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L'orgue, de par sa conception mécanique et acoustique,
impose un comportement muré de toute objectivité de la part de l'instrumentiste.
Celui-ci semble entièrement conditionné par le comportement de son instrument,
si bien que sorti de son environnement
habituel, l'organiste a du mal à s'adapter et va se trouver mal à l'aise devant
un autre type d'instrument qui pourtant restitue des sons identiques (puisque
simplement enregistrés) mais dont l'environnement est entièrement différent.
De par le passé,
beaucoup de procédés ont été mis en oeuvre pour reproduire les sons typiques de
l'Orgue, et ceci avec plus ou moins de bonheur. Les techniques modernes
permettent maintenant de le reproduire fidèlement par un simple enregistrement
numérique comparable au fameux disque laser dont la qualité n'est plus à démontrer.
Il apparait alors
un comportement curieux de la part des instrumentistes : leur attitude change
au fur et à mesure qu'ils approchent de l'instrument.
Dans un premier
stade, on leur fait simplement entendre l'orgue numérique dans une nef, et ce,
sans qu'ils voient la console. Les critiques que l'on entend sont uniquement
d'ordre d'estéthique sonore du style : " c'est un orgue classique et je
préfère les orgues romantiques. Il n'a pas assez de caractère ou il en a
trop", etc...
On perçoit donc une
approche tout à fait "normale" qui se tient au niveau des sons
perçus.
Lorsqu'on découvre
la console, premier mouvement d'étonnement : il n'y a pas de tuyaux !. Suivent
alors des questions d'ordre technique tout à fait légitimes. Nous sommes
encorde dans le domaine de l'objectivité ais à partir d'ici, la
subjectivité va prendre le pas sur tout autre sentiment.
En effet,
l'organiste va jouer l'instrument avec déjà une certaine réserve: il n'est pas
dans ses tuyaux. Alors, il cherche, il hésite avant de jouer. On entend même
des réflexions du type : "Je ne pourrai jamais jouer la dessus".
Il touche enfin les
claviers et là la subjectivité devient prépondérante : il a l'impression de ne
plus commander la soupape.
Ce qu'il faut
savoir, c'est que pour envoyer l'air (le vent comme disent les organiers) dans
les tuyaux, des soupapes étanches sont placées dans une boite sous pression
d'air qui règne dans la boite étanche (la laye). A travers un système
d'étanchéité, on tire sur la soupape grâce à une touche du clavier. Il faut
donc, par appui sur la touche, exercer une force suffisante pour vaincre la
force du ressort et surtout, la résistance au décollement due à la pression de
l'air. Lorsque ce point dur est passé, la soupape se décolle et la touche
s'enfonce brutalement. D'où une certaine sensation sous les doigts. C'est à
travers cette sensation que les organistes pensent contrôler l'arrivée d'air
dans les tuyaux. En d'autres termes, ils croient qu'en modulant la force (ou
plus exactement la vitesse) avec laquelle ils attaquent la touche, ils vont
contrôler plus ou moins la réponse du son produit par le tuyau. Ce qu'ils
oublient simplement c'est que la réponse du tuyau est uniquement fonction de
paramètres fixés par le constructeur de l'orgue (surface du trou correspondant
à la soupape, dimension de la gravure, pression de l'air, etc...). En fait, les
organistes rêvent de cette possibilité qui ajouterait une dimension à leur
instrument qui est l'impression qu'ils n'ont pas.
Cette longue
digression a eu simplement pour but de montrer la subjectivité qui va aller
grandissante.
Pour en terminer
avec les claviers qui vont permettre
de générer des sons, tentons une
petite expérience. On prend deux claviers mécaniquement identiques. L'un a des
touches en plastique, l'autre a les mêmes touches qui ont été simplement
recouvertes avec un placage de bois de quelques centièmes de millimètres
d'épaisseur (pas d'influence sur le poids de la touche). De plus, ce clavier a
été inversé; c'est-à-dire que les touches blanches sont devenues noires et les
touches noires sont devenues couleur bois clair (beaucoup d'orgues ont de tels
claviers).
Lorsque l'on fait
"jouer" ces claviers, beaucoup auront l'impression de sentir comme un
décollement de soupape sur le clavier façon bois alors que l'autre clavier sera
jugé mauvais au point de vue du toucher !
Le stade du contact
avec l'instrument étant dépassé, les sons se font entendre. Curieusement, ils
sont devenus moins bons qu'au début maintenant que l'on a découvert
l'instrument. L'objectivité a pratiquement disparue. Prenons un exemple.
Il existe dans
l'orgue un jeu qui s'appelle la Montre. Nous prenons donc une Montre de 8 pieds
que nous décalons d'une octave vers le bas. On obtient ainsi une Montre de 16
pieds. Installons l'organiste devant le clavier et demandons lui de jouer avec
la Montre de 8 pieds. Il pourra ainsi juger le timbre de ce jeu. Maintenant, on
lui demande de jouer avec la Montre de 16 pieds mais en utilisant le clavier
une octave plus haut. On obtient théoriquement le même timbre avec la même
hauteur de son. Eh bien, l'un sera jugé différent de l'autre. Les sons perçus
sont devenus intérieurement subjectifs.
En résumé, on peut
dire que la subjectivité des sons, dans le cas de l'orgue, est liée à
l'environnement, au contact physique des doigts et à l'appréhension qu'a
l'organiste lorsqu'il joue sur un instrument inconnu de lui, même si
physiquement les sons produits sont identiques (analyse spectrale).
Pour un orgue donné, le son semble imposé par la structure
de l'instrument. Changeons la structure et la subjectivité changera le son.
Dans certains grands orgues, la disposition des tuyaux est telle que lorsque
tous les claviers jouent ensemble, certains sons ne peuvent plus être perçus
par les oreilles; l'organiste les "entend" malgré tout !
12 Mai 2008