir ignorer.
Nous nous interrogerons aussi quant à la signification des graves et des aigus, des phonèmes tels que le tantrisme nous les ordonne.
Nous aurons aussi à dire quelque chose de l'évocation poétique, de la vocation mystique, de l'invocation religieuse. Car tels le symbole et la religion, la voix assure le lien entre le haut et le bas, comme entre le bas et le haut, entre le proche et le lointain, entre l'explicite et l'implicite, entre les humains enfin, auxquels elle a donné la parole !
Le terme "voix" dérive de la racine indo-européenne "*wakw-" qui indiquait l'émission de la voix ainsi que toutes les forces juridiques et religieuses qui en dépendent.
En sanskrit, nous trouvons väk et vacah qui par leur sens direct et leurs extensions couvrent le champ de la parole, du langage et de toutes sortes d'expressions sonores.
L'Inde fait de "Vâc", de la Voix une déesse médiatrice et véhicule du savoir : elle inspire les Sages, donne la force et l'intelligence, enfante les écritures sacrées; tel le VERBE de St Jean, elle est la Puissance de Prajapati, le père des créatures, "elle est Tout". Elle est la "vache d'abondance", présente à la création du cosmos et aux rites sacrés. Elle est à la fois confondue avec le Créateur et cependant distincte de Lui...
"Vâc" personnifie non seulement la parole mais aussi la prière, l'invocation. Le Psaume de la Vulgate le dit aussi en latin "exaudi vocem meam"...
On sait que Jacques Lacan a nommé invocante la pulsion qui nous pousse à jouir de notre voix. Et de notre prière "cette soeur tremblante de l'amour"[1].
Comme Echo pour Narcisse chez les grecs, Vâc est l'épouse de Kashyapa (le regard, la vision)... Un de ses aspects essentiels est le chant (Gaya) dans ses trois aspects (gayatri) et spécialement le chant védique dans sa forme à douze pieds qui se récite à l'aurore, car la parole est la source de tout ce qui est...
Pour les yogis du tantrisme, le centre d'énergie commandant la voix est aussi celui qui préside à la jouissance de l'écoute. L'étymologie permet de lier ce centre au fait de "souffler", à l'action de pleurer ou de crier, au manque, à la discrimination, la destruction et à la mort. Ce centre (Vishudda) est celui de la pureté par la division qu'il introduit pour former la parole.
On en peut rapprocher l'atmosphère du cinquième ciel dans le livre d'Hénoch où les Veilleurs[2] se sont séparés d'eux-mêmes et sont devenus tout tristes incapables de faire entendre leur voix !
En allemand la voix est "Stimme" dont on peut sans doute rapprocher "stimmen" : accorder et "Stimmung" accordage, mais aussi "atmosphère, ambiance, poésie, moral". N'est-il pas vrai que la voix donne son climat à notre discours et lui prête un sens qu'il perd à s'écrire.
Les espagnols emploient le mot "voz" et prétendent en leur argot que l'un peut se faire voix pour l'autre dont il est admiratif[3] : les rapports de la voix et du Surmoi ne sauraient mieux être illustrés ! Ne vient à la voix que ce qui de la vie convient au jugement...
En français nous obtenons "vois" ou "voiz" et pour finir "voix" que nous pourrions retourner à cette prononciation néo-ancienne du latin qui donnerait "ouax" et nous voilà près des grenouilles qui innovèrent l'onomatopée "brékékékex, Coax Coax"[4]... Elles orchestrent le Passage des passages, sur le Styx, qui se paye d'une obole sous la langue pour le nocher Charon. N'est-ce pas signaler le lien éternel du mot à la mort de la chose ?
C'est aussi dire avec les traditions africaines que le mot est comme une monnaie. Selon Ogotemmêli "avoir des cauris, c'est avoir des paroles. On a commencé par échanger, contre des cauris, des bandes de tissu, c'est à dire la parole des ancêtres" (Griaule, 1966).
En grec nous avons "" : "" : faire entendre sa voix, son de la voix, cri des animaux et par extension, langage, son en général. L' étymologie, selon Chantraine, appuie du côté de l'aspect "physique" que ce terme comporte : il s'agit de la matière du langage plus que de son articulation !
