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Je me propose de traiter le problème de la normalité en référence à une conception hiérarchisée de l'organisme humain telle qu'elle peut être édifiée à partir des données traditionnelles du Yoga d'une part, des données occidentales appelées « scientifiques » d'autre part.
Il est patent que le Yoga, dans quelque contexte philosophique ou religieux
qu'il ait été intégré, comporte des présupposés ou au moins des « tendances
», des pentes à une idéologie et à une métaphysique.
De manière plus discrète, qui a cependant été déjà soulignée, la « science »
occidentale comporte des présupposés, le plus souvent latents, de types idéologiques,
métaphysiques, éthiques et même critériologiques qui peuvent être discutés.
Une tension évidente entre ces deux modes d'approche est celle qui passe par
laxe, parcellisation/unification.
Cette tension n'est pas celle de l'esprit d'analyse et de synthèse, les deux
existent dans les deux... Mais le Yoga part de la perception (et de l'appréhension
intellectuelle) fragmentée du monde (décrit analytiquement) et vise l'unification
expérientielle comme idéal. Cette unification expérientielle est, non pas une
synthèse (la construction harmonieuse des objets), ou pas seulement une synthèse
(laquelle sera de toute façon, en dernière analyse « niée », « déjouée ») mais
l'expérience de ce qu'avait d'erroné, non le mode d'analyse (ou ses opérations)
mais l'acte même d'analyser. Or ce mouvement, cette action, cette expérience
va, de soi, jusqu'à un terme absolu à partir de l'instant où il est engagé.
Il ne s'agit pas seulement de la négation (« intellectuelle », idéologique)
des êtres comme distincts, séparés, des concepts en tant que « découpage » du
réel (façon de penser avec laquelle l'Occident a flirté au niveau du nominalisme
déjà avec Dun Scot, Occam et que retrouve la « sémantique générale » de Korzybski).
Réellement il s'agit d'une expérience plus ou moins profonde, poussée, généralisée,
au terme de laquelle la distinction du sujet et de l'objet n'est plus vérifiable,
non plus que celle de avant/après, ici/là, dedans/dehors, etc. En fait il s'agit
d'un domaine où le langage devient inopérant et l'expérience indescriptible.
On pourrait se demander en quoi cette expérience concerne la psychologie sinon
comme objet à décrire (comme si on dit « expérience ultra régressive de type
fusionnel évoquant la protogenèse ftale dans le milieu utérin ») ou comme
curiosité scientifiquement inassimilable (cf. l'attitude de Freud à l'égard
du « sentiment océanique »).
Le double caractère d'expérience authentique et de difficulté à être scientifiquement
intégré constitue le « sentiment océanique » comme coin à faire éclater l'arbre
des préjugés occidentaux véhiculés par le modèle « scientifique ».
L'aspect factuel impose cette expérience à la science par ses côtés «phénoménaux»
; ses conséquences électro-encéphalographiques, métaboliques, thérapeutiques.
Le côté inassimilable impose que soient revues quelques conceptions, éventuellement
tout à fait fondamentales, voire structurelles, de la psychologie, des sciences
humaines en général et même de la science dans sa totalité.
Cette révision radicale pourrait en effet toucher aux confins de l'infiniment
petit comme de l'infiniment grand.
Au niveau « mentalité » cela reviendrait par exemple à considérer tout « être
» physique ou métaphysique comme un découpage contingent, provisoire, voire
arbitraire.
***
Or, mais le paradoxe n'est qu'apparent, le Yoga nous propose des subtilités
dans ce découpage métaphysique qui dépassent de loin celles de nos plus fieffés
scolastiques. Comme sa topologie sémantique, nous est radicalement étrangère
il nous faut faire un gros effort d'honnêteté intellectuelle (et pas seulement
intellectuelle car il y va plus que de nos superstructures pensantes) pour simplement
appréhender les espaces signifiés qui morcellent ce que nous indistinguions
et qui indistingue ce que nous découpions.
Ainsi, quoique gymnastique et démarche spirituelle soient d'un même mouvement,
on différencie un étayement de niveaux beaucoup plus complexes que la tête et
le cur (la Raison et la Passion) pour nous familiers. Ces niveaux sont
liés à des ensembles que nous appelons en Occident métamériques et qui peuvent
donner lieu, comme l'a souligné Ch. Baudoin, à typologie, typologie dont la
référence pourrait être embryologique bien sûr, quoique non assimilable aux
tempéraments comme les voit Martiny (Ecto, Ento, Méso, Chordo-blastiques) ou
Sheldon.
Ces types ont donc une signification anatomique mais aussi physiologique, endrocrinologique,
neuro-psychologique, psychologique (et sociologique) et même, sinon surtout,
spirituelle ou nousologique (comme dit Thérèse Brosse) : le développement de
l'être au plan absolu métaphysique pouvant être suivi, repéré sinon vraiment
mesuré, en fonction de l'éveil, précisément de tel ou tel ensemble métamérique.
Dans cette même perspective on peut établir une sorte de prédisposition congénitale
ou tôt acquise à utiliser préférentiellement et/ou avec plus de succès telle
ou telle zone de l'organisme (dans toutes les dimensions énoncées ci-dessus).
Il peut y avoir dissociation de l'aptitude et de l'attitude selon une remarque
de celui qui signait Zar Adusht Hanisch, il y a des personnes qui forcent leur
tempérament dont les aptitudes sont par exemple de type intellectuel mais qui
vivent surtout au niveau de leur ventre (ou l'inverse). Ces tempéraments « forcés
» ne sont pas forcément voués à l'échec social ou personnel, leurs difficultés
seront assurément plus grandes que si les circonstances leur avaient permis
de fonctionner naturellement avec leur zone forte. Ils peuvent donner lieu à
quelques monstruosités, parfois de l'ordre du génie, plus souvent de l'ordre
de la pathologie nosographiée ou non.
