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Au seuil de l'écoute(Chapitre 3 de "La Clef des Sons")Dr Bernard Auriol |
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Le chapitre relatif à l'écoute nous a conduit à penser que la perception des sons se faisait non seulement par un processus anatomique et physiologique, mais comportait aussi des modalités, le plus souvent non conscientes, liées aux circonstances et à la personnalité. Cette remarque permet de distinguer deux façons de mesurer l'audition : selon qu'on la considère uniquement sous l'angle mécanique, quitte à faire la part du pauvre aux troubles fonctionnels auxquels on ne peut échapper (surdité psychogène), ou selon qu'on y implique, en permanence, l'ensemble du système nerveux et de la psyché. Dans la première hypothèse, il s'agit surtout de déterminer si le sujet est sourd ou en passe de le devenir, quel traitement chirurgical ou chimique il conviendrait d'appliquer, quelle prothèse conseiller, si la perte auditive constatée mérite quelque pécule en tant que maladie professionnelle, s'il s'agit d'un simulateur, etc. Toutes ces considérations sont nécessaires à l'art de l'oto-rhino-laryngologiste. Il s'en contente et montre quelque ironie au psychologue qui veut entrer dans des finesses dont il ne saurait que faire. De là résultent deux protocoles de test différents : audiogramme pour le premier, test d'écoute pour le second. Les appareils de mesure (audiomètres) sont semblables. Il existe pourtant des nuances notables dans la façon de s'en servir : l'ORL insiste, stimule l'attention, refait les mesures, en cas d'irrégularité de la courbe ; le psychologue prend des précautions afin de détecter ces irrégularités liées à une attention variable selon la fréquence. En fait, lorsque ces irrégularités sont très marquées, elles ne peuvent être facilement surmontées et peuvent passer pour une surdité localisée (" scotome " auditif).
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L'entrée de l'électronique et de l'informatique en ce domaine laisse prévoir une modification profonde des appareillages qui permettront l'étude plus fine des seuils autour d'une fréquence problématique donnée, l'administration et l'enregistrement automatique des résultats, l'usage de stimuli moins ponctuels (bandes de bruit, série d'impulsions administrées avec une durée précise, à intervalle temporel maîtrisé, etc.).
Autrefois on se contentait - et c'est une pratique encore respectable lorsqu'on ne dispose pas d'un appareillage moderne - d'acoumétrie. Dans l'acoumétrie phonique, on se place à 6 mètres du sujet, dans l'axe de son conduit auditif et on parle à haute voix. S'il n'entend pas, il y a un déficit ; on s'approche alors à 5 mètres, 4 mètres, etc., pour évaluer la perte. On opère de même pour la voix chuchotée qui doit être perçue à 60 centimètre ; sinon, on approche à 50 centimètres, 40 centimètres, etc. Pour l'acoumétrie instrumentale, on disposait de diapasons qui conduisaient à une évaluation grossière de l'audition et ont permis à beaucoup d'auteurs ingénieux de nous laisser leur nom pour diverses épreuves encore utiles (tests de Weber, Schwabach, Bing, Rinne, Gellé, Lewis, Bonnier...).
On utilise un son pur. On l'adresse au sujet à une intensité très faible puis de plus en plus forte jusqu'à ce qu'il l'entende. On peut aussi partir d'une intensité qu'il perçoit et la diminuer jusqu'au moment où il ne l'entend plus. On aura ainsi déterminé le " seuil audiométrique " pour le son pur en question. On fera de même pour d'autres sons purs de façon à explorer les aigus, les médiums et les graves. Ces mesures seront effectuées pour chaque oreille, avec un casque d'écoute et avec un vibreur (conduction osseuse). Les fréquences sont exprimées en hertz (nombre de cycles par seconde) ; les intensités en décibels.
On porte alors la valeur obtenue sur un graphique qui permet une comparaison immédiate avec un seuil, théoriquement normal pour cette fréquence, qualifié de zéro dB. Les sujets plus compétents que la moyenne se verront attribuer des valeurs négatives (-5, -10 dB), alors que les sourds auront une valeur largement positive (+ 80, +100 db). On admet une marge d'erreur de 5 dB. Les stimulations peuvent être déclenchées par un opérateur humain ou régies automatiquement (appareil de Von Bekesy).
