Le point de vue des médecins du travail

 

Les médecins du travail relèvent plusieurs freins à l’intégration professionnelle des personnes handicapées par la maladie psychologique.

 

Du côté de l’entreprise

-   Une forte appréhension des employeurs, mais aussi des collègues de travail, face aux handicaps, surtout le handicap psychologique dont les conséquences apparaissent imprévisibles et difficiles à gérer.

-   Un contexte professionnel avec beaucoup de pression, une organisation du travail à flux tendu, des effectifs comprimés, des objectifs à courts termes, une forte sédentarisation…, autant de facteurs qui laissent peu de place pour adapter les postes à la situation des travailleurs handicapés par la maladie psychologique.

-   Un risque d’absentéisme plus important qui vient désorganiser le travail de l’équipe et influe sur la charge de travail des collègues.

 

Du côté des travailleurs handicapés par la maladie psychologique

-   La difficulté parfois à accepter la maladie et les conséquences qu’elle peut avoir en terme de capacités à travailler (ne plus être capable de…), et le refus de se soigner qui en découle.

-   L’arrêt du traitement dans les périodes où ils se sentent mieux, entraînant de fait une rechute.

-   Un traitement médical qui joue parfois sur les capacités de concentration et de réflexion, et qui est incompatible avec certains postes à risque.

-   Des personnes qui souffrent d’une maladie psychologique mais qui ne veulent pas être reconnues comme travailleurs handicapés ce qui rend difficile le travail d’adaptation du poste.

 

Comme les employeurs, les médecins du travail estiment que l’intégration ou le maintien des travailleurs handicapés par la maladie psychologique passe nécessairement par une importante réflexion sur le contenu du travail et ses conditions de réalisation au sein de l’entreprise, réflexion à laquelle le médecin du travail doit être associé, aussi bien lors de l’accès à l’emploi que dans les situations de maintien.

Mais ils estiment également que l’on ne peut traiter cette question sans avoir une approche globale de la situation de la personne, englobant les aspects médicaux, sociaux et familiaux. Ce qui suppose que la personne soit suivie en dehors de l’entreprise et que des échanges, voire un travail commun, puissent avoir lieu.

 

L’expérience des organismes d’insertion par l’activité économique

 

A – Les groupements d’employeurs pour l’insertion et la

  qualification (GEIQ) 

 

Ce sont des associations, créées, pilotées et animées par les entreprises qui les composent. Des entreprises se regroupent au sein d’un GEIQ lorsqu’elles souhaitent partager des compétences qu’elles ne pourraient recruter seules. Le GEIQ recrute les salariés et les met à disposition des entreprises adhérentes sous la forme de missions. Ces missions sont facturées mensuellement aux entreprises, en fonction du temps de mise à disposition. L’intérêt pour les salariés est de leur permettre d’accéder à un emploi durable en étant rattachés à un seul employeur, le groupement. Ces groupements peuvent être organisés par branches ou être multi-sectoriels. Ils obéissent à une Charte, et peuvent obtenir un « label » auprès d’une instance nationale, le CNCE. Les GEIQ ont une mission particulière : l’organisation de parcours d’insertion et de formation professionnelle au moyen de contrats en alternance et au profit de personnes en difficulté d’accès à l’emploi : jeunes sans qualification, demandeurs d’emploi de longue durée, bénéficiaires du RMI, … Leur spécificité réside dans l’apport conjoint de formation théorique et professionnelle dans un cadre sécurisant et stabilisant (tutorat, accompagnement socioprofessionnel). Si les embauches s’appuient sur des contrats de type particulier, contrats aidés et basés sur l’alternance (contrats de professionnalisation, contrats initiative-emploi…), en vue de permettre au salarié d’acquérir expérience et qualification, la finalité reste l’insertion durable au sein d’entreprises du secteur concurrentiel, membres ou non du groupement.

