ECOUTE ET CO...

Echo et Narcisse

(Chapitre 10 de "La Clef des Sons")

Dr Bernard Auriol

 


Et des antres secrets dispersés dans les bois,
Il me sembla soudain qu'il sortait une voix,
Qui dans mon âme obscure et vaguement sonore
Eveillait un écho comme au fond d'une amphore.

Victor Hugo, Les Rayons et les Ombres

Bref préambule

Depuis quelques décennies, l'étymologie s'emploie, avec l'étude des mythes, à apprêter tous les mets, délectables ou nauséeux, ou à s'en faire le lieutenant. Je voudrais dépasser cette mode, non tellement par son abolition mais au contraire pour l'accomplir. Je soutiens l'hypothèse qu'il s'agit là d'un ancien testament. Plusieurs fois raturé, corrigé, glosé, enrichi. L'érosion naturelle des transmissions locales et leurs recoupements dans le sillage tumultueux de l'histoire souterraine ne donne pas lieu à d'insignifiants vestiges. Toutes les dérivations, extensions et résurgences témoignent d'une structure profonde ; et loin de l'arbitraire ! Grosse d'être et de sens ! Gorgée de moelle substantifique, de trésors à ciel ouvert. Vestiges vivants comme le sont les espèces évoluées à partir de la soupe primitive et dont nous pouvons scruter les communs gènes...

Et jusqu'à la science ! L'acoustique par exemple !

L'écho désigne le retour d'un son après qu'il a frappé une paroi rigide ; il peut être multiple et l'on en connaît qui répètent jusqu'à vingt fois la syllabe de départ. Pour que le phénomène puisse se produire, il faut que le son réfléchi ait un retard d'au moins 50 millisecondes, c'est-à-dire que la paroi soit distante d'une quinzaine de mètres. On parle plutôt de réverbération lorsque les parois réfléchissantes sont proches de la source : le son émis est enrichi, modifié dans son timbre, prolongé, mais nous n'en discernons pas de répétition bien distincte.

La physique et l'Art ! Nous devons à Iégor Reznikoff (1987) cette simple et merveilleuse question d'un rapport entre le lieu d'une peinture rupestre et la valeur sonore de son emplacement dans la grotte. A quoi il répond - preuves à l'appui - que les amours impossibles d'Echo pour Narcisse furent déjà là tentés. Et peut-être assez bien réussis.

La physiologie paye aussi d'elle-même grâce à Kemp et Wilson... L'oreille n'a pas fini de faire du bruit ! Nous venons d'apprendre que chaque son reçu reçoit sa monnaie, réplique exacte, enregistrable ; preuve de l'incessante activité de la cochlée. L'oreille y met du sien, bien plus même que ne l'imaginait Tomatis en évoquant l'étrier, l'enclume ou le marteau ! Cyrano lui-même (je veux dire le vrai) (1650) trouvait l'idée - qu'il avait eue avant tous - grotesque. Il persiflait : " Ce joueur engendre- t-il dans ma tête un autre petit joueur avec un petit luth, qui ait ordre de me chanter les mêmes airs ? "

L'écho se retrouve aussi dans l'élocution : le sujet qui s'écoute et s'attarde à le faire se met à bégayer, soit par mimétisme d'un autre qui s'y adonne, soit - sous le coup de l'émotion - par retour au stade du bégayage enfantin, soit qu'on le lui impose en laboratoire par un retard d'auto-écoute amplifiée de l'ordre de 250 ms par exemple (Voix Répétée Retardée de Azzi Azzo ou VRR). Sans omettre bien sûr celui qui souffre de bégaiement clonique chronique, quoique pas dans toutes situations...

 


 

L'intime au logis

When the Eternal first made Sound
A myriad ears sprang out to hear,
And throughout all the Universe
There rolled an echo deep and clear :
" All Glory to the God of Sound. "

Miss Miller

Echo vient du grec èchéô : résonner, retentir, faire un bruit réverbérant, multiplié comme un ch±ur (foule, océan), à timbre enrichi (trompette) ; achéô est un verbe de même signification. Son homonyme signifie " être affligé ". De même en hébreu, HaD (écho) est proche de HaDABaH qui signifie l'action d'attrister ou d'affliger. La racine arabe HaD signifie également le deuil. Mais aussi la limitation, le fait de mettre un terme ou de définir les sons aigus, perçants. Le mot arabe pour écho (aussi pour son, retentissement) est SaDA : il s'agit aussi de crédibilité ; et encore : chanter, crier. En anglais échoic word a depuis 1880 le sens d'onomatopée (Murray) : le mot évoque la chose, vestige fantomatique en son absence... Voici donc les contours archaïques d'un tel signifiant : son, répétition, réponse, retentissement, crédibilité, définition, délimitation, deuil...

