- Réaliser des outils et des méthodologies généralisables visant à améliorer l’insertion des travailleurs handicapés par la maladie psychique :
· définir une typologie plus fine des publics en rapport avec leur employabilité ;
· développer le partenariat avec les acteurs du suivi médical ;
· renforcer l’interface avec les entreprises
- Produire des éléments destinés à alimenter la problématique générale
Notre
cheminement, notre méthodologie spécifique
Notre expérience nous a amenés au cours des
années à élaborer une méthodologie spécifique pour traiter la question de
l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés par une maladie
psychique.
Cette méthodologie s’appuie sur deux instruments
que nous avons conçus (fruits de tâtonnements successifs) pour mieux répondre à
la complexité à laquelle nous nous confrontions. Ces outils nous semblent
indissociables et interdépendants à la mise en perspective du projet personnel
et professionnel de ces personnes : d’une part, nous trouvons la «
cartographie individuelle » et d’autre part, sa résultante, la
« configuration personnelle d’insertion ».
La cartographie individuelle est une carte à petite échelle de
l’itinéraire de chacun, elle reprend (mois par mois, année par année) le statut
que la personne avait durant les quinze dernières années de sa vie. Ce travail
pour ainsi dire « archéologique » demeure indispensable à la
reconstruction de la trajectoire personnelle et professionnelle. Cette opération
nous a permis d’apprécier la teneur de chaque parcours et aussi nous a donné
accès à l’observation minutieuse (à la loupe) du phénomène de discontinuation
présent dans leur biographie.
Aujourd’hui, grâce à l’étude que nous
menons, cet outillage s’est perfectionné et petit à petit la cartographie s’est
transformée en une véritable « topographie individuelle ».
La nécessité, d’une part, de devoir prendre
en compte des paramètres de nature très différente et d’autre part, de devoir
apprécier leurs dialectiques nécessitait l’appui d’un outil plus complexe qui
ne pouvait pas se cantonner à l’utilisation d’un seul plan. La cartographie
permettait de visualiser les différents paramètres qui interviennent :
différents milieux sociaux, médicaux, professionnels, familiaux qui se
déclinent en : soin, lien social, l’activité travail, les autres
activités, etc…
La topographie, elle, nous permet de les
mettre en synergie, et la configuration personnelle d’insertion nous donne maintenant la possibilité de représenter
la géométrie dans un temps et un espace donné du cas par cas.
Sans cette représentation et son appropriation (par le
TH MM et celui qui l’accompagne) de cet « ensemble multifactoriel »,
le projet d’insertion, c’est-à-dire personnel et professionnel ne peut
s’envisager.
Les outillages et la méthodologie étant
décrits, revenons maintenant à la question des constats et hypothèses qui sont
à l’origine de cette étude – action.
Notre travail, comme nous avons dit
précédemment, nous conduit au constat suivant : certaines personnes
atteintes par une maladie psychique ne peuvent travailler, en règle générale,
que de façon discontinue. Nous faisons l’hypothèse que cette discontinuité est
à mettre en rapport direct avec les troubles psychologiques dont elles souffrent.
L’observation de ce public fait donc apparaître un
phénomène récurrent : la possibilité pour ces personnes de travailler seulement par intervalle,
notamment après le déclenchement de la maladie.
En même temps que nous échafaudons nos
hypothèses, notre pratique est traversée par le discours du mouvement des
intermittents du spectacle. Celui-ci vient alimenter notre réflexion et va
finalement nous permettre de traduire et qualifier ce phénomène récurrent.
Nous avons lu leurs riches écrits, nous
avons retenu l’idée maîtresse : l’activité-travail pour une bonne partie
de la population n’est plus une activité continue et régulière, et ce phénomène
ne peut qu’aller en s’amplifiant. C’est-à-dire que ce qui était une donnée
conjoncturelle est en train de devenir une donnée structurelle.
Le mot « intermittent » nous
accroche et nous fait signe, ainsi nous nous posons la question suivante :
la formule intermittente ne serait-elle pas une solution adaptée voire
applicable à une partie du public TH MP ?
Ceci dit, nous savons déjà que certains TH MP sont
« intermittents » parce qu’une bonne partie des contrats qu’ils
signent et auxquels ils ont accès sont de courte et de moyenne durée. Cela veut
dire que les lois du marché de l’emploi induisent des parcours intermittents.
Cette forme d’intermittence, nous l’appellerons « intermittence
exogène ».
La pathologie psychologique, elle, induit une autre forme
d’intermittence qui est pré-existante, c’est-à-dire primitive, que nous
appellerons dans cette étude « intermittence endogène ». Cette dernière est une
intermittence d’une autre nature : elle puise ses sources dans la
structure du sujet (nous employons « sujet » quand ça concerne la
réalité psychique et « personne » quand ça concerne la réalité sociale) ;
elle est provoquée par des cycles d’altération générés par la maladie elle-même
qui, à un moment donné, font que la personne est dans l’incapacité de
s’investir professionnellement.
Concernant, donc,
le public TH MP nous assistons alors à un phénomène plus complexe car nous
sommes en présence d’une « double intermittence » : exogène et endogène. Le cumul des deux crée une configuration
parfois inextricable.
Les
catégories : pourquoi ?
Si nous observons
l’ensemble des parcours des cinquante cinq travailleurs handicapés par la
maladie psychique interviewés lors de cette étude, nous constatons que certains
présentent des « caractères communs » au regard de l’employabilité.
Nous avons fait le
choix de les étudier en prenant en compte la fréquence à laquelle ces
caractères apparaissent durant les quinze dernières années.
Caractères communs
:
1)
Le statut de
la personne ainsi que leurs revenus.