En hébreu arrêtons nous sur "QOUL" ou "QÔL" dont on peut rapprocher la même racine arabe: "dire".
"QOUL" c'est le bruit du vent, des eaux, des ailes, du tonnerre, le son de la parole ou celui d'un instrument, le cri, la voix divine ou humaine.
Le Commencement (Bereschit) est un "dire" car c'est du son que le vide reçoit sa toute première matérialisation. Ainsi la voix du vide, au plus central et au plus secret du silence de l'être, est-elle à l'origine de la matière et de son intersection avec l'Esprit Créateur dont elle constitue la semence et dont elle diffuse la lueur (zohar). C'est déjà affirmer que le son unit la tête et la maison du corps... Le Zohar déclare "au moment où le son du verbe de Dieu retentit, l'essence génératrice qui embrasse toutes les lettres se manifesta également". Il s'agit du grand "QUI", du Sujet Absolu idée de tout sujet en qui toute parole est prédite, voyelles comme consonnes...
Réelle mise au tombeau du corps, cette complexion d'images, ce temple Imaginaire se détruit au profit de l'esprit, du souffle de voix, du Symbole créateur... Meurtre rituel du bélier ancestral, rituel de mise à mort du Père symbolique par Abra(ha)m. Il sera sacrifié en lieu et place du fils de la promesse : meurtre[5] de la chose pour un idéal à venir et peut-être illusoire...
Comme dans les religions cananéenne et babylonienne, la Thora associe la voix de Dieu et le tonnerre:
Moshé[6] descend de la montagne vers le peuple. (...). Il dit au peuple :"Soyez prêts dans trois jours. N'avancez pas vers la femme." Le troisième jour, au matin, c'est voix, éclairs, lourde nuée sur la montagne, la voix du shophar, très forte. Dans le camp, tout le peuple tremble. Moshè fait sortir le peuple, à l'abord de l'Elohîm, hors du camp. Ils se postent au soubassement de la montagne. Et le mont Sinaï fume tout entier, face à IHVH[7] qui y est descendu dans le feu. Sa fumée monte comme une fumée de fournaise et toute la montagne tremble violemment. Et c'est la voix du shophar : elle va et se renforce fort. Moshè parle et Elohîm lui répond dans la voix[8]. (...) IHVH[9] crie à Moshè, à la tête du mont et Moshè monte...
Cependant, contrairement aux païens qui les entourent, les enfants d'Abraham sont avertis par Moïse de ne pas ajouter l'image au son : "IHVH[10] vous parle au milieu du feu. Vous entendez la voix des paroles, mais vous ne voyez pas d'image, rien qu'une voix"... Le Monothéisme se donne ainsi comme une religion de la VOIX, une religion plus élevée que celle des images vénérées par les idôlatres !... La culture avance, par la même occasion, de l'Imaginaire vers le Symbolique comme Lacan nous en instruit.
Mais la voix du très haut peut se faire murmure, légère brise pour appeler au service divin : c'est ce qu'on appelle la Vocation; sur le modèle de Samuel appelé par trois fois dans le temple...
En arabe,
"SAT" signifie "crier, émettre un son". Les mots
dérivés comportent la voix, le bruit, le cri, la résonance, le son, la sonnerie,
le ton, le phonème, etc...
La coutume des premiers chrétiens était d'élire leur chef, celui qui veillerait évêque sur eux, par acclamations d'où l'expression proverbiale "Vox Populi, Vox Dei", qu'on doit pourtant à Aristote[11]. C'est là aussi qu'il faut chercher l'origine du mot voix pour désigner les votes lors d'une élection. L'oreille servait d'applaudimètre et d'audimat. La popularité se mesurait comme dans nos théâtres : par le volume sonore des acclamations. Dans le même ordre d'idée, les moines appartenant au clergé avaient le droit, sinon de décider, au moins d'émettre un avis lors des assemblées canoniales ou monastiques : ils avaient voix au chapitre, par opposition aux religieux non ordonnés, ou frères lais, (laïcs) qui pouvaient tout au plus assister, voir, écouter mais n'avaient rien à dire.
L'expression dont la valeur phoniatrique ne devrait pas nous échapper :
"Pommes, poires et noix
font gâter la voix"...
est probablement une allusion sexuelle surtout si, comme me l'a fait remarquer un participant du Congrès, on peut aussi l'énoncer[12]
"Femmes, poires et noix
font gâter la voix"...