Les mythologies

Sweet Echo, sweetest nymph, that liv'st UNSEEN
Within thy airy shell...

John Milton, Comus 1, 230

Dans son enfance, par son incessant bavardage, Echo détournait l'attention d'Héra sa mère, la femme de Zeus. Et ce dernier la trompait. Mais Héra découvre ce manège, et la condamne à ne plus rien dire : plus de parole, ne lui reste que la voix et seulement de répéter. Ainsi, le moment venu, cette fille de l'air ne peut-elle avouer son amour à Narcisse ; elle fuit donc dans la solitude et l'anorexie. Elle maigrit tant qu'il ne lui reste que la voix et les os. La voix pour répéter les derniers sons entendus, les os réduits à celui de l'oreille : le rocher... Double déréliction : condamnée par la mère, demanderesse sans retour...

Echo est une des nymphes qui passent leur vie à filer et chanter dans leurs grottes. Comme Pénélope... sans fin... " Nymphè " signifie " celle qui est recouverte ou voilée ", autrement dit : la jeune mariée, avant la nuit de noces qui lui fera perdre sa virginité. Dans l'argot de l'époque, il s'agissait du sexe féminin et plus précisément du vagin recouvert de son " hymen ". Mais Echo se ferme à l'amour de Pan, épris de sa belle voix, qu'il eût voulu faire gémir. Les bergers (vengeance de Pan) la mettent en pièces et dispersent ses morceaux...

Nous ne pouvons saisir le mythe d'Echo sans approcher Narcisse ! Narcisse est fils de Céphyse quand il viola Liriopé (" celle qui est voilée par les broussailles ") : il est donc le fils de la défloration virginale, si tant est qu'elle eut lieu (fils d'une vierge-mère, d'une maman pure, absolument pas putain). La fontaine toute pure, toute fraîche, toute vierge, où Narcisse devint amoureux de son image jusqu'à s'y noyer, est appelée précisément Liriopé : le miroir de Narcisse, alors même que Pausanias déclare qu'il y cherchait sa s±ur jumelle morte, n'est autre que sa mère et la mort (Styx) (Moreri, art. Narcisse)...

Le juste châtiment de cet excès d'amour entre mère et fils sera scellé par la fille de la nuit déguisée en oie blanche (Ovide III, 405). Le destin de Narcisse sera de mourir à 16 ans, s'il se connaît, s'il se voit dans la fontaine, sa source, sa mère. Destin renouvelé de tous les enfants rois venus sans le désir à deux. Il se perd dans l'image parfaite et sans faille que lui renvoie sa mère. Alors se cupit inprudens : il se désire, imprudent, imprévoyant, le regard en arrière, le désir fixé sur le passé, tout comme la femme de Loth... (ou la Belle au Bois Dormant !) il se statufie ! Il se métamorphose en Golem ! Il dormira cent ans ou pour toujours sous les yeux de l'Amour... Il ne reste de lui que cette fleur au c±ur jaune et aux pétales blancs qui porte son nom et que Dolto ressuscitera avec ses poupées fleurs. C'est une plante à dormir (narkè) dont la forme avec son périanthe jaune soudé (phallique) et sa couronne blanche épanouie (vulvaire) suggère l'union impossible d'un sexe hermaphrodite avec lui-même...

Les mythes concernant la musique revêtent sans cesse, selon Mâche (1983), un déroulement commun avec les étapes suivantes : traversée : risques mortels ; musique ; plongeon ; secours divin ; arrivée à bon port. Cette structure renvoie à la mort et à la renaissance et, plus simplement, à l'évocation de la naissance en tant que prototype de tout changement. Le plongeon, l'eau, représentent à la fois le risque, la petite mort que comporte toute expérience vraiment autre ; ils renvoient sans doute aussi à quelque mémoire archaïque de la vie utérine avec les sons qui l'habitent. Ce retour au sein maternel explique sans doute le sentiment de toute-puissance que les mythes accordent à la musique, source de l'aide divine et du salut.

