Ecouter les différences

Discrimination des hauteurs et des durées

(Chapitre 4 de "La Clef des Sons")

Dr Bernard Auriol

 

Se servir de notre oreille n'aurait qu'un mince intérêt s'il s'agissait seulement de dire qu'il y a du son plutôt que du silence. Nous devons non seulement capter un bruit, mais surtout le transformer en signal, suivre à la trace la " forme " intéressante dans le flux confus qui nous parvient et négliger ce dont nous n'avons que faire.


Les différences d'intensité

Les musiciens décrivent toute une palette allant du pianissimo à peine audible jusqu'au fortissimo, en passant par le piano et le forte... Pour mesurer la capacité d'un individu à apprécier ces différences, on lui demandera de dire si un son est plus fort, plus faible ou égal au précédent (son étalon). La différence d'intensité la plus petite qu'un sujet moyen sait percevoir est de 0,5 dB (Miller, 1947). En fait, le temps de silence séparant les deux sons à comparer joue un rôle  : quand l'intervalle est très court, le premier son est vécu comme plus fort qu'il ne devrait (Postman, 1946). C'est redire combien l'audition peut dépendre de facteurs globaux (attention consciente ou non, mémoire, etc.). Les études les plus récentes, sans permettre de préciser tous les mécanismes en jeu, conduisent au moins affirmer que " le système combine, à un niveau nécessairement central, des informations multiples en provenance de l'ensemble des fibres périphériques "... (Botte, 1989 ; Baruch, 1987).

 

échelle des intensités
Effet Physiologique
dB(A)
Exemples de bruits
Notation Musicale
Destructeur
140
Moteur à Réaction
 
130
Marteau piqueur
 
Seuil de la douleur
Très nuisible
120
Avion à Réaction à 100m
 
110
Orchestre Symphonique à pleine puissance
 
Zone Critique
100
Marteau piqueur à 1 m
fff
90
Camion (à quelques mètres)
80
Carrefour très animé
ff
70
Voiture particulière
f
60
Conversation à 50 cm
mf
50
Bruit de fond en zone calme
p
Zone Acceptable
40
Voix à 3 m, musique douce
pp
30
Chuchotement
20
Logement calme
ppp
10
Bruissement d'une feuille
 
0
seuil de perception
 
-10
Hyperacousie
 

 

La capacité d'analyse tonale [1]

Les musiciens appellent " comma " une variation d'un neuvième de ton. C'est la plus faible différence de hauteur (du do dièse au ré bémol par exemple) dont ils tiennent compte. Et encore ! Le violoniste en joue tandis que le piano la néglige [2] . La psycho-physiologie cherche à établir quelle est la plus petite différence fréquentielle notable par l'être humain. La première idée fut de s'intéresser aux sons purs : ils sont faciles à produire ou à reproduire car parfaitement définis en fréquence comme en amplitude. Ils permettent des mesures et ne prêtent à aucun flou expérimental. Ce seuil différentiel fréquentiel (*) est de 0,003.

(*) La valeur moyenne de ce seuil pour des sujets très entraînés (Wyatt, 1945 ; Demany, 1985) est de 0,003. C'est à dire qu'il faut multiplier la fréquence considérée au départ par cette valeur pour savoir quelle est la variation minimum de fréquence que l'être humain "normal" est apte à percevoir. Ainsi elle sera de 20 Hz aux alentours de 7 000 Hz (7 000 x 0,003 = 21) et de 3 Hz pour un son référence de 1 000 Hz (1 000 x 0,003 = 3).

 

 

 

 

Il est six fois plus fin que le comma (0,018) (**) et laisse leur plein intérêt esthétique aux musiques indiennes ou aux recherches sophistiquées des compositeurs actuels. Cependant, ce type de recherche n'est pas le seul possible et une assez vaste littérature concerne les sons complexes, tellement plus proches de notre paysage sonore ordinaire.

(**) Silvain Dupertuis corrige les chiffres que nous donnions ici, ce dont nous le remercions. Ce correctif nous permettra ultérieurement d'approfondir et de clarifier encore ce sujet.

Il écrit :

Le comma vaut bien comme vous le dites 1/9 de ton (environ!). C'est l'intervalle correspondant au rapport de fréquence 81/80 soit un écart de 1/80 = 1,25 %, très différent de votre 0.018.

Il s'agit là le comma syntonique (ou harmonique). Deux autres petits intervalles sont aussi appelés «commas» et en sont très proches :


Le comma de Holder, 1/53 octave, donne un écart de 1,32 %


Le comma pythagoricien, écart du cycle des quintes, donne un écart de 1,36%, toujours bien loin de votre 1,8 %

Avec cela, votre seuil différentiel de 0.003 (j'ai trouvé ailleurs une valeur de 1/300, qui est semblable), représente un quart de comma et non un sixième. Il vaut environ 5 cents (centième de demi-ton tempéré). Ce seuil est d'ailleurs petit petit pour les musiciens... pour ce qui me concerne, j'ai pu tester que je peux en tout cas différencier des sons à 3 cents.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est un fait curieux : deux sons séparés par une octave fusionnent. On dirait qu'ils ne font plus qu'un, qu'ils ont la même hauteur. Ils semblent beaucoup plus proches que si leur différence se réduisait à un demi-ton ! Ainsi chacun des degrés de la gamme a-t-il une sorte de couleur (chroma) qui se répète à la gamme suivante. La sensation de hauteur est faite de cette sensation de chroma qui s'ajoute à la composante purement fréquentielle (tonie [4] ).