Le principe d’intervention du GEIQ  labellisé réside dans un double tutorat social et professionnel  : les salariés du groupement bénéficient d’un accompagnement social par les permanents du GEIQ qui leur permet de surmonter leurs difficultés initiales (méconnaissance du monde de l’entreprise et de ses contraintes, problèmes de logement, de surendettement, difficulté à suivre une formation dans des centres assimilés à l’école où ils ont connu des échecs…). Ce travail de médiation, de suivi d’acquisition des compétences se fait en complémentarité de l’accompagnement professionnel réalisé par les tuteurs au sein des entreprises adhérentes. Le tutorat est obligatoire, et consiste en une fonction de coordination et de médiation avec les différentes instances.

 

L’expérience d’intégration dans un GEIQ d’un Travailleur Handicapé par la maladie psychologique

L’état des lieux mené par la cabinet Cisame en 2003 à la demande de l’AGEFIPH, évoquait une expérimentation tentée dans le Gers, de création d’un GEIQ afin de permettre à des travailleurs handicapés de s’insérer professionnellement. Cette initiative s’appuyait sur une conception qualifiée d’« économique » de l’insertion, qui consiste à proposer une forme de travail qui répond aux besoins et aux contraintes des travailleurs handicapés. Le postulat qui sous-tendait cette tentative était que la rotation du travail, inhérente au fonctionnement du GEIQ (par le principe de la mise à disposition de salariés à plusieurs employeurs), permettrait de répondre à la situation d’intermittence entre inactivité et activité propre aux travailleurs handicapés par la maladie psychique. La dimension d’accompagnement devait par ailleurs être forte, ainsi que l’implication des employeurs. Certains ont, à cet effet, bénéficié d’une formation à la fonction de tuteur, dans le cadre du programme D.I.A.M.E. (Dispositif d’Accès et de Maintien dans l’Emploi pour les travailleurs handicapés psychiques, financé dans le cadre du PDITH 32).

Après trois années de fonctionnement, le directeur du GEIQ reconnaît la difficulté, voire l’impossibilité, d’intégrer des personnes handicapées par la maladie psychique, et s’appuie, pour justifier l’absence de ce public au sein de son groupement, sur une expérience jugée « malheureuse ». Au démarrage du GEIQ, une personne a été embauchée en Contrat Initiative Emploi (CIE) pour une durée de 24 mois. Sur cette période de 2 ans, cette personne a effectivement travaillé 150 heures (le minimum pour un CIE étant de 20 heures/semaine, soit 1 040 heures/année), ce qui équivaut à une présence effective équivalente à 7% d’un mi-temps.

Outre le fait que cette situation a fragilisé la jeune structure, la personne n’était, du point de vue des critères d’employabilité des entreprises du secteur concurrentiel, pas rentable car non productive du fait de son instabilité psychologique, et donc non fiable pour les employeurs qui se sont avérés extrêmement réticents à son embauche. Le changement d’environnement qu’implique le fonctionnement du GEIQ (employeurs multiples) s’est avéré déstabilisant pour cette personne et a conduit le directeur de l’association à renégocier son point de vue sur l’embauche de travailleurs handicapés par la maladie psychique et à établir des préalables :

-   une maladie stabilisée,

-   des tâches plus encadrées,

-   une montée en charge progressive.

 

Bien qu’ayant une vocation sociale leur permettant de former et d’accompagner leurs salariés, les GEIQ relèvent du milieu ordinaire à part entière et sont soumis aux mêmes contraintes que le secteur marchand auquel appartiennent la plupart des entreprises adhérentes. Les salariés bénéficient d’un accompagnateur social d’une part et d’un tuteur dans l’entreprise d’autre part, mais ils doivent être en mesure d’assurer les missions qui leurs sont confiées au même titre que n’importe quel employé. Cette condition suppose que les personnes disposent non seulement de compétences professionnelles, mais aussi psychiques et relationnelles qui leur permettent de s’adapter rapidement à des changements, ce qui est rarement le cas des personnes fragilisées par la maladie psychologique.