Le stimulus utilisé peut être un son pur sinusoïdal auquel on reprochera son caractère très artificiel, ou une voix humaine préenregistrée qui ne permet pas beaucoup de précision ni de finesse. On a cependant fait de notables progrès par l'utilisation de listes de logatomes (mots sans signification) et de listes phonétiques (Lafon). Certains praticiens préconisent maintenant un type de stimulus à la fois bien calibré et précis, comme dans l'audiométrie " tonale " traditionnelle et cependant pas trop éloigné de ce que l'oreille a coutume de capter (comme dans l'audiométrie " vocale "). Il s'agira par exemple de bandes étroites de bruit " blanc " filtré ou, mieux, de son wobulé.
Ces procédés passent nécessairement par la coopération active et consciente du sujet qui doit, par exemple, lever la main ou actionner un bouton poussoir lorsqu'il entend (ou n'entend plus) le signal. Si le patient cherche, dans le cadre d'un examen de santé militaire ou pour une expertise, à passer pour handicapé, il lui est loisible de tricher. De même certains troubles de la personnalité peuvent conduire à fausser les résultats ou même à interdire carrément l'examen !
Nombre d'animaux ont des performances d'audition bien supérieures à l'oreille humaine. La technologie elle même relève le défi et permet une sensibilité 1 000 000 de fois meilleure que l'ouïe humaine, comme l'indique l'information ci-contre => |
Pour éviter toute tricherie et vérifier le bon fonctionnement de la cochlée elle-même, d'une manière aussi " pure " et objective que possible, on peut mesurer directement les décharges qui en émanent (électrocochléographie). On peut également avoir certaines indications concernant surtout le fonctionnement de l'oreille moyenne (caisse du tympan, chaîne des osselets) grâce à l'impédancemétrie.
On s'est avisé que la réception sonore s'accompagne, comme tout processus sensoriel, de phénomènes électriques. Ils courent de la cochlée au cortex. Les O.R.L. ont su en tirer parti pour mettre au point un examen " objectif " de l'audition, qui permet de faire correspondre à une centaine de clics une série de " potentiels évoqués " recueillis sur le cuir chevelu. On en fait la moyenne pour mieux les différencier des autres événements électriques du tronc cérébral qui produisent un important et permanent " bruit de fond ". On peut ainsi déterminer un seuil de l'audition et supputer où se trouvent certaines lésions, lorsqu'elles existent (fig. 10).
Cependant, l'écoute n'est pas seulement liée au bon état de marche des différents organes par lesquels elle transite. Même si l'oreille externe, l'oreille moyenne, l'oreille interne, le nerf auditif et les différents centres récepteurs du cerveau sont intacts et parfaitement aptes à fonctionner, il peut exister certaines distorsions de l'écoute telles que certaines fréquences soient moins bien perçues que d'autres. Ce phénomène appelle immédiatement deux questions : tout d'abord, quels mécanismes sont en jeu ? puis, pour quelle raison ce processus est-il activé plutôt pour telle fréquence que pour une autre ? Subsidiairement, ces distorsions ont-elles un fondement adaptatif ; l'organisme a-t-il - ou a-t-il pu avoir - intérêt à procéder de la sorte ?
Une première éventualité tient aux contractions des muscles mis en jeu pour écouter : muscles du pavillon, muscles de la tête et du cou qui en modifient l'orientation et permettent ainsi de faire varier le rapport des graves et des aigus pour une source un tant soit peu éloignée. Ceci est surtout vrai chez l'animal, par exemple le chien ou le chat, tout à fait habitués à " dresser l'oreille " d'une façon bien plus concrète que nous.
Fig. 10. Potentiel évoqué auditif chez l'homme (P.E.A.) se trouve sur l'ouvrage papier....
On a représenté, sur une échelle Log du temps, la réponse au
clic, avec ses diverses composantes. Cette réponse est en réalité la somme,
moyennée par ordinateur, de 100 réponses à autant de clics successifs. Une déviation
vers le haut désigne une activité négative par rapport à la référence (N) et
vers le bas une composante positive (P) (Buser, p. 321).
Composantes à latence brève : I à VI (d'origine sous-corticale)
Composantes à latence moyenne : No à Nb (d'origine temporale)
Composantes à longue latence : P1 à N2 (d'origine fronto-centrale)
N'oublions pas qu'il existe aussi des muscles dans l'oreille moyenne pour tirer sur les petits os de la caisse du tympan : muscles de l'étrier et du marteau. Nous savons déjà qu'ils affaiblissent ou favorisent, selon nos besoins, les aigus et les graves de manière spécifique. Selon ce que nous craignons ou désirons entendre, des réglages incessants se produisent, si bien qu'on a pu dire qu'ils étaient des muscles toujours " au charbon ", sans relâche, comme le coeur !