Ces capacités d'analyse sont le fait de sujets très entraînés, ou au moins moyens. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure un sujet donné se montre capable, lorsqu'il entend un son, de le distinguer d'un autre d'amplitude analogue [5] , mais de hauteur nettement différente, et de caractériser avec justesse le sens de la variation perçue : est-il plus aigu ou plus grave ? Cette capacité est dépendante de l'individu, de la fréquence étalon choisie et de l'interaction de ces deux facteurs (Demany, 1985). Pour effectuer cette mesure, il convient de faire entendre les deux sons l'un après l'autre, ce qui améliore la sensibilité. La durée du silence intermédiaire ne joue pas ici de rôle perturbateur tant qu'il est compris entre 1/10e de seconde et 1 seconde (Postman, 1946 ; Harris, 1952).

L'ouïe, comme les autres sens et comme le système nerveux dans l'ensemble de ses connexions, tend à souligner les contrastes entre éléments voisins : il en résulte ici que les sons de hauteur différente présentés dans un temps court semblent encore plus différents qu'ils ne sont, comme s'ils se repoussaient (Larkin, 1978 ; Rakowski, 1980). Les seuils différentiels de fréquence et d'intensité sont très améliorés si on les mesure pour les deux oreilles simultanément ; elles semblent alors conjuguer leurs efforts pour une plus grande sensibilité ; le mécanisme de cette synergie, qui se manifeste aussi pour les seuils absolus, n'est pas totalement explicité pour l'instant. Cependant voir p. 42, note 30, et p. 83.

Discrimination fréquentielle en clinique

Certains musiciens ont le don particulier de qualifier immédiatement un son dans l'échelle grave-aigu, de déclarer qu'il s'agit du la2 ou du do4 sans exiger d'entendre au préalable un son référence. On dit qu'ils ont " l'oreille absolue".

Il semble que l'oreille absolue soit d'autant plus fréquente que l'analyse des sons a été entreprise tôt dans la vie. Ainsi, les enfants ayant fait du solfège avant six ou sept ans auraient très fréquemment cette capacité. De même les locuteurs de langues à ton (par exemple le mandarin) auraient l'oreille absolue s'ils ont bénéficié de leur bain linguistique dès la naissance ou avant !

La plupart des musiciens, s'ils n'ont pas cette faculté, ont au moins la compétence d'évaluer l'écart de hauteur entre deux sons (tierce, demi-ton, etc.). Chacun doit au moins percevoir la variation d'une quarte (au moins son sens, sinon sa valeur) qui fait aller du do au fa ou au fa dièse, par exemple...

Pourtant, même dans un orchestre professionnel, on rencontre des exécutants qui ne peuvent le faire : si les sons présentés sont purs, privés des harmoniques qui en font, d'habitude, des notes de musique, des notes de tel instrument de musique, avec son timbre, sa physionomie bien reconnaissable d'objet sonore, spécifiquement produit par le piano, la guitare ou la contrebasse.

Ceci est particulièrement vrai des fréquences supérieures à la plus haute note du piano : au-delà de 4 kHz. Les erreurs, quand elles existent, sont presque toujours localisées dans cette zone chez les professionnels de l'orchestre ou du chant. Il serait excessif d'en conclure que ces fréquences sont non musicales ! Elles le redeviennent pour peu qu'on éduque le sujet à leur écoute (Auriol, 1988b).

Tomatis (1974a), se basant sur l'hypothèse que la capacité de différencier un son pur d'un autre serait fortement corrélée au degré de sélectivité du système aux alentours de la fréquence choisie comme terme de comparaison, a donné le nom de " fermeture de la sélectivité ", " fermeture du diaphragme auditif " à ce phénomène qui peut se manifester à tous les points de l'audiogramme ou seulement sur une de ses portions. Harrison (1981) a fait remarquer l'impropriété du terme de " sélectivité " pour désigner ce qu'il vaudrait mieux appeler, comme l'admet Tomatis lui-même (comm. pers., 1975), la " sériation fréquentielle ". On peut aussi bien utiliser le terme de CAT, ou capacité d'analyse tonale, comme je l'ai suggéré au Congrès du RESACT (Auriol, 1988c).

Voici la méthode qu'il propose pour l'évaluer : on fait entendre à l'une des deux oreilles du sujet un son pur, le plus aigu disponible, avec une amplitude raisonnablement supérieure au seuil moyen, puis un autre situé

A. Variation de la fraction différentielle Df/d en fonction de la fréquence, à 40 dB (SL). La fraction différentielle est donnée en % en ordonnées. Baisse de l'acuité relative au-dessous de 0,5 kHz et au-dessus de 2 kHz.

B. Seuil différentiel de fréquence Df d'un bruit de bande passe-haut en fonction de la fréquence de coupure. A titre de comparaison, en tiret, courbe du seuil différentiel de fréquence f d'un son pur. Fréquence de modulation 4 Hz.
figure 13 : Seuil différentiel de fréquence (Buser, 1987)

1/2 octave au-dessous et il doit indiquer si les deux sons étaient de même hauteur ou si leur intervalle était de type ascendant ou descendant... On recommence de quinte en quinte, depuis 8 000 jusqu'à 125 Hz. On opérera de même, ensuite, avec l'autre oreille.