Quand nous avons un chat, c'est une grenouille que les anglophones ont dans la gorge (to have a frog in one's throat), ce qui pour être plus français n'en est pas plus harmonieux !
Par excellence, il exhibe la VOIX non seulement quand ses inflexions en soulignent les paroles, mais tout autant, sinon plus, quand ces dernières sont reléguées loin derrière l'enchantement des timbres et de la mélodie, c'est ainsi que l'acteur est réduit à son chant : on le baptise alors 'The Voice' (Frank Sinatra).
Nietzsche nous en avertit "La musique, en soi et pour soi, (...) ne peut passer pour le langage immédiat du sentiment; mais sa liaison antique avec la poésie a mis tant de symbolisme dans le mouvement rythmique, dans la force et la faiblesse des sons, que nous avons maintenant l'illusion qu'elle parle directement à l'âme et qu'elle en émane. La musique dramatique n'est possible qu'une fois conquis à l'art des sons un immense domaine de moyens symboliques, grâce au lied, à l'opéra et aux multiples essais d'harmonie imitative. La "musique absolue" est ou bien une forme en soi, au stade rudimentaire de la musique où le plaisir naît tout bonnement de sons produits en mesure et d'intensités diverses, ou bien le symbolisme des formes dont la langue est comprise même sans poésie, après une évolution dans laquelle les deux arts furent unis jusqu'à ce qu'enfin la forme musicale fût entièrement entre-tissée de fils d'idées et de sentiments."
Nietzsche nous avertit, mais son avertissement est tout aussi entre-tissé et même embrouillé qu'il le dit du son et du sens émotionnel de la musique. Le foetus, nous le savons, est soumis aux harmonies préétablies de l'organisme maman : il est dansé de ses rythmes, il est bercé de ses mélodies (l'orphéon intestinal), et privé de la plus grande part de ses harmoniques il tend vers eux comme une limite à laquelle il aspire et dont il se fait hyper-acousique. On sait que les canetons s'égosillent sans beaucoup produire de bruit il est vrai avant d'avoir cassé leur coquille; personne en tous cas n'a prétendu que le petit homme faisait de même dans la crypte matricielle : mais il est difficile de l'en extraire, d'enduire ses cordes vocales de collodion à seule fin de savoir s'il aura plus tard, du mal à parler sa langue maternelle !
Il existe une sorte d'intentionnalité primordiale, qui dès la conception nous tire hors des sentiers battus de la répétition et du déjà entendu, vers les enchantements de l'étrangeté, de l'inouï, de la surprise du retour. Il convient que la voix partage avec le son sa mission vigilante: nous avertir des présences inopportunes, des dangers invisibles et des agressions secrètes. Elle ne le fera qu'avec le concours bienveillant de la sentinelle amie.
La culture doit certainement autant à la musique, au chant et surtout à la voix que ces derniers ne lui sont redevables ! La musique adoucit les moeurs, elle est civilisatrice, communautarisante et supporte le progrès de l'homme, y compris lorsque d'un chant guerrier il se fait la farce de croire que le mal est simplement au delà d'une frontière...
Mancini décrit fort bien les jeux de la voix et de la langue qui se font entendre dès le IV° siècle de notre calendrier. Il montre bien qu'à cette époque il y a une différence entre deux formes du chant sacré. D'une part la sobre cantillation des textes scripturaires est peu mélismatique, presque syllabique afin que le peuple en comprenne les mots. D'autre part, au contraire, les hymnes, les cantiques, les antiennes, les répons, les graduels, etc. pouvaient donner lieu à l'enthousiasme du chant dans son aspect magique d'incantation, d'invocation, de supplication, de louange... Cette magie vocale devait se faire dans des limites compatibles avec l'austérité et ne pas tomber dans une "sensualité" profane; rigorisme contre quoi proteste Luther : "il ne faut pas laisser toute la belle musique au diable" !
