Le mystère des sons résultants

(ou "produits de distortion")


J.P.
Bourgeois, Ingénieur-conseil
légèrement modifié par Dr Bernard Auriol

Théorie

  

Helmholtz, ce dieu aux pieds d'argile.

Le premier à mentionner le phénomène dès 1740 fut Sorge, organiste allemand, puis le violoniste italien Tartarini le fit connaître sous le nom de "sons de Tartarini".

Enfin H. Helmholtz (Théorie Physiologique de la Musique, 1868) en développa la description en regroupant les sons résultants différentiels (de Sorge et Tartarini) avec sa propre conception des sons résultants additifs.

D'après Helmholtz, deux notes distinctes de fréquence f1 et f2 (avec f1<f2), dits notes génératrices, émises simultanément, laisseraient entendre, en complément, deux sons résultants: l'un (dit différentiel), de fréquence (f2 -f1), l'autre (dit additif), moins perceptible, de fréquence (f1+f2).

Sans vergogne, en raison de l'autorité scientifique supposée de ce brave Herman von Helhmholtz, cet "ukase" est accepté par tous les baraguouineurs en théorie de l'acoustique musicale.

Le LAM (Laboratoire d'Acoustique Musicale de Jussieu), questionné sur de point, m'a même gratifié d'un "silence radio" du plus bel effet.

Cependant, sans mettre en cause leur perception éventuelle, les sons résultants ne sont en nulle part justifiés par le cher professeur Helmholtz, ni théoriquement, ni expérimentalement, handicapé qu'il était par l'absence de nos moyens de mesure actuels et par une manipulation des mathématiques mal assurée.

Où est le problème ?

Dans le cas de deux notes de fréquences f1 et f2 relativement proches, le phénomène perçu est celui des "battements", dont la théorie est bien établie.

Mais dans le cas général, il serait temps de se préoccuper sérieusement de ces mystérieuses "notes résultantes", dont l'existence n'est attestée dans la littérature scientifique que sous la forme suivante, en vérité peu convaincante: "d'après H. Helmholtz, on sait que, bla bla ..."

Plusieurs directions de recherche sont alors possibles, avec leur combinaison éventuelle:

1 Les notes résultantes supposées sont-elles déductibles de la notion de décomposition en série de Fourier, attachée à toute note de fréquence donnée?
Elles auraient alors une existence physique, mesurable expérimentalement.

2 Les notes résultantes ne sont-elles que le résultat auditif engendré par notre cerveau, une sorte "de mirage" de la perception?
Elles résisteraient à la mesure, bien qu'audibles par tous (ou par certains).

Un tel phénomène, bien connu, est la sensation auditive d'une note fondamentale, alors que seuls les partiels sont émis. C'est le cas général des chaînes HiFi qui font laissent entendre des notes d'extrême graves que leurs haut parleurs sont bien incapables de restituer.

3 Comme suggéré, mais développé trop légèrement par Helmholtz, les sons (ou notes) résultant(e)s viendraient-ils d'un défaut de linéarité de l'acoustique, engendré par deux notes génératrices surpuissantes?

Feynman, le visionnaire.

Heureusement, le légendaire Richard P. Feynman, prix Nobel de physique en 1965, et enseignant de haute volée, donne sa clé dans "Le cours de Physique de Feymam, mécanique 2", section "Harmoniques", paragraphe "les réponses non linéaires".

En acoustique linéaire, c'est à dire pour des niveaux acoustiques "usuels", deux notes quelconques restent indépendantes.

Mais, pour les hauts niveaux, deux notes peuvent interagir.

En utilisant le principe de la "boite noire" (entrée -> transfert -> sortie), il propose une boite noire particulière qui associe à une "entrée" x(t)entrée une fonction "sortie linéaire" (acoustique linéaire) kx(t)sortie ,augmentée d'une petite perturbation du second degré (acoustique non linéaire), telles que:

 
x(t)sortie = k[x(t)entrée + ε.x2(t)entrée]

où ε représente la petite perturbation inconnue de la "boite noire", munie du facteur d'amplification k (coefficient parfois dénommé "fonction de transfert")

NB: Avec (Avec ε très petit) très petit par rapport à l'unité (1), cette approximation est légitimée par le principe (bien cerné en mathématique) des "développements limités des fonctions continues", l'erreur commise étant de l'ordre de ε2, pourvu que "entrée" et "transfert" soient effectivement des fonctions continues du temps.

Dans la suite, pour simplifier les écritures, on considère les pulsations ω, au lieu des fréquences f, sachant que ω = 2πf.