Une durée de stimulation inférieure à 200 ms (Moore, 1973) peut rendre le test plus sensible, surtout pour les fréquences au-dessus de 4 kHz. Pour certains intervalles, aucune différence de hauteur n'est indiquée, ou même cette différence est évaluée dans le sens opposé à sa réalité !...

Bérard (1982) indique que les résultats sont à peu près les mêmes lorsqu'on présente les fréquences à comparer dans leur ordre décroissant ou croissant... Il confirme, comme tous les usagers de ce test, que les résultats varient peu dans le temps, à moins de choc psychologique (fermeture) ou de thérapie sonique (ouverture).

Une oreille plus haute que l'autre ?

Si bien des sujets se révèlent incapables de distinguer très clairement un son grave d'un son plus aigu, il en est aussi pour déclarer plus haut tel son adressé à une oreille par rapport à ce même son envoyé à l'autre. La " diplacousie " pathologique consiste en ceci que l'auditeur, écoutant des deux oreilles simultanément une fréquence pure, l'entend plus aiguë à une oreille qu'à l'autre. Il perçoit simultanément deux hauteurs pour un même son. Ce trouble est assez fréquent dans les phénomènes de dysmusie et d'amusie.

La " variation latérale " est un phénomène beaucoup plus fréquent et non pathologique d'un point de vue ORL. On présente le stimulus à chaque oreille de manière séparée ; l'auditeur doit indiquer si les deux sons ont la même hauteur ou si l'un est plus aigu que l'autre. Le musicien peut annoncer fréquemment une différence d'un demi ou même d'un ton ! Les déviations les plus grossières se situent aux extrémités du spectre alors que, dans les fréquences " médium ", elles sont généralement faibles (ce qui est homogène à tout ce que l'on sait par ailleurs de la compétence auditive le long de l'échelle des sons). Ce type d'erreur survient notamment quand la sensibilité d'une oreille devient très inférieure à celle de l'autre oreille.


Fig. 14. Diplacousie d'un sujet " normal " (Buser, 1987).


L'oreille droite étant soumise à un son de fréquence donnée, on ajuste la fréquence appliquée à l'oreille gauche en sorte que les deux sons paraissent de même fréquence. Le pourcentage de modification de la fréquence, en + ou en -, est reporté en ordonnées, pour chaque fréquence testée (Buser, 1987).

Leipp (1971b, 1977a) a remarqué la fréquence de ce phénomène chez le sujet tout à fait sain d'un point de vue ORL, et même chez le musicien compétent. L'erreur semble accentuée plutôt qu'amoindrie lorsqu'on augmente l'amplitude, en passant par exemple de 30 dB (" piano ") à 60 dB (" mezzo forte "). Il y aurait, d'autre part, une forte corrélation entre la diplacousie à une fréquence donnée et la différence de valeur des seuils entre les deux oreilles pour cette fréquence (Brink, 1970). Dans certaines affections ORL (maladie de Ménière par ex.), on observe un taux d'erreurs très élevé. Si on compare les musiciens avant et après une session de trois heures de prestation orchestrale, on trouve des différences nettes : l'épreuve avant de jouer est normale, détériorée (erreurs de l'ordre de 20 %) ensuite pour certaines fréquences. On peut classer les sujets, pour chaque fréquence testée, selon leur plus ou moins bonne performance ; la distinction entre musicien et non-musicien montre un effet majeur de l'entraînement et une détérioration par le bruit. Des facteurs individuels, le plus souvent d'ordre psychologique, influent également sur les résultats ; les valeurs élevées sont sans doute à rapprocher des diminutions de la capacité d'analyse tonale (CAT).

Leipp (1977a) a insisté, à la suite de Leconte du Noüy, sur les variations du temps biologique par rapport à celui des horloges. Quand une seconde de temps chronométrique est très remplie, elle paraît n'avoir duré qu'une fraction de seconde, à un point tel que les 440 vibrations du diapason ne suffisent plus à donner un la subjectivement recevable ; et l'orchestre, aux moments de grande " intensité dramatique ", aura tendance à jouer " plus aigu " pour rattraper ce phénomène. " Quand le ton "monte" dans le drame, il monte aussi à l'orchestre. " Symétriquement, les musiciens âgés auront tendance à trouver que le diapason " monte " depuis leur jeunesse, alors que c'est leur temps biologique qui se traîne.

On conçoit que ces remarques, associées à une signification distincte de chaque zone spectrale (cf. chap. 12), puissent jouer un rôle dans l'explication des variations individuelles et du fait que certaines fréquences soient touchées chez un individu et d'autres chez son voisin.

Signification psychologique de la capacité d'analyse tonale

Le pilote, tout comme l'homme des bois, doit être en mesure de déceler, répertorier, analyser et comprendre les subtiles modifications d'un environnement sonore d'intérêt vital : la voix de l'aiguilleur ou le frôlement du serpent minute. Comme la plupart d'entre nous, il doit dégager les très légères modifications sonores, attendues ou redoutées, de l'enfouissement où le tient un gigantesque bruit de fond. C'est le rapport signal sur bruit qui importe, plus que le niveau brut perçu.

Tomatis (1974a) a montré l'énorme incidence de la " fermeture de sélectivité " (erreurs d'analyse tonale) chez un grand nombre d'individus : qu'il s'agisse de dyslexiques, d'hyperkinétiques, de timides, etc. J'ai personnellement été frappé d'observer ce phénomène chez des étudiants en musique ou même - quoique très rarement - chez des musiciens sélectionnés au concours pour des orchestres symphoniques de bon renom. Dans ce dernier cas, jouer correctement suppose un travail systématique, répétitif et harassant.

