Bio-psychologie du Narcissisme Primaire1
Synapse, 65, 27-35, 1990
Dr Bernard AURIOL
L'embryon, puis le foetus n'a pour environnement que l'antre de chair placentaire enté sur l'utérus maternel; lequel se comporte en filtre plus ou moins sélectif. Ce filtre laisse entrer dans la circulation sanguine du petit toutes sortes de substances, en fonction de leur concentration chez la mère et de leur capacité à franchir l'interface placentaire. Parmi ces substances, certaines sont connues pour leur rôle apaisant, voire euphorisant, ou au contraire stressant, angoissant. De sorte que le vécu émotionnel de la mère a une répercussion évidente chez son enfant qui éprouvera toutes sortes d'états dépendant d'elle assez strictement.
|
Dès la construction de l 'embryon, l 'effet du stress est des plus criant :
« Une équipe danoise[1] a montré qu' un stress maternel majeur durant la grossesse (décès d 'un enfant ou du conjoint) pouvait entraîner des malformations congénitales chez le foetus C 'est le résultat d 'une étude sur treize ans portant sur 3560 mères ayant été exposées à un stress majeur durant leur grossesse, comparativement à 20999 mères témoins. Ces malformations pourraient être dues à l 'hyperglycémie et l 'hypoxie résultant d 'une élévation de la sécrétion de cortisol et de catécholamines lors du stress. »
De même, le Syndrome de Stress Post Traumatique (Post Traumatic Stress Disorder <==> PTSD), contracté avant la conception, accroît le risque de complications de la grossess. Plus de 12 % des femmes développent un tel syndrome au cours de leur vie. Les altérations comportementales et neuroendocriniennes qui en résultent pourraient affecter le déroulement de la grossesse.
Les femmes souffrant de PTSD avaient une probabilité significativement plus élevée que les autres femmes, d 'être hospitalisées pour grossesse ectopique, contractions prématurées, avortement spontané, poids foetal excessif ou vomissements incoercible.
l 'évaluation et le traitement de PTSD qui n 'aurait pas été diagnostiqué (ce qui est fréquent) pourraient être justifiés pour les femmes présentant ce type de complications obstétricales. Bien entendu le traitement pré-conceptionnel des Stresses Post Traumatiques est hautement recommandé !
Le stress prénatal dans nos mémoires Michel Le Moal, au laboratoire de l'Inserm à Bordeaux, s'intéresse aux effets du stress de la mère pendant la gestation. L'hypothèse de recherche - le stress prénatal agit durant une période où le cerveau du petit est malléable et donc très sensible à l'environnement- s'est vérifiée. Les rats issus de mères stressées pendant la gestation sont plus anxieux, hyper-réactifs, s'auto-administrent des drogues et ont des troubles de la mémoire. Le stress de la mère exercerait une empreinte durable sur le développement
de l'hippocampe du bébé, sur ses fonctions cognitives une
fois devenu adulte car celui-ci surproduit la corticostérone. Les
chercheurs bordelais viennent de démontrer que la corticostérone
ralentit le développement des cellules nerveuses de l'hippocampe,
accélérant l'apparition des troubles cognitifs. A priori,
la transposition au genre humain devrait être possible car pour
les rats comme pour les humains, la déficience en soins maternels
est réversible si l'environnement est enrichi à l'adolescence. |
Quand l'obstétricien parle de "souffrance foetale", il désigne un stress physique, un manque d'oxygène (auquel nous pouvons tranquillement ajouter le manque de protides, de vitamines, d'oligo-éléments) comportant un risque vital plus ou moins marqué dont témoigne le rythme des bruits du coeur (dip 2) ou la défécation avant la sortie. Il peut paraître excessif d'employer ici le mot de "souffrance": que savons nous d'un vécu aussi précoce ? Il est, malgré tout, légitimé par le travail de Sontag (1941): il a montré que les mouvements foetaux augmentent beaucoup lorsque la mère subit des situations angoissantes ou pénibles; un tel état de fait peut se prolonger pendant plusieurs semaines et avoir des conséquences pour la vie ultérieure (Bettelheim, 1967)... On a montré que les petits rats soumis à un stress in utero présentaient des troubles du sommeil à long terme (Adrien J, Dugovic C). Ceci en dépit - ou à cause - de l'immaturité en gros et au détail de l'appareil nerveux : connexions en formation, myélinisation des fibres inachevée, etc.. (cf. Janov, 1973).
Dans le même temps, des stimulations sensorielles viendront "informer" le bébé. Il s'agit des excitations vestibulaires liées aux mouvements de la mère (balancements, rotations, inclinaisons selon différents axes), des excitations tactiles et kinesthésiques corrélées à la position et au tonus utérin, à l'usage de vêtements, aux attouchements externes de la paroi abdominale, aux rapports sexuels, aux mouvements respiratoires et cardiaques, etc. Enfin, l 'existence d 'une audition foetale ne fait plus de doute !
La malnutrition foetale est aussi une source de stressabilité et de
tendances dépressives même à
un âge avancé ...
Pré-inscriptions
La voix, tout d 'abord entendue (maternelle, paternelle, etc.) s 'inscrit
comme rythme, comme modulation tonale. Elle est uni-verse , reconnaissable mais
jamais identique, modèle mal dégrossi de ce qu' elle dira plus tard, comme toute
création vivante, vaguement fractale et auto-similaire dans le moment et la
durée. " Le corps du sujet est, de toute façon, un lieu de savoir,
mais ce savoir est sagesse ou folie selon que ce lieu est traversé et fondé
par la voix qui le nomme, ou selon qu'il ne l'est pas. (...) La voix se présente
comme l'Enigme de la réalité humaine. Enigme puisqu'elle ne peut-être pensée
ni comme le lieu de la présence, ni comme le savoir de la représentation. Elle
est le rapport incessant des deux. Elle fonde le sujet et l'Autre, sans qu'elle
appartienne jamais ni au sujet, ni à l'Autre. Elle n'est situable que dans la
traversée qui les sépare . En traversant cette limite, la voix la crée, créant
du même coup la coupure radicale où le sujet et l'Autre viennent s'articuler
dans leur absolue hétérogénéité " (D. Vasse, 1974). A ce propos Michel
Bousseyroux (1988) propose de distinguer: l'objet-voix, la voix
(de la mère ou du père) comme objet (a), hors signifiant, première enforme de
l'Autre l'objet phonique ou sonique, matérialité signifiante pouvant
s'inscrire comme trace mnésique, lettre, chiffre sur le corps, par rapport aux
séquences sonores rythmées perçues "in utero". Il en résulte que se
répéteront, avec une grande fidélité, un certain nombre de simultanéités que
le système nerveux mûrissant ne pourra qu'intégrer dans sa structure même, c'est
à dire au niveau des sélections de cellules et de leurs connexions. Dès lors,
tout évènement corrélé systématiquement à une variation du chimisme sanguin
spécifique restera, pour l'avenir, évocateur des "vécus émotionnels"
appariés.