 

 

B – Les Entreprises d’Insertion 

 

Les entreprises d’insertion sont des unités de production qui ont pour objet spécifique l’insertion sociale et professionnelle des personnes rencontrant des difficultés (RMI, PJJ, COTOREP…), par l’exercice d’une ou plusieurs activités économiques. Elles leur proposent un parcours personnalisé de requalification sociale et professionnelle, fondé sur un diagnostic social et la mise en situation de travail, passerelle vers une intégration durable, vers l’autonomie et la pleine citoyenneté. L’entreprise d’insertion est une entreprise soumise aux lois du marché : concurrence, fluctuation de l’offre, capacité d’autofinancement, partenariat… Elle en assume donc toutes les contraintes et devoirs inhérents à la forme entreprenariale que ce soit en termes de respect du droit des salariés (contrats de travail, niveau des salaires, application des conventions collectives, représentation du personnel, etc.) ou de respect des règles de la concurrence et ce, quel que soit le secteur d’activité (production de biens ou de services, ou mise à disposition de personnel)

 

L’exemple d’une entreprise d’insertion toulousaine

L’E.I. choisie a été créée en 1997 à l’initiative de la Mairie de Toulouse et de l’Aérospatiale afin de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficultés, personnes en chômage de longue durée, femmes isolées avec enfants et bénéficiaires du RMI. Elle s’appuie sur le développement des activités suivantes : saisie informatique, accueil téléphonique, secrétariat, PAO, etc. L’idée de départ consistait à « créer un accompagnement social et professionnel individualisé capable de stimuler les compétences des salariés ». Au fil des ans, les publics accueillis ont évolué et les critères se sont étendus, au regard de problématiques nouvelles et au fur et à mesure que les obstacles à l’embauche étaient identifiés. La santé, et notamment les handicaps physiques et psychiques apparaissent comme des facteurs discriminants forts, à côté de l’âge (- de 25 ans et + de 45 ans), du lieu d’habitation (31 100) ou encore de la nationalité (pays du Maghreb et d’Afrique). Concernant les travailleurs handicapés, le premier constat établi par les accompagnateurs sociaux est que les personnes rencontrant des problèmes psychiques ne le disent pas. En général, les situations se révèlent lors des entretiens destinés à mettre à jour les freins à l’emploi. La maladie psychique est ainsi supposée au regard du manque d’autonomie, de confiance, de concentration et d’attention, et de la tendance à l’isolement des personnes. Deux situations étaient identifiées par les accompagnateurs sociaux au moment de l’enquête : un cas de bipolarité (personnalité maniaco-dépressive) et un cas de schizophrénie.

Dans le premier cas, la personne n’a pu aller au bout de son contrat en raison d’une hospitalisation prolongée, alors que pour la seconde, le parcours d’insertion est exceptionnel. Cette personne a été embauchée via un stage Sife de 150 heures (soit un mois), à l’issue duquel l’EI lui a proposé un CDDI (Contrat à Durée Déterminée d’Insertion) de 12 mois sur un poste de technicien de maintenance. Les évaluations menées conjointement par les accompagnateurs sociaux et le tuteur dans l’entreprise ont montré que cette personne disposait non seulement de compétences professionnelles, mais aussi d’une grande motivation, de détermination et de compétences relationnelles (savoir-être) qui permettaient de lui proposer directement un poste d’encadrant administratif  chez l’un des clients. Cette personne se trouve aujourd’hui dans une perspective d’embauche durable en entreprise ordinaire.

De tels parcours - aux dires des accompagnateurs sociaux - sont rares parmi les travailleurs handicapés par la maladie psychique, plus souvent maintenus au sein de la structure que directement positionnés dans l’entreprise cliente. Toutefois, cela leur semble possible sous certaines conditions :

 

-   un accompagnement plus resserré et plus long (au-delà de 2 ans),

-   une formation et une sensibilisation des cadres  (ou tuteurs) à la problématique de la maladie psychologique,

-   la transparence et l’« honnêteté » (« lorsqu’une personne relève du milieu adapté, ne pas s’acharner à vouloir l’intégrer en milieu ordinaire »),

-   et si cela est nécessaire, des horaires et des temps aménagés (temps partiel, demi-journée).

 

L’intervention d’un référent social (externe) et d’un encadrant technique (tuteur interne à l’entreprise) leur paraissent être des éléments essentiels à la réussite de l’accompagnement dans l’emploi des personnes handicapées par la maladie psychique. Cet accompagnement doit permettre d’éviter les mises en situation d’échec et de respecter le rythme de la personne malade. Il sécurise dans le même temps le travailleur handicapé et l’entreprise dans laquelle il intervient.