Il a été démontré que la capacité à " catégoriser " les sons phonétiques joue un très grand rôle dans l'apprentissage des langues, de la lecture et de l'écriture correcte des mots. Il est évident que la discrimination des fréquences ( et à un moindre degré des intensités) est ici une condition favorisante. Une mauvaise discrimination des hauteurs conduit à toutes sortes d'erreurs (Bradley, 1983).

Roblin (1987), à partir d'une étude sur des élèves de 6e et 5e, a établi statistiquement (analyse des correspondances, analyse discriminante, etc.) que la capacité d'analyse tonale droite et gauche étaient liées, que les erreurs se regroupaient selon trois régions fréquentielles (graves, médiums, aigus), que les aigus étaient plus facilement atteints que les graves et l'écoute gauche plus que la droite. Il a pu dégager une valeur prédictive sur les résultats scolaires (70 % de prévisions exactes concernant le passage ou non dans la classe supérieure) égale à la valeur prédictive des tests psychotechniques (lecture et orthographe, compréhension, aptitude au raisonnement verbal, aptitude aux apprentissages de tous ordres). Ce sont les mesures concernant la capacité d'analyse tonale pour l'oreille gauche qui semblent les plus fiables.

On a donné une interprétation psychologique de l'incapacité d'analyse tonale : elle traduirait une forte répression (consciente ou non) de la communication affective, toutes émotions confondues. Par exemple, une agressivité qui couve mais ne peut s'exprimer directement ou un besoin de tendresse inassouvi et inexprimé, etc. L'expressivité sociale semble liée à " l'ouverture " de la " capacité d'analyse tonale " à un point tel que, lorsque le sujet se met à percevoir les différences qu'il ignorait et à bien les situer, on observe, de manière quasi constante, un changement du comportement remarqué par l'entourage : " elle se met à sourire et parler ", " il devient agressif ", " elle se met à fréquenter des tas de gens ", etc., alors que le sujet lui-même peut rester inconscient du phénomène ou le nier. L'enfant dont la capacité d'analyse tonale reste bloquée " est comprimé ; il ne peut rien dire ; il est toujours doux comme un mouton " (Tomatis, 1974a)... alors même qu'une très forte agressivité " couverait " sous l'attitude inoffensive. Lorsque la capacité d'analyse tonale s'ouvre avant que des problèmes de cette sorte ne soient réglés par rapport à l'environnement immédiat, l'agressivité cachée devient manifeste, explosive, inattendue ; elle vise alors spécialement les images maternelles, le groupe comme tel, etc.

Tomatis (ibidem, p. 21) tend à attribuer à une fixation maternelle très archaïque la difficulté à supprimer ce symptôme de l'écoute. L'étude statistique que nous avons menée avec M. Bertin (Auriol et Bertin, 1979) suggère un lien entre les tests de coordination visuomotrice et l'ouverture de la capacité d'analyse tonale (en particulier pour " viser une cible avec une balle " et la " rapidité pour tracer des bâtons ").

Essai d'interprétation théorique de la capacité d'analyse totale [6]

Ces données disparates pourraient trouver leur unité dans une interprétation se référant au vecteur haut-bas avec toute sa généralité symbolique, telle que mise à jour par la psychologie des tests projectifs de type réfractif (graphologie, tests de dessin en particulier), le haut lié aux " valeurs ", à l'élévation, à l'intellect et la spiritualité, le bas se rapportant au matériel, au grossier, au sensuel, etc. (Duparchy-Jeannez, 1913 ; Pulver, 1931). Que pourrait bien signifier cette compétence à hiérarchiser, à analyser le plus et le moins élevé [7]  ? Il ne s'agit pas seulement d'évaluer une quantité (comme lorsque nous disons que la tour Eiffel mesure plus de 300 mètres de haut), mais plutôt une situation dans un repère vertical (Pierre, qui est au premier étage, est moins haut que Paul déjà parvenu au troisième, alors même que Pierre serait un géant et Paul un nain).

Distinguer le grave de l'aigu sans se contenter de repérer la différence, être capable de la vectoriser dans une relation, de lui donner sens, c'est tenter d'unir, sans le confondre, ce qui est le plus difficile à unir : les profondeurs avec les hauteurs. " La quantité pousse vers le bas, la qualité vers le haut, l'automatisme tire vers le bas, le délibéré vers le haut. L'axe vertical est celui de la dialectique : déterminisme contre libération, ou engagement contre abstraction. Sens hiérarchisant, inégalitaire, qu'il n'est pas possible d'assumer par une responsabilité passive, mais seulement en osant, au plus profond, être responsable de sa responsabilité même ! " (Ditroï, 1977). Au repérage quantitatif convient un critère quantitatif, symbolisable par un nombre cardinal ; au repérage qualitatif convient un critère d'ordre hiérarchique, repérable grâce aux nombres ordinaux.

La capacité d'analyse tonale pourrait aller de pair avec la compétence ordinale. Elle permet de structurer la pensée et les concepts qui la peuplent en un ensemble hiérarchisé. Au critère cardinal correspondrait une vue plus élémentaire permettant le regroupement d'objets dans des tiroirs conceptuels non hiérarchisés, sur la base, par exemple, de la ressemblance à un prototype central utilisé comme référence locale. L'articulation est ordinale. En l'absence d'une fine capacité de discrimination ordinale, le champ de l'expérience vécue reste très largement dans le domaine imaginaire et contingent, s'il est vrai, comme l'affirme Paillard (1987), que " l'aléatoire et l'imprévisible ne sont définissables qu'en termes d'incapacité de la structure d'accueil à reconnaître un ordre ou une régularité dans les phénomènes observés ".