Une autre source de variation de l'audition selon la fréquence
considérée réside probablement au niveau des influx que les centres supérieurs
envoient aux cellules ciliées externes. C'est par ce biais que pourraient avoir
lieu des effets très " pointus ", ne touchant qu'une bande
étroite de fréquences.
La liste des effets néfastes du tabac sur la santé semble sans fin : facteur de risque cardio-vasculaire, cancers, grossesse à risque, peau terne, etc ... Jusque ici, l'effet du tabac sur l'audition n'était pas le plus connu ; on en sait désormais un peu plus grâce à une étude japonaise qui met en évidence les effets délétères du tabac sur l'ouïe. Cette étude japonaise a été menée pendant 5 ans sur près de 1500 hommes ne présentant pas de problèmes auditifs au début de l'étude. Les résultats mettent en évidence que la consommation de tabac augmente le risque d'atteinte de l'audition dans les aigus ; plus la personne consomme de cigarettes, plus le risque est grand. En effet, en cas de consommation de plus d'un paquet et demi de cigarettes par jour, le risque de présenter une hypoacousie est multiplié par deux. Voilà une nouvelle qui vous fera peut être entendre la raison et entamer un sevrage tabagique ! |
effet du tabac
sur l'audition |
Fig. 11. Le champ auditif (Moch, 1985).
Les travaux de Pujol (1984, 1985) indiquent avec certitude que si les pertes auditives s'accompagnent d'acouphènes, ce n'est pas forcément " l'illustration délirante d'une reconstruction à la place d'une perte des informations sonores, non tolérée par le sujet " (Grateau, 1977), mais parfois, quoique assez rarement, un phénomène psychosomatique dépendant d'une création sonore réelle par le tapis des cellules ciliées externes demeurées opérationnelles alors que les cellules ciliées internes auraient, en partie, perdu leur fonction. C'est dans de tels cas que les physiologistes sont en mesure d'enregistrer un son réel émanant de l'oreille.
A côté de ce phénomène étrange et exceptionnel, on a expliqué certains acouphènes par la destruction de cellules ciliées externes, destruction accompagnant une forme de surdité, d'hypoacousie ou de scotome auditifs. Là où manquent ces cellules, le système auditif ne transmet au cerveau aucune information exploitable et les zones du cortex pourraient avoir tendance à créer du bruit pour compenser cette perte. C'est ce phénomène de "son fantome" (semblable au problème si pénible du membre fantome) qui expliquerait les acouphènes dont les fréquences sont dans la fourchette des vibrations externes inaccessibles.
Non seulement notre système d'écoute peut se rendre attentif ou sourd à certaines fréquences ou certains patterns spectraux, mais il peut aussi construire de toutes pièces des sons fantômes, comme dans le cas des " sons de Zwicker " (1964). Il a découvert que l'écoute prolongée d'un bruit duquel on a supprimé une demi-octave dans un lieu précis du spectre entraîne ensuite chez le sujet d'entendre un son qui n'existe pas et dont la fréquence apparente est située, précisément, dans l'encoche qu'on avait ménagée !
On peut rapprocher ce mécanisme d'un phénomène beaucoup plus central survenant lors des processus d'intériorisation choisie (yoga, soufisme, etc.) ou subie (attitude de rêverie poétique, introversion excessive, isolement sensoriel, préalable d'une perte de connaissance brève, dépression très intense avec désinvestissement massif de l'environnement, phénomène critique de dépersonnalisation, débuts d'hallucinations auditives, etc). Par exemple, un patient nous décrit ce phénomène de la façon suivante "J'entends moins de voix, mais toujours un sifflement (quoique plus faible en intensité qu'auparavant)" . Une telle observation renvoie immédiatement à l'expression française " Tu n'es pas venu ce matin, mais les oreilles ont dû te siffler, car on a beaucoup parlé de toi !". Tout se passe alors comme s'il se produisait une déafférentation des organes cellulaires périphériques de type fonctionnel avec pour conséquence une création de novo par le cortex des sons ainsi perdus...