Comme Tomatis le pensait, comme Busnel l'a montré, le foetus entend la voix de sa maman, en détecte les contours, apprend à distinguer l'histoire qu'elle lui a raconté chaque jour de toute autre nouvelle histoire qu'elle lui dit plus tard. Partanen et ses collègues ont montré dans PNAS (Aout 2013) que le nouveau né reconnait les mots utilisész par sa mère avant la naissance; il les différencie de pseudo-mots, ou de mots d'une autre langue... |
Par exemple, si tel rythme cardiaque ou respiratoire se répète en présence des témoins sériques de l'angoisse maternelle, ils deviendront solidement liés à ce type de vécu et leur présentation ultérieure (musicale par exemple) devrait générer une émotion homogène, quelle que soit la Culture d'appartenance. Si d'autres - ou les mêmes - rythmes résultent chez la mère, habituellement, d'une excitation joyeuse, ils pourront appeler plus tard des sentiments analogues chez le rejeton...
L'impact du rythme cardiaque maternel sur la construction neuronale de son foetus est bien établi. Les bruits du coeur maternel ont un effet pacifiant sur le nouveau-né. On a fait l'hypothèse que le "tempo moteur spontané" du jeune enfant dépendrait du rythme cardiaque de sa mère : si on demande à un enfant de frapper spontanément dans ses mains, l'enfant de quatre ans le fait selon un rythme moyen de 170 par minute, ce qui coincide parfaitement avec le rythme des mouvements de succion du nouveau-né. On peut remarquer (Carolyn Drake, 2001) que ce rythme est le double du rythme cardiaque maternel (lequel est accéléré par la tachycardie physiologique propre à la grossesse, passant de 70 bpm environ à des valeurs comprises entre 80 et 90 bpm).
Si les nutriments lui arrivent parcimonieusement, il établit son pondérostat à l'aune d'Harpagon et naîtra plus petit ! A la différence du prématuré qui rattrapera les congénères, lui s'établira à n'en rien faire: les nouveaux-nés hypotrophiques donnent statistiquement des adultes plus petits. Ce qui n'est pas sans valeur sélective: des enfants moins voraces pourront mieux survivre à la famine !
Borborygmes
Les gynécologues font état de la fréquente constipation liée à la compression du gros intestin (sigmoïdo-rectal) et à la moindre tonicité des muscles lisses, sous l'influence de la progestérone. Il n'empêche que ça circule pourtant ! C'est pourquoi, dans l'infinie variété des corrélations possibles, nous devons prendre en compte les bruits intestinaux.
L'école Biodynamique de Gerda Boyesen a insisté sur leur rôle diagnostique quant à l'état psycho-affectif de l'individu (boucle de l'Histoire: les Aruspices, étrusques puis romains, utilisaient les entrailles pour leurs divinations...). Une typologie s'est dégagée qui fait correspondre au son de rivière tranquille que donne un transit relaxé, un état mental agréable et paisible, sans conflit prégnant. Dans les états d'angoisse survient un blocage du péristaltisme doublé d'un arret respiratoire poumons pleins: c'est alors le silence. Lorsque la tension cède, on entend - associés à une expiration de soulagement - des borborygmes semblables à des grondements ou à des "rugissements de lion". Les "grincements de porte" seraient l'indice d'une tension plus importante et de conflits intra-psychiques graves.
D'où notre hypothèse : les bandes spectrales correspondant à ces différents types de bruit intestinaux instituent une bijection, sorte de signification implicite, qui les lie quasi invinciblement et pour toujours, aux états émotionnels correspondants.
A supposer qu'il s'agisse là de données sans cesse vérifiables, exportables de l'être humain aux autres mammifères, on ne pourrait invoquer, le contre-courant opposable à notre interprétation, comme le fait avec finesse Michel Bousseyroux lorsqu'il écrit (1988): "ce qui est déterminant de cette typologie, c'est, me semble-t-il l'INDUCTION SIGNIFIANTE: l 'entendu ne prend son sens que du signifié 'bruit de rivière tranquille' qui répond à 'transit relaxé', de même pour 'rugissement de lion'. C'est le signifiant qui fait parler l'intestin en lui donnant effet de sens." Il poursuit "Mais le foetus, qu'entend-il ? Ou plutôt qu'est-ce qui s'inscrit pour lui, hors sens, d'un effet de réel de telle ou telle bande spectrale, puisqu'il ne dispose pas de la signification dite implicite ?".
L'application entre sons utérins et états vécus, pour ne point disposer de ce qui permettrait en effet de lui expliciter une signification, n'en est pas moins réelle, justement. Elle marque le système nerveux, un peu - quoique de façon beaucoup plus légère - comme la génétique marque le corps : les yeux s'appliqueront à voir, les oreilles à entendre, etc. On est en présence d'une adéquation qui antécède le pouvoir d'en parler !
La dépendance physique, animale, du petit enfant se
trouve par rapport à sa mère,
invoquée comme étant ce quelque chose qui définit, nous
met au premier arrière fond
de ce sur quoi va se développer ce que nous appellerons la position
analytique.
Qu'on conjoigne à cette conception, une notion comme
celle de l'auto-érotisme primordial, ou encore du narcissisme
primaire
de cette époque ou dans une étape initiale de sa venue au monde,
le sujet, dans la théorie freudienne, est une seule unité, un
seul être
avec l'être dont il vient de se détacher, avec l'être du
ventre duquel il vient de sortir,
c'est quelque chose associé à cette position analytique qui se
révèle par le sujet,
dans sa fonction de demande.