Modification de la capacité d'analyse tonale sous l'effet de l'entraînement

La sensibilité individuelle à la fréquence est " susceptible de s'affiner grandement sous l'effet d'exercices appropriés et, chez beaucoup de sujets, une très longue période d'entraînement peut être nécessaire avant que les performances atteignent leur maximum " (Wyatt, 1945 ; Demany, 1985). Les méthodes utilisant des appareils modificateurs de l'écoute peuvent grandement contribuer à un tel changement. Au moins l'avons-nous vérifié pour les erreurs d'analyse les plus grossières, qui disparaissent plus ou moins rapidement, plus ou moins totalement et plus ou moins définitivement chez la plupart des sujets soumis à ce type de cure.

Chroma, timbre et hauteur

Nous devons aborder ici une distinction intéressante, mais que l'usage de mots, parfois peu clairs, rend un peu difficile. L'étude des sons complexes amène à distinguer deux types de hauteur (hauteur du son fondamental et timbre) ; la psycho-acoustique des sons purs oblige à une distinction que nous avons déjà rencontrée et que recoupe la première : hauteur brute et chroma.

Hauteur brute et chroma

Une énigme frappe dès l'abord : pourquoi, lorsque nous entendons un son complexe, riche d'une multitude de sons élémentaires ayant chacun sa propre " hauteur ", avons-nous l'impression d'une hauteur d'ensemble ? Et pourquoi cette hauteur est-elle celle de la composante fondamentale, y compris lorsque cette dernière est peu intense ? Plus : il peut se faire que la composante fondamentale d'un son harmonique étant totalement absente, d'intensité zéro, nous ayons l'impression que ce que nous entendons est un avatar de cette fondamentale ! Le très jeune enfant et les mammifères partagent avec nous ce " mystère de la fondamentale absente [8]  " ! La saillance de la fondamentale d'un son complexe n'est donc pas liée à l'amplitude de cette fondamentale elle-même (Seebeck, 1841) ; par contre elle est d'autant plus importante que le nombre des composantes spectrales est plus élevé.

L'ensemble des expériences impose l'évidence que la hauteur fondamentale d'un son complexe résulte d'un travail sophistiqué du système d'écoute et implique les structures nerveuses centrales : l'argument décisif en est qu'à partir d'un harmonique à l'oreille droite et d'un harmonique plus élevé à l'oreille gauche le sujet peut entendre leur fondamental commun (Houtsma, 1972) ! On a montré aussi que nous sommes capables d'entendre le fondamental à l'issue d'un mitraillage par ses harmoniques présentés très rapidement mais sans se chevaucher (Hall, 1981). Plus encore : en présence d'un son dont la fréquence n'est pas stable, mais qui oscille de peu autour d'une fréquence donnée, notre système d'écoute s'arrange pour en établir la moyenne et nous permet d'y associer une fréquence précise et stable (Iwamiya, 1983).

Les deux hauteurs

Dénomination Chroma Tonie(Demany)
  résidu timbre (Risset)
hauteur musicale corps du son (Kohler, 1915)
hauteur tonale hauteur spectrale
  hauteur fondamentale hauteur brute
Fréquences de 60 Hz à 5 kHz de 20 Hz à 20 kHz
Domaine mélodique harmonique
Codage temporel (tonochronie) spatial (tonotopie)
Voix fondamental partiels et harmoniques
Oreille droite gauche
Type musicien mélomane
Musique comme langage jeu
Ecoute linéaire, analytique globale, synthétique
Hémisphère gauche droit

Hauteur fondamentale et timbre

Les mélomanes attribuent comme hauteur à un son celle de son " fondamental ". Les autres composantes de la vibration (harmoniques, " partiels ") étant les correspondants physiques du " timbre ". Ce dernier permet ainsi, habituellement, de distinguer deux sons de même hauteur et de même durée ; ainsi le do joué au piano sera-t-il différent du do joué au clavecin ou à la trompette !

On sait depuis longtemps que l'oreille peut nous faire entendre des sons inexistants : par exemple, si on joue sur l'orgue les harmoniques d'une note à laquelle on ne touche pas, celle-ci est " entendue " par notre esprit [9] . Dans ce cas, la vibration entendue n'existe physiquement nulle part, même pas dans l'oreille comme certains avaient voulu le croire ! C'est notre système nerveux qui construit cette information qui, d'ailleurs, n'exige pas nécessairement un rappport tout à fait harmonique entre les sons réels fournis. Ce rapport harmonique est en tout cas suffisant pour produire le phénomène, de telle sorte que l'auditeur d'une musique filtrée en passe-haut (dont on a supprimé les fondamentaux) peut fort bien la reconnaître et la fredonner !

Shepard (1964), puis Risset (1969a, 1969b, 1971), considèrent les deux types de hauteur dont nous avons déjà parlé : la hauteur tonale (correspondant au concept familier de hauteur) et la hauteur spectrale (liée à l'impact des harmoniques ou partiels simultanément présents). En faisant varier, par ordinateur, ces deux paramètres en sens inverse de manière astucieuse, ils sont parvenus à produire des illusions sonores (sons paradoxaux) : son qui a l'air de monter ou de descendre toujours (on reproduit ainsi sur le plan sonore une sorte d'escalier de Penrose, repris par Escher (fig. 15).

