Si le théâtre n'avait pas existé. Il y aurait peut‑être eu une autre forme artistique. Ou une religion ; une retraite ; un engagement de vie hors du monde séculier. Ou la mort.
Et si, en grandissant, le champ des possibilités de vivre ici s'est élargi, ce carrefour abrupte se présente régulièrement. Où se croisent les quatre chemins : sorte de croix fondatrice.
Jouer est un état de prière. Il faudrait ne jamais oublier Dieu lorsque l'on joue. Je peux me reprocher de l'oublier, de glisser souvent vers un théâtre profane. Faire mon métier de comédienne ; être dans la représentation d'un travail ; délaisser la communion ; oublier que je suis actrice. Etre acteur c'est faire acte, au delà du travail visible (texte, mouvement, voix...), d'une communion avec la Vie. Cet acte est un état de jeu ; la couche de base qui sera recouverte par les touches du métier.
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La concentration requise pour jouer est proche, si ce n'est semblable dans sa quintessence, à la prière ( quand elle n'est pas pratiqué sous la forme d'une demande ) ou à la méditation. La concentration est un dévidement. Communément on appelle « concentration », le fait de fixer son esprit sur un objet. A ce stade, on est dans le plein. Or la concentration peut être un moyen d'accès à la méditation, d'accès au vide. Par exemple, si je fixe mon être sur la répétition d'un texte, je suis dans un travail de mémorisation ( ou autre travail ) mais non de concentration ( en tant que premier stade de la méditation ) . Dans le cas où le texte est une matière de psalmodie, il devient un objet fixateur qui va m'aider à faire le vide. Je suis, alors, au stade du vide, proprement dans le but de la concentration qui est la méditation.
Je reconnais en moi que la concentration est bonne lorsque les sensations de vie et de mort, après s'être tenues en face l'une de l'autre ne se distinguent plus. Etre là vivante, et être là morte sont la même chose. Il n'existe plus qu'une seule sensation où l'état de vie a intégré l'état de mort, où l'état de mort a intégré l'état de vie. Autrement dit, où l'état d' « être là » a intégré l'état de « n'être pas là » et vice-versa. On pourrait dire « ça » en place du « là ». Car il n'y pas de notion spatiale, elle aussi dissoute. « Cà » représenterait la sensation éprouvée, une sensation qui annule l'être et tout le cortège environnementale physique et psychique par lequel il valide son existence et s'identifie. Il n'y a pas de séparation entre moi et la sensation. Je suis la sensation et rien d’autre ; je fusionne. Les particules de mon être se dessoudent d'entre elles et voyaient entre toutes les autres. La sensation que le corps ne finit nulle part.
A ce moment, je ne sais pas si je me souviens de ce que j'ai à jouer ; il me semble que ça se perd avec le reste. Apprivoiser cette angoisse. Ne pas chercher à se rassurer en plongeant mentalement sur ce que « l'on a à faire ». Avoir confiance dans le lien auquel on a fait place. Ne pas le rompre par manque de sérénité.
Je n'en suis pas là. Je suis actrice quelque fois rarement ( c'est une grâce ), comédienne la plus part du temps ; je romps ; je trompe je joue la comédie d'un théâtre ;effrayant. Oui, car ce que le théâtre met en scène est effrayant. L'effroi de l'existence, de la vie, de la parole est le fondement du théâtre.
Et s'il se passait en public autre chose que ce qu'il aurait du se produire, ce qu'on attendait de soi et des autres, et que cela ne soit ni envisageable ni accepté, je crois que ce sera pour moi le moment d'abandonner le théâtre pour poursuivre dans cette voix. Alors peut‑être que la religion se présentera. Je ne sais, aujourd'hui, ni laquelle ni même si elle se nomme comme telle. Peut-être que ce jour là signifiera que je n'ai plus à rendre compte de ce lien, que mon rôle ou travail n'est plus de relier un public via le théâtre au divin qui nous jaillit et nous assaillent. Si je pressens qu'il n'y a pas de théâtre (je ne parle pas de spectacle )s'il n'est pas relié au divin, je ne sais encore s'il peut y avoir théâtre sans qu'il soit relié au monde, aux autres. Peut-être est ce là, la seule différence entre Théâtre et Religion.