Jacques Lacan
in Problèmes Cruciaux pour la Psychanalyse
Séance du 17 mars 1965 (EFP)
Scène Primitive
Une expérience plus ou moins fréquente pour le foetus est le rapport sexuel de ses parents. Cet évènement - surtout s'il aboutit à l'orgasme des deux partenaires - ne peut laisser le bébé indifférent; d'autant qu'il n'est pas encore question de l'exclure des ébats...
Il est assez mystérieux pour moi que cette scène primitive là se soit tant effacée2 devant l'autre qui sera anale ou oedipienne; c'est à partir de cette première politesse qu'on en est presque venus aux mains: Freud maintient un fondement archaïque sinon réel à ce type d'expérience, même s'il accorde à Jung qu'elle est largement construite dans l'après coup du récit... Il énonce l'idée - très moderne - selon laquelle il existerait chez tout homme quelques schèmes hérités, transmis indépendamment des faits, leur servant de trame ou les déformant, schèmes que les biologistes voient comme la source première des comportements propres à une espèce donnée.
Mais les fantasmes originaires,
même s'ils partent d'un schème "biologique", même s'ils s'habillent
des mensonges du discours qui les évoque, se permettent, ici et là, quelque
ravitaillement charnel: pas seulement ces bruits de couloir dans les parages
de la chambre nuptiale, ou ce petit lit dont on s'indigne qu'il soit dans la
promiscuité du grand... Promiscuité qui fut meilleure - si toutefois les préjugés
ambiants secondés par les bons médecins (cf. Javert, 1960) n'ont pas interdit,
à partir du sixième mois, tout rapprochement physique des futurs parents...
Cette prescription est parfois respectée, surtout le dernier mois. Quand elle
ne l'est pas la récompense est pourtant grande (Masters, 1966)... Pareil ukase,
médicalement mal fondé, suggère à la mère - retournée à sa chasteté virginale
- que la verge érigée peut détruire le fruit de ses entrailles. Les partenaires
y vont alors de leurs propres fantasmes pour courir à la continence. Cependant
que lui faiblit parfois - dans les bras d'une autre (Masters, 1966). La position
des gynécologues rejoint celle de tout un chacun3.
Les analystes sont ils indemnes ? Ils "oublient" - derrière les "reconstructions" du divan et les théorisations qu'ils s'en permettent - d'en référer au " plus que passé " foetal, amnésie crasse pourrait-on dire...
Que se passe-t-il au moment de l'amour ? Au moment des premières phases de la relation, les évènements, coté maternel, concernent surtout l'augmentation du rythme cardiaque et respiratoire, de la pression artérielle et de la vascularisation du bassin.
Assez longtemps après l'acte, peut persister la congestion pelvienne, d'où rebondit le désir. L'excitation utérine de l'orgasme se fait par vagues ou sous forme de tétanisation.
Ces contractions durent quelques dizaines de secondes, mais, chez certaines gestantes se comptent en dizaines de minutes...
Dans la crypte matricielle: ralentissement du pouls foetal (dip 1), augmentation de la circulation placentaire, d'où meilleure oxygénation cérébrale. L'acide lactique, produit lorsqu'il y a moins d'oxygène disponible, diminue. L'ensemble du chimisme sanguin s'oriente vers une composition confortable - peut-être même béatifique... Les contractions utérines4 serrent l'enfant, stimulent sa peau de toutes parts en préfiguration des modestes embrassades et petits tapotements qui le rassureront tant plus tard...
Il perçoit, simultanément, au niveau vestibulaire et tactile les déplacements rythmiques dus aux mouvements du coït, les cris et les chuchotements, les modifications rythmiques de sa musique d'ambiance (bruits du coeur, de la respiration et du péristaltisme intestinal maternels)... On peut envisager, à titre d'hypothèse, que la transsudation amniotique permette à sa bouche et son nez de goûter quelque marqueur personnalisé de l'excitation maternelle pour ne pas la confondre avec une autre, au lendemain de la naissance...
Rien dans ce que nous savons
ne justifie la défiance généralisée des médecins et peut-être des analystes
à l'endroit du rapport sexuel de la femme gestante. La seule objection objective
serait, aux alentours du terme, le risque de voir l'orgasme se résoudre en la
naissance du troisième aux yeux émerveillés des deux premiers... Trop bouleversant
?
A Claire Voie
L'état neuropsychique du foetus prend une coloration particulière dans le cadre de cette réflexion. Cet individu biologique est affronté à un parallélisme massif entre l'ensemble perceptif et le vécu subjectif, aussi pauvres que l'un et l'autre puissent être - à tort - imaginés. Il ne peut distinguer très clairement les perceptions externes des évènements psychiques internes.
Pour l'humain accompli, nous observons un organigramme du type:
perception > appel à la mémoire > signification > réaction émotionnelle centrale ET périphérique > action / vérification
Chez le foetus, l'action n'entraîne pas forcément de vérification détaillée: ses représentations sont - de ce point de vue - infalsifiables. Au niveau de sa propre action il peut pourtant faire varier la position de son corps par rapport à la source sonore, se montrer sensible aux attouchements trans-pariétaux comme l'haptonomie le démontre, diminuer les tensions que le chimisme maternel lui impose en s'adonnant à l'activité auto-érotique de sucer son pouce (qu'on ne doit plus voir - puisqu'elle simule une SATISFACTION FUTURE - comme substitutive à un plaisir déjà connu)...
Je veux tenter ici une hypothèse un peu surprenante. C'est à propos de la vision. Considérons le fait que le Système Nerveux prend sa structure (sélection de cellules, sélection de synapses) des informations qu'il a à traiter. Il devrait naître aveugle puisqu' aucune lumière ne parvient dans son habitacle pour mettre en branle l'effecteur visuel. Or il voit. Que s'est-il passé ? Il a revé ! Pendant le Sommeil Paradoxal ses yeux, comme ceux de l'adulte s'agitaient, exploraient un univers dont je ne me souviens pas...
Univers, construit à la fois des informations génétiques et des expériences
sensorielles... Les cellules rétiniennes prendraient leur organisation des données
génétiques certes, mais aussi des patterns vestibulaires, kinesthésiques, tactiles,
auditifs.... La première imprégnation visuelle serait donc de type onirique.