En fait, nous ne sommes pas égaux devant ce phénomène : l'oreille de certains se montre plus sensible à la hauteur spectrale, celle des autres à la hauteur tonale. Les expériences de Charbonneau et Risset (1975) suggèrent que l'oreille droite perçoit mieux les mélodies tonales, cependant que l'oreille gauche est plus habile à suivre les mélodies spectrales. Ces deux remarques pourraient amener à la construction d'un test simple pour décider si une personnalité est plutôt attirée par les valeurs émotionnelles de l'hémisphère gauche ou celles du droit (selon qu'elle se base, dans son écoute, plutôt sur les successions spectrales ou tonales).

Nous avons testé, sur des sujets volontaires considérés comme " sains ", deux types d'illusion sonore : sons paradoxaux descendants qui donnent l'impression de descendre sans fin et sons paradoxaux ascendants qu'on dirait monter toujours. Ces essais furent conduits à notre cabinet et dans des stages de musicothérapie avec R. Toupotte (juillet 1979). Le protocole consistait à présenter " le son qui monte sans fin " ou celui " qui descend toujours ", à un niveau relativement élevé et de manière répétitive, pendant au moins dix minutes. Voici quelques-unes des réactions observées : plusieurs participants, angoissés par les sons descendants, ont éprouvé une hilarité incoercible pour les sons montants ; plusieurs soulignent que les sons descendants ont défavorisé les mouvements respiratoires d'inspiration, alors que les sons ascendants gênaient l'expiration.


Fig. 15. L'escalier de Penrose repris par Escher (Baken, 1987)

 

Sons paradoxaux descendants

Un homme (O. G.) emploie les qualificatifs " pesant, désagrégeant, obsessionnel " (on retrouve ce dernier terme dans un grand nombre de protocoles). Une jeune femme (N. A.) a la tête qui tourne et se plaint de nausées. Elle a l'impression de tourner en descendant comme Alice au pays des merveilles. Elle écrit avec difficulté, éprouve une forte sensation d'angoisse avec oppression respiratoire, boule à la gorge. A la suite de l'écoute, elle éprouve des difficultés d'élocution, se sent " complètement paumée " : " Je me trompe de numéro de téléphone, j'écris un mot à l'envers, sensation d'étourdissement, d'être mal dans ma peau. " Plusieurs autres se plaindront d'impressions nauséeuses ou vertigineuses.

Une jeune femme, Véronique, spécialiste de techniques corporelles, écrit : " Impression de descente de mon attention avec le son, de la tête vers le pelvis (ou bien je me l'imagine ?). Envie que le son s'accélère, impatience ; je remarque qu'en fait le son ne descend pas réellement, qu'il s'agit simplement d'une impression, qu'il reprend au même niveau. Un peu frustrant comme être constipée ou vivre un orgasme qui ne vient pas. " Un homme de 53 ans parle de danger : " Ça va exploser, me détruire. J'ai les dents serrées. " Cette impression, au niveau de la mâchoire, est attestée par plusieurs autres auditeurs. Telle ajoute : " Je suis atteinte jusqu'au fond de la gorge ; impression qu'on m'a percée jusque-là. " Plusieurs évoquent la roulette du dentiste qui vibrerait au ralenti ! Berthe, 32 ans, trouve l'écoute pénétrante, agaçante, et sent, comme bien d'autres, monter en elle la colère, l'envie d'agresser.

Sons paradoxaux ascendants

Telle personne, incapable de supporter le son paradoxal descendant, quitte la pièce, mais écoute le son paradoxal ascendant. Trois auditeurs refusent les sons paradoxaux ascendants : " Insupportable torture ", " torture infinie appliquée par petites doses successives ". Une jeune fille de 25 ans écrit : " Quelque chose de terrible va se produire, bruit annonciateur d'explosion. Si je m'abandonne bien : plaisir d'une puissance qui gonfle, qui monte en moi ; de plus en plus grand, de plus en plus fort. Je remplis l'espace avec, en arrière-goût, la crainte d'éclater : un plaisir dangereux. " " On a soif et pas le temps de se désaltérer ; on reste sur sa faim sans pouvoir l'assouvir, en un perpétuel état de qui-vive. On est dans une course folle qui m'évoque ce personnage d'Orange mécanique qui pousse sa voiture au maximum, écrasant tout sur son passage avec un sadisme terrifiant. Mal à la tête, envie de vomir, point douloureux dans le dos. Après les quinze minutes d'écoute, j'ai mal aux oreilles et la tête lourde. Je ressens un point de sensation forte pulsative, qui lui n'est pas désagréable du tout... " Après un moment de " tension vers un but, de montée d'une catastrophe, je sentais comme une joie qui montait et voulait éclater ; j'aurais aimé que ça se prolonge ". Pour une autre jeune femme (J. T.), cette séquence est plus supportable, elle éveille un sentiment d'espoir " dû à l'ascension ". Un participant (O. G.) parle de " tension inassouvie ". Une auditrice souligne qu'après l'écoute elle éprouve une impression de manque, d'avoir " perdu quelque chose ". Un homme de 53 ans : " Ça devient très lumineux, de plus en plus vite. Après la fin de l'écoute, j'ai envie de rester immobile, dans le silence, fatigué et paisible. " La sensation " de plus en plus vite " est fréquemment retrouvée dans les comptes rendus. Certains participants énoncent une modification de la durée apparente, soit que cette séquence ait paru plus courte, soit qu'elle ait paru plus longue que sa durée chronométrique de quinze minutes.