Cette mort, cette renaissance, n'est-ce pas la métaphore du processus de symbolisation et de sublimation : abandon des formes contradictoires et mortifères de l'imaginaire, mort symbolique, changement de but pour une énergie pulsionnelle inchangée. Les forces mauvaises deviennent des dauphins secourables, le " dieu du Dithyrambe, celui qui a franchi deux fois les portes de la mort, exerce sa puissance de salut même sur ses ennemis : il fait servir au bien, par un changement de signe inespéré, et immérité, même les pulsions mauvaises ".

Quittons les mythes pour la littérature. Les exemples évoquant Echo sont légion.

Montaigne, évoquant la diversité des croyances et leur étrangeté, écrit "Où l'on croit que les âmes heureuses vivent en toute liberté, en des champs plaisant fournis de toutes commodités ; et que ce sont elles qui font cet écho que nous voyons."

"De vous, riche et sonore instrument où ne vibre
Que la radieuse gaieté,
De vous, claire et joyeuse ainsi qu'une fanfare

Dans le matin étincelant,

Une note plaintive, une note bizarre

S'échappa, tout en chancelant
Comme une enfant chétive, horrible, sombre, immonde,

Dont sa famille rougirait,

Et qu'elle aurait longtemps, pour la cacher au monde,

Dans un caveau mise au secret.
Pauvre ange, elle chantait, votre note criarde :


" Que rien ici-bas n'est certain,

Et que toujours, avec quelque soin qu'il se farde,

Se trahit l'égoïsme humain ;
(...)
" Que bâtir sur les coeurs est une chose sotte ;

Que tout craque, amour et beauté,

Jusqu'à ce que l'Oubli les jette dans sa hotte

Pour les rendre à l'éternité ! "

Splendide statue d'Echo par Ville Vallgren (Ateneum Art Museum, Helsinki, Finland

Statue d'Echo (Ville Vallgren; 1855-1940)
exposée à l'Ateneum d'Helsinki

Pas si loin de nous, Cyrano incarne la Voix et les fonctions qui lui sont attachées. Il est amoureux de Roxane - " si gentiment maternelle " - qui, face à Christian, complexifie le mythe de Narcisse. L'importance des sons de la voix et de leur strict agencement caractérise le cadet : non seulement il fait de l'esprit et des rimes, mais il ne peut accepter que Richelieu lui-même y apporte la moindre modification :

Cyrano: " Mon sang se coagule
En pensant qu'on y peut changer une virgule".

Bretteur sans vergogne, capable d'en affronter cent, amoureux de son panache, il sait y renoncer par amour de sa cousine Magdeleine Robin (alias Roxane).

"Je me suis donc battu, Madame et c'est tant mieux,
Non pour mon vilain nez, mais bien pour vos beaux yeux".

Roxane aime Christian, pour l'avoir aperçu et Cyrano - qui espéra un instant être aimé - tente de faire lever le doute sur la valeur de son rival :

Cyrano : "S'il était aussi maldisant que bien coiffé !"

C'est le cas. Christian le sait et s'en ouvre à Cyrano ! Nous sommes prêts à connaître les termes du marché :

Cyrano: "Te sens-tu de force à répéter les choses
Que chaque jour je t'apprendrai ?
Je serai ton esprit, tu seras ma beauté".

 

Cyrano, comme Echo, est la Voix qui dit à la beauté de l'image (Roxane) ce que l'image ne saurait dire (Christian). Cette situation fait de Christian un Narcisse-Echo qui, sous le balcon, répète pour Roxane les mots de Cyrano.

Christian (à qui Cyrano souffle ses mots)
M'accuser - justes dieux !
De n'aimer plus... quand... j'aime plus !