Avec cette conséquence bizarre que les lumières et les couleurs ne seraient
accessibles que pendant le sommeil paradoxal, l'état de veille ayant en partage
la nuit privée d'étoiles5...
En ces jours là Marie se mit en route rapidement vers une ville de la montagne de Judée. Elle entra dans la maison de Zaccharie et salua Elisabeth. Or, quand Elisabeth entendit la salutation de Marie, l'enfant tressaillit en elle. Alors, Elisabeth fut remplie de l'Esprit Saint, et s'écria d'une voix forte : "Tu es bénie entre toutes les femmes, et le fruit de tes entrailles est béni. Comment ai-je ce bonheur que la mère de mon Seigneur vienne jusqu'à moi ? Car, lorsque j'ai entendu tes paroles de salutation, l'enfant a tressailli d'allégresse au-dedans de moi. Heureuse celle qui a cru à l'accomplissement des paroles qui furent dites de la part du Seigneur." Luc I 39-45 |
L 'école des soeurs
Puisqu'on est dans la bravoure, allons plus loin encore : certains sons restent inaccessibles au foetus parce que, le tabernacle où il se niche les arrête. Or - et Tomatis a raison de le souligner (1981) - il semble se hisser, se tendre vers une écoute plus relevée et les cellules cochléaires chargées d'enregistrer ce qu'il ne peut entendre se développent gaillardement. Nouveau partage entre la veille et le rêve : sons graves pour la premières, aigus pour le second ! Autant devrait-il se dire de certaines perceptions olfactives et gustatives : le jus amniotique est salé; mais le sucré? l'amer? l'acide ? C'est seulement dans certaines maladies qu'ils deviennent accessibles : diabète (glucose), immunisation foeto-maternelle (bilirubine), etc.
Remarquons la profonde interconnexion des différentes zones cérébrales, l'existence de lieux spécifiques d'association: c'est tout ce qui est nécessaire pour que chaque système informe tous les autres et reçoive d'eux stimulations et inhibitions [voir par exemple : " Prenatal auditory stimulation given at a critical period facilitates visual system development in chicks (Gallus domesticus), International Journal of Developmental Neuroscience, Available online 30 March 2012 "].
Pour peu qu'il y ait une certaine virginité perceptive d'une zone donnée, la voilà qui s'en va à l'école de ses soeurs, sans perdre de vue sa mission propre. Ainsi s'établiraient des parentés très prégnantes (!) : de la lumière et des couleurs avec les sons aigus, le goût acide, etc.
Dans son ouvrage sur La Sciences des Rêves, S. Freud a expliqué les liens étroits qui, du point de vue psychanalytique, pourraient lier le rêve de l'adulte à la vie psychique du foetus.
D'autant que ce lien sera redoublé
dès la venue au jour: au monde éveillé d'antan, s'ajoutent en bloc toutes les
sensations jusque là inaccessibles ou qui n'étaient que de rêve...
Le roi du Petit Prince
L'appel à la mémoire et la signification sont des étapes très incomplètes, tronquées d'autant que la réaction émotionnelle (liée au chimisme sanguin) peut fort bien PRECEDER ou être simultanée avec la perception : si on imagine par exemple un sentiment de peur chez la mère engendrant le chimisme adéquat, communiqué au foetus et suivi, par après seulement, des indices de la situation effrayante : cris, bruit, mouvements saccadés ou immobilisation rigide, etc. Ou, au contraire, détente de la mère manifestée chimiquement avant que les bruits intestinaux apaisés ne se manifestent. Dans cette perspective, certains des évènements sensoriels objectifs, "externes" au foetus de notre point de vue, peuvent lui paraître résulter de telles perturbations émotionnelles internes, "subjectives" au sens de Didier Vincent (1987)... D'où une sorte d'omnipotence très remarquée par la littérature analytique pour les stades les plus précoces du développement.
Nous sommes là devant un vécu proche de celui qu'on attribue à l'autisme6; unité en boule floue, genre "slime" ectoplasmique... Bettelheim (1967 p. 492) insiste sur le fait que ce type de malade évite les informations extéroceptives pour se consacrer à son vécu interne.
Le foetus est-il en deçà d'un tel choix ? On pourrait le prétendre au nom de ceci: les stimuli internes et externes sont assez mal discernables vue leur étroite co-naissance.
Dire "assez mal discernable"
laisse entre-voir que, malgré tout, ils le sont et probablement de plus en plus,
ceci d'autant que la vie du symbiote foeto-maternel comporte des évènements
variés et nombreux sans être excessifs...
Le baiser des jumeauxMadame CHARLEMAINE nous invite à faire le point sur le sujet " Que connaissons nous des jumeaux ? " De nombreuses recherches ont été faites sur le jumeaux. Beaucoup d 'entre elles sont contestables car pendant des années, les chercheurs ne se sont intéressés qu' à leurs capacités intellectuelles ou à l 'aspect parapsychologique (télépathie). Depuis 1920, les recherches sont devenues plus sérieuses et plus médicales. On a distingué les monozygotes, et les dizygotes et on connaît mieux le chorion et l 'amnios. Christiane CHARLEMAINE présente le projet ROMULUS dirigé par le Professeur PONS auquel elle a participé. Ce projet avait pour démarche l 'approche cognitive et voulait mieux connaître les traits comportementaux des foetus. On remarque des différences entre les jumeaux qui ont des répercussions sur le développement ultérieur. Les chercheurs arrivent à connaître les comportements intra-utérin et cognitifs grâce à des examens échographiques. Ils observent les actions/réactions des jumeaux. Exemple : Le jumeau A touche le jumeau B, ce qui entraîne une réaction du jumeau B. Ce contact passe d 'abord par les bras et les jambes dès le 3ème mois, puis par la bouche vers le 5ème mois. Cet instant émouvant, les scientifiques l 'appellent " le baiser " (le jumeau A enlace le jumeau B et l 'embrasse sur la bouche). Ces comportements foetaux ont un effet sur le développement postnatal des enfants et font pencher les chercheurs vers la possibilité d 'une vie mentale intra-utérine. l 'effet " couple " étudié par René ZAZZO et par les Docteurs CLIENTELI et GADA (en Italie) existe donc bien avant la naissance. Il en résulte souvent un jumeau dépendant et un jumeau dominant dès la gestation. Pour son 20ème anniversaire l 'association Jumeaux et plus, a organisé un congrès, le samedi 8 mai 1999 à la Maison de la Mutualité (Paris), le texte ci-dessus est un résumé de l 'intervention de Madame Christiane CHARLEMAINE, Psychologue et Epidémiologiste génétique. |
Dodo ! l 'enfant Do !