Il existe déjà une rivalité qui viendra jusqu'à nous entre la voix et son message; nous en retrouvons les avatars en l'espèce du lied qu'on opposera aux vocalises du bel canto. Avec la création de l'opéra et l'apparition du chant lyrique cette contradiction se marquera et s'aiguisera; elle affecte, d'une manière ou d'une autre, toutes les formes du chant : il suffit d'évoquer l'engouement planétaire pour les chansons de variété anglophones auxquelles la plupart de leurs auditeurs ne comprennent mie ! Restent les enchantements de la mélodie et les fracassements du rythme !
"Autrefois vivait à Han une jeune fille qui s'appelait Wo. Elle se dirigea vers l'Est et vint jusqu'à Ts'i. Ayant épuisé ses provisions de route, comme elle atteignait Yonh-Men, elle chanta pour gagner de l'argent et se procurer de la nourriture. Après que Wo fut partie, les poutres de la maison résonnèrent sans arrêt durant trois jours; tellement que les gens s'imaginaient qu'elle était encore là. Elle passa par une auberge où des gens l'insultèrent. elle se mit alors à se lamenter d'une voix si douloureuse, et à pleurer si tristement que, dans tout le village, vieux et jeunes furent frappés de pitié et versèrent des larmes au point que la tristesse les empêcha de manger durant trois jours. Ils coururent après elle et la rejoignirent. Alors, elle revint et, à pleine voix, se mit à chanter une chanson, tant et si bien que, dans tout le village, jeunes et vieux sautaient et dansaient de joie sans pouvoir se contenir, et qu'ils oublièrent ainsi leur tristesse. Ils la renvoyèrent bien munie d'argent.[13]"
Racker expose le cas d'une analysante qui, dans son rêve, placée devant le danger de mourir se mit à chanter : et c'est ce qui la sauva ! La musique et surtout le chant apparaissent ainsi comme une défense à l'égard du persécuteur, une protection contre l'anxiété paranoïde; L'analyse nous montre qu'elle est liée à une agression interne projetée à l'extérieur. Et de là : retour; crainte d'être persécutée (loi du Talion). Pour Racker, "le chant signifie autant une défense contre une situation paranoïde et un refuge en un objet idéal, qu'une défense contre une situation dépressive, un essai d'obtenir le pardon".
Qui d'entre nous ne s'est pas encouragé soi-même de la voix, tout comme elle, lorsqu' il fallait affronter le noir ou quelque autre angoisse...
Dans un autre rêve, la même patiente met en scène un charmeur de serpent : lorsque le charmeur arrête de jouer de la flûte, les serpents l'attaquent... Le charmeur contrôle les serpents comme Orphée le faisait des animaux sauvages... Le serpent représenterait ici le phallus (paternel) et la frustration qui lui est liée. Il s'agit de maîtriser le serpent et sa duplicité (il a la langue fendue, menteuse): le chant promeut une parole unifiée à sa voix et tente de dépasser la coupure introduite en elle par le signifiant. "Je me sens comme fendue en plusieurs morceaux[14], je chanterai ce soir". Il y aurait là une façon de s'identifier au persécuteur (le Surmoi) pour colmater l'angoisse en assagissant les pulsions violentes[15] et en tentant de s'unir dans cette maîtrise. En effet, la musique réalise l'unité d'une multiplicité et rétablit l'androgyne dont parle Aristophane dans le Banquet. Mais cette restauration ne peut aboutir, nous souffrons de ce que cette tentative avortée ne soit qu'une tentation : celle de la fusion impossible avec la Source maternelle ! Tentation qui pousse au crime comme de créer ces faux hermaphrodites que sont les castrats[16]...
Chaque geste de soins et de relation avec le petit enfant est accompagné de parole, d'exclamation et de chant. Ces manifestations et ces échanges ne sont pas seulement le canal privilégié de la culture dont ils refléteraient le pur arbitraire lié à une histoire aléatoire; il s'agit de la concrétisation d'une physiologie, et d'une relation intime qui obéit à des lois physiques, valables sur toute la surface de la planète... Cet échange premier est une véritable construction dans laquelle s'associent les données génétiques, sensorielles, affectives et socioculturelles. Les recherches expérimentales (Konopczynski, 89) rejoignent les travaux de Spitz (1965) pour situer autour du huitième mois les fondements de cette construction, liée à la découverte de l'absence (de la mère) et de la présence menaçante (de l'étranger, de la non-mère) qui s'épanouira après la rencontre du "non" de l'adulte (troisième organisateur de Spitz); dès lors, l'enfant saura lui aussi "choisir" : ceci et pas cela. Opposition première, imaginaire certes, mais qui ouvre le passage au symbolique à venir. Il se met à pointer l'index et jouer à cache cache. Geste et Jeu qu'on lui interdit de pousser trop loin : on ne montre pas du doigt et on doit répondre quand on vous appelle. C'est de ce choix et de cet interdit que fleurit l'accès au langage.