Mais le souffleur finit par prendre, dans l'ombre, la place de l'acteur. Roxane est profondément touchée. Elle le dit. Cyrano, bien sûr qu'il le doit à sa propre voix et non à la marionnette poudrée qu'il seconde, s'estime comblé et n'avoir plus qu'à mourir. Ce sera pour la fin ! Cyrano est rimeur, musicien, grand riposteur du tac au tac, amant aussi - pas pour son bien - ; il fut tout et ne fit rien... Cyrano est l'ami de la nuit, le conquérant de lune, " la noirceur d'un long manteau qui traîne " ; tout comme Echo : " Il serre chaque jour, d'un cran, son ceinturon ", tout comme Echo il n'est que l'ombre de lui-même ! L'ombre du temps et de la voix, fasciné par la clarté, la beauté, l'espace et le moi. La vérité du sentiment face à l'artificielle vanité. Roxane finit par assurer Christian qu'elle ne l'aime plus pour sa beauté mais pour son âme, les lettres qu'il a écrites ; il sait alors que son ombre a gagné : " Je suis las de porter en moi-même un rival ! " (acte V, sc. 9). Elle l'aime : " Alors que la mort vienne ! " Cette instance de la voix se tient près de la mort, de l'identité vacillante, des tournoiements et des vertiges, de l'incertain du sexe et de l'éblouissement.

Le personnage de Cyrano est bâti autour du son et de l'impossible amour, comme celui du couple Roxane-Christian autour de la lumière et de l'image séductrice. Il est du temps, eux de l'espace. Pour maîtriser les cadets, évoquer leur enfance, leur terroir, leur communauté, leur appartenance, ce qui les porta, leur mère nourricière, la Gascogne, il n'est rien de mieux que la musique du fifre devenu galoubet : " Ecoutez les Gascons : c'est toute la Gascogne ! " Il les attendrit jusqu'aux larmes puis démontre leurs capacités combatives par un simple roulement de caisse : " Ce qui du fifre vient s'en va par le tambour ! "

Coucou !

Dans la forêt lointaine on entend le coucou,
du haut de son grand chêne il répond au hibou
coucou hibou coucou hibou coucou hibou coucou
coucou hibou coucou hibou coucou hibou coucou.

 

Nous entendons l'oiseau de nuit, lunaire, répondre au coucou volage, symbole d'Héra, gravé sur son sceptre. Nous avons vu qu'Héra était la mère d'Echo ; les déboires d'icelle découlent de leurs démêlés... Le mot latin pour le cri du coucou et celui du hibou nous parlent aussi de ce voisinage : cuculo et cucubio. L'oiseau de l'ombre est ainsi rapproché du voleur de fidélité.

Hibou !

Le hibou répond au coucou, au bavardage, à la trahison par le malheur. Annonciateur de mort, à crucifier la tête en bas, comme Pierre qui se fait ainsi justice de ses reniements, réponse de la Terre au Verbe du Ciel. Le hibou est symbole de nuit, d'obscurité, de solitude et de tristesse. Les Chinois l'en font responsable car il aurait dévoré sa mère. Il présidait au jour de fabrication des miroirs magiques...

Coucou ! Me revoilí !

Le nom du coucou imite certes le cri du volatile, il évoque surtout la répétition, le bégaiement, l'écho sonore qui répond cou pour cou... " oeil pour oeil, dent pour dent, telle est la loi des amants " et des ménages quand ils entrent en scène (les Grecs ne désignaient-ils pas ces criailleries du nom de kokkuzo ?)... Les langues sémitiques ne s'éloignent que peu de notre terminologie. En hébreu nous avons QouQYiH et en arabe OUaQOUAQ. Ce qui nous rappelle Echo dont le bavardage distrait sa mère de la conscience d'être trompée par Zeus. Comme le coucou grec, il se dérive en OUaQOUAQaT : bavard. Le coucou sert de modèle à la parole vide, le " blablabla " (cf. aussi Paul I Cor. 13, 1).

Parole, Parole ! comme le chante Dalida, de l'amant décrié, ou Lacan, de l'analysant loin du sujet. En allemand, " chanter la chanson du coucou " signifie radoter, répéter souvent la même chose. On l'applique aussi à ceux qui semblent se multiplier à force de parler ; ils sont trois ou quatre, on croirait avoir affaire à une foule ! Avec les Anglais, nous pourrions rapprocher de notre " coucou " un autre " echoïc word ", to coo : roucouler, gazouiller, même si la traduction directe (cuckoo) ne manque pas de richesse. Il s'agit, comme en français, de l'oiseau ; mais il en est une autre acception, peu transparente au spectateur du " vol sur un nid de coucous " si ce n'est le cinéphile. Il sait que les cuckoos sont des idiots, des cinglés, des loufoques. C'est aussi, pour eux, le nom d'une fleur que nous appelons arum, belle expression du dédain. Coo ! As you say...

