Dr Bernard Auriol [i] propose une critique de l'ouvrage :

« L’esprit du chant »

de Serge Wilfart

L’auteur

Serge Wilfart [ii] , Professeur de voix et de chant, 1er prix de chant et d'Art Lyrique, 13 ans de théâtre lyrique et de concerts, propose un enseignement sur le Souffle et le Son (la Pneumophonie) depuis 1973. Sa « nouvelle » pédagogie de la Voix, la "méthode Wilfart" est censée résoudre les problèmes des professionnels de la voix (enseignants, avocats, comédiens, politiques)… La méthode pourrait être utilisée dans le cadre des cours de chant et de diction. L’auteur a déjà publié "Le Chant de l'Etre" chez Albin Michel et son succès a motivé une édition en livre de poche !


Les motions de la voix

L’idée selon laquelle la voix de chacun est unique, aussi personnelle que le graphisme ou les empreintes digitales est bien connue de tous ; il est pourtant intéressant de distinguer les deux raisons qui en rendent compte :

1.        Pour Wilfart « Elle a été abîmée, dés les premiers mois de la vie, par des atteintes d'ordre émotif et affectif ». Remarquons le caractère pessimiste de cette affirmation ! On pourrait tout aussi justement noter que l’être psychique et sa voix ont été construits, élevés, éduqués, entraînés, magnifiés, sublimés par les supports, les échanges et l’amour reçus aux tous premiers temps de la vie !
2.            Une fois débarrassé de ses traumatismes, le chanteur découvrirait un son « intérieur » essentiel, « fondamental ». Cette découverte le bouleverse : pour la première fois il sait qui il est et qu’il peut s’exprimer !

Pour y parvenir, l’auteur préconise

1.                   de poser un diagnostic,
2.                   d’instaurer un traitement et
3.                   d’en recueillir les fruits !

Le Diagnostic de la Voix

« Cette méthode extrêmement précise permet d'effectuer un bilan vocal à partir d'exercices de lecture et de chant qui mettent en évidence les empêchements de toutes natures s'opposant à l'écoulement harmonieux du flux phonique :

Ces carences de tous ordres sont directement et rationnellement perceptibles par l'analyse du son produit. ». « La voix est un reflet intégral de l'être sur les divers plans où celui-ci s'organise ». On retrouve là les idées de Tomatis et de Marie-Louise Aucher. Il est regrettable qu’il ne cite ni ne discute leurs positions !

Pour lui, il est possible de réécrire toute l'histoire d'un individu à travers sa Voix . En droit, peut-être pouvons nous le lui accorder (tout est lié à tout, etc.). En fait, appliqué au cours de chant, ce type de tentative - dire l’intimité de l’autre à partir de son extériorité - me parait prétentieux et fondamentalement « sauvage »! Cela ne serait légitime que pour un diagnostic d’aptitude ou d’adaptabilité ; dans d’autres approches, il s’agit d’un usage purement comportemental, instrumental, chosifiant… Qui permet peut-être d’augurer de l’inter-opérabilité de la personne observée et de la situation qu’on lui propose, mais n’est d’aucun secours pour l’aider à évoluer, car là, elle doit être reconnue dans sa subjectivité !

Comme Ida Rolf avant lui il observe : « nous avons souvent constaté, par le biais du travail vocal, d’incontestables similitudes entre parents et enfants en matière respiratoire, sonore, musculaire [iii] , statique ».

Le traitement de la Voix

Le verbe ment

« Le chant purifie et relie ». La communication vraie est nécessairement non-verbale, tellement « qu’un nettoyage radical et une reconstruction en profondeur s'imposent pour retrouver, en deçà et au-delà des mots, une communication vraie »… D’où la nécessité du « travail vocal ».

Le travail vocal

1.        L’élève doit bénéficier de l’accompagnement d’un « enseigneur réalisé au niveau pneumo-phonique ».

2.        L’accession au cri du bébé sera l’acmé de l’usage de vocalises non sémantiques, dépourvues de toute ‘ligne mélodique’.