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Il existe aussi des formes curieuses d'acouphène liè à certaines tension craniennes, par exemple au niveau de la machoire. De tels acouphènes peuvent être nettement localisés et ne surviennent parfois, dans des cas très léger que lors d'appui sur l'os cranien ou la machoire (son souvent de type très fin, très aigu). On peut imaginer que certaines tensions ou discrètes malpositions puissent avoir un impact sensibilisateur sur ce phénomène. Il ne s'agit pas forcément d'un phénomène pathologique. C'est un signe très sensible que vous pouvez tester sur vous-même : appuyez avec la main droite sur votre crâne, au dessus de l'oreille, à droite (ou de même avec la main gauche, à gauche) et un grand nombre d'entre vous entendre un son très fin et très aigu, aux alentours de 6 ou 8 KHz. Ceci est fréquent même parmi ceux qui ont une excellente oreille (musiciens),
Une forme d'acouphène peut correspondre à l'audition de sons "internes". Tomatis a souvent insisté sur le rôle de "faiseur de silence" qu'on doit attribuer à notre oreille. Si ce système perd son efficacité, on pourra entendre des sons généralement ignorés : vibrations osseuses (cf le phénomène de paracousie lointaine), bruits de la respiration et surtout de la circulation. C'est probablement ce qui arrive à Boris Goudounov lorsqu'il se plaint du remords :
"qu'il te vienne une tache, une seule tache, par hasard, et l'âme brûle comme d'une pestilence, et le coeur s'emplit de poison, et l'on traîne un boulet, et des marteaux vous battent aux oreilles le reproche et la malédiction. Et l'on ne sait quoi vous étouffe... et la tête vous tourne... devant vos yeux, l'enfant ensanglanté" ( Pouchkine et Moussorgski, version originale de 1869 publiée par le Théatre du Capitole de Toulouse, 2005, Cinquième Tableau).
Il est convenable d'imaginer que, lors d'une déconnexion sensorielle auditive liée à l'absence des stimuli externes ou à une inhibition de leur perception (au cours d'une attitude très introvertie), un phénomène similaire puisse se produire. Ceci expliquerait l'apparition de " sons mystiques ", lors des sessions de méditation ou d'oraison. On en connaît de nombreux stades allant du " murmure indistinct d'un cours d'eau " (Padoux, 1975, p. 90) aux " sons de cloches ". Il a été largement décrit par les soufis islamiques (Gardet, 1950, p. 359) aussi bien que par les yogis hindouistes (Padoux ,1975, p. 38, 86, 106 et 159) ou certains chercheurs occidentaux (" bruit moléculaire ", " bruit de vie " de Tomatis, 1981, p. 151). On sait que ces manifestations (dont certaines peuvent survenir à la première phase de l'attaque d'hystérie classique : Tourette, 1895, t. I, p. 21) ne sont pas retenues dans le cadre des phénomènes surnaturels par la théologie catholique et sont considérées comme de simples incidents de parcours par la plupart des spiritualités orientales.
Les phénomènes actifs, cette émission de vibrations qui accompagne l'écoute, ne sont pas seulement une découverte " culturelle ", aussi gratuite que fondamentale, propre à exciter notre esprit ; on peut en utiliser la mesure pour détecter certaines formes de surdité.
Zwicker a montré que les seuils auditifs sont meilleurs à la fréquence des oto-émissions-acoustiques quand elles existent : tout se passe alors comme si le sujet générait en permanence le son auquel il sera le plus sensible. D'où l'hypothèse (Aran, 1988) qu'il engendre le son qu'il tend à viser : soit qu'il désire, soit qu'il craigne de l'entendre (pour des raisons conscientes ou non), soit, plus simplement, qu'il l'imagine (y compris parce qu'on en a évoqué devant lui la survenue). Ceci permet à l'écoute d'atteindre la limite quantique (Bialek, 1984). Bien sûr, rien ne permet d'exclure une action plus haut située qui modifierait le signal en provenance des cellules réceptrices.
Je ne doute pas que ces différents facteurs puissent jouer un rôle variable en fonction d'un grand nombre de paramètres externes ou internes (heure de la journée, paysage sonore, humeur du moment, intérêt de l'action menée, dangers encourus, plaisirs escomptés, etc.). Ce rôle continu, producteur de modifications aléatoires dans les seuils auditifs aux différentes fréquences, ne peut éliminer l'éventuelle existence, chez certains sujets, de distorsions stables, affectant de la même façon, quel que soit le moment test, certaine(s) bande(s) de fréquences, toujours identique(s) chez un sujet donné. Notre pratique attentive de la mesure des seuils chez des centaines de patients, depuis plus de dix ans, nous permet de confirmer l'existence de ce fait.
