Qu'est-ce qu'un toxicomane ? (Biarritz, 1989)
Dr Bernard Auriol
Antoine Porot (1969) appelle toxicomanie « l'appétence anormale et prolongée manifestée par certains sujets pour des substances toxiques ou des 'drogues' dont ils ont connu accidentellement ou recherché volontairement l'effet sédatif, euphoristique ou dynamique - appétence qui devient rapidement une habitude tyrannique et entraîne presque inévitablement l'augmentation progressive des doses ».
La toxicomanie est une appétence, une forme sophistiquée de besoin, construit autour d'effets spécifiques du toxique. Ces effets du toxique ne sont pas étrangers au fonctionnement de notre organisme. C'est pour cela qu'ils ne sont pas l'objet d'une répulsion définitive et qu'ils peuvent entraîner une puissante adhésion du sujet. Ces effets consistent à relever et exagérer diverses étapes menant du manque à la satisfaction. Par exemple les opiacés procurent le soulagement et la paix en diminuant tous les messages de souffrance, physique ou psychique; ils le font bien au delà des besoins de l'organisme et doivent à cette exagération leur effet "flash", extatique, pervers. Robert Heath (1950) puis Olds, Sem Jacobson, etc.., ont montré que notre "vieux cerveau" s'excite au plaisir sexuel, à la prise d'opiacés, de cocaïne, de cannabis ou à l'électricité. L'animal qui a essayé ne s'arrête plus. Il s'agit du "système récompense" du cerveau: tous les conditionnements en dépendent. C'est la racine, la source qui permet tous les conditionnements, tous les apprentissages quels qu'ils soient. Tous les supports et tous les obstacles intervenant dans chacun de nos choix ! |
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Ce terme signifie "apercevoir" jusqu'au XVII° s. et se rapproche du latin "gustare" et du grec "geusis", "geuô": il vient du gothique "kiousan" qui signifie "éprouver, goûter" d'où en anglais "to choose". En Sanskrit "djous, djousta" signifie "se plaire à, avoir une prédilection pour, s'adonner à".
Cette étymologie rend très parlant le titre qui m'a été suggéré: la toxicomanie comporte d'apercevoir, d'entrer en contact puis de prendre goût à un certain produit jusqu'à l'addiction la plus complète. C'est un choix du plaisir, d'un certain plaisir, assez éloigné de nos désirs essentiels, de ce mouvement profond de l'éthique dont il nous détourne en remplissant de sable l'amphore d'or.
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Quincey, Baudelaire, Artaud, Michaux, Timothy Leary (1968), et d'autres moins connus, ont voulu faire de l'option toxicomaniaque une voie artistique, spirituelle, non sans prétentions philosophiques...
On a beaucoup souligné depuis l'aspect illusoire d'une telle liberté. C'est un "choix de sophie" (Pakula, 1982): entre plusieurs dispositifs, le sujet privilégie l'un d'entre eux plutôt que tenter leur harmonisation. Dionysos contre Apollon.
Ces dispositifs semblent, au plan biologique, destinés à promouvoir ou sauvegarder la survie: état de vigilance, tolérance à la souffrance, sens de la compétition, etc. Se droguer revient à faire passer ces moyens pour des fins. Ainsi pervertis, plutôt qu'éloigner la mort, ils la procurent. C'est une Hérésie.
Considérons l'être humain comme un organisme, c'est à dire un être un et pourtant constitué d'une multiplicité de sous unités intriquées, inter connectées... Un tel organisme dans son interaction avec ce qui l'entoure, en tous domaines, rencontre des opportunités et des infortunes. Il agit en reproduisant ce qui le fait subsister, s'épanouir, se développer, au moins se défendre. Ceci est l'aspect "instinct de vie" repérable à tout instant chez tout être vivant.
Pourtant, le suicide, certaines attitudes inattendues nous font suspecter l'existence, aussi de forces désorganisatrices qui semblent tendre à détruire cette vie, briser l'unité dynamique qu'elle représentait, cultiver les conflits, les morcellements, les destructions pour aboutir parfois à l'anéantissement...