 

Sons descendants
Sons ascendants
Colère, agressivité.
Espoir, joie.
Sensation d'être agressé (e).
Sensation de puissance.
Etre agressé(e), être pénétré(e)
Sadisme, pénétrer
de la tête au pelvis.
du pelvis à la tête
Angoisse, dents serrées, gorge nouée.
Sur le qui-vive.
Vertige. .
Remplir l'espace
Poids, chute.
Lumière, vitesse.
Expiration. .
Inspiration
Difficulté d'élocution et d'écriture.
Tendance à inverser les mots.

 

Ces remarques invitent à penser que les sons paradoxaux sont généralement source d'angoisse, mais cette angoisse varie avec la personnalité et le caractère ascendant ou descendant du phénomène de la pesanteur.

 

Le test de discrimination temporelle de Leipp (delta t)

Tel sujet, comme le remarque Leipp (1978) distinguera nettement des impulsions sonores très rapprochées ; tel autre, par contre, les fusionnera en magma informe ! C'est dire que le premier perçoit dans une même séquence, tant soit peu complexe, beaucoup plus d'informations que le second ! Il propose donc de mesurer le pouvoir séparateur temporel, c'est-à-dire la durée maximum de silence inaperçu entre deux clics sonores.

La capacité de discrimination temporelle est évaluée de la façon suivante : on fait entendre dix séries de cinq clics, identiques entre eux, mais séparés les uns des autres par un temps de silence variant de 2 à 250 millisecondes. On demande au sujet de tracer un bâton pour chaque son entendu, en espaçant ces traits plus ou moins selon que les clics étaient plus ou moins rapprochés. Lorsqu'un intervalle n'est pas perçu, le sujet, fusionnant deux sons en un, omettra un bâton : nous pourrons ainsi noter comme inaperçu l'intervalle silencieux correspondant. Par exemple (en désignant le premier clic par C1, le deuxième par C2, etc., et le silence entre deux clics par sa durée évaluée en millisecondes) : C1-20-C2-250-C3-100-C4-5-C5.

Nous retenons comme valeur du test (delta T) le plus petit intervalle perçu de manière stable. La norme, relevée sur quelque 300 sujets, jeunes, musiciens, est située entre 25 et 50 ms, les valeurs extrêmes étant d'environ 5 et 100 ms. Ce pouvoir séparateur est susceptible d'entraînement, par exemple il s'améliore chez les accordeurs de piano ! On peut aussi s'intéresser à la compétence du sujet pour noter convenablement les différences entre intervalles, autrement dit sa perception du rythme (Oléron, 1959 ; Stambak, 1960). La séquence donnée en exemple plus haut (C1-20-C2-250-C3-100-C4-5-C5) devrait amener le sujet à écrire :

I I I II

Bassou (1983) insiste sur la possibilité de deux attitudes dont la deuxième est beaucoup plus performante que la première : dans un cas, le sujet réalise un décompte immédiat des événements sensoriels qu'il doit dénombrer, dans l'autre il reçoit globalement l'ensemble du message et y repère des formes (qui peuvent servir à un dénombrement s'il y a moins de six événements). Ici, comme dans le test dichotique (cf. chap. 6), il existe une nette dissymétrie entre les deux oreilles (oreille gauche orientée vers la "forme" du stimulus, oreille droite vers le "dénombrement").

Bassou et Urgell proposent de modifier le test en utilisant une seule durée de silence entre les clics d'un même essai qui seront administrés en nombre variable (de 2 à 5) : le sujet pourra se contenter de les compter sans avoir à reproduire un rythme. On part de durées entre clics très faibles et on les augmente, à chaque pas, de 20 ms.

Par exemple : clic 1-20 ms-clic 2-20 ms-clic 3 / clic 1-40 ms-clic 2 / clic 1-60 ms-clic 2-60 ms-clic 3-60 ms-clic 4-60 ms-clic 5 / etc.

Les réponses du sujet devront être : 3, 2, 5. Cette façon de faire a l'avantage de systématiser le protocole (en dissociant le problème de la transcription du rythme et celui de la perception des silences selon leur durée). On appelle la plus petite durée perceptible le " delta T " de la personne testée. Dans ce cas, on évaluera séparément l'aptitude à percevoir les rythmes selon l'épreuve de Stambak : on fait entendre au sujet une série de sons frappés selon un certain rythme et il doit en reproduire la séquence (les intervalles entre coups frappés sont bien marqués, de telle sorte qu'il n'y ait confusion pour personne entre deux sons successifs). La durée minimum perçue (delta T) se situe généralement autour de 40 ms (Godin, 1985), mais s'améliore beaucoup par l'entraînement de l'écoute, de sorte que les musiciens professionnels détectent des intervalles inférieurs à 10 et même à 4 ms, et se montrent beaucoup plus stables dans leur évaluation que les sujets moins entraînés. Leur détection est à la fois plus sensible et plus fidèle. En clinique, les réponses vont de l'incapacité totale à dénombrer les clics à la possibilité d'en reconnaître la séquence exacte pour un delta T allant de 2 à 500 ms.