La physiologie (Aserinsky, 1955) montre dans les premiers temps de la vie une prévalence du sommeil agité (13 Heures contre 8 Heures sur 24 pour le Sommeil Lent) avec présence de mouvements oculaires rapides (sommeil paradoxal): état dont nous savons qu'il est largement lié à l'expérience subjective du rêve. Que peut-il se passer dans ces rêves ? Bien sur la mise en mémoire7 des évènements intra-utérins, mais aussi probablement l'exploration du patrimoine génétique pour permettre son incarnation ultérieure; tout ceci, comme l'indique S. Freud, vectorisé par la réalisation imaginaire de désirs. Et nous savons quelque chose du plus prégnant d'entre eux; mais attendons la fin...
Cependant le lien des deux êtres continue ici de nous surprendre : les périodes de rêve du foetus apparaissent en effet en corrélation avec les périodes de rêve de la mère.
Ils rêvent ensemble même si ce n'est pas de la même chose... (Etévenon, 1987, Chap. IV).
*
* *
L'importance de la période onirique laisse pourtant quelque place au sommeil lent, au sommeil tranquille. La littérature psychanalytique a même suggéré avec insistance que le sommeil de la vie post-natale était un retour quotidien au narcissisme originel : inertie musculaire et retrait des sens témoignent d'un désinvestissement massif de la réalité.
La clinique apporte aussi l'argument de cette fuite dans le sommeil que connaissent certains déprimés. La biologie elle même serait plutôt encourageante dans cette voie : la sécrétion de l'hormone de croissance, celle qui mène l 'oeuf jusqu'à la taille d'adulte, se fait justement, surtout, pendant le sommeil lent...
*
* *
L'alternance de petits épisodes d'éveil (2 ou 3 heures sur 24) et de grandes périodes oniriques, sans trancher crûment (au niveau de l'électroencéphalogramme, les différences sont très minces), dégage pourtant une démarcation progressive entre monde objectif et subjectif. C'est dire que, dès ce stade, le délire et l'hallucination seraient envisageables.
Il pourrait exister
une brumeuse subjectivité distinguant ce qui est inclus dans la relation narcissique
et ce qui l'est moins, au joint de l'imaginaire et du réel (Lacan, 1978, p.117-122)...
Premières doses
Distinction pas toujours évidente : l'alcool, la nicotine8, le café, le thé et toutes sortes de substances extérieures, absorbées par la mère, parviennent au cerveau en construction sans aucune contribution de l'enfant. Des études plus récentes concernent le crack, la cocaïne, la marijuana, les antidépresseurs et les benzodiazépines. Il en va de même - éventuellement - pour un grand nombre de substances naturelles connues - et à découvrir - capables de modifier l'activité cérébrale sans contre partie externe ni motion interne : phénomènes de plaisir ou d'angoisse purs, subis sans cause, obtenus sans désir. Référence première pour l'étude des toxicomanies9. Cette remarque éclaire peut-être les observations statistiques de Jacobson (1987): les toxicomanes "hard" viennent plus souvent que les autres d'une mère qui reçut des opiacés ou des barbituriques au moment de l'accouchement...
L'odeur de l'alcool
|
|
Le même auteur, constatant qu'un lien existe aussi entre le
moyen qu'emploie le suicidaire (pendaison, plaie) et certaines agressions dont
il fut l'objet lors de son entrée dans l'atmosphère (asphyxie, trauma mécanique),
en cherche l'explication dans une "empreinte", un sceau que prendrait
en charge la compulsion de répétition...
Fetal Drug Exposure Does Undermine
Behavioral Development
|
Et la caféine ! Selon une étude de Justin Konje et coll. (universités de Leicester et de Leeds) parue sur le site du British Medical Journal, la consommation de caféine au cours de la grossesse retarderait la croissance intra-utérine du fœtus. « Après avoir analysé la consommation de caféine chez plus de 2 600 femmes enceintes n’ayant pas une grossesse à risque, [ces chercheurs] ont constaté que la croissance du fœtus était d’autant plus ralentie que la dose de caféine consommée était importante ». L’effet a été retrouvé quelle que soit la source de caféine : café, thé, cola… source : Le Monde mercredi 05 novembre 2008 |
|
De nombreux pesticides pourraient
affecter le développement cérébral du foetus
Le Monde (fin octobre 2008) fait savoir que selon des chercheurs de Harvard et de l’université Sud-Danemark, « une étude de la littérature scientifique suggère que nombre de pesticides autorisés en Europe pourraient avoir une incidence sur le développement du cerveau du fœtus et du jeune enfant ». Le journal cite l’un des signataires de l’article paru dans Environmental Health, Philippe Grandjean, qui remarque que « la toxicité sur le cerveau en développement ne fait pas partie des tests de routine pour les pesticides ». « Dans la mesure où beaucoup d’entre eux sont toxiques pour le cerveau des insectes, il est très probable qu’ils le soient également pour celui de l’homme », poursuit le signataire. Le quotidien note que « les chercheurs recommandent davantage de tests et de précaution dans la délivrance des autorisations ». |
Le Swap de Joséfa10
Le sens commun assimile aisément le délire au rêve. Nous disons "tu rêves" aussi bien que "tu dérailles" à celui qui "prend ses désirs pour des réalités"... C'est un problème psycho-pathologique et philosophique difficile que la recherche d'un critère permettant de savoir l'état dans lequel nous sommes. rêve ou Réalité ? Difficile d'autant qu'on peut fort bien "se pincer" dans son rêve pour accréditer qu'il n'en est pas un... Ou de prendre pour irréelle une perception trop extravagante: "dis moi que je rêve", "j'ai des visions", "je n'en crois pas mes yeux ou mes oreilles", "incroyable", "c'est un cauchemar insoutenable", etc..