Déjà, la médecine, en ses hauts faits les plus glorieux, illustre le propos : la chirurgie tranche dans le vif sous couvert d'une mort apparente, la radiographie use de rayons ionisants pour poser un diagnostic, l'infirmière se sert d'hémorragies contrôlées, le généraliste manie des substances tout à fait nocives si elles n'étaient dosées, etc.
C'est qu'on s'arroge le droit - et on en a le pouvoir - de nuire à quelque partie pour sauvegarder le tout. La démarche toxicomaniaque semble faite du même tabac[1], même si le résultat nous attriste. Mes maîtres insistaient parfois sur le rôle antidépresseur du champagne; chacun connaît la nécessité désénervante de la cigarette; l'inspiration amoureuse peut parfois se tisser de chanvre indien et la nuit interminable plonger dans le comprimé miraculeux.
Ainsi chaque drogue développe une série d'avantages, parfois profondément divergents, dès le premier regard, comme si on parle du café et des amphétamines par rapport aux barbituriques ou aux tranquillisants. Cette panoplie de bienfaits s'assortit pourtant, vous le savez, d'un ensemble d'inconvénients que les spécialistes les plus encratiques pousseront jusqu'à la caricature alors que les plus démagogues tenteront de les escamoter ou, à tout le moins, de les atténuer...
Dépendance, assuétude, accoutumance, escalade posologique, inconvénient commun fondamental: le lien à l'instinct de mort stimuler un sous système au détriment de l'unité d'interaction mettre hors circuit une fonctionnalité ; en fait, bouleverser la hiérarchie dynamique de l'organisme pour valoriser tel ou tel sous ensemble de manière brutale, artificielle, partiale.
Ceci est à bien différencier du même bouleversement, progressif ou rapide, qui se ferait en intégrant toutes les parties concernées, c'est à dire d'une manière solide, stable, humaine au sens que rien du système humain n'est sacrifié ou idolâtré. C'est dire combien la démarche psychédélique (Leary) est éloignée de toute vraie mystique, de toute évolution psychologique réelle, malgré tous les efforts initiatiques (Castanéda). Chercher dans un produit une super-analyse ou une néo-spiritualité est entièrement voué à l'illusion et à la gueule de bois dans la descente des lendemains qui déchantent (Auriol, 1987).
Le choix du toxique comporte de le rencontrer et, seulement ensuite, de s'y complaire. Le rencontrer en raison de la pression sociologique d'ensemble (tabac, alcool) ou plus spécifique: snobisme de la cocaïne, des amphétamines, de l'héroïne, du cannabis.
Alcool, tabac, danger
pour la matière grise !
Troubles de l'apprentissage, de la mémoire et de la concentration... La consommation régulière d'alcool et de tabac nuit au cerveau. Grâce à l'IRM, un chercheur américain montre que ces deux substances associées provoquent la perte de matière grise ! Pour lui, les sujets alcoolo-tabagiques sont vraiment exposés à un déclin rapide de leurs capacités de mémoire, de compréhension, d'attention... Surtout passé 40 ans.La combinaison des deux toxiques constitue vraiment un cocktail redoutable. Car alcoolisme chronique et tabagisme chronique sont le plus souvent associés. Source: Alcoholism: Clinical and Experimental Research, February 2006 |
Il peut s'agir aussi d'un service rendu: un ami qui vous veut du bien... le médecin lorsqu'il s'agit de BZD (André, 1989). Le copain pour la colle...
Le premier contact peut-être accidentel et sans choix... Généralement les suivants sont "volontaires" ( Massengale'o, 1963) et signent la complaisance à l'extremum entrevu... d'où n'est jamais absent le parfum de la Dame Noire.
Pour le tabac, il s'agit de se valoriser, s'affirmer viril, ou adulte, de partager la communauté des grands en dégradation manifeste du rite paisible du calumet que nous transmirent les peaux-rouges (Geraud, 1967).