2)
La durée du
travail, la durée des contrats de travail et le motif de fin de ces contrats.
3)
La durée de
la maladie (pendant les temps travaillés et en dehors du temps de travail.
4)
La durée des
périodes d’inactivité que nous appelons « latence ».
5)
Le niveau
scolaire ainsi que les différentes formations.
6)
Le nombre des
différents types de suivi (médico-psychologique, socioprofessionnel).
7)
Autres…
Les itinéraires intermittents :
Partis du constat
de la présence des itinéraires intermittents dans les parcours de TH MP
(parcours à trous), nous avons choisi de penser les différentes catégories
(très loin, à mi-chemin et proche ou dans l’emploi) en nous appuyant sur la
notion d’un « intervalle » : la distance d’un point à un
autre, c’est-à-dire la distance entre une coupure voire rupture et une reprise
(soit d’activité salariée, soit de maladie, soit d’inactivité dite
« latence »).
D’une part
l’observation de la combinatoire de ces différents caractères et d’autre part
la répartition particulière d’alternance des intervalles et de leur agencement
donnent lieu à l’appartenance à une catégorie.
Les
catégories :
1)
Celle des
personnes qui se trouvent « Très éloignés de l’emploi ».
2)
Celle des
personnes qui sont à « Mi-chemin de l’emploi ».
3)
Enfin, celle
des personnes qui sont « Proches ou dans l’emploi ».
Si nous considérons l’ensemble du parcours d’une
personne atteinte par la maladie psychique, nous constatons que cet ensemble se
subdivise en intervalles qui se succèdent et se coordonnent de par une logique
particulière à la configuration de chacun.
Nous avons fait ce choix d’adopter la notion
d’intervalle, parce que cette notion est celle qui traduit le mieux
« l’accessibilité à l’emploi » en terme de distance
parcourue ou à parcourir, au lieu de la concevoir uniquement en terme de
capacité ou incapacité à travailler qui est, à notre sens, trop
simplificatrice car elle ne prend pas en compte la dynamique propre aux
intermittences exogènes et endogènes auxquelles ces personnes sont soumises.
Ces intervalles
sont :
a)
L’activité salariée
b) La maladie
c) La latence
(les intervalles dits « d’inactivité »)
Les intervalles a et b sont des moments d’intense sollicitation. Dans le cas de l’intervalle a la sollicitation extérieure (exogène)
prend le dessus et vient imposer à la personne un travail centré sur : le
respect des horaires, rythme soutenu de travail, prises de responsabilités,
adaptabilité, mobilité, etc.…
Les situations de travail peuvent devenir des menaces
pour un équilibre toujours précaire.
Dans le cas de l’intervalle b
(la maladie), la
sollicitation est presque exclusivement du côté endogène. Le sujet est pris dans
un travail psychique très intense « d’élaboration subjective » qui
accapare une bonne partie sinon tout son potentiel. Cet intervalle, plus ou
moins long, demeure un temps très éprouvant pour le sujet : moments de
rechute, de crise, de replis sur soi se succèdent, l’intervention du côté du
soin s’intensifie.
L’intervalle c dit d’inactivité que nous qualifions de
« latence » consiste en des moments d’accalmie, d’apaisement et
d’atténuation dans les pauses induites par la maladie psychologique.
En général, pendant cet intervalle, nous avons observé
« trois temps logiques « qui nous ont été décrits de
façon détaillée par les TH MP interviewés lors de l’enquête.
Le premier temps est celui de « remise à zéro
des compteurs » si les TH MP ne peuvent pas s’accorder ce temps
nécessaire cela pourrait compromettre les deux temps qui suivent.
Le deuxième temps est celui de l’élaboration de
solutions possibles.
Le troisième temps est celui où les personnes sont
en mesure de prendre une direction donnée.
C’est lors de cet intervalle que les personnes se
préparent, réfléchissent avec les acteurs du milieu socioprofessionnel, avec
des équipes médicales qui assurent le suivi après la crise.
Période où l’on
sera capable de retisser des liens avec son entourage, période d’ouverture et
de « restructuration subjective ».
C’est souvent lors
de cet intervalle de « pré-activité » que nous intervenons, moment
que nous travaillons avec eux la notion de « distance » qui sépare de l’insertion effective: formation,
activité salarié, et tout autre type d’activité.
Il s’agit d’un
moment crucial car la personne devrait être en mesure de se mettre de façon
progressive au travail de ré-insertion.
Si l’on schématise ces périodes, intervalles et catégories nous
trouvons :
Catégories |
Période 1990/2005: nombre d'années de
travail/latence-maladie en temps cumulé |
Représentation des Intervalles |
Causes |
|||||||||||
Très éloigné de l'emploi |
|
13% d'activité
salariée |
|
|
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|
|
endogènes +++ |
||||||
W |
M+L |
W |
M+L |
|||||||||||
|
|
|
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|||||||||||
A mi-chemin de l'emploi |
39% d'activité
salariée |
|
|
|
|
|
endogènes |
exogènes |
||||||
W |
M |
L |
W |
M |
||||||||||
|
||||||||||||||
Proche ou dans l'emploi |
60% d'activité
salariée |
|
endogènes |
exogènes |
||||||||||
W |
M |
L |
W |
|||||||||||
|
||||||||||||||
|
|
|
|
|||||||||||
Les catégories sont des ensembles dynamiques et les
personnes se déplacent, naviguent d’une catégorie à une autre.
Si la répartition des TH MP dans les catégories peut évoluer, le statut de la personne lui aussi évolue. Il faut imaginer (concevoir) ce système comme étant composé de paliers par lesquels les personnes transitent en fonction de l’évolution résultant de la dialectique entre les éléments exogènes et endogènes.
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