 

 

C – Les Entreprises de Travail Temporaire d’Insertion (ETTI)

 

L’ETTI a pour activité exclusive l’insertion professionnelle des personnes en difficulté auxquelles elle propose des missions auprès d’entreprises, mais également un suivi et un accompagnement social et professionnel, pendant et en dehors des missions. Soumises à l’ensemble des règles relatives au travail temporaire, l’entreprise doit en outre conclure une convention avec l’État. D’une durée maximale de 3 ans, cette convention précise notamment le montant de l’aide de l’État, les conditions de rémunération des salariés, d’accompagnement social et professionnel mis en œuvre, les modalités de dépôt des offres d’emploi à l’ANPE. Peuvent effectuer des missions d’intérim pour le compte d’une ETTI, les personnes rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières et notamment : les jeunes de moins de 26 ans en grande difficulté, les bénéficiaires du RMI, les demandeurs d’emploi de longue durée, les personnes prises en charge au titre de l’aide sociale… Pour autant, les intérimaires en voie d’insertion, bien qu’étant en difficulté professionnelle, ne peuvent pas être trop éloignés de l’emploi car ils doivent pouvoir s’adapter aux règles et exigences du travail en entreprise. Les ETTI interviennent donc surtout en fin de parcours d’insertion lorsque la personne est prête à retourner sur le marché de l’emploi. C’est un tremplin vers l’emploi, un maillon entre l’employeur et le travailleur en dynamique d’insertion. L’intérim d’insertion est de plus en plus souvent utilisé pour les personnes handicapées comme moyen de les faire connaître des entreprises (sensibilisation, démystification, lutte contre les discriminations…).

 

L’exemple d’une ETTI

L’ETTI contactée est une association Loi 1901, créée en 1995 à l’initiative d’une Association Intermédiaire, elle-même issue d’u CHRS, implanté à Toulouse.

 

Cette création partait du constat qu’à l’issue d’un passage en Association Intermédiaire, les personnes en difficultés d’insertion, ayant repris pied et confiance avec le milieu du travail, devaient se faire connaître des entreprises par l’intermédiaire de missions de courtes durées, afin de valoriser leurs compétences et déboucher sur des emplois durables. Il s’agit généralement de réorienter des individus aptes à un emploi vers le monde du travail, suite à des ruptures de parcours (accident, maladie…).

L’entretien avec une chargée d’insertion témoigne que, sur l’année écoulée, aucun travailleur handicapé a été placé en mission. Les critères d’employabilité actuels feraient qu’il faut être immédiatement compétent sur un poste de travail, ce qui suppose d’être soit expérimenté, soit extrêmement réactif. En outre, les missions d’intérim ne peuvent pas, si elles restent ponctuelles, engager les entreprises dans une logique d’adaptation de poste puisque, par définition, le salarié en intérim n’est pas un permanent. Pour les travailleurs handicapés par la maladie psychique, cette question d’adaptabilité est centrale. Toutes les tentatives d’intégration en entreprise de personnes « supposées » malades psychiques (dépressives notamment) ont été insatisfaisantes et ont constitué un échec pour la personne et pour l’ETTI. Leur angoisse à l’égard de la situation d’emploi se traduisait par de l’absentéisme à répétition, voire le refus de se présenter au poste. Toute la difficulté pour les chargés d’insertion consiste alors à « repérer » en amont de l’embauche les personnes malades, car celles-ci avouent rarement leur handicap ou leur maladie. C’est l’invisibilité qui prime. Lorsque le handicap est connu, le choix est fait d’orienter les personnes vers un psychologue qui intervient dans la structure, et vers un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS) ou une association intermédiaire, réponse plus adaptée, leur semble t-il, à la problématique du handicap psychique en matière d’insertion professionnelle.