3.        Il restructurera sa respiration afin qu’elle devienne profonde, ventrale (jusque là, il se contentait le plus souvent d'un inspir superficiel, thoracique, générateur de tensions dans le haut du schéma corporel). L'expir sera rétabli dans toute son amplitude pour libérer l'écoulement naturel de la voix [iv] . »

4.        Il apprendra à percevoir les interactions de la voix et du schéma corporel

5.        Il apprendra à donner priorité à la « vérité du son » plutôt qu’à ses « préjugés esthétiques ».

6.        Il devra découvrir « un principe d’harmonisation intérieure » ce qui lui permettra – en y donnant foi – d’accepter « la culbute en soi »… « Quand il a renoncé à la tentation d’une construction toute en rigidité et en volontarisme, le chanteur sent qu’à travers son souffle apaisé, c’est l’animal (souplesse du chat, immobilité du rapace) qui cherche à reprendre une place qu’on lui avait contestée »

 

La fille de l’air

Pour lui – et qui pourrait le contester - « les inévitables tensions psychiques et les artifices intellectuels qui s'ensuivent, faussent le fonctionnement du respiratoire profond et par là, l'émission de la voix ». Cela suggère que l’essentiel de la voix est dans le souffle : la voix vaut ce que vaut la respiration !

Certes, les deux sont liés. Mais tout dans ses commentaires il met un accent impératif qui fait de la respiration le tout de la qualité vocale. L’habitus respiratoire, comme la voix, publierait la vie psychique jusque dans les méandres de son histoire. Cela devrait faire au moins l’objet de discussion !

Ainsi, serions-nous des atrophiés respiratoires et vocaux. Le but sera de récupérer la disponibilité pneumo-phonique qui fut nôtre à la naissance.

Le cri du bébé 

La détente musculaire « peut être utile mais ne change rien en profondeur. Le système des tensions reste intact et se reconstitue rapidement. (…) Notre ‘relaxation’ doit s’entendre comme une sorte de remise dans l’axe par un retour éprouvant à la source des énergies du Souffle et du Son présentes dans la violence du cri du bébé ».

« Le chanteur apprend à reconnaître et à assumer, dans le cri du bébé, cette violence inaugurale qui l’a mis au monde. Retournée contre soi ou contre les autres, la vocifération primitive [v] est un impitoyable tyran. Prise en main, élevée et harmonisée, elle peut au contraire redresser l’être »… « la libération d’un son enragé dégage souvent le chemin par où se glisse furtivement, quelques secondes plus tard, une vocalise parfaitement harmonisée, la première d’une série ».

L’apnée

« on s’exerce à l’apnée pour recouvrer un inspir spontané, animal, et non dicté par les césures du discours ou les hachures émotionnelles ». Après le silence de l’apnée, « le chanteur éprouve cette sensation d’air brûlant, qui ‘cuit’ l’intérieur du corps »… Ce procédé est utilisé par des professeurs de chant très reconnus (par exemple Mady Mesplé) pour libérer, rendre plus naturelle la respiration : souffler à fond, tenir en apnée en endurance et ne reprendre l’air que sous la contrainte impérieuse du besoin physiologique. « L’ascèse pneumo-phonique fait descendre le chanteur au plus profond, au plus obscur, dans le bassin physiologique où, sous le diaphragme, prend naissance le flux respiratoire ».

La verticalité

Comme tous ses prédécesseurs, il rappelle que la voix dépend d’une bonne verticalité  : le chanteur est « solidement campé au sol, étiré verticalement autour de son axe vertébral, sa structure se dilate et se rétracte au gré du rythme pneumo-phonique »

« Un élève qui vient d’entamer sa démarche présente souvent une ’censure’ isolant le centre-ventre de la poitrine ; quant à la houle émotionnelle qui agite le bloc cardio-pulmonaire, un ‘bouchon’ coincé dans le gosier et maintenu par de fortes pressions l’empêche de déborder ».

La symbolique phonématique

Comme les yogis, créateurs des mantras, il s’interroge sur la symbolique des phonèmes. Selon ses observations :

« La voyelle paraît primordiale et la consonne lui tient lieu de simple auxiliaire. » . Parmi les consonnes, « Le  [s] joue un rôle vraiment moteur et charnière [vi] . » Il fait référence à la Kabbale en s’inspirant d’Annick de Souzenelle, dont l’œuvre me paraît, à plus d’un titre, contestable.

Selon Wilfart, « la voix est correctrice [vii] des troubles qu’elle révèle ». Comme elle révèle tout sur un individu, elle peut intégralement le restaurer de sorte qu’une pratique précise et adéquate du chant permettrait la reconstruction d'une « soufflerie saine dans un corps harmonieux ».

