L'apprentissage perceptuel de la musique d'une culture procure à l'auditeur un fonds de connaissance implicite des schémas structurels de cette musique. Dans le cadre occidental la connaissance implicite de l'échelle musicale s'accroit au cours du temps, et cette connaissance est appliquée automatiquement et inconsciemment chaque fois que l'adulte écoute un morceau de musique. Ce phénomène a même des conséquences sur la topographie du cortex cérébral : par exemple, chez les joueurs d'instrument à cordes, nous constatons une surface de représentation accrue pour les doigts de la main gauche, surtout si l'apprentissage de l'instrument a commencé avant l'âge de douze ans.
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On a pu montrer que les expériences sonores intra-utérines pouvaient avoir des effets sur le comportement ultérieur des enfants. Le foetus peut répondre aux sons au moins dès le deuxième trimestre de la grossesse .Les très jeunes bébés reconnaissent la voix de leur mère. Ils enregistrent les traits caractéristiques de cette voix jusque dans le détail des structures de hauteur et d'accent tonique.
De Casper et coll. ont montré (1986) que les passages d'un texte lu de manière itérative pendant le dernier trimestre de la grossesse par la future maman, était après la naissance préférés par le bébé, en comparaison d'autres passages qui n'avaient pas été utilisés... Les enfants qui ont entendu une histoire de manière répétée dans le ventre de leur mère tètaient davantage à l'audition de cette histoire alors que ceux qui n'avaient pas été conditionnés à cette histoire ne faisaient pas de différence avec l'autre histoire. Spence et coll. (1987) ont aussi montré que les bébés qui avaient été habitués à une histoire avant la naissance aimaient cette histoire filtrée en "passe-bas" autant que le même texte non filtré, alors que les bébés qui n'avaient pas entendu l'histoire n'appréciaient pas le filtrage passe-bas.
Les enfants, tout comme les adultes, lorsqu'ils entendent une suite de notes alternant rapidement entre deux domaines de hauteur, les répartissent en deux courants perceptifs.
Les bébés se font entendre et d'une manière parfois surprenante qui peut même atteindre ou dépasser les capacités auditives de leurs parents !
Dès l'âge de deux mois, les enfants sont capables de comparer - concrètement - la hauteur des chants que leur chante la mère.
On montre chez les adultes l'équivalence d'octave, qui consiste à distinguer très facilement deux paires de sons dont l'une des paires est constituée de deux notes à l'octave l'une de l'autre, tandis que la deuxième paire est constituée de deux notes séparées par moins d'une octave. Les enfants en sont également capables !
De même les adultes ont une constance de hauteur dans ce sens que des sons complexes de structure harmonique différente sont évalués de même hauteur pour autant que leurs fréquences fondamentales soient les mêmes : c'est le cas d'une note identique chantée avec la voyelle "a" et la voyelle "o" successivement. Les enfants de sept ou huit mois sont déjà capables d'associer avec justesse les hauteurs de voyelles distinctes qu'on leur chante.
De même, éliminer la fréquence fondamentale d'un son complexe ne change pas sa hauteur aussi longtemps que plusieurs harmoniques sont conservés. C'est aussi vrai pour des enfants âgés de sept ou huit mois ! Cette conservation de la hauteur devient plus floue quand les harmoniques résiduels sont tous très éloignés en fréquence de la fondamentale absente.
En ce qui concerne la discrimination des hauteurs, on a démontré que des enfants de sept à dix mois peuvent reconnaitre la direction d'un changement de hauteur pour des intervalles d'à peine un demi ton.
Dès l'âge de deux mois, les enfants sont capables de comparer - concrètement - l'intensité et le contour mélodique des chants que leur chante la mère.
Les bébés sont sensibles aux modifications notables d'une mélodie qu'ils ont été accoutumés à entendre. Quand on effectue une transposition de trois demi-tons (en conservant donc le même type de hauteur), les bébés n'y faisaient pas attention; mais quand la mélodie, outre cette transposition, subissait une altération de son contour, le rythme cardiaque des bébés ralentissait (réaction d'alarme). Pour eux comme pour les adultes, la simple transposition ne les mettait pas en face d'une nouvelle mélodie, alors que le changement de contour leur donnait la perception d'une autre mélodie ! On a montré aussi que les bébés comme les adultes encodent et mémorisent le contour d'une mélodie : ils peuvent aussi remarquer les changements dans les intervalles et les niveaux de hauteur, mais les changements de contour sont les plus saillants !