Ce témoignage corrobore l’analyse selon laquelle l’ETTI se situerait plutôt en bout de parcours d’insertion, lorsque la personne est « proche de l’emploi », ou lorsqu’il s’agit de constituer un trait  d’union entre les travailleurs handicapés et les entreprises, en vue de « rassurer » ces dernières sur l’employabilité des personnes handicapées. Lorsque l’état psychologique de la personne ne le permet pas, ou lorsqu’elle est restée très longtemps sans activité, l’association intermédiaire, voire l’entreprise d’insertion, paraissent plus adaptées à l’étape précédente de formalisation d’un projet et de mise en situation professionnels.

 

D – Les associations intermédiaires 

 

Une association intermédiaire a pour objet d’embaucher les personnes sans emploi et rencontrant des difficultés sociales et professionnelles particulières, afin de faciliter leur insertion en les mettant à titre onéreux à disposition de personnes physiques et morales. Elle assure l’accueil de ces personnes ainsi que l’accompagnement et le suivi de leur itinéraire de réinsertion. Les publics concernés sont : les bénéficiaires du RMI, les demandeurs d’emploi de longue durée ou chômeurs âgés de plus de 50 ans, les bénéficiaires de l’ASS, les travailleurs handicapés reconnu par la COTOREP, les jeunes de moins de 26 ans en difficulté, les personnes prises en charge au titre de l’aide sociale. Les activités proposées sont ponctuelles et ne nécessitent pas l’embauche d’un salarié à temps complet. Le salarié bénéficie soit d’une contrat à durée déterminée, soit – plus exceptionnellement – d’un contrat en CDI à temps partiel. Par ailleurs, une liste établie par arrêté du Ministre du travail ou du Ministre de l’Agriculture recense les travaux particulièrement dangereux pour lesquels une AI ne peut en aucun cas embaucher. Le salarié d’une association intermédiaire bénéficie des mêmes droits que les autres salariés : formation professionnelle, congés payés, surveillance médicale… Il est mis à disposition par l’AI à un particulier, une association, une collectivité locale ou une entreprise sous la forme d’un « contrat de mise à disposition » conclu entre l’AI et l’utilisateur. Ce contrat précise notamment les tâches à réaliser, le lieu où elles sont effectuées, la date de fin de mise à disposition…

 

Mise au travail progressive ;  reprise et acquisition d’un rythme de travail ; travail autour du projet professionnel et sur les capacités nécessaires à sa mise en œuvre ; préparation à l’étape suivante…

 

 

Exemple d’une association intermédiaire

 

L’association rencontrée intervient sur les secteurs géographiques de Colomiers, Blagnac et Tournefeuille, chez des particuliers, sur des prestations de ménage, repassage, jardinage et petit bricolage. Les personnes ont des missions de 2 heures minimum, et sont embauchées en CDDI, contrats ne nécessitant ni période d’essai, ni préavis. Actuellement, ce sont environ 200 personnes qui reprennent pied dans l’emploi ou se font des revenus complémentaires (retraités) par le biais de la structure.

L’association reçoit des travailleurs handicapés dont les chargés d’insertion ne connaissent pas forcément la nature du handicap. L’objectif de l’entretien initial consiste à définir les contre-indications et inaptitudes éventuelles à un poste afin d’adapter la mission à la situation de handicap de la personne. « Officiellement » les personnes souffrant de handicaps psychiques sont peu nombreuses. Toutefois, les permanents dénombrent une part importante de personnes dépressives, alcooliques ou présentant des troubles de la personnalité. Généralement, ce sont ces dernières qui font l’objet d’un suivi rapproché, car elles déclarent prendre des traitements qui impliquent des adaptations de poste. Les difficultés rencontrées avec les travailleurs handicapés par la maladie psychique sont plutôt d’ordre relationnel, et l’accompagnement consiste alors à compenser ces difficultés relationnelles par le développement et la mise en valeur de compétences techniques. Ce qui suppose par ailleurs un travail de tutorat et une grande souplesse dans la gestion des ressources humaines. L’adaptation des horaires n’est pas un problème en soit. Si quelqu’un souhaite travailler l’après-midi, cela est rendu possible. D’autre part, si une personne craque en cours de contrat, elle pourra solliciter l’association à nouveau dés qu’elle se sentira prête pour un emploi. C’est à l’association de garantir au particulier la prestation, et d’utiliser pour cela son volant de salariés.