Avant de devenir sens ou même seulement l'indice et le signal d'une émotion, le son de la voix est témoin d'une présence, il nous fait dresser l'oreille car nous savons qu'il y a quelqu'un... et même si personne, ce sera un esprit, un polter-geist avec lequel nous entrerons en communion phatique (B.Malinowski)...
Elle est la condition et comme le corps dans lequel s'impriment les idées. Le langage, ce double mort du réel qu'il rétracte, sur la base d'un arbitraire qu'au fin fond, et malgré d'éventuelles dénégations, il nous faut reconnaître. Pas tellement en ce sens que le signifiant n'aurait rien avoir avec le signifié, car nous doutons profondément de cela, mais plutôt par le choix définitif qu'il opère : ceci et pas cela. C'est introduire la mort (de tout ce qui est ainsi éliminé et même de ce qui est retenu et squelettifié, figé, dévitalisé catégoriquement !). C'est introduire l'étrange, l'inquiétant, l'ombre, l'au delà : tout ce qui disparaît ainsi et ne pourrait faire retour sans passer par l'occulte et l'exotique.
La voix en se coupant pour parler se doit de mentir; elle oublie l'harmonie et la mélodie au profit des contraires dont elle poursuivra ensuite toujours l'union (Freud, op.cit.p.248). Au premier rang de ces couples d'opposés, ne mettrons nous pas le sexe qui est sans doute le plus puissant des langages binaires et prit sa naissance de l'insolence corrigée par Zeus au dire d'Aristophane (Platon, 718).
Le Y King en déroule toutes les implications et pique notre curiosité au point de nous persuader d'y lire l'avenir !
Il est bien connu de vous tous qui le mettez à profit pour rééduquer. Mais il me plaît de vous signaler une découverte stimulante : on a découvert, il y a quelques années que la survenue des hallucinations auditives était contemporaine de mouvements laryngés, que les schizophrènes qui en souffrent beaucoup ont très souvent des anomalies dans la structure du gyrus temporal et que le phénomène hallucinatoire s'accompagne de potentiels évoqués auditifs anormaux dans le tronc cérébral. Mieux ! Des finlandais viennent de prouver que l'on peut détecter les hallucinations là où elles sont entendues par le malade, c'est à dire dans le cortex auditif lui-même (retard de 20 ms de l'onde N100 dans le cortex supratemporal) ( Tiihonen, 1992). L'halluciné entend bien des voix, mais elles viennent de l'intérieur via les structures limbiques. Quand montrera-t-on qu'elles parviennent jusqu'aux cellules ciliées externes ?...
Tel autre n'ouvre pas la bouche, ou si peu qu'on ne l'entend pas...
La Voix est identitaire : même quand elle ne dit rien, ne transmet aucun contenu réel, aucune parole, aucun discours, aucune émotion particulière, elle dit pourtant l'essentiel de ce qu'elle a à dire : qui parle ! Nous l'utilisons aujourd'hui pour ne laisser pénétrer dans les lieux secrets que les personnes autorisées qui doivent montrer "voix blanche" avant de voir la porte s'ouvrir... La Thora portait déjà témoignage de cet essentiel lorsqu'elle annonce[26] "La voix, c'est la voix de Jacob, mais les mains sont celles d'Esaü". Et le lecteur (comme Isaac ?) sait bien que c'est la voix qui signe la vérité... Et dans le Cantique[27], l'aimée est endormie à tout. Mais son coeur veille. Il veille seulement pour son amant, pour la voix de son amant.