Du fou nous disons qu'il échappe à le savoir : s'il soupçonne son illusion, elle n'est plus invincible : il n'est plus aliéné. Le psychiatre se rassure de cette possibilité d'autocritique, jugée cardinale et cherche parfois à l'obtenir plus que d'humanité; fut-ce en forme de "confession Mindszenty"...
Joséfa l'a-t-elle compris lorsqu'elle dévoile l'entre croisement bizarre qui lui donne au cours du rêve l'envers désillusoire de ses hallucinations de jour ? Cet homme qui lui déclare sans cesse l'aimer, l'attouche et la sollicite lorsque brille le soleil, change de comportement lorsqu'elle s'endort ! "Dans mon rêve - cauchemar devrais-je dire - il prenait par la taille une autre fille. C'est comme si je jouais un film dont je serais l'interprète, comme si je participais au rêve réellement , non pas comme les autres personnages".
"Au cours du jour j'ai des plaisirs sexuels physiques ! Ils ne viennent pas par l'opération du Saint Esprit ! C'est lui qui me le fait ! Mais, quand il me parle, ce n'est pas la même chose que les autres conversations. Pas TOUT A FAIT la même chose.
Difficile de penser que l'halluciné
à des "hyperoniries" comme ceux dont la tête tombe de sommeil ont
des "hypersomnies". C'est comme s'il y avait atténuation - voire inversion
au cours du cycle veille/sommeil - du critère de réalité associé au contenu
qui lui serait homogène quant aux relations affectives. Dans le quotidien l'imaginaire
s'impose comme venu de l'extérieur, et la marque de réalité lui fait plus ou
moins défaut. Pendant la tranquillité de la nuit, dans le monde intime du rêveur,
les données "objectives" se redonnent du mordant et l'on pleure. Le
rêve poursuit-il sa fonction, sous forme de tentative, pour promouvoir un compromis
satisfaisant entre désir et contraintes environnementales ?
Nostalgies d 'un futurible
Les petits rats, manipulés 15 minutes par jour pendant les trois premières semaines de leur vie, se montrent plus résistants au vieillissement et plus compétents pour gérer les stresses et les hormones associées (en particulier les glucocorticoïdes) (Meaney, 1988)... Leur réseau neuro-hormonal enregistre dans sa structure ces contacts amicaux et acquiert ainsi plus de capacités à faire face aux agressions jusqu'à un âge avancé11 !
Est-il possible que le comportement autistique d'oblitération ou de brouillage extéroceptif dépende d'une vie utérine traumatisante où chaque stimulus aurait accompagné les influx chimiques de la détresse maternelle ? Remake de "les parents ont mangé des raisins verts et leurs enfants ont les dents agacées" (Jérémie 31, 29) on dirait "à gestante hypersensible, enfant défensif" pour les sensations (depuis longtemps fut remarqué la sensibilité particulière et absurde de certains autistes au son). Il y va nous dit-on du cervelet : c'est lui qui est amoindri, rabougri, mal pourvu de cellules de Purkinje; simple conséquence d'un usage nul de l'élocution (dont on connaît le trouble en cas de maladie cérébelleuse) qui laisserait en friche les zones correspondantes ? ou dys-maturation de ce contrôleur général des communications intra-neurales par déficit d'harmonie vestibulaire (rythmo-motricité troublée de la mère en cours de grossesse...) ? "En se bouchant les oreilles et parfois les narines avec les mains, en se couvrant les yeux avec les cheveux, ces enfants tentent de s'assurer qu'aucun stimulus en provenance de l'extérieur ne les éveillera." (Bettelheim, 1967, p. 493).
Incarnation pitoyable de ce qu'il faut lire de Gougaud (1979) quand il dit qu'au domaine de la tortue rouge et de la princesse au fond des mers la jeunesse n'a pas de terme et le temps ne se marque qu'à la futile nostalgie de se rendre au pays de surface : là où ils ont tant vieilli qu'on ne peut les comprendre. Revenir, paisible et heureux au palais de cristal du fond marin, endormi comme si la mère vous portait encore dans son ventre, ne tient qu'au désir gardé secret de la fusion parfaite et mauve, à ne jamais paraître au soleil, sous peine de rompre le charme et de se désagréger comme un fantôme à l'aube.
Il n'y a pas de symbiose mère foetus sinon comme fiction idyllique qui atteste de ceci : la femme en tant qu'elle est pondeuse , qu'elle "donne la Vie", réalise le prototype du "Nom-du-Père". C'est de donner la Vie qu'elle fait croire à l'incastrabilité de l'Autre maternel, "toute" la castration étant réservée à l'homme (M. Bousseyroux, 1988).
Jacques Lacan (1976) dans ce débat prend parti pour ce "que l'enfant, dans l'utérus de la femme est un parasite, tout l'indique, jusqu'au fait que ça peut aller très mal entre ce parasite et ce ventre !"
*
* *
Ce qui nous permet, tout à trac, de disqualifier le tenace préjugé selon lequel, il existerait, pour chacun d'entre nous, un âge d'or intra-utérin, un Eden matriciel tout à fait "harmonieux" (Balint, 1968, p. 93 - 94), un nirvana (Rank, 1921) sans frustration ni angoisse... Les ennuis commencent bien plus tôt ! Ils accompagnent l'existence qu'on ne saurait démarrer au premier vagissement !... Le paradis terrestre, cette Chose (Lacan, 1986, p.72) qu'il s'agit sans cesse de retrouver, en fait, n'a jamais été perdu ! N'a jamais été !...
Mélanie Klein ne se montre que très rarement convaincue par l’idée du narcissisme primaire. Elle y revient dans Envie et gratitude, mais de manière hésitante et ambiguë.
Loin d’être une unité quiète au sein du ventre maternel, le non-né pourrait déjà complètement s’avérer dépendant de l’état psychique et corporel de sa mère. Si tel était le cas, et l’argument ne semble pas dépourvu de toute force de conviction, la situation serait donc prouvée : les relations d’objet sont primaires et il n’existe pas de narcissisme primaire sous forme d’un pur rapport à soi, sans objet. d'après Thierry Simonelli |
Car, les poussins dans l 'oeuf et le fruit de vos entrailles, savez-vous à quoi ils rêvent ? Ils ne rêvent que d'une chose et s'y exercent sans cesse; c'est l'unique objet de leur pressentiment : en sortir. Dès que possible12.
