La blanche biche

 la légende du chasseur aux étoiles et la chanson

Irène Figuerola

réflexion préalable synthétique proposée au
"groupe de recherche sur le symbolisme dans les chansons traditionnelles"
animé par Jean-Laurent Imianitoff

La légende et la chanson (entendre l'air)sont proches, se confondent sur certains aspects et sur d’autres apportent des éclairages différents qui enrichissent et amplifient la portée de ce qui les inspire, car l’une et l’autre puisent à la même source perpétuellement renouvelée. Aussi ne peut-on en parler me semble-t-il qu’en les conjuguant, même si ce n’est pas facile.

Chacun des termes qu’on y rencontre renvoie à une pluralité de signes et de sens.

La façon dont ces termes sont reliés entre eux, tout en gardant une similitude certaine, varie aussi en fonction des aires géographiques, de l’époque, du locuteur, et cela augmente encore la difficulté. Pour travailler sur une possible interprétation il faudrait, sans prétention à l’exhaustivité pouvoir comparer et croiser les approches sur différents plans :

Ce récit les recouvre toutes et en invente de nouvelles, et toutes nous renseigneraient sur lui sans l’épuiser, car il est tout ça à la fois et bien plus que cela, il touche à tous les plans de l’humain. Il ne se résume pas à la somme de ses parties ni à un agencement syncrétique de ses différents niveaux, il est un langage polysémique, d’une très grande force poétique, où toujours quelque chose nous échappera.


Ce qui est frappant dans la légende comme dans la chanson, c’est la mise en rapport et les jeux de miroirs entre les opposés :

Ces jeux de miroir se déploient autour de l’axe de parenté profonde du frère et de la sœur.

Ce récit semble nous ouvrir le chemin d’une pensée paradoxale et d’une forme de dépassement des opposés, il suggère l’accès à un mode d’être subtil et ambivalent.

Ce n’est pas une histoire dont l’enchaînement déroulerait une signification dont il faudrait élucider le mystère, mais comme dans les contes, la mise en tension et en images des forces agissantes qui constituent une situation existentielle immémoriale, une expérience humaine profonde de l’âme et de la chair. Comme eux aussi il présente une structure en étoile.

Ainsi toute personne peut être simultanément le lieu de la métamorphose de la femme en biche, la nuit et la forêt, la mère et le chasseur, lieu de la danse des contraires et constellation de figures scintillantes ou obscures. Ce n’est qu’à partir de là que la symbolique interne prend son sens.

Dans ce contexte comment comprendre la métamorphose nocturne d’une femme en biche, associée à une chasse, nocturne aussi, et dont l’issue tragique sera la mort et la dévoration ? C’est une histoire probablement d’origine celtique ; or dans la mythologie celtique comme dans la grecque la biche symbolise la douceur et la fécondité de l’amour, et comme le dit Paul Diel une certaine qualité d’âme, de finesse et de sensibilité sublimes, et aussi un état supérieur de conscience, la rencontre de l’instinct et de l’esprit, l’état de nature en conscience. On peut la rapprocher de la Licorne,  symbole de la fécondité spirituelle et de la conjonction des opposés. A rapprocher aussi des travaux de ML Von Franz et son interprétation de la traversée de différents « états » par la femme, dans les contes de fée.

Peut-on dire alors que la métamorphose est une tentative de passage d’un état antérieur à un nouvel état, plus subtil et lumineux ? Passage qui serait dramatique car au sein de l’être s’yè opposent les forces brutales et dominatrices de la sauvagerie des instincts indifférenciés, de l’inconscience du chasseur et de son aveuglement.

Ou faut-il considérer que la biche symbolise un contenu inconscient particulièrement riche que la conscience pour son malheur ne parvient pas à intégrer, car d’autres contenus destructeurs s’y opposent ?

La chasse, symboliquement est aussi une quête spirituelle dirigée contre les instincts sauvages, et chez les Celtes la chasse à la biche est la poursuite de la sagesse, de la qualité d’âme dont nous avons parlé. Une des variantes qui racontent l’histoire de la blanche biche s’appelle « Le chasseur aux étoiles » : il s’agit de Renaud, le frère, car il chasse la nuit. Il y est dit qu’il a un arc d’argent, à la fois arc spirituel et attribut de l’amour charnel, de la tension désirante, les deux pôles se rejoignant là aussi. Dans ce cas l’arc, plus qu’à tuer, sert à dire cette tension et cette concentration extrême des forces vitales vers le but précis à atteindre, il sert à aller au plus loin, à aller au delà, à la fine pointe.

Notre chasseur aveugle et meurtrier est aussi celui qui poursuit dans la nuit de sa quête éperdue cet objet absolu du désir, une biche blanche donc divine, pour en posséder l’essence.

Contradiction ?

Sans doute plutôt conjonction des contraires ; sur le plan de l’âme un objet peut-être le même et son contraire, les deux à la fois et en même temps, car la psyché se manifeste dans des créations qui tendent vers une totalité et ne se satisfont pas de formes et d’identités exclusives.

Mais la biche divine tant désirée, et sans cesse échappant à la poursuite, mourra sitôt atteinte se révélant être la sœur humaine, c’est à dire une partie de sa propre essence, méconnue, inconnaissable, et la quête absolue doit ainsi endurer la perte absolue.

Il faut considérer la tonalité nocturne et lunaire qui baigne tout le récit, aspect très important qui nous renseigne sur les régions de l’être où se produisent ces évènements.

On connaît le symbolisme qui s’attache à la lune et à la nuit, principe et lieu de ce qui est caché, obscur, inconscient, mais aussi de la réceptivité, des gestations, des transformations, de la fécondité, de l’imagination, de la lumière intérieure, chambre noire renfermant le secret des métamorphoses, et où se fomentent toutes les délivrances et toutes les créations.

Seule la mère semble dans la chanson une figure diurne mais il ne s’agit que d’apparence : sa conscience est superficielle; sans l’aveu de sa fille elle n’aurait pas soupçonné l’existence des terribles évènements générés et vécus par ses propres enfants qui vont manifester sa part d’ombre, l’obliger à un séjour dans sa nuit.

Dans la chanson la mélodie a une tonalité dramatique et lancinante, elle enveloppe tout de tristesse et de fatalité.

Que dire du crescendo de cruauté et de douleur qui occupe toute la deuxième partie et qui, avec une très grande puissance d’évocation, nous plonge dans une atmosphère onirique, fait résonner en nous toute la force de l’horrible prodige ?

La correspondance entre la musique et ces images véritablement saisissantes semblent réveiller en nous de très anciens mystères, un monde de rêves enfouis et d’angoisses archaïques. Ils nous font participer de la transgression accomplie dans le dépeçage et le repas, à la fois consommation de l’http://auriol.free.fr/psychanalyse/inceste/ et communion rituelle d’appropriation des vertus de la biche/sœur, en même temps que la souffrance de la victime est profondément la nôtre. Toutes ces composantes, culminant dans un pouvoir d’évocation peu commun, entrent profondément en écho avec notre for intime pour lui parler du fondement de son être et de ce qui le dépasse.

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23 Février 2006