Fort ! Da !

Et justement ! Le dédain n'est pas sans rapport avec ce jeu de cache-cache où, comme eux (à l'accent près), nous disons coucou ! " Loup y es-tu ? M'entends-tu ? Que fais-tu ? " " Je mets ma chemise ! " (et tu ne me reconnaîtras plus dans les habits de maman ou de papa). Depuis Freud, nous savons lire cela comme un des efforts pour maîtriser l'éloignement de la sécurité en la personne des parents. Un coup je te vois, un coup je ne te vois pas : où est passée ta bobine ? " Fort, Da ". Plus tard ils joueront au ping-pong. Ou verront de grands matches de tennis, s'émerveillant soudain de la synchronisation comique à laquelle tous obéissent en suivant la balle des yeux ! Mieux soulagés que les spectateurs du Moine Noir de Tchekov : on entend la boule tomber, couler plutôt, de marche en marche (de ces marches mesurées à la hauteur de la bure monastique). On attend cette décision finale du dernier choc qui n'en finit pas de ne pas arriver...

L'enfant pour se cacher n'a besoin que de la main sur les yeux. Il la retire et dit : " Coucou, me voilà. " Nous pouvons y entendre le mythe au complet. En tout cas les deux protagonistes finals : Echo et Narcisse. Echo s'entend par coucou et Narcisse s'aperçoit dans " me voilà ", puisqu'il s'agit du moi et d'être vu.

Tout bébé, fût-il kangourou, découvre un jour l'abandon, et c'est pourquoi l'histoire naturelle du coucou, l'oiseau, est tellement précieuse ! Sa mère et son père le confient par ruse aux soins dévoués de la mésange qui s'émerveille d'un si bel ±uf, sa fierté, alors qu'il n'est que de passage et d'emprunt !

Oscar Kokoschka fut lui aussi délaissé, tellement déçu par son " alma mater " qu'il en fit cette marionnette dérisoire, la " femme en bleue ", symbole de cette mère porteuse trop éphémère dont il était l'inconsolable...

Edgar Poe, lui aussi, ravine l'âme lorsqu'il chante le désespoir des amours mortes, des paradis perdus, des belles inaccessibles (on pourrait aussi s'intéresser à l'Aurélia de Gérard de Nerval dont Jung fait une image de l'Anima).

Mais on ne peut se réduire au destin malheureux de quelques-uns, ou même du plus grand nombre. C'est l'humanité tout entière qui, chacun pour soi, découvre cette solitude dont atteste l'écho : nous appelons et n'entendons que notre voix - fut-elle d'autrui - comme dit le poète :

Yes ! in the sea of life enisled
With echoing straits between us thrown
Dotting the shoreless watery wild,
We mortal millions live alone.
Arnold, To Marguerite - Continued, 1, 1

(Oui, dans la mer de la vie en-îlée avec les détroits pleins d'échos tirés entre nous marquant la sauvageté aqueuse sans rivage, nous, millions de mortels, vivons seul.)

Echo le temps

Narcisse figé dans l'espace d'une image se tue à nier le temps, contemplant sa forme, s'identifiant à ce portrait qui l'a précédé dans le regard maternel. Narcisse, statue de lumière et d'espace. Echo perd sa forme à le poursuivre, donne son image après coup, marque sa place du nombre de secondes qu'il met à vous répondre. Echo, le son, le temps. Et le coucou, son petit compagnon, s'emploie lui aussi à compter le flux inexorable. Il se redit, jaillissant de sa pendule, autant de fois qu'il y a d'heures...

Pour Anzieu (1985) la légende de Narcisse et d'Echo " marque la préséance du miroir sonore sur le miroir visuel ainsi que le caractère primairement féminin de la voix et le lien entre l'émission sonore et la demande d'amour "... Il redécouvre les déductions de Jung en 1911 qui écrivait : " Ce "Créateur" a créé le son, puis la lumière, puis finalement l'amour. "

La " demande d'amour "... Ou le regret de n'en pas avoir. Etiolement de la représentation de soi placé dans le nid familial sans qu'on l'ait désiré, simple diversion pour cacher le non-désir du père...