Le caractère épidémique des toxicomanies, comme il appert pour le tabac, l'alcool, la caféine via le coca cola, les BZD ou le crack doivent nous éloigner des assertions péremptoires quant au caractère "pré-génital" (Fenichel) du choix toxicomaniaque. Comme lorsqu'on dit que les "toxicomanes sont incapables d'être normalement heureux", qu'ils ont un mode d'amour égocentrique et narcissique qui va de pair avec une avidité et une soif d'absolu de type "oral". De même, on ne peut se limiter à l'observation de Serge Lébovici, pour qui, la compulsion toxicomaniaque repose sur un cercle vicieux qui conduit du besoin incoercible à la culpabilité, et de la culpabilité à la dépression, laquelle engendre à son tour le besoin.
De fait nous assistons à une oblitération de l'Autre comme sujet de désir
Nous sommes ici en présence de mécanismes physio-psychologiques aptes à nous faire mesurer combien nous devons être prudent quand il s'agit d'employer le terme de régression et de ranger un individu dans le schéma d'une structure.
L'infinie variété des personnalités s'accommode de mécanismes communs qui nous permettent de respirer, nous alimenter, nous vêtir, nous loger et nous reproduire. Non seulement nous savons utiliser ces mécanismes pour en jouir, les servir par nos représentations, les valoriser par nos investissements, mais nous pouvons aussi détourner et pervertir leur usage, quelle que soit notre structure inconsciente, pourvu que la pression pharmacologique et sociologique soit suffisante.
Quitte à remarquer que certains résistent à des pressions très fortes ou se montrent capables de s'en libérer malgré une première assuétude.
"La drogue dans tous ses états" (Gendre, 1989)
On pourrait s'intéresser au choix du toxique, à partir des données sociologiques qui permettent ou non le contact entre telle population et tel type de produit; ou encore aux données politiques, à leurs causes et à leurs conséquences économiques: elles sont très souvent explicatives de la géographie d'une toxicomanie: les agriculteurs défendent leurs vignes et Mendès-France trébuche sur un verre de lait. Les interdictions politiques ont un rôle ambigu en suscitant le réflexe consommateur des mentalités adolescentes et l'engouement pour des surprofits peu risqués du côté de la mafia et des dealers.
C'est la thèse, tout à fait raisonnable, de Caballero (1989). La prohibition fut un fiasco, elle est un fiasco, elle sera un fiasco... Le système bancaire est contaminé par le recyclage de l'argent venu de l'ombre, le coût budgétaire de la lutte anti-drogue augmente sans cesse, la police ou la douane d'arrête pas plus de 10 % du trafic, les prisons regorgent de monde et le marché reste florissant ! Enfin le traitement différent appliqué aux produits selon qu'ils sont traditionnels ou pas dans les pays du Nord brouille le jeu et laisse percer quelque discrimination économique, culturelle et peut être raciale...
D'où la théorie d'un commerce passif qui mettrait aux mains d'un monopole d'état l'ensemble des toxiques (du tabac à l'héroïne). L'état se priverait de toute publicité et tenterait ainsi de concilier la liberté individuelle avec la défense sociale ...
Grave question qu'il n'est pas de mon sujet d'approfondir... Mon propos sera plus restreint. et se cantonnera à l'aspect individuel du choix.
Certaines études statistiques (Smith, 1983) ont montré que la probabilité d'usage de la marijuana ou/et des drogues "dures", augmente avec la présence des traits de personnalité suivants:
1) tendance à se révolter, à être "déviant" sentiment d'aliénation à l'égard du monde des parents attitude plutôt critique à l'égard des comportements "reçus" dans le groupe social non conservateur, non traditionaliste peu porté à la religiosité mal organisé dans le travail ou l'étude peu persévérant, peu motivé par la réussite sociale peu fiable, sens de la responsabilité affaibli manque de self-control
2) manquant de bienveillance, de douceur d'attention aux autres se sentant mal estimé ou compris par les autres goût pour l'aventure, les expériences, l'intensité du vécu impulsivité, émotivité, pessimisme, dépression
3) extraversion et sociabilité Ainsi distingue-t-on trois groupes de facteurs dont le mieux représenté est le premier qui concerne un désinvestissement énergétique de l'instance Surmoïque dans ses aspects conscients.