 

Les fruits du travail vocal

« Le travail vocal change effectivement l’élève qui le pratique assidûment : l’enveloppe corporelle se transforme avec l’usure des tensions qui la modelaient ; elle donne à l’individu l’aspect lisse et dispos d’un bébé qui aurait bien évolué ».

Le sexe et la Voix

« L’un des aspects les plus déroutants et les plus précieux du travail vocal consiste, pour le chanteur et la chanteuse, à redécouvrir les parts féminine et masculine qu’ils portent en eux et qu’ils ont généralement refoulées »

La voix juste du juste ?

« Un individu lisant, avec la maîtrise de son respiratoire profond, le texte insignifiant de l'annuaire téléphonique, tient son public "en haleine". Le même interprétant un texte d'auteur en l'intellectualisant, sans contrôle de la respiration abdominale, ennuie l'assistance, voire l'irrite. Pour l'observateur extérieur, quelque chose d'indéfinissable a changé dans le maintien, dans la Voix, dans la tournure d'esprit et dans le physique de son interlocuteur, bref dans sa présence. »

Selon lui « une communication vraie ne peut s'établir qu'à travers un instrument vrai et une voix juste. » Il suggère que la justesse de la voix correspond à une justesse dans la façon d’être, une justesse éthique ou métaphysique.

« La voix juste provoque un grand nettoyage qui lave la personnalité, tend à la purger de ses tensions, à la débarrasser de ses masques, à la réduire à l’essentiel. On observe alors chez le chanteur un changement radical du comportement, notamment dans les sphères familiale et professionnelle ; certains attachements, (…) se dissolvent. (…) Les actes nécessaires sont posés dans un climat de neutralité émotionnelle de bon aloi (…) ».

 La "Méthode Wilfart" permettrait « de se libérer des angoisses profondes et des désordres psychosomatiques. »

Critique

Alain Zürcher [viii] ,remarque que « le début, sur la connexion physique (sexuelle) du chant est intéressant, mais pas révolutionnaire. Disons qu'il développe en cinquante pages, ce qui en fait une, ailleurs. Quand il devient plus spécifiquement vocal, il devient franchement étrange dans ses conseils et dans les principes et exercices que l'on devine entre les lignes, car il n'en "offre" pas vraiment. Mais il est difficile, justement, de se faire une idée car, pour le coup, il consacre dix pages à ce qui en prend trois cents chez Miller, Vennard et autres ! 

L’utilisation des Ecrits Sacrés.

Zürcher poursuit : « Quant à la partie initiatique et ésotérique, il faut aimer ! Personnellement, je suis plutôt réfractaire à ce jargon, et aux dangers d'endoctrinement qui ne sont jamais très loin. » Wilfart est, bien sûr, fondé à dire que « le chant spirituel participe, de manière privilégiée, de toute démarche sacrée, à quelque tradition qu’elle se réfère ».

Mais il est sans doute nostalgique de la toge qu’il n’ose revendiquer : celle de Maître spirituel , de gourou, plutôt que celle de professeur de chant. C’est sans doute ce qui explique qu’il consacre l’essentiel de son ouvrage à des citations et commentaires des textes religieux ou sapientiaux les plus reconnus :

·         Thora
·         Textes chrétiens (de préférence Apocryphes)
·         Coran
·         Védas (Baghavad Gita)
·         Bouddhisme (Zen)
·         Franc Maçonnerie
Il s’agit d’une « utilisation ». Référence sans révérence. Il fait ‘comme si’ l’enseignement du chant devait puiser son inspiration dans de grandes vérités révélées, alors qu’il s’agit simplement d’appuyer ce qu’il veut transmettre sur des citations détournées de leur sens purement religieux. On néglige par ailleurs, dans une bonne volonté syncrétique qui pourrait passer pour de la mauvaise foi, les divergences historiques et conceptuelles si profondes qui ont séparé et séparent encore les différents courants religieux.

A titre d’exemple, cette « citation » du Coran :

« ceux dont le cœur est gangrené (…) nous pourrions te les faire connaître à des signes certains,

mais le son de leur voix suffit pour les démasquer » (XLVII [ix] , 31-32).

Mais la traduction en est généralement différente : il serait question de la « fausseté de leurs paroles [x]  » ou de « leur langage vicieux  [xi] » et non du « son de leur voix »…

Patrick Chauvelot [xii] regrette, lui aussi, « la religiosité décalée, l’aspect trop abstrait, plus ou moins creux » de l’ouvrage de Wilfart.