L'écholalie traduit la fixation à un stade précoce et dénote l'incapacité de développer pleinement la communication par le langage. La phase normale d'écholalie va de 9 à 12 mois. Cette écholalie peut se retrouver en pathologie psychiatrique (et neurologique).

Mais il nous arrive à tous d'être " pétrifié de terreur ", de chercher à " disparaître dans la tapisserie " ou, frappé par la stupeur, de " répéter sans comprendre "... Il nous arrive même de n'en pas croire nos oreilles et d'exiger une répétition que nous n'osons faire, comme si nous étions le pire des sourds.

Le procédé qui fait succéder une phrase musicale à la même après changement de registre ou adoucissement (Purcell : Didon et Enée) s'est développé, à partir du XVIe siècle, pour le chant, la chanson et aussi les compositions instrumentales... La poésie connaît, elle aussi, une forme de vers strictement " en écho " qui rapprochent la rime de la rime, comme dans cette chanson du XVIIIe siècle :

Et l'on voit des commis
Mis
Comme des princes
Qui jadis sont venus
Nus
De leurs provinces.

Mais toutes les formes de rimes, assonances et allitérations ne renvoient-elles pas à Echo ? Jusqu'à l'usage intempérant des formules et des mantras à la poursuite de l'extase...

Les enfants aiment à répéter ce qu'ils entendent d'autres enfants ou des adultes : par identification ou par agressivité (caricature). Par identification et agressivité comme l'a vu Jacques Lacan. Surtout quand le jeu se fait dur et devient systématique ! A quoi acquiesce Shakespeare qui soupçonne là derrière quelque monstre inmontrable de la pensée :

By Heaven, he echoes me,
As if there were some monster in his thought
Too hideous to be shown.
Shakespeare, Othello, III, 3, 106.

 

Les tenants de la programmation neuro-linguistique (ou P.N.L.) ont insisté sur la reproduction de la gestualité de l'autre avec un temps de retard, ce qui est une sorte d'écho. Le procédé peut se voir, de la personne à elle-même : rimes, allitérations, déferlements répétitifs à la Péguy. A la différence de l'image instantanée, immédiate de Narcisse, la répétition en écho ménage une distance, elle creuse la différence et la séparation qu'elle voudrait abolir, elle témoigne de l'autre sans se perdre en lui.

Ecoute rocher !

La conduction osseuse, plus directement impliquée dans l'écoute de soi, à commencer par la voix même du sujet parlant, peut faire l'objet d'une utilisation plus ou moins efficace que la voie aérienne. Pour Tomatis, la mesure des seuils auditifs par voie osseuse (à l'aide d'un vibreur) permet non seulement de différencier, comme il est classique, les principaux types de surdité (de conduction ou de perception), mais donnerait aussi de riches informations sur l'attitude du sujet à l'égard de sa propre intériorité et des somatisations existantes ou menaçantes. Narcisse se retire lui aussi du monde et se laisse captiver par sa propre image.

L'écho renvoie au sujet sa demande et sa détresse, le miroir sa quête d'idéal ; s'il n'y a pas d'Autre, en cette affaire, on se trouve conduit à une libération des pulsions de mort. Cependant l'hypersensibilité à l'écoute osseuse peut être moins générale ; au lieu d'affecter toutes les fréquences, elle se localise aux graves, ou aux aigus, ou donne des fluctuations hectiques de la courbe. Ces observations ne prennent toute leur valeur, bien sûr, que si elles n'affectent pas de la même façon le versant aérien de l'audition.

Sous réserve de vérifications, le basculement descendant (hypersensibilité aux graves et hyposensibilité aux aigus) traduirait un défaut d'énergie dans la maîtrise des pulsions ; le basculement inverse révélant plutôt un excès d'énergie dans le domaine du surmoi. Les variations anarchiques de la courbe traduiraient de profonds conflits affectant toutes les instances de la personnalité et se manifestant comme angoisse au niveau de la conscience ; ces données pouvant être masquées et n'apparaître que sous le couvert d'une somatisation dont la nature dépendrait des fréquences sonores impliquées. En voici le modèle qu'a proposé Tomatis et qui n'a pas encore reçu les validations statistiques nécessaires pour être admis au champ scientifique.

Chapitre Suivant : Au sujet de la soumission à l'écoute

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18 Aout 2008