Ces distorsions peuvent fort bien, tout comme une surdité psychogène globale, être d'origine psychique : scotomes " fonctionnels " ou " attentionnels ". Les phénomènes attentionnels interviennent aussi pour modifier la perception de la hauteur tonale : lorsqu'un harmonique du son test est plus " intéressant " chez un sujet donné que le son de référence lui-même, il peut induire cette personne à confondre leurs hauteurs.
Dans un son complexe périodique, certains harmoniques sont privilégiés, soit en raison de caractéristiques tenant au système nerveux en général, soit en fonction de particularités individuelles. Celles-ci nous intéressent spécialement, car, à l'instar des seuils d'écoute, elles permettent d'évaluer l'attraction ou la répulsion du sujet pour telle ou telle zone de fréquences.
L'expérience suivante (Moore, 1985) pourrait probablement se muer en test : dans un son périodique complexe formé par addition de fréquences ayant toutes la même amplitude (1f, 2f, 3f, 4f, 5f), on augmente de 2 ou 3 % la fréquence de l'une d'elles. Le sujet perçoit alors que la hauteur fondamentale du son global est plus élevée. Cette illusion est plus ou moins forte selon l'harmonique qui a été modifié : plus elle l'est et plus cet harmonique sera considéré comme important pour cette personne.
Nous avons parlé plus haut des sons fantômes de Zwicker : ceci rejoint une caractéristique tout à fait générale dans les réseaux de neurone : les populations de cellules excitées inhibent leurs voisines, renforçant ainsi les contrastes. Ce phénomène est redoublé quand une population silencieuse est prise en sandwich entre deux autres qui sont excitées. Quand l'excitation s'arrête, il y a une forte inhibition des cellules qui parlaient et désinhibition des zones silencieuses : cela peut aller jusqu'à leur " donner la parole " ! C'est bien là ce qui se passe. En thérapie, lorsque nous observons des courbes très distordues, plutôt que de combler les trous par des surstimulations et d'atténuer les hypersensibilités par des privations (ce qui, bien souvent, aggrave les distorsions, comme si l'individu défendait ses positions menacées), nous pratiquons à l'envers, homéopathiquement pourrait-on dire : en adressant au patient des sons filtrés non pas contre mais selon ses distorsions ! Là où il a un scotome nous réjectons, là où il a une hypersensibilité nous filtrons en passe-bande. Autrement dit, nous atténuons ce qu'il refuse et exagérons ce qui l'attire. Il se montre ensuite beaucoup mieux capable de percevoir correctement tous les sons sans déficit ni exagération et d'acquérir ainsi une courbe d'écoute plus lisse !
Pour quelle raison notre organisme devrait-il se centrer sur certaines " formes acoustiques ", certains " patterns sonores " ? D'un point de vue adaptatif, il a intérêt à éliminer où mettre en vedette certaines informations profitables. Il peut ainsi se rendre sourd à un bruit répétitif et devenir hypersensible à ce qui se rapproche d'une information essentielle, désirable ou terrifiante (approche d'un être chéri où d'un ennemi).
La deuxième raison de cette capacité tient à ce que l'organisme établirait, par construction, un lien entre sa structure énergétique d'ensemble (l'investissement relatif des différentes parties du système bio-psychologique) et les différentes parties de l'audiogramme tonal. Ceci en raison d'une loi plus générale se rapportant à tout système fonctionnant comme une unité : dans une telle unité, la structure spatio-temporelle d'un élément comporte des variations dépendantes de la structure spatio-temporelle de l'ensemble et inversement. La deuxième explication pourrait, si elle était retenue, faire plus ou moins bon ménage, selon les données biographiques, avec la première. La première hypothèse devrait faire l'objet d'études, de type idiographique ou psychanalytique. La seconde se prête mieux à la statistique et nous montrerons plus loin qu'elle n'est pas sans fondement.