Le deuxième groupe de paramètres rassemble des traits de névroticisme et d'interaction problématique avec les pairs.
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Le facteur restant indique une facilité de communication qu'il faut sans doute rapprocher de celle du psychopathe et du déséquilibré dans la nosographie ancienne: il s'agit d'une forme de sociabilité superficielle marquée au coin des autres traits de personnalité; elle implique une certaine composante d'insincérité et d'utilitarisme. Plus qu'un rejet du Surmoi, dans le sens psychanalytique, il s'agit d'une désaffection pour tout ce qui est autorité des autres sur soi, de soi sur les autres et de soi sur soi: la fonction timonière de la personnalité est restreinte ou plutôt dévalorisée, divisée en elle même, se condamnant en tant qu'instance de direction, de condamnation, de jugement, d'unification. Apollon terrassé par Dionysos. Le Sur-Moi reste égal à lui-même quant aux représentations qui lui sont liées, il intervient chaque fois qu'il le doit, mais les résistances qu'il a à affronter et l'énergie dont il dispose sont modifiés; ce remaniement peut aller jusqu'à renforcer, de manière auto-punitive, l'asservissement qu'il condamne pourtant. La satisfaction produite par la drogue est liée à une faute éthico-logique et éthologique : on prend la partie pour le tout et on utilise un médium capable de déséquilibrer l'ensemble au profit de cette partie. Le bonheur visé, d'un prix trop élevé, cède la place à un plaisir de solde, qui montre sa force à dérober les valeurs et qu'on acquiert, plus cher qu'il ne vaut, par une kyrielle de traites.
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Prendre la partie pour le tout signifie, lorsqu'on change de partie, que les effets se modifient; le choix du toxique conditionne ce qui sera exalté et ce qui sera écarté; l'usager étant non seulement une victime, mais avant tout une victime consentante ! A quoi consent-il ? Quelle est sa forme d'idolâtrie hédonistique ?
L'apologue des trois voyageurs est très éclairant dans sa simplicité: ils arrivèrent tous trois aux portes de la ville qu'ils trouvèrent fermées car il était tard.
Vous les avez reconnus : l'alcoolique, l'opiomane et le haschischin.
1) L'alcoolique se manifeste comme FORT et le sentiment d'incertitude quant à sa propre force, quant à son impact social, quant à sa virilité sont autant de faiblesses.
2) L'opium entraîne une forme de dépression, surtout respiratoire. Il est à la base d'une certaine convivialité. Son rôle destructeur est connu et fumer comporte une composante masochiste...
3) L'usager de la colle, du trichloréthylène ou de l'éther donnent généralement le spectacle d'une dépression rampante; on observe aussi des réactions de type passif-agressif, des tendances suicidaires, des impulsions agressives ou sexuelles. Comme dans d'autres difficultés du jeune, on remarque l'absence d'une figure masculine forte dans la famille.
4) Le haschisch et les autres psychodysleptiques (comme la psilocybine, le LSD, l'ayahuasca, etc.) sont un viatique et un support pour toutes sortes de voyages intérieurs empreints de mystique ou d'érotisme: il y a découverte de lieux cachés de l'imaginaire, de sensations révolues, de communications inusitées, la fréquentation de la mort ou la recherche d'un sens à la vie.
5) L'utilisateur de tranquillisants, sous l'action de son médicament, se montrera serein à l'inverse de ce que nous verrons à propos des amphétamines. Cette opposition étant mise à profit - si l'on peut dire - par certains auto ou hétéro prescripteurs pour apaiser le soir un système nerveux qu'on a galvanisé le matin ! Serein certes et même peu concerné au point de se rendre réfractaire aux enseignements de l'expérience (jusqu'à l'amnésie) et non impliqué dans les soucis de l'avenir (jusqu'à l'indifférence). La recherche de la tranquillité, du cocon maternel, du holding et du nursing semblent donc à l'origine de l'appétence pour ces produits dont on sait que la France est hyper consommatrice.
