Bruits Utiles, Bruits Dérangeants

Approche cybernétique des comportements sensori-moteurs intégrant l'apprentissage.

René GAMBA, président d’honneur du CICF-GIAC.

 

Les notions simples de bruit utile ou dérangeant, agréable ou nuisant, ne peuvent suffire à expliquer certaines situations paradoxales auxquelles l'acousticien de terrain est régulièrement confronté.

Prenons l'exemple d'un individu ayant appris à planter les clous avec un marteau et, oreilles et mains nues. On peut comprendre facilement que le changement du manche du marteau ou le port de gants conduisent à quelques perturbations et à un petit ré-apprentissage. A l'inverse, on est souvent étonné de constater que le port de casque anti- bruit va, à lui seul, conduire également à une imprécision du geste, et parfois à des troubles de l'équilibre.

Le modèle de comportements sensori-moteurs que nous avons été amenés à développer est de type cybernétique. Il ne prétend ni être exact quant aux fonctions supposées remplies, ni prendre en compte la réalité physique et physiologique des mécanismes sous- jacents.

Les hypothèses principales sur lesquelles exposent ce modèle sont les suivantes

    1.      La première nécessité pour un être vivant, c'est justement de le rester. Pour cela, il doit contrôler en permanence son environnement extérieur et son propre état interne, afin d'adapter son comportement à chaque changement de situation.
    2.      Dans ce processus "surveillance- adaptation", seul un fonctionnement "économique" faisant appel à des "raccourcis" ou des approximations validés par l'expérience est envisageable, compte tenu de la quantité gigantesque d'information qu'il faudrait traiter dans le cas contraire.
    3.      La première étape de ce processus consiste à vérifier si l'on est toujours dans la situation présumée. Pour cela, il faut et il suffit que tous les indices (simplificateurs, mais jugés significatifs de la situation considérée) soient reconnus.
    4.      à une situation connue, est associé tout un ensemble de "schèmes", sortes d'automatisme qui sont mis en oeuvre dès qu'une série d'indices déclenchant apparaît.
    5.      Si la situation n'est pas reconnue, il faudra entrer dans un processus beaucoup plais long et coûteux qui, à terme, doit permettre la construction des indices caractéristiques de cette nouvelle situation et des schèmes qui y seront associés.

Evidemment, dans une telle démarche, on risque d'être abusé par une situation qui a le goût et la couleur de... mais qui n'en est pas, ou par une situation qui n'a plus le goût ou la couleur et qui pourtant en est...

Pour limiter la probabilité de ce type d'erreurs, et les désagréments qui peuvent s'en suivre, les schèmes ne sont utilisables que si la totalité des indices qui y sont associés est reconnue.

Cette "précaution" présente aussi un inconvénient. Ainsi, dans le cas du "planteur de clous" : avant d'être un "planteur de clous", celui- ci est d'abord un être vivant soucieux de surveiller son environnement et d'y vérifier que "tout est normal". En apprenant à planter les clous sans casques anti- bruit, il a aussi appris (inconsciemment) à"repérer" un grand nombre d'indices caractéristiques de la situation, par exemple la position des parois en écoutant le décalage temporel entre l'onde directe et onde réfléchie sur les parois. Il a également appris qu'il voyait les parois à la même place que celle évaluée auditivement, et il a enfin appris que tout cela était "normal".

Le port du casque n'empêche pas de percevoir le bruit utile du marteau sur le clou, comme il est souvent prétendu, mais perturbe la perception des autres indices telle la position des parois. Dans ces conditions, la situation n'est plus "normale" et les schèmes qui y sont associés ne sont plus utilisables. II faut réapprendre à planter les clous...

Ce modèle de comportement est utilisable dans des domaines aussi divers que l'instruction d'une plainte de voisinage, la conception d'un capot de machine, d'une salle de spectacle ou d'un instrument de musique.

Il permet, en considérant qu'une situation est appréciée globalement et non pas analytiquement de mieux comprendre, et donc de mieux appréhender les comportements et les discours des acteurs concernés par un changement donné.

 

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11 Mai 2008