Et pour toujours ! (Changeux,
1983, p.270 - 273)
POST-SCRIPTUM
Je me permets d'en rajouter. Par la voix d'un autre qui m'a fait l'amitié d'un début de discussion. Non sans effort, de part et d'autre, et de toutes parts: depuis l'Esquisse enterrée, il est hasardeux de fréquenter certaines frontières...
Réponses à coté (de Michel Bousseyroux)
"Mais, en sortir, c'est y rentrer pour de bon : entrer dans l'appel à l'Autre, entrer dans l'Autre du langage. En sortir, ce serait passer à travers la fente où se déchire le point projectif du regard, de la mythique sphère (l'Enfer c'est l'en-sphère) à l'asphère ce tore-boyau de la structure qui nous ouvre la fenêtre du fantasme sur cette réalité qui ne sera plus désormais que grimace du réel premier."
Il poursuit:
"Tu proposes, au fond, une théorie (astucieuse et pertinente) des émotions
(non des affects) et de leur transmission dans la relation intra-utérine. Cela
présuppose un chiffrage d'informations par voie consanguine, donc inscription
d' un savoir dans le réel , où les marqueurs du chimisme sérique vont inscrire,
en corrélation avec l'état émotionnel de la mère, une trace mnésique par association
avec certains stimuli sensoriels, auxquels le foetus se révèle répondre
comme l'observation a pu le démontrer.
Il s'agit ici d'un modèle associationniste comportementaliste, de type
psycho-physiologique, calqué sur celui de l'articulation stimulus-réponse; avec
cette différence que la réponse foetale ne peut s'équivaloir au couple sensori-moteur
qu'à traduire la "réaction de l'organisme foetal" en l'idée qu'il
a " senti quelque chose. Mais comment fonder, penser une telle "esthétique",
hors, justement, des présupposés de notre esthétique transcendantale ? Comment
sortir du présupposé psychologique qui identifierait le foetus à un sujet
psychologique ? à un sujet supposé sentir (un plaisir ou déplaisir) .
Pour déplacer la problématique: Le foetus est-il, n'est-il qu'un ORGANISME vivant pour lequel peut se poser la question de l'acquisition d'un savoir dans le réel, comme chez un être vivant non parlant : soit un savoir instinctuel , celui qu'implique sa survie ? Ou, est-il susceptible d'être, déjà, affecté par un savoir inconscient . C'est à dire par la matérialité du signifiant ? Y a-t-il un savoir, du signifiant maternel, qui l'affecte non comme organisme biologique, mais comme corps , c'est à dire "surface d'inscription" des signifiants de l'Autre.
Bref, pour un enfant in utero, peut-on parler du sujet de l'inconscient en tant que la structure du langage viendrait à découper, déjà , ce qu'on pourrait qualifier de "son corps" (versant 'hystéro') ou viendrait cisailler "son âme" (versant obsession).
Y a-t-il donc, dans la vie foetale trognon d'inconscient ? Inversement, peut-on dire que le parlêtre, le sujet qui parle puisse avoir accès à un savoir dans le réel supposé de la vie intra-utérine ?, en tant que ce savoir "ombilical " l'aurait affecté (refoulement originaire ?) d'avant même qu'il ne parle, ou plutôt qu'il ne naisse comme sujet, à l'Autre .
Car, à partir de quel moment peut-on parler d'un sujet ? En particulier, avant qu'il ne parle. Dans cet avant, ou bien il n'y a rien (un organisme)13, ou il y a un objet comme cause, pris dans un effet de réel (non de sens) et donc de jouissance. N'est-ce pas l' appel (qui est la condition nécessaire à ce qu'il y ait un sujet, en tant que l'appel se fait de la réponse de l'Autre .
Ainsi du premier cri du nouveau-né qui devient appel.
Mais avant, que peut-on en dire sans imaginariser en y injectant du sens ? Pour en dire un peu plus, il me semble que si traces il y a , dans la vie d'un sujet, de ces trognons de savoir dans le réel du vécu foetal, ce n'est articulable qu'à partir de la structure langagière au niveau de son état natif (l'incorporation du signifiant qui fait que l'autre c'est le corps et que la jouissance en est séparée) et que c'est là que joue l'objet-voix comme originaire, ombilic de l'identification (nécessitant une topologie qui subvertisse notre appréhension du dedans-dehors) ».
Et il dit: Nu je suis sorti du ventre de ma mère, et nu j'y retournerai; l'Éternel a donné, l'Éternel a ôté, que le nom de l'Éternel soit béni! En tout cela, Job ne pécha point, et n'attribua rien de mauvais à Dieu. (Job 1:21-22) |
et après ?
Après la naissance, « on constate que, si la remémoration consciente des douleurs très précoces n 'est pas possible, le souvenir « engrammé » de celles-ci perturbe durablement le comportement adulte (Nature Medicine, September 2000). l 'engrammage correspond à l 'acquisition d 'une nouvelle information au niveau cellulaire. »
« Après trois ou quatre semaines d 'agressions médicales, les prématurés développent une apathie marquée aux gestes douloureux ultérieurs ( &) ».
« En revanche, les enfants nés à terme et placés en soins intensifs développent une hypersensibilité avec cris aux douleurs futures. l 'adaptation à la stimulation douloureuse est donc variable dans le calendrier neurologique ». (d 'après synthèse du Dr Sophie Duméry in « impact médecin hebdo », 502, 15 9 2000, p.16)
Lien pertinent :
Page de Hubert Montagner qui du point de vue ethologique suit la même piste de réflexion.