6) La personne qui attache une grande importance à une sensation de puissance physique, à un état de grande vigilance, de contrôle mental et de décision rapide recherchera les psychotoniques du type caféine, cocaïne, amphétamines . Sous l'effet de ces drogues, en effet, il se montre infatigable, toujours en éveil, plein de curiosité, insensible à la faim, se sentant parfaitement compétent en tous domaines. Les perceptions sont accrues, le raisonnement accéléré. Ici, comme ailleurs - et contre l'opinion de Jouvet - toute insensibilité à la fatigue est un avantage à crédit: le signal invitant au repos disparaît alors que le BESOIN de repos demeure ou même augmente; à terme on peut détériorer certains fonctionnements et même aboutir à la mort et d'autant plus que les inter actions auront été grandes. Ainsi ces produits favorisent en quantité, en intensité et en durée les relations avec l'environnement mais font oublier les limites utiles (nourriture, sommeil). Il s'agit d'une élimination provisoire des racines qui est recherché surtout par les individus refusant le plaisir de l'enfant dans les bras de sa mère: enfant qui se laisse bercer et endormir après avoir tété. Privilège absolu des comportements exploratoires, plaisir du mouvement, de l'excitation au détriment de la tranquille jouissance. La pathologie mentale exagère parfois le déséquilibre sous forme d'agitation maniaque, exaltation, excitation, insomnie; parfois c'est l'anxiété panique et lors du sevrage ou du manque: décompensation dépressive. S'amphétaminer revient à se donner des coups de pied dans le fondement afin de fuir le giron de douce quiétude dont on se sent esclave.
Un N° d'Esprit suggère une évolution des mentalités à propos de la drogue, entre les années 70 et celles que nous vivons. La montée du chômage, le durcissement de la compétition, l'imitation de la Voie Japonaise dans les entreprises demande à l'individu de se montrer enthousiaste de ce qui l'indiffère, amoureux de son entreprise, terrorisé de perdre son emploi...
Il use alors de tous moyens disponibles pour se sentir d'attaque, le meilleur, branché, câblé, dans la course... Et se fait Janus pour cela : "profil 'training', profil 'cocoon'" : Se jeter dans le vide au bout d'un élastique puis faire du yoga, ou plutôt - plus aisé - se gaver le matin d'excitants, et de tranquillisants le soir..
"C'est de l'individu sous perfusion dans une société en train de se doper" (Ehrenberg, 1989) qu'il s'agit, "parce qu'une culture de la conquête est nécessairement une culture de l'anxiété qui en est la face d'ombre" (idem).
Voici venir les "drogues d'intégration sociale", choix pour la Société et non refus de ses contraintes.
Les pionniers en ce domaine sont les héros qu'on a voulu proposer aux jeunes: les sportifs du baron de Coubertin. Un idéal tant qu'ils ne se font pas prendre; est-il vrai qu'ils se dopent tous ? Aux drogues de tous ou avec leurs poisons spécifiques, tels les anabolisants... Ils les choisiraient, même mortels, pour avoir le succès sans être dépistés... Charlie Francis, l'entraîneur de Ben Johnson, déclare avoir placé son poulain "devant ses responsabilités. Ben devait décider. S'il choisissait de s'abstenir de consommer des stéroïdes, il s'infligeait un handicap d'un mètre par rapport aux autres, au départ des courses" (Le Monde, 4 Mars 1989).
Succès à la bouche : l'ecstasy est au goût du jour, elle fait les gorges chaudes des salons et se conditionne dans une usine de médicaments. Est-ce bien un crime ? Sauf qu'elle est tout aussi dangereuse à terme que les autres excitants et tient moins que son nom ne promet...
Est parfois venu de l'extérieur dont l'agression se solde bien souvent par l'échec. A moins qu'une atmosphère, un guru ou un personnage charismatique n'entraÎne une adhésion plus intérieure. La difficulté majeure est que "le toxicomane ne souffre pas de son mal, il en jouit" (Rado, 1933).
Nous ne pouvons refuser au drogué le pouvoir de choisir de ne plus l'être. Ce pouvoir semble pourtant parfois très réduit, limité. L'asservissement semble disqualifier l'intérêt d'un autre choix, magnifier la satisfaction immédiate de l'artificiel besoin; après, que vienne le déluge ! Comme il advint de Noë, l'inventeur biblique de l'ivresse (mais lui ne but qu'après !...) (Genèse, IX, 20-27).