Si l'entrée est composée de deux notes pures, d'amplitudes A et B et de pulsations respectives ω1 et ω2, on peut écrire:

x(t)entrée= A cos ω1t + B cos ω2t

  Soit

x(t)sortie = k[A cos ω1t + B cos ω2t + ε (A cos ω1t + B cos ω2t)2]

ou

x(t)sortie = k[A cos ω1t + B cos ω2t + ε (A2 cos2 ω1t + B2 cos2 ω2t + 2 AB cos ω1t cos ω2t)]

En tenant compte de la relation générale 2 cos2 x = 1 - cos 2x, il vient:

x(t)sortie = k[Acos ω1t + B cos ω2t- A2(cos 2ω1t)ε/2 - B2(cos 2ω2t)ε/2 + (A2+B2)ε/2
+ 2ε AB cos ω1t cos ω2t]

  • Les termes kAcos ω1t et kBcos ω2t sont les sorties linéaires des notes d'entrée, au sens usuel de l'acoustique linéaire, pourvues du facteur commun d'amplification k

  • -kA2(cos 2ω1t)ε/2 et -kB2(cos 2ω2t)ε/2, sont les sorties totalement crées, des "harmoniques deux" des notes d'entrée, souvent désignées par le nom évocateur de "distorsions harmoniques d'ordre pair", simultanément ornées d'un déphasage de 180°.

  • k(A2+B2)ε/2 est un terme constant, également créé, qui peut être nommé "terme de redressement", par référence au cas des courants électriques

  • Enfin, 2ε k AB cos ω1t cos ω2t, est le terme tout aussi créé, mais qui nous intéresse le plus.

En effet, on peut écrire, en employant la classique transformation d'un produit de cosinus en somme :

2ε k AB cos ω1t cos ω2t = εk AB [cos (ω1 + ω2)t + cos (ω1 - ω2)t]

Deux nouvelles notes ont donc été produites, de même module εk AB, l'une (dite "son résultant additif") à la pulsation (ω1 + ω2), l'autre (dite son résultant différentiel) à la pulsation (ω1 - ω2)

Les deux notes résultantes, ainsi que les harmoniques pairs, correspondent bien à ce qui est généralement observé.

En revanche, le terme de redressement (et son éventuelle propagation) réclament une interprétation qui me semble encore à préciser.

NB: Il est à noter qu'une telle "boite noire" particulière concerne un raisonnement qui peut s'appliquer à tout mouvement vibratoire: acoustique, courant électrique alternatif, mécanique ondulatoire etc. C'est pourquoi Feynman n'était pas un "traîne-mégots" dans ses raisonnements à fort potentiel heuristique.


En pratique

 

Pour résumer, en acoustique non linéaire, en un point, deux notes suffisamment puissantes pourraient interagir et engendrer:

  • hormis les notes génératrices elles-mêmes, qui restent présentes comme l'intuition la plus banale le réclame
  • des distorsions harmoniques, faisant donc partie du domaine musical au sens large
  • une surpression ponctuelle (souvent dite "de redressement"), assimilalbe à une "onde de choc" de valeur constante au cours du temps, et donc a priori non musicale, et éventuellement cause d'une sorte de "gène" auditive passagère,
  • deux notes résultantes, respectivement additives et différentielles.
  • ainsi que des harmoniques respectifs qui accompagnent physiquement toute note pure théorique.


 

Discussion

 

Je ne sais pas si les notes résultantes existent physiquement, ou si elle ne sont que le reflet du fonctionnement de mon oreille parvenue à saturation, voire, un effet du fonctionnement de mon seul cerveau.

D'ailleurs Richard P. Feynman ajoutait prudemment à ce propos précis, que: "Cela n'est pas parfaitement clair!"

 

Notons que l'étude de Wenxuan Hea et coll. (2007) montre très clairement l'existence physique des fréquences de distortion (Cf. ci-contre).

Cependant JP Bourgeois reste dubitatif; il écrit :


Le fait du rapport disproportionné entre les longueurs d'onde et les dimensions de la cochlée ne permet pas une conclusion claire, et risque même d'entraîner à ne pouvoir jamais conclure.


On en revient au fait qu'il se passe "quelque chose", de fréquences déterminées, mais dont la nature nous échappe.


En particulier, que peut bien mesurer un micro situé à l'intérieur d'une cavité, et avec quelle fidélité et précision, alors que toutes ses propriétés connues sont définies en champ libre ? Une définition théorique des propriétés d'un micro serait nécessaire.


J'aurais préféré lire "capteurs de pression".

Cependant, il semble qu'un peu de précision se dévoile.