Sylvie Caillat [xiii] qui a eu l'occasion de faire un stage avec notre auteur est moins critique : « cela m'a apporté beaucoup » dit-elle « sur un plan technique vocale mais aussi et surtout connaissance personnelle; c'est quelqu'un de ‘bien’, d'humain, de chaleureux et très bon praticien. »

Personnellement, je ne saurais contester la plupart des principes et des pratiques dont j’ai essayé de donner un bref aperçu. Cependant, ils tiennent en peu de mots ! Ils sont pour la plupart classiques ou dérivés des écrits de Tomatis, Aucher, Hanish, Durkheim ou de Souzenelle. L’usage des écritures sacrées témoigne sans doute de l’intérêt de l’auteur pour la spiritualité ; cependant son effort me paraît aboutir à un syncrétisme plutôt qu’à une synthèse. La méthode étant d’appuyer les vues de l’auteur sur des citations sorties de leur contexte exégétique.

Il se défend d’être un gourou mais semble parfois en manifester la nostalgie. Il dénonce le mouvement New Age mais son écrit ne saurait échapper totalement à cette catégorisation.

Réaction à ce texte

  1. "Je travaille avec serge depuis 1995, ses bouquins présentent son travail, reste à...travailler. Je vous lis, je souris; comment comprendre quelquechose que l'on ne pratique pas ?
    Cette méthode est d'une efficacité sans pareil, en accord avec LA VOIE, d'où qu'elle vienne. serge n'a jamais caché ses influences, durckheim/zen où ce que vous voulez. quant au gourou, je me marre, non vraiment, vous racontez n'importe quoi, ayez la force et le courage de "passer" par ce travail et vous gagnerez grandement en humilité.
    Bien à vous
    François
    "
  2. "Pour avoir appliqué avec assiduité pendant plusieurs années la méthode proposée par le professeur de chant Serge Wilfart, je ne saurais nié son
    intérêt sur un plan strictement vocal (et ce à condition que la méthode soit pratiquée avec Serge Wilfart en personne).
    Néanmoins, cette démarche dite "initiatique" restant fondamentalement très ésotérique (lire à ce propos les perspicaces remarques du docteur Auriol ci-dessus), je vous recommande la plus grande vigilance et la déconseille à toute personne en manque d'esprit critique.
    Pierrot@gmx.com"

Lien pour le site de Serge Wilfart

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  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

3 Novembre 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[i] Bernard Auriol est Docteur en Médecine, Licencié en psychologie, Psychiatre. Il exerce actuellement en cabinet privé (Psychanalyse et Thérapie Psychosonique).

[ii] Contact : S.P.R.L Serge Wilfart, "Analyser, Construire, Harmoniser par la Voix", 19 rue Roc Saint Nicaise (B-7500 TOURNAI - Belgique) Tel : 069 / 21-53-13

[iii] Ida Rolf avait pour sa part largement insisté sur la transmission familiale, mais généralement non génétique, des tensions musculaires durablement inscrites dans la structure aponévrotique du sujet.

[iv] on retrouve là un effet que d’autres attendent du yoga, du taï-chi ou du rebirth.

[v] On reconnaît là un avatar du « Cri Primal » de Janov et un appel à des procédés évoquant le « Rebirth » de Léonard Orr.

[vi] Il semble faire là son profit du travail sur les « sifflantes » systématiquement proposé en fin de parcours audio-psycho-phonologique, à la suite de Tomatis. Isi Beller a, quant à lui proposé un appareil qui transforme la parole du patient en un mixte de mots et de chants d’oiseau… Wilfart ne cite ni l’un ni l’autre.

[vii] même idée que dans la graphothérapie, le yoga, etc.

[viii] L'Atelier du Chanteur :http://www.multimania.com/chant

[ix] La référence dans l’édition de Wilfart que j’ai en main comporte une erreur typographique : elle mentionne XLIII alors qu’il s’agit de XLVII…

[x] Blachère, Le Coran (traduit de l’arabe), Maisonneuve et Larose, 1966,  p.541.

[xi] Kasimirski, Le Coran, traduction et notes, Sacelp éd., 1981, p.347.

[xii] patrick.chauvelot@wanadoo.fr (chorégraphe et auteur de l'opéra rock « les Ecus de Sobieski ») sur http://www.multimania.com/amnesiaspectacle.