Tomatis (1972) a signalé le premier l'existence possible, et même fréquente, chez le sujet non sourd, de " distorsions " audiométriques. Il propose de les évaluer en fonction d'une écoute idéale qu'il définit ainsi : " La courbe est ascendante avec une pente de 6 dB/octave, de 125 Hz à 2 ou 3 000 Hz, c'est-à-dire que le profil de la courbe obtenue dessine alors le schéma d'une ascension fréquentielle d'octave en octave - puis légèrement descendante au-delà de 3 000 Hz (tout au moins en ce qui concerne l'oreille française). " Une telle courbe serait tout à fait indispensable au violoniste, au chanteur de haut niveau, au mélomane de goût. Une courbe " trop plate " signerait un esprit manquant de discrimination, de compréhension musicale.
Lorsqu'il y a des troubles adaptatifs ou somatiques, on assisterait à des modifications (trop bonne ou trop mauvaise écoute relative), pour une fréquence ou toute une série de fréquences : trop bonne écoute des graves, faiblesse des aigus ou, plus rarement, fléchissement dans les médiums, déséquilibre entre courbe de l'oreille gauche et de la droite, etc.
L'acquisition de la " courbe idéale " correspondrait à " l'harmonisation du jeu des deux muscles de l'oreille moyenne permettant de régler en permanence la pression de la vésicule labyrinthique en faisant intervenir les phénomènes de moindre impédance " (Tomatis, 1974a). En revanche " les distorsions qui s'installent, les blocages qui s'instituent, les défaillances qui apparaissent, ne sont là que pour freiner la motivation, empêcher l'échange, perturber le dialogue, troubler la communication ". Ces affirmations dérivent à la fois de la pratique empirique de l'auteur et de son goût pour la généralisation et la simplicité. Nous avons vu que les recherches les plus récentes sur le fonctionnement des cellules ciliées externes de la cochlée complètent l'explication par d'autres processus, allant dans le même sens, et permettant de rendre compte des distorsions limitées à une bande de fréquences très étroite, y compris dans les médiums !
A. Tomatis propose de lire le test d'écoute en accordant des significations différentes aux différentes zones spectrales :
1. De 125 à 1 000 Hz, il s'agirait de la " viscéralité ", de l'" ego ", de l'" inconscient " (?)... Il remarque chez les sujets préoccupés de leur santé l'existence de perturbations, de " pointes " dans cette région.
2. De 1 000 à 2 000 Hz : le langage, la communication à autrui. Les distorsions, lorsqu'elles touchent les médiums seraient un signe d'agressivité.
3. De 2 000 à 8 000 Hz : la spiritualité, l'intuition, l'idéal, les aspirations.
Cette tripartition est tout à fait analogue (aux connotations idéologiques près) à la topique freudienne (ça, moi, surmoi), et au symbolisme de l'espace des graphologues. La courbe en pente descendante des graves aux aigus serait signe de dépression ou de fatigue.
L'auteur propose aussi des correspondances qui permettraient (à la limite) de poser un diagnostic somatique sur l'examen de l'audiogramme !... " On peut lire sur un test d'écoute l'image du corps intégrée, depuis les pieds (fréquences graves) jusqu'à la tête " (fréquences aiguës) (ibidem, p. 27). A 125 Hz, c'est le bassin, les pieds, les organes génitaux et la sexualité. A 250 Hz, la jonction bassin-lombes, le genou, le colon. A 500 Hz, la jonction dorso-lombaire, le coude, l'intestin grêle, les problèmes dermatologiques. A 750 Hz, la vésicule biliaire, les problèmes hépatiques. A 1 000 Hz, la région médio-dorsale et l'estomac. A 1 500 Hz, la partie dorso-cervicale et les poumons. C'est là que se manifesteront l'asthme, les rhinites allergiques, les toux psychogènes et l'eczéma (confirmé par Bérard, 1982). A 2 000 Hz, la région cervico-occipitale. A 3 000 Hz, le crâne en sa partie haute.
Il propose encore une projection du crâne sur l'ensemble de l'audiogramme, de sorte que la dominance des graves entraînerait un port de tête où le menton s'élève (lordose cervicale exagérée), la courbe idéale plaçant le crâne verticalement, avec effacement de la lordose !
Guy Bérard (1982) a proposé de noter, outre le seuil de l'écoute, celui du refus. Pour chaque fréquence testée, il commence par les intensités les plus faibles jusqu'à déterminer le seuil de perception (par ex. 5 dB), puis il augmente progressivement jusqu'à 100 dB. Dans certains cas, le sujet présente une intolérance accusée, à des intensités bien inférieures au seuil courant de la douleur (par ex. il jette le casque à 40 dB). Cette découverte est importante car elle enrichit le test d'écoute, permet une interprétation plus fine et conduit à certaines mesures thérapeutiques dont nous aurons à reparler.