Les mélodies en mode majeur sont plus faciles à encoder et mémoriser que les autres mélodies. Ceci tient-t-il à la nature du cerveau ou au bain culturel qui le baigne ? On observe dans toutes les aires culturelles une forte prégnance de l'équivalence d'octave (rapport des fréquences 2/1) et à un moindre degré de la quinte (rapport 3/2). Il convient de noter que "l'analyse de musiques vocales de différents pays du continent africain (Éthiopie, Centrafrique, Cameroun) a mis au jour l'existence de systèmes pentatoniques dans lesquels le contour mélodique prime sur la grandeur des intervalles qui séparent les degrés de l'échelle"(lacito - CNRS).
On observe aussi de manière relativement universelle une limitation à sept (ou moins) des classes de hauteur incluses dans une octave, ceci, en accord avec le nombre de catégories dans le cadre d'une dimension perceptuelle, que les humains peuvent gérer (G. Miller, 1956).
Les enfants à partir de sept ou huit mois détectent plus facilement des changements de hauteur liés à une transposition en style diatonique plus qu'en style chromatique. Cette différence ne s'observe pas avant l'âge de sept ou huit mois mais ces très jeunes enfants échouent à détecter ces changements si on leur présente des structures musicales d'origine javanaise, ce qui indique une acculturation très précoce des enfants baignant dans les échelles occidentales construites sur le "demi-ton". Cependant, l'acculturation complète aux modèles occidentaux demande plusieurs années à l'enfant (par exemple, pour intégrer les tonalités et le mode).
Dès l'âge de quatre mois, les enfants sont capables de comparer - concrètement - la structure rythmique des chants que leur chante la mère.
De même que la mélodie reste reconnaissable dans ses transpositions de hauteur, ce même le rythme peut recevoir des variations de tempo sans que soit altérée sa nature. C'est dire que les données temporelles sont plus importantes dans leurs relations que dans leur mesure absolue. C'est ce qui rend compte du fait que les enfants testés à l'âge de quatre ou cinq mois sont plus sensibles aux changements de patrons temporels qu'aux durée absolues de leur éléments.
Les enfants chantent spontanément à partir de neuf ou dix mois, mais dès le sixième mois ils apprennent à imiter des hauteurs de son et semblent prendre plaisir à le faire ; on peut voir là une aptitude congénitale préétablie concernant les hauteurs tonales ! A partir de dix-huit mois, ces premiers jeux de modulation deviendront de véritables chants, reconnaissables, répétables. A deux ans, l'enfant met en place des sortes de refrains qu'il crée puis répète inlassablement avec des variations quelque peu erratiques dans la hauteur.
Pour certains d'entre eux, qui ne sont pas encouragés dans leurs vocalisations, ils perdent cette capacité au cours des deux ou trois années suivantes ! D'autres, dont les parents sont plus intéressés par les sons conservent et développent leurs aptitudes. Notamment les enfants de musicien, tel le fils de Léopold ! Il peut en résulter chez le bébé une attitude d'écoute attentive de la musique et le fait de chanter avant même d'avoir commencé à parler ! Ce sont là les caractères prédicteurs d'un remarquable talent musical ultérieur (Shuter-Dyson, 1985). Une enquête assez extensive a montré que le seul signe qui distingue statistiquement les enfants acceptés dans les écoles de musique très sélectives était que l'enfant avait chanté à un âge très précoce.
A partir de deux ou trois ans, ils commencent à devenir capables de reproduire avec succès le contour de phrases musicales brèves. Par la suite, ils parviendront à enchaîner plusieurs phrases en s'approchant toujours plus du modèle. C'est très progressivement que les degrés de l'échelle tonale se mettent fermement en place : à quatre ans la stabilisation peut être correcte quant à une phrase musicale pour déraper sur une autre tonalité à la phrase suivante. Il faudra attendre l'âge de cinq ans pour observer la stabilité tonale propre à notre culture, tout au long d'une chanson entière. C'est l'âge d'or pour l'apprentissage des comptines.
L'oreille absolue est une phénomène rare, même chez les musiciens. Sa fréquence est généralement