En dehors des troubles paranoïaques, jugés les plus complexes à prendre en charge, les situations de maladies psychiques sont gérables à deux conditions : que la personne poursuive un traitement et qu’il est ait un tuteur en situation « d’alerte » permanente.

 

 

 

 

 

3)  Le rôle du milieu protégé ou adapté dans le

     parcours d’insertion des travailleurs handicapés

     par la maladie psychique

 

 

La question de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés par la maladie psychique nous semble ne pas pouvoir faire l’économie d’un regard sur le rôle joué par le milieu protégé dans le parcours de ce public. Parce qu’ « il n’existe pas de paradis pour l’emploi des handicapés », la posture que nous adoptons ici est celle de la non opposition entre intégration en milieu ordinaire d’un côté et structure spécialisée de l’autre.

 

 

3.1 – Les Centres d’Aide par le Travail

Désormais Établissements et Services d’Aide par le Travail, les Centres d'Aide par le Travail ont une double finalité :

 

-   faire accéder à une vie sociale et professionnelle des personnes momentanément handicapées ou durablement incapables d'exercer une activité professionnelle dans le secteur ordinaire de production ou en ateliers protégés ;

-   permettre à celles qui manifestent par la suite des capacités suffisantes, de quitter le centre et d'accéder au milieu ordinaire de travail ou à un atelier protégé.

 

Tout en étant juridiquement des établissements sociaux, relevant à ce titre de l'ensemble des dispositions de la loi relative aux institutions sociales et médico-sociales, notamment de la procédure de coordination des établissements et services qu'elle institue, les centres d'aide par le travail sont simultanément une structure de mise au travail - ils se rapprochent à cet égard d'une entreprise -  et une structure médico-sociale, dispensant les soutiens requis par l'intéressé et qui conditionnent pour lui toute activité professionnelle.

 

Pour  répondre à la fois aux besoins des personnes handicapées et aux exigences des clients, le CAT s'appuie sur deux organisations :

 

-   l'organisation des activités d'intégration assurant à chaque travailleur :

.  un soutien personnel lui permettant de mieux assumer ses difficultés psychologiques et relationnelles,

.  une formation professionnelle adaptée à ses possibilités et désirs,

.  un travail valorisant, support principal du maintien et du développement de ses capacités,

.  un accompagnement personnalisé, en référence à un projet d'évolution régulièrement actualisé ;

 

-   l'organisation des activités d'entreprise ayant pour objectif d'assurer une totale satisfaction au client, depuis l'élaboration du cahier des charges jusqu'à la livraison des produits ou services commandés.

 

L’expérience d’un C.A.T. spécifique pour malades psychiques

Géré par une association chargée de la réinsertion sociale de personnes en post-cure psychiatrique, le centre d’Aide par le Travail a été créé en septembre 2003 en étroite collaboration avec le monde rural et agricole, afin de réadapter professionnellement et socialement des personnes adultes handicapées par la maladie psychique. L’initiative est née d’un constat d’augmentation du public TH MP au sein du public accueilli par l’association et d’une inadaptation du suivi en 2 ans. Outre la spécificité de son public, le CAT limite son accueil à 5 ans, afin de privilégier une réelle insertion professionnelle qui ne passe pas forcément par le milieu ordinaire, mais le privilégie.

 

Ses activités agricoles, de par leur diversité (élevage, transformation, maraîchage, cuisine, buanderie, entretien, mais aussi tertiaire), tentent de répondre à l’hétérogénéité des situations et permettent d’adapter les postes aux compétences et aptitudes de chacun.

 

D’une capacité d’accueil de 50 places, le CAT dispose également d’un service d’hébergement  déclinant les différents degrés d’autonomie des personnes (foyer de 18 places sur le même site que le CAT, foyer ouvert en pension complète, appartements communautaires et appartements individuels) et d’un Service d’Accompagnement à la Vie Sociale (SAVS).