Une déficience auditive partielle pour les sons purs, tout comme une résistance à la stimulation auditive se voient assez fréquemment chez les enfants atteints d'une dysphasie réceptive. On comprend l'intérêt qu'il y a, dans de tels cas, à utiliser des exercices automatiques de stimulations auditives (par oreille électronique ou lexiphone).
Une évaluation de la dynamique de l'oreille pour chaque fréquence testée est proposée aussi par H. Urgell (Charles, 1982), afin de proposer pour le sourd certaines caractéristiques de la prothèse optimale. Une relation extrêmement intéressante et encore mal expliquée semble relier la valeur de la différence (D) entre seuil liminaire et seuil douloureux (par ex. 70 dB HL) et la valeur (R) qui sépare le seuil liminaire pour commencer à entendre quand on part du silence et le seuil au-delà duquel on n'entend plus quand on décrit le parcours inverse (du son vers le silence) ; la relation empirique annoncée est linéaire en première approximation : D = 6 R. Cette découverte, si elle se confirme, permettra de tester les fréquences mal tolérées sans pour autant agresser le sujet par des intensités à la limite du supportable !
Les autistes sont connus pour être très souvent " phonophobes " à certains bruits particuliers (pour un de mes patients par exemple : bruit du moulin à café électrique de ses parents). La proposition de Bérard conduit à considérer qu'ils sont beaucoup plus perturbés au niveau de leur courbe d'intolérance sonore que de leur courbe d'écoute. En fait, les recherches sur les potentiels évoqués dans l'autisme (Garreau, 1988) ont montré qu'il existait trois catégories de PEA corticaux correspondant à deux formes d'autisme : PEA semblables au sujet non autiste, PEA de très faible amplitude, PEA de très grande amplitude. Les PEA faibles se voient chez l'autiste insensible aux stimulations et d'un calme pétrifié, les PEA forts se voient chez les autistes très agités
Fig. 12. Courbes isosoniques normalisées
(d'après Didier, 1964).
Une étude de Descouens (comm. pers. 1998) suggère que des oto-émissions exagérées pourraient, en retrouvant l'état archaïque du nouveau-né, signer une immaturité ou une régression fonctionnelle, non seulement chez certains autistes, mais aussi dans différents cas d'introversion avec hypersensibilité aux sons. On observe parfois ce phénomène sur une seule des deux oreilles.
On peut rapprocher de ces constatations le phénomène des courbes " très bonnes " chez certains sujets schizophrènes : piège des audio-psycho-phonologistes qui se risquent à un parallélisme strict entre les perturbations de l'écoute et celles du psychisme ! Les seuils de refus abaissés se trouvent généralement situés dans la zone des aigus au-dessus de 4 kHz, parfois moins, et s'accompagnent d'une conduite d'évitement à l'égard des ambiances hurlantes. Cette personne recherche les endroits calmes, les voix masculines plutôt que féminines, les adultes plus que les enfants.
Certains sujets suicidaires auraient, selon Bérard (1982), une hyperaudition à 2 et 8 kHz avec une hypo-acousie à 6 kHz. Ces sujets se caractériseraient par l'impulsivité de leurs passages à l'acte et leur intérêt pour le problème de la mort. C'est la courbe gauche qui serait la plus parlante. Je ne sais si les statistiques confirmeront un jour ces prétentions, mais j'ai personnellement été frappé par l'importance d'un scotome à 6 kHz chez un sujet particulièrement impulsif, plus agressif que suicidaire.
L'hyperaudition à 1 kHz ou 1,5 kHz, associée à 8 kHz, serait également signe de dépression ou de troubles fonctionnels, mais sans passage à l'acte autodestructeur, si ce n'est sous la forme (lente) de l'alcoolisme ou de la toxicomanie. La perte à 500 Hz traduirait l'agressivité. Bérard comme Tomatis associent étroitement diagnostic et traitement, de sorte que les troubles reflétés dans le test d'écoute pourraient s'amender sous l'effet de filtrages sonores appropriés.
pour continuer : Chapitre 4 : Ecouter les différences : Discrimination des hauteurs et des durées
de La Clef des Sons)