Se pose la question de savoir si le test évalue les capacités temporelles du système oreille/cortex auditif. Ou doit-on lire son résultat comme un reflet plus global ? Par exemple, si le delta T est à 100 ms, doit-on en inférer une simple lenteur " auditive ", cependant que les processus visuels, tactiles, psycho-moteurs auraient une résolution temporelle différente ? Ou bien devrons-nous conclure à une sorte de " paresse " du système nerveux central dans son ensemble ? S'agira-t-il d'une lenteur de fonctionnement de chacune des unités nerveuses (neurones, synapses) ou bien d'un ensemble fonctionnel comportant un " chemin " plus ou moins long (empruntant des voies plus ou moins compliquées, détournées), ou encore d'un traitement de l'information faisant intervenir pratiquement toutes les structures encéphaliques ?

Un cas particulier

Pour clarifier cela, nous examinerons - en résumant beaucoup - un cas qui nous a frappé, celui d'une de nos patientes, Line Liendretta, dix-huit ans, étudiante en secrétariat. Elle avait de grandes difficultés dans ses études et depuis un an était prise de crises de bâillements. Son cas est sans doute celui d'une hypersomnie qui, à l'époque des faits, n'était pas explorée. Six mois plus tard, on diagnostiquait une discrète hypothyroïdie sans augmentation de la stimuline hypophysaire de la thyroïde (TSH) et divers troubles hypophysaires mineurs. Le dysfonctionnement hormonal et l'hypersomnie se sont amendés au cours du traitement sonique : ils n'étaient donc pas pas liés à une quelconque organicité. On admet alors qu'ils étaient déterminés, pour l'essentiel, par ses expériences précoces, sa biographie et par de nouvelles exigences familiales et scolaires. Elle se dépeint comme pessimiste, méticuleuse, surtout depuis quatre ou cinq années. Elle note ses fréquents conflits avec son père, qu'elle trouve irritable, dépourvu de toute patience !

Remarquons à quel moment s'est considérablement aggravé ce tableau de dysendocrinisme fonctionnel, à quel moment apparaissent les troubles psychologiques de type dépressif ayant entraîné la consultation du psychiatre. C'est quand elle doit passer de l'apprentissage des signes sténo à la rapidité. Elle est alors perdue et demande grâce : " J'ai été fatiguée dès que j'ai fait de la sténo "... " la sténo me crève, c'est trop rapide "... " la sténo m'a complètement refroidie ". Auparavant, malgré la lenteur qu'elle se connaissait et qui l'amenait à passer bien plus de temps sur ses devoirs que ses compagnes, elle " assurait " ; lorsqu'il faut impérativement accélérer le rythme, faire, non très bien, mais très vite, tout est fini pour elle, sa scolarité est interrompue et elle ne pourra reprendre qu'après une cure sonique méthodique et l'aménagement de ses perspectives professionnelles.

Or, son delta T est supérieur ou égal à 100 ms, ce qui est une valeur extrême, très rarement trouvée. Par contre son audiogramme tonal est proche de la norme et sa capacité de différencier les fréquences est de bonne qualité. Cette observation clinique simple paraît militer en faveur de liens très larges entre le delta T et d'autres données temporelles concernant la vie cognitive dans son ensemble.

Des constatations statistiques

Eila Alahuhta (1986) a clairement établi que les capacités d'analyse temporelle sont, au moins en partie, fonction d'un harmonieux développement foetal et d'une naissance sans problème : en effet, les élèves à tests défectueux au niveau temporel avaient, bien plus souvent que les autres, un score d'Apgar inférieur à 9 (on sait que cette note reflète un certain degré de souffrance neurologique évalué immédiatement à la naissance). Les troubles de l'analyse temporelle, ou son manque de finesse, peuvent, pour le moins, rendre compte de certaines confusions linguistiques (voisé/non voisé, par ex.) et, plus généralement, nuisent à une bonne intégration de l'information sonore, en particulier linguistique. Eila Alahuhta (1980, 1986) a démontré que la capacité de décodage des structures rythmiques entendues, mesurées en fin de maternelle, sont prédictives du succès ou de l'échec ultérieurs : notes de rédaction, de mathématiques, de lecture et de musique (au cours des quatre premières années) et, plus tard, réussite ou difficulté en langues étrangères et en mathématiques. On peut y ajouter diverses capacités " scolaires " telles que  : désir de lire et d'écrire, exactitude de la rédaction, compréhension du langage écrit, faculté de comprendre des instructions orales. La corrélation est également très positive avec les futures qualités expressives : sens du rythme, naturel de la parole, capacité à jouer du théâtre, réalisme des proportions spatiales, aptitude à reproduire des dessins ou des schémas. Elle a même pu corréler le lien des capacités d'analyse temporelle préscolaires avec l'autonomie dans le travail et la concentration mentale.

Tout ceci montre l'intérêt d'une éducation - et d'une rééducation ! - des facultés d'analyse auditive temporelle (éducation musicale, musicothérapie, rééducation sous appareil modificateur d'écoute).

Conclusion

Les tests de perception du rythme et des capacités temporelles du système d'écoute sont très utiles dans l'évaluation des capacités scolaires, notamment linguistiques. Un delta T élevé peut signaler une sorte d'inertie, de blocage (comme chez Line). Ce dépistage est d'autant plus utile que nous savons pouvoir faire progresser, par l'entraînement, de tels sujets et leur permettre ainsi d'améliorer considérablement leur compétence scolaire. On trouvera d'autres informations dans le travail de Raufaste.

 

Chapitre suivant : Effets du son sur l'être humain

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12 Juillet 2008