Une remarque s'impose ici : l'Occident dans son ensemble a tendance à « forcer
» certaines zones chez l'ensemble des individus qui le composent ou sont dans
sa sphère d'influence (y compris en Orient). Il s'agit d'abord de la région
immédiatement sous-diaphragmatique (foie, estomac, surrénales) ordonnée à la
compétition, à l'affirmation de soi comme puissance.
Secondairement la zone du front peut être forcée (intellectualisme). Il s'agit
là d'une pathologie collective qui aboutit à des symptômes collectifs qui commencent
à être clairement dénoncés (péril écologique, tarissement des ressources, antiefficience,
etc.) (cf. Ivan Illich). Quand certains individus refusent brutalement cette
pathologie et cherchent à rester de ce point de vue, sains, ils courent le risque
d'une marginalisation telle qu'on les retrouve parfois en hôpital psychiatrique
ou en prison...
Ceux qui, au contraire, vont dans le sens du courant peuvent réussir plus ou
moins dans cette course à la première place, leur destin sera malgré tout, souvent,
marqué par la maladie cardio-vasculaire (type « A»). Si l'échec fait suite à
leurs efforts multiples ils auront droit en prime à divers troubles psychologiques
répertoriés comme dépressifs ou névrotiques.
Les contestations de ce monde compétitif seront portées davantage sur les «
drogues » d'intériorisation (haschisch, LSD, etc.) alors que les fidèles du
modèle occidental préféreront généralement l'alcool ou d'autres stimulants de
l'extériorisation dans l'action.
On peut aussi (sainte Thérèse d'Avila l'a fait pour son compte, et sans autre
source que la tradition très différente du christianisme et sa propre expérience)
décrire l'itinéraire spirituel comme un « voyage » à travers différents points
d'ordre énergétique afférents à chacun des ensembles métamériques (doctrine
des chakras). L'aboutissement et la prémisse de toute conquête fondamentale
devenant la fusion du bas et du haut (du Très Haut) dans ce qu'elle a appelé
(comme la tradition orientale) « Mariage Mystique ». Ici la conscience de la
fusion transcendantale coïncide avec la perpétuation simultanée de la perception
et de l'action dans ce monde phénoménal, quotidien.
La typologie revient alors à la description de paliers évolutifs, de degrés
à franchir. On retrouve cette notion, non seulement dans la littérature ascético-mystique
chrétienne, mais également dans toutes sortes de sectes et groupes ésotériques
à forte imprégnation « gnostique » souvent d'allure néoplatonicienne.
Le souffle d'air apporté par Krishnamurti dans ce monde de la démarche spirituelle
et les efforts de «démocratisation », voire de « socialisation » de la pensée
chrétienne nous ont, avec juste raison, appris à nous méfier de pareille façon
de voir aristocratique. Non seulement au nom d'un instinct et d'une mentalité
nouvelle, mais à partir de constatations tirées de l'hagiographie et des effets
de la divinisation des degrés qui se trouve être précisément un obstacle au
meilleur.
A notre époque la question est multiple :
? peut-on négliger une démarche par « degrés » ?
? quelle méthode employer pour réussir les états considérés comme désirables
? ;
? enfin cette démarche est-elle nécessairement « religieuse » et comporte-t-elle
comme préalable indispensable l'adhésion à un dogme ou comme encadrement obligé
un rituel, qu'il soit beaucoup ou peu développé ? Subsidiairement une idéologie
« positiviste » ou « marxiste » pourrait-elle la prendre à son compte ?
Nous croyons, avec Benson (quoique sans adopter ses simplifications abusives),
à une possible laïcisation qu'affirme également le groupe de G. Lanfranchi.
***
Dès à présent il existe un
début de preuve (cf. Bloomfield pour La MT, Henrotte in La Recherche) de l'existence
d'états de conscience transcendantaux bien individualisés au niveau du vécu
subjectif mais aussi par les mesures biologiques comme EEG, EMG, thermographie,
psychométrie, etc.
On est ainsi amené à distinguer au moins quatre états de conscience :
Les quatre états de la Conscience |
Activité
|
||
-
|
+
|
||
Eveil | + |
éveil paradoxal
|
éveil trivial
|
- |
sommeil trivial
|
sommeil paradoxal
|
La normalité peut être conçue
comme statistique et le fait d'atteindre l'état d'éveil paradoxal fréquemment
sera alors anormal. Si la normalité est le fonctionnement optimal d'un système
il en va autrement : toute personne peut atteindre, en utilisant les moyens
utiles, cet état de réalisation personnelle.
L'usage des quatre états de conscience peut amener à une réalisation dans quatre
différents secteurs métamériques avec une prédominance spontanée ou acquise
par le développement prioritaire et l'harmonisation de tel ou tel de ces ensembles
métamériques.
L'unification fusionnelle peut, à mon avis, être obtenue, si les énergies d'en
haut et d'en bas s'y donnent rendez-vous, en un quelconque de ces secteurs.
Cette affirmation, si elle était vérifiée et admise permettrait de résoudre
le conflit d'école et de méthode du genre « faut-il faire descendre ou monter
l'énergie ? », ce qui est un des points d'affrontement du Yoga tantrique, de
la végétothérapie (ou de la bioénergie) et du Yoga classique.
Ce secteur de la recherche nous semble plein de promesses mais nous n'en masquerons
pas le caractère balbutiant en essayant d'y apporter une quelconque conclusion.