Se faire l'esclave de Dionysos ou du Divin Marquis n'est pas de tout repos, moins encore si la divinité se réduit à la misérable effigie d'une seringue, d'une bouteille, d'une paille ou d'un calumet.
Sandor Rado ne voit que trois issues possibles :
- le suicide
- le refuge dans la psychose
- la cure de désintoxication
On a tout essayé - ou beaucoup : déconditionnement par chocs électriques (Anonyme, 1970), relaxation (Cordeiro, 1971), yoga (Liné-Guillermin), chimiothérapie, acupuncture, homéopathie, psychothérapies analytiques ou psychanalyse (Rado, 1933), sociothérapies, apport alimentaire massif (sucre) (Lévy, 1989), désintoxication par courants de Limoge (Daulouède, 1980), etc.
Tous ces moyens donnent quelques résultats, surtout dans l'enthousiasme des débuts ou lorsque le désir de guérir est très important et soutient puissamment l'effort du sujet et de ses thérapeutes.
Lorsque le sevrage est acquis, on est, très souvent, en présence d'une personnalité manquant de consistance, insatisfaite, totalement dépendante auprès de laquelle doit se trouver un objet complémentaire substitutif de la drogue (Delteil, 1971).
Je tiens depuis longtemps - et beaucoup de voix convergent pour asseoir mon sentiment (Nahas, 1982) - que la psychanalyse orthodoxe rigoureuse n'est pas une voie praticable pour permettre une libération du toxique: elle ne retrouve ses lettres de créance qu'au sortir du tunnel; lorsque l'abandon du toxique est acquis ou très prés de l'être. Et encore ! Il arrive que les chiens retournent à leur vomissure ... Ils seront relapse plutôt que d'affronter certaines prises de conscience, résistance majeure, chausse trappe redoutable.
C'est dire combien le psychanalyste se devra d'éviter toute accélération intempestive de la démarche, quitte à résister, lui-même, parfois ! Sous la pression des comportements, on suggère un glissement progressif de la disponibilité à la rythmicité en fonction de la "maturation du moi" et de ses défenses (Geadah, 1982).
Un ami thérapeute me faisait remarquer, il y a quelques jours, combien sont proches certaines expériences rencontrées dans diverses formes de thérapie (plus spécialement, celles qui doivent quelque inspiration à Reich, à la Catharsis, au potentiel humain, à l'énergétique, etc.) et les expériences liées à la drogue: sentiments d'élation, de puissance, de fusion, d'abolition des limites, de dépersonnalisation, de planer, d'être plein d'énergie, etc. Cette similitude de vécu peut être un encouragement permettant au toxicomane d'entrevoir qu'il peut trouver ailleurs que dans la chimie ce qu'il y cherchait. Au prix sans doute de plus d'efforts, de variabilité des effets, de non reproductibilité.... Une liberté accrue, une véritable libération en étant la récompense.
Depuis les années 70, on sait combien les groupes spirituels, méditatifs, charismatiques, mystiques, de dévotion peuvent être efficaces pour offrir une ouverture sur la vie au drogué qui s'y donne. Non seulement en raison des techniques proposées (méditation, prière), mais aussi grâce au support, voire aux contraintes de la secte, de l'Eglise, du parti ou du groupe, en général.
Certains spécialistes dénoncent la "nouvelle dépendance" qui en résulte et vont jusqu'à prétendre qu'il "vaut mieux dépendre de l'héroïne que du Patriarche". Il n'est pas question, pour moi, d'encenser une chapelle plus qu'une autre, je ne peux pourtant adhérer à une telle condamnation qui ne laisse aucune chance à ces méthodes non conventionnelles mais salvatrices... Les intervenants dans la thérapie des toxicomanes se sont, jusqu'à ce jour, montrés peu coopératifs, nourrissant facilement des rancurs mal avouables, cherchant à être seuls en lice dans une arène où ils sont mal assurés de pourfendre leur véritable adversaire... Notre compétition serait elle à la mesure de notre incompétence ?... Cette compétition est plus souvent celle de factions, d'équipes que d'individus.