Le visage est paraître et signe le MOI de Narcisse cependant que la voix parle l'être, proclame l'être comme l'écrit Sartre dans la Nausée :"Et moi aussi, j'ai voulu être. Je n'ai même voulu que cela ; voilà le fin mot de ma vie : au fond de toutes ces tentatives qui semblaient sans liens, je retrouve le même désir : chasser l'existence hors de moi, vider les instants de leur graisse, les tordre, les assécher, me purifier, me durcir, pour rendre enfin le son net et précis d'une note de saxophone."
harmoniques (spectrale)
Le mordant, la richesse, le velouté, la sensualité, la personnalité sont là : dans ces subtils accords, ces partiels, ces harmoniques qui font qu'une voix vous donne de l'énergie ou vous en prive, vous ragaillardit et vous porte au dialogue, ou vous laisse coi...
ECHO
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NARCISSE
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Loi
du Talion
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Puni
par son propre péché
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écoute
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vue
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arts
musicaux
|
arts
plastiques
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beauté
de la voix
|
esthétique
du corps
|
temps
|
espace
|
existence
(être ou ne pas être)
|
essence
(être ceci)
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primevère
(coucou)
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narcisse
(la fleur)
|
hibou
|
coucou
(oiseau)
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ombre
(Jung)
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persona
(Jung)
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Grotte
(cavité résonnante)
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Source
(mère-eau)
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fille
de l'air
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fils
de l'eau
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anorexie
mentale
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autisme
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écholalie
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signe
du miroir
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toux
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prurit
anal
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se
faire entendre ("psittaculaire")
|
se
faire voir (spectaculaire)
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an-auto-portrait
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autoportrait
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refus
de soi, changement
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conservation
de soi
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lune
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soleil
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féminin
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masculin
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anima
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animus
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Ophélie
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Hamlet
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Cyrano
|
Christian
/ Roxane
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parole
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mimique
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affliction
|
|
paradis
perdu
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excès
d'amour (Mère / Fils)
|
abandon,
rejet
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captation
par l'amour maternel
|
révolte,
culpabilité
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Vanité,
Honte
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échec
scolaire, dyslexie
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le
premier de la classe
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sa
mère est Héra / Junon (cocue)
|
sa
mère est Liriopé (vierge)
|
son
père est Zeus / Jupiter (infidèle)
|
son
Père est Céphyse(violeur)
|
désir
éteint du Père
|
désir
brutal du père
|
Pr Jean Marie PRADIER : Que penses-tu de l’absence du « trembler » dans la voix occidentale, alors que c’est très présent, par exemple en Inde ?
Dr AURIOL : Oui, en Inde, au Moyen Orient... Mon silence n'est pas un effet de style. C'est qu'en fait je n'ai pas réfléchi à la question. Peut être toi même as tu une idée ?
Pr Jean-Marie PRADIER : En quoi la classification des voix en Occident correspond à des choix culturels, philosophiques, des choix par rapport aux grandes pulsions instinctives, etc. ? Pourquoi se fait il, par exemple, que chez les tantriques, les lévitations se font avec des ultra graves ? Comment se fait il que dans le grégorien il y ait une voix que je perçois personnellement comme très éthérée, comme attirant vers les aigus ?
Dr AURIOL : Alors là ça m'est plus facile. Par rapport au tantrisme, ce qui nous frappe c'est l'usage de sons extrêmement graves et il ne faut pas négliger le fait que ces graves sont en réalité un étagement de multiples sons en général, c'est à dire qu'il y a également beaucoup d'harmoniques aigus dans ces graves et que quand on les filtre on s'aperçoit que ce n'est pas uniquement des graves. C'est vrai que le fondamental est très grave et par là ces voix sont qualifiables de graves.