27 Août 2013
1) Lacan a fait un sort au terme de "narcissisme primaire",
en remarquant que "le narcissisme secondaire est le narcissisme radical,
celui qu'on appelle primaire est exclu". En effet, le narcissisme, comme
tel, suppose toujours et par définition, la constitution du moi et son image
(stade du miroir); le savoir y faire avec l'idée de soi comme corps. Michel
Bousseyroux (1988), suggère plutôt "auto-érotisme" ou "satisfaction
primaire" pour situer les choses du coté de la question du réel pulsionnel,
par rapport à l'objet vocal en particulier. Cette substitution de termes serait
souhaitable en toute rigueur, mais je n'ai pas cru devoir en user avec le titre
qui en eut été endommagé. D'autant que Lacan, n'a pas hésité à employer ce terme,
aprés l'avoir dénoncé: il affirme (Le Sinthome, 11 5 76) "qu'il y a une
étape de narcissisme primaire et que ce narcissisme primaire se caractérise
de ceci, non pas qu'il n'y ait pas de Sujet, mais qu'il n'y a pas de rapport
de l'intérieur à l'extérieur". En cela, Lacan se montre fidèle à Freud
(1916-1917) (retour au texte).
2) Même des auteurs très préoccupés de la vie prénatale, qu'ils
soient analystes (Rank, 1921) ou non (Tomatis, 1981) évitent de faire allusion
- sans doute même de penser - aux activités sexuelles pendant la grossesse...(retour
au texte)
3) L'année de grossesse (neuf mois plus trois mois de post-partum)
s'accompagne d'exaltations et de dépressions de la libido et peut générer de
nouveaux fantasmes ou de nouvelles expériences. Quoique très individualisées,
à l'écart de toute systématisation possible, ces variations se font pour
une grande part autour du theme "le bébé est en danger !" (Masters
et Johnson, 1966). Laissera-t-on le Père, de son arme intime, immoler Isaac
en sacrifice ? Crainte pétrie d'ambivalence: est-on jamais sur d'être le père
? Le rire de fete n'est-il pas menacé de la risée du cocuage ? En quoi Abraham
se rapproche soudain du Joseph chrétien...(retour au texte)
4) Elles surviennent aussi dans d'autres circonstances: lorsque
les seins reçoivent une stimulation, à l'occasion d'une rêverie, selon une rythmicité
qui va en s'accélérant à l'approche du terme, etc...(retour au
texte)
5) Visitant une Eglise ancienne, tel éprouve un besoin de concentration,
un sentiment de paix mais aussi, après avoir levé les yeux vers les couleurs
aux vitraux, besoin de sortir. Retrouver la lumière du soleil avec l'héroique
éclatement des grandes orgues ! Il avoue que depuis quinze jours il voudrait
avoir une pendule qui fait tic-tac... (retour au texte)
6) "Osera-t-on ajouter : l'objet "sonique",
"super-son-ique" ou "infra-son-ique" en équivoquant avec
lalangue anglaise ." "Si l'on se réfère à la thèse lacanienne, c'est
dés la grossesse, in utéro, que l'enfant occupe, en sourdine, cette place d'objet
"hypersonique", corps étranger, inclus dans le fantasme maternel et
dont il incarnera la jouissance de bord..." (M. Bousseyroux, 1988). (retour
au texte)
7) Il s'agit de mémoire dans un sens plus fort que de coutume:
inscription dans la structure même du système nerveux, à titre d'empreinte,
de marque définitive, de sceau inamovible: les connexions se font ou se défont,
les unités neuronales sont détruites ou conservées selon ce qui se passe en
cette période fondatrice. Capital ajouté plus que dividendes obligataires. Il
s'agira plus tard de circulation d'information (proche cousine de l'imaginaire
et du réel); dans les temps reculés fétalistes, c'est le hardware lui-même qui
s'affecte, se déploie ou se reploie, se détermine ou se hasarde, inscrit le
possible ou verrouille les issues... (retour au texte)
8) Le foetus fume chacune des cigarettes de sa mère, il boit
chacun de ses verres, se drogue à chacune des défonces de ses défonces. Cela
a des conséquences physiologiques immédiatement néfastes, peut-être des effets
à très long terme désastreux. L'enfant de la fumeuse arrive moins facilement
au terme de la grossesse, il sera moins grand, moins adroit, moins doué en lecture,
aura moins de mémoire et plus de difficultés d'adaptation. Il n'en peut mais...
(voir Janov, 1973, p. 20 sq.) (retour au texte)
9) "Pour ce qui est du toxicomane", Michel Bousseyroux
(1988) suggère une "fixation dans un fantasme vampirique de branchement,
de transfusion en vases communiquants, de la jouissance supposée du corps de
l'Autre maternel, court-circuitant le rapport à la castration, au horps-corps
du zizi." C'est dire qu'en contre-point du "conditionnement"
que j'évoque et qui marquerait l'individu d'une empreinte, presque aussi contraignante
que l'hérédité et d'autres données puisées au registre scientifique, pourrait
s'évoquer une superstructure fantasmatique interséquant ces données du réel
et les prenant à son compte dans l'autre registre. (retour au
texte)
10) « Swap » est une instruction informatique évoluée qui
permet d 'échanger des valeurs recélées par deux variables. Par exemple si {x=a
et y=b} l 'instruction swap donnera {x=b et y=a}. Etymologiquement, il s 'agit
d 'un équivalent de « tope là », conscrant un échange, une affaire au marché
! (retour au texte)
11) Il n'est pas le temps ici de souligner les préjugés cartésiens
que je ressens dans ce paragraphe : l'animal va de la bactérie à l'être humain
sans tellement de solution de continuité (vu du coté "scientifique").
De quel droit refuserions nous au verbe d'être en pente douce ? Pourquoi devrions
nous accorder notre "subjectomorphisme" à notre semblable le plus
et le refuser à nos frères mineurs ? Les animaux (pour certains), nous le savons
- et nous suspectons plus encore - sont capables d'apprentissage symbolique,
voire de culture planétaire (le cas des baleines) sujette aux changements de
la mode. Les dauphins amènent leur congénère blessé au bateau des pécheurs:
n'espèrent-ils aucun secours ? La plupart des animaux s'adonnent à des activités
ludiques dont le but de survie est, pour l'immédiat, bien évanescent.... (retour
au texte)
12) A moins de n'avoir pas de tête sur les épaules! : les
anencéphales ne contribuent pas à leur propre expulsion et donnent lieu à des
retards d'accouchement, éventuellement impressionnants (jusqu'à un an de grossesse,
foetus toujours vivant, d'après Merger R., 1967, p. 258)... (retour au texte)
13) et ce n'est pas rien ! (retour au texte)
¤ Biologie
du Narcissisme Primaire, Synapse, 65, 27-35, 1990
|