 

La spécificité des réponses apportées au sein du CAT réside dans la posture prise par l’équipe à l’égard :

 

-   de la fonction et du rôle du travail proprement dit pour la personne handicapée psychique : donner un sens à l’activité (elle doit s’inscrire dans une chaîne) ;

-   de son organisation : nécessité d’alterner les tâches lorsque c’est nécessaire, d’aménager les horaires… ;

-   de sa graduation et sa progressivité : par l’évolution des tâches et éventuellement des responsabilités, par la proximité avec le milieu ordinaire, via notamment des stages en entreprises (immersion) ;

-   de l’accompagnement mis en place : un suivi étroit qui suppose un système de vigilance et de veille permanent compte tenu de l’aspect inattendu que peuvent avoir les symptômes de la maladie ;

-   de la relation de confiance instaurée avec l’employeur : qui passe nécessairement par la transparence d’une part, et le suivi d’autre part. « Le milieu ordinaire ne s’aborde pas comme ça, il faut « assurer le service après-vente ». »

 

L’intérêt que représente ce CAT « spécifique » réside, de notre point de vue, dans la dynamique de parcours dans laquelle il inscrit son intervention. La personne handicapée psychique n’est pas prise comme un élément relevant d’une catégorie définitivement figée, mais comme un individu dont la santé psychologique ne lui permet pas, à un moment donné de sa vie, d’intégrer le milieu ordinaire, sans que cette option soit toutefois écartée. Le CAT ne doit pas être considéré comme le « bout de l’entonnoir » lorsque toutes les solutions ont été épuisées (même si ça peut être le cas pour certaines situations), mais comme une alternative dans le parcours d’insertion ou de ré-insertion de personnes coupées de l’emploi depuis longtemps. Le choix de limiter à 5 ans les contrats des usagers-salariés relève de cette posture qui refuse de figer la personne dans une inaptitude permanente. La spécificité de la maladie psychique est bien celle-là : faite d’alternances, de discontinuités, d’intermittences… Elle suppose donc des arrangements, aménagements et accommodements permanents des situations de travail (ou de non travail) aux manifestations de la maladie.

 

3.2 L’entreprise adaptée

 

Créés par la Loi du 23 novembre 1957, ceux que l’on appelait alors les ateliers protégés avaient un objectif clair : « sortir de l’assistanat certaines des personnes handicapées dont le placement en milieu ordinaire s’avérait impossible, en leur offrant un véritable emploi au sein d’une entreprise créée à cet effet. » La Loi d’orientation en faveur des personnes handicapées du 30 juin 1975 donnait une nouvelle définition de l’atelier protégé : « unité de production qui offre à des travailleurs handicapés les conditions particulières de travail nécessaires à l’exercice de leur profession, et les modalités d’emploi susceptibles de faciliter leur promotion professionnelle, notamment par leur accession à des emplois en milieu ordinaire de production. La production de l’atelier protégé s’intègre dans l’économie normale du marché ». La loi du 11 février 2005, en rebaptisant les ateliers protégés Entreprises Adaptées, réaffirme l’E.A. comme une entreprise, à la différence des CAT, et les intègre désormais au milieu ordinaire de travail, permettant à ses salariés handicapés d’accéder à un statut de salarié à part entière, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent.

L’Entreprise Adaptée est un lieu d’insertion qui permet à des personnes handicapées productives, mais non compétitives, d’accéder à une pleine citoyenneté par la pratique d’un travail salarié adapté. Cette mission se réalise par la mise en œuvre :

 

-   d’un outil de production conçu et adapté aux personnes handicapées,

-   d’actions spécifiques conduites pour la réalisation de leur projet individuel, social et professionnel, allant de l’orientation à l’insertion, en passant par la formation ou l’adaptation gestuelle, et les accompagnements individualisés.

 

Sécuriser les personnes et les clients : le travail quotidien de l’entreprise adaptée

L’entreprise adaptée que nous avons rencontrée regroupe quatre unités de production implantées sur les départements de la Haute-Garonne et du Lot, et compte 130 salariés handicapés. Confrontée au monde concurrentiel, ses préoccupations sont celles de toute entreprise : respect du cahier des charges, assurance de la qualité, réactivité et respect des délais, traçabilité et confidentialité. Ses objectifs sont doubles : créer des emplois pour les personnes handicapées, et les pérenniser.