Bien sûr l'allusion à la philosophie est évidente. C'est vrai que le bouddhisme en général et l'hindouisme d'ailleurs, considère que les parties basses du corps, les parties les plus pulsionnelles ont autant de valeur que les parties les plus socialisées. L'expression qu'il donne à ces parties peut être sacrée. Dans l'Occident, et en particulier dans l'Occident d'expression chrétienne, les sons graves sont plutôt éliminés. D'ailleurs un changement de voix et son aggravation excessive pouvaient même à l'époque être considérés comme diabolique au point qu'il aurait été très dangereux de présenter cette dame qui produisait un extrait de graves à un tribunal de l'inquisition parce qu'on l'aurait considérée comme possédée ! D'ailleurs ça a été utilisé comme effet dans un film "L'exorciste" que tout le monde a vu. On y voit la jeune enfant utiliser des sons graves appartenant à un registre qui ne convient pas à une pucelle. Donc on pourrait penser que les sons très graves ont quelque chose de sensuel, de pulsionnel. Et dans le bouddhisme tantriste, ça va plus loin, c'est quelque chose de tellement banal que ce qu'on vise, c'est l'indifférenciation par rapport à l'énergie pure, ce qui n'est pas forme matière, ce qui n'a pas pris forme. Bien sûr, même ici quand on parle, ça a une certaine forme, même si cette forme est loin du langage.Une Participante : Je suis éducatrice. Je travaille avec des autistes. On dit souvent qu'ils ne parlent pas. Seulement ils émettent énormément de sons. Je voudrais savoir si je pourrais travailler des exercices de voix avec des enfants comme ça. Y a t il eu des choses écrites là dessus ? J'ai souvent envie de les imiter pour essayer de communiquer avec eux, mais à la fin je ne me sens pas à l'aise par rapport à ça ! Je ne sais pas si c'est les aider !?
Dr AURIOL : Personnellement, j'aurais tendance à vous y encourager même si ça ne doit pas être le seul moyen d'entrer en communication avec eux. La voix est quand même la matière du langage ! C'est peut être par là qu'il faut commencer. Partir de là où quelqu'un se trouve, oui ! S'ils acceptent cette matière, pourquoi ne pas commencer par cette matière ? Bien sûr ça parait difficile de dire qu'on va arrêter là. D'ailleurs si vous le faites c'est que vous espérez aller plus loin !
Vous savez que les autistes ont des caractéristiques très particulières. D'abord "les" autistes. Il est bon de mettre "les" autistes parce qu'il y a peut être même "des" autismes ; il n'y a pas une seule forme d'autisme. En tout cas certains travaux montrent que du point de vue de la relation au son, et donc pour notre cas particulier, à la voix, les autistes pouvaient se diviser en trois catégories.
12 Janvier 2002
[1]
Victor Hugo
[2]
ou Egrégores
[3]
"la voz de su amo"
[4]
Aristophane
[5] Il est remarquable que le terme de " ", voix et celui qui signifie "meurtre"
("
") ne diffèrent que d'une voyelle, et encore !
tellement proche que l'étranger s'y méprendrait !
[6]
Moïse (Exode XIX, 16-20): la traduction ici proposée
est pour l'essentiel inspirée d'André Chouraqui et de la TOB.
[7]
Adonaï
[8]
c'est à dire par le tonnerre.
[9]
Adonaï
[10]
Adonaï (Deutéronome IV, 12 & V, 22-24)
traduction d'André Chouraqui. Ce dernier en utilisant le graphisme IHVH
surmonté de Adonaï se fait l'héritier de la tradition qui considère le nom
de Dieu comme imprononçable. Il y a donc suggestion d'un niveau (divin)
au delà de celui du son, au delà même du Symbolique. Index vers le Transcendant
qui déborde tout ce qu'on en pourrait dire et ne saurait s'enfermer dans
un concept ou un nom.
[11]
C'est par abus que Gilles Henry
l'attribue à Alcuin (735-804) sur le simple fait qu'il l'utilise dans une
lettre adressée à Charlemagne...
[12]
en pensant au ténor frivole
[13]
Lie Tseu :"le Vrai Classique du vide parfait",
V, XII
[14]
La mythologie grecque nous avait prévenus; nous
savons que le dieu Pan, rebuté, se venga de la nymphe Echo en la faisant
déchirer en mille morceaux.
[15]
A noter que, par ailleurs, Ingrid souffre du syndrome
d'hyperacousie : "beaucoup de bruits l'effraient fort. Elle dort souvent
les oreilles bouchées. Elle demande à être reçue dans un cabinet de consultation
où aucun bruit ne pourrait venir des chambres voisines, c'est à dire de
la famille de l'analyste. Un rêve montre que les bruits qui la persécutent
sont l'expression de la scène primitive" et de "sa propre vie
sexuelle".
[16]
officiellement, la castration a toujours été interdite
par l'Eglise mais fut implicitement encouragée pour remplir les choeurs
de la Chapelle Sixtine ou des Cathédrales espagnoles à la recherche de falsettistes
"naturels"(?)...