Personnellement je pense que la confusion dans les choix liée à l'usage de la drogue, aux intérêts énormes qu'elle met en jeu (cf. le Cartel de Medellin, dont on parle un peu; Le Monde du 20-21 Août 1989, p.1), et à la nouveauté que représente l'extension du fléau, son lien au Sida ne pourra se clarifier sans un choix clair des responsables politiques, des thérapeutes et de l'opinion dans son ensemble: choix en faveur de satisfactions plus humaines que le simple goût de posséder, d'exercer un pouvoir, de réussir, de tenir, d'exister.
"Etre ou ne pas être", comme a dit quelqu'un....
André J. Usage dévié des médicaments et surconsommation médicamenteuse, Bulletin de l'ordre départemental des Médecins de la HG, pp. 21-22 Juin 89
Anonyme Comment s'arrêter de fumer, Rec. pér. E.M.C., Intox., 54, I, 16991 P.60, Juil 1970
Auriol B. Qui avec Quoi ?, Communication invitée au Congrès sur la Toxicomanie, La Plaine Sur Mer - 7 et 8 Novembre 1985
Auriol B. La démarche mystique est-elle addictive ?, (Point de vue introspectif et physiologique), ARPPMMP - 12 Décembre 1987
Baudelaire Ch., Paradis artificiels: Du vin et du hachisch, Les paradis artificiels : Le poème du hachisch. ; Un mangeur d'Opium (Exorde et notes pour les conférences données à Bruxelles en 1864); in Oeuvres complÈtes T.1 - La Pléiade, Gallimard
Caballero F. Droit de la Drogue, Précis Dalloz, 1989
Cordeiro J.C. Une nouvelle perspective dans le traitement des toxicomanes, la relaxation, Ann. Méd. Psy. 130, 1, 1, 11-17, 1971
Daulouède J.P. et coll. Une nouvelle méthode de sevrage des toxicomanes par utilisation du courant de Limoge (à propos de 11 cas), Annales Médico-Psychologiques, 138, 359-369, 1980
Delteil P. Etude psychanalytique des toxicomanies, Inform. Psychiat. 47, 7, 619-624, 1971
Denis-Lempereur J. Les Français camés aux benzodiazépines", Science et Vie, 38, 30-43, 1989
Ehrenberg A. L'individu sous perfusion, Esprit, 152-153, pp. 36-48, Juillet - Août 1989
Fatéla J. Des battants déchus, Esprit, 152-153, pp. 49-55, Juillet - Août 1989
Geadah R. Réflexions sur les effets pharmacogéniques et les implications thérapeutiques de l'intoxication chez des mères isolées et démunies, Psychologie Médicale, 14, 12, 1847-1853, 1982
Geraud R. Pourquoi fumez-vous ?, Concours Médical 89, 52, 9022-9024, 30 Déc. 1967
Jaubert A. d... comme drogue, Alain Moreau éditeur, 1973
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Le Pen C. L'économie politique des tranquillisants, Esprit, 152-153, pp. 29-35, Juillet - Août 1989
Lévy S. Du sucre pour les sujets en manque, Impact Méd 3 Juin 1989, p. 40
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Filmographie abrégée sur la Toxicomanie :
Cocteau J. Le sang d'un poète (1930)
Decoin H. Razzia sur la chnouf (1956)
Forman M. Taking Off (1970)
Hagman S. Des fraises et du sang (1969)
Hopper D. Easy Rider
Mankievicz J. Le Château du Dragon (1946)
Morrisey P. Trash (1970)
Preminger O. L'Homme au bras d'or (1955)
Rafelson B. La Veuve noire (1987)
Sautet C. Un mauvais fils (1980)
Schatzberg J. Panique à Needle Park (1971)
Stone O. Platoon (1987)
Zinnemann F. Une poignée de neige (1957)
Zugsmith A. Les Confessions d'un mangeur d'opium (1962)