Two-tone distortion at different longitudinal locations on the basilar membrane

Wenxuan Hea, Alfred L. Nuttalla and Tianying Rena,

(Oregon Hearing Research Center, Department of Otolaryngology and Head and Neck Surgery, Oregon Health and Science University, Portland, OR 97239-3098, United States ; Department of Otolaryngology of First Affiliated Hospital, Medical School, Xi’an Jiaotong University, Xi’an, Shaanxi 710061, PR China; Kresge Hearing Research Institute, The University of Michigan, Ann Arbor, MI 48109, United States; Department of Physiology, Medical School, Xi’an Jiaotong University, Xi’an, Shaanxi 710061, PR China; Department of Otolaryngology, Renji Hospital, Shanghai Jiao Tong University, Shanghai, China)
Available online 12 February 2007.

Abstract

When listening to two tones at frequency f1 and f2 (f2 > f1), one can hear pitches not only at f1 and f2 but also at distortion frequencies f2 − f1, (n + 1)f1 − nf2, and (n + 1)f2 − nf1 (n = 1, 2, 3 …). Such two-tone distortion products (DPs) also can be measured in the ear canal using a sensitive microphone. These ear-generated sounds are called otoacoustic emissions (OAEs).

In spite of the common applications of OAEs, the mechanisms by which these emissions travel out of the cochlea remain unclear. In a recent study, the basilar membrane (BM) vibration at 2f1 − f2 was measured as a function of the longitudinal location, using a scanning laser interferometer. The data indicated a forward traveling wave and no measurable backward wave. However, this study had a relatively high noise floor and high stimulus intensity.

In the current study, the noise floor of the BM measurement was significantly decreased by using reflective beads on the BM, and the vibration was measured at relatively low intensities at more than one longitudinal location. The results show that the DP phase at a basal location leads the phase at an apical location. The data indicate that the emission travels along the BM from base to apex as a forward traveling wave, and no backward traveling wave was detected under the current experimental conditions.

Abbreviations: BM, basilar membrane; DP, distortion product; OAE, otoacoustic emission; DPOAE, distortion product otoacoustic emissions; BF, best frequency; CAP, cochlear compound action potential

 

Si on voulait mesurer le phénomène, on se tournerait par exemple vers l'analyse d'un sigal capté par un microphone. Mais le défaut de linéarité sensé être mesuré viendrait-il alors de la source, de la propagation des ondes, ou des défauts techniques du microphone? etc, etc...

Quand aux phénomènes non mesurables, purement liés à la perception, s'ils ne sortent pas de mes préoccupations, ils sont hors du domaine de mes compétences.

Peut-être la "trace" physique des notes résultantes serait-elle la mesure de la surpression constante engendrée, partie réputée "non musicale"?

On ne peut se satisfaire de la pirouette: "l'acoustique musicale est, par définition, le domaine du linéaire, et les sons résultants en sont exclus".

Mais l'acoustique traite de tout ce qui est effectivement perçu par le canal de l'ouïe : on peut même se demander si les sons résultants ne sont pas ce "piment" de la musique, ce fameux "grain de son" recherché par nos enfants qui écoutent toujours "trop fort" (d'après nous) leurs "scies musicales".

légèrement modifié par Dr Bernard Auriol
d'après et avec l'aimable autorisation de
J.P.
"lbop" Bourgeois, Ingénieur-conseil ©

 

Les produits de distortion

When two or more tones are presented simultaneously, humans can hear additional tones that are not present in the acoustic stimulus. For two-tone stimuli these additional distortion products have pitches corresponding to combinations of the primary frequencies :

(f1 and f2, f2 > f1), such as f2-f1, 2f1-f2, 2f2-f1

Psychophysical experiments showed that 2f1-f2 distortion components have magnitudes that are highly dependent on stimulus-frequency separation.

Even before the discovery of BM nonlinearities, this frequency dependence suggested that distortion products originate in the mechanics of the cochlea.

Early attempts failed to find distortion products in BM vibrations, but their presence was subsequently demonstrated.

BM responses to two-tone stimuli with close primary frequencies (f1, f2), contain several distortion products at frequencies both higher and lower than the frequencies of the primary tones (such as 3f2-2f1, 2f2-f1, 2f1-f2, 3f1-2f2 and f2-f1).

As the frequencies of the primaries are increasingly separated, the number of detectable distortion products in the response decreases.

NB les références à l'appui des affirmations ci-dessus se trouvent dans l'article original:

Luis Robles and Mario A. Ruggero, mammalian cochlea, Physiol. Rev. 81: 1305-1352, 2001

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4 Novembre 2009