[17]
Malgrè tous les efforts de Charles Nodier dans
son dictionnaire (T.E.R. éd.) pour sortir des mots tout ce qu'ils pourraient
recéler comme voix... et il ne suffit pas d'en rire !
[18]
M.A. Ouaknin Chap. VI.
[19]
cette pratique commença probablement au cours du
XI° siècle par la récitation de la première partie de l'"ave maria"
pour s'enrichir ensuite en complétant l'"ave maria", ajoutant
un "pater" tous les dix "ave" et utilisant la méditation
sur les mystères joyeux, douloureux et glorieux pendant cette récitation.
Les 150 ave ainsi enchaînés (Psautier de la Vierge) veulent être analogues
aux 150 psaumes de David (Psautier de la Bible repris dans le Bréviaire
clérical) que les laïcs illettrés ne pouvaient utiliser...
[20] "Jamais, sans doute, un écrivain francophone ne s'était approprié aussi intimement la langue française - et d'une manière aussi subversive - pour y invoquer en arabe un des noms du dieu du Coran !..." Guy Riegert (p.133). <<Hou>>, <<Houa>>, <<Huwa>> ( Lui) est en effet, pour les théologiens islamiques un des noms de Dieu. On a par exemple : << qul huwa llâhu ahad >> (Coran 112, 1 ) mot à mot = "dis : << Lui, Allah, Unique ! >>
Pour certains lexicographes,
le terme <<Allâh>> viendrait de son <<hâ
>> final qu'on aurait préfixé
de l'article par deux fois pour signifier son unicité... et la vénération
qu'on en avait.
[21]
Lorsqu'il est revêtu du casque d'Hadès.
[22]
Avec Jacques Lacan : il compare la parole à une
pièce usée qu'on se passe de la main à la main.
[23]
Comme il était de règle chez les hystériques souffrant
d'un tel symptôme (enseignement de Charcot repris par Freud).
[24]
Elle se sentait poussée à aimer Madame K., sorte
d'image idéalisée d'elle-même. Par ailleurs elle s'identifie à Monsieur
K. mais souhaite sa mort (comme Narcisse qui se noie en sa propre image).
Voir dans la réalité cet homme menacé d'une mort réelle, la conduit à la
fermeture de la boite à coucou : elle ne peut plus rien dire (cf Lacan in
"Ecrits" p.221).
[25]
"Les silences parlent. Silence de mort. Silence
de dignité. Silence de maturation. Silence de recueillement. Silence de
prudence. Silence de servilité. Silence qui est un acte. Quelle la nature
de votre silence ?" Ce texte fut écrit en Mars 1941 par l'archevèque
Saliège, lui-même frappé d'aphasie et adressé à tous ses paroissiens. Plus
tard (aout 42), il saura écrire "et clamor Jerusalem ascendit"
pour condamner la déportation des juifs.
[26]
Genèse XXVII, 22.
[27]
Cantique des Cantiques V, 2.
[28]
peut-être à son insu, puisqu'il n'explicite pas
cette assimilation !
[29]
celle des chakras : centres énergétiques pulsionnels
représentés par une roue, parsemant le corps et structurés comme les couches
pulsionnelles selon Freud et Lacan.
[30]
Mallarmé
[31]
La parenté de ce qui est autre, étranger et de
ce qui est en opposition avec la Loi, la Coutume, la Tradition, ce qui est
conforme au bon sens, au bon droit, à la bonne pensée est marquée dans les
textes juifs : Rabbi Elishah ben Abuah poussa son opposition au légalisme
jusqu'à transgresser en public les prescriptions mosaïques. Cela lui valut
l'anathème du Sanhédrin. Non seulement son enseignement fut proscrit, mais
on alla jusqu'à vouloir effacer son nom ; lorsque on le cite, c'est sous
la dénomination d'Aher (autre).(Hruby, p.195)
[32]
Evangile de Thomas, 45 (traduit et commenté par
J.Y. Leloup (Albin Michel, 1988), cf aussi Matthieu VII, 16-18; XII, 33-35;
Luc VI, 43-45...
[33] qui criait comme cinquante hommes...