Les personnes embauchées signent un contrat qui implique de leur part le respect des horaires et des consignes, une certaine productivité … et sont affectées à des tâches et postes adaptés à leurs inaptitudes professionnelles.

 

L’entreprise adaptée fonctionne par le biais de contrats de sous-traitance avec des entreprises du secteur concurrentiel (qui peuvent à ce titre s’acquitter d’une partie de leurs obligations en matière d’embauche de travailleurs handicapés et réduire leurs charges), mais aussi par la réponse à des appels d’offre de marchés publics.  Son objectif est de disposer d’un portefeuille de prestations diversifiées afin de pouvoir proposer des missions adaptées à plusieurs types de handicaps.

 

La plus grande difficulté que rencontre aujourd’hui cette entreprise est l’insuffisance régulière de personnel liée d’une part, à un fort taux d’absentéisme (absences pour maladie notamment) et d’autre part, à la proportion importante de temps partiels. Pour répondre à ces contraintes, la structure dispose d’un volant permanent de 10% d’effectif salarié supplémentaire par rapport aux besoins et mise sur la polyvalence des personnes. Le handicap psychique contribue fortement à ces contraintes de gestion, mais pas exclusivement. Par principe, la transparence est de rigueur en direction des cadres techniques, non pas sur la maladie elle-même, mais sur les inaptitudes professionnelles et les comportements qu’elle suscite. La mise en place d’un suivi individualisé ne peut se faire que sous cette condition et il est fait pour minimiser le risque de « rupture ».  Ce suivi repose sur une écoute et une attention quotidiennes à l’égard des personnes, et sur l’adaptation des tâches au jour le jour. Cette répartition du travail se fait en fonction de « l’humeur » du travailleur handicapé, c’est-à-dire l’état psychique dans lequel le cadre technique le perçoit dés les premiers échanges de la journée : « comment vas-tu ? », « tu as bien dormi cette nuit ? »…

 

 

Une personne en situation d’angoisse sera alors positionnée sur une mission à faible pression de productivité, rassurante, parfois répétitive ; pour d’autres, il privilégiera au contraire la diversité, le travail en extérieur plutôt qu’en atelier… L’idée est de pouvoir faire du sur-mesure pour les situations de maladie psychologique, comme l’on adapterait un poste à une personne relevant d’un handicap moteur, physique ou sensoriel.

 

Cette première approche répond à la nécessité de sécuriser le travailleur handicapé. Mais l’intérêt de l’entreprise adaptée réside aussi dans son ouverture vers le milieu ordinaire et dans sa confrontation aux employeurs. Ceux-ci sont généralement réticents à embaucher des travailleurs handicapés pour deux raisons principalement  liées :

 

-   à la production : des craintes sur la qualité et les délais d’exécution de la prestation ;

-   à la gestion des ressources humaines : des appréhensions quant à l’absentéisme et aux possibles comportements des travailleurs handicapés.

 

Ces craintes reposent sur l’idée selon laquelle l’embauche d’un travailleur handicapé, à plus forte raison malade psychique, constitue une prise de risque pour un employeur. Il s’agit donc de faire éclater ces représentations en démontrant que cette population est aussi fiable que n’importe quel autre salarié. Pour cela, l’entreprise adaptée doit sécuriser le client :

 

-   en garantissant la bonne exécution de la prestation (assure les remplacements en cas d’absence),

-   en proposant un interlocuteur unique qui leur assure « qu’ils n’auront pas à s’occuper des personnes » et qui sera le référent des TH au sein de l’entreprise sous-traitante.

 

De façon générale, les clients se disent « étonnés », y compris lorsque des équipes sont placées en entreprise (accords commerciaux spécifiques, de courte durée), de la capacité d’adaptation des travailleurs handicapés et de leurs compétences et se disent rassurés sur l’embauche de travailleurs handicapés. 

 

Ces réussites reposent sur deux conditions essentielles :

 

-   la transparence à l’égard du client (« il vaut mieux savoir et connaître les risques de façon à les prévenir et à s’adapter »)

-   l’accompagnement et la réactivité de la part de l’entreprise adaptée (visites régulières, référent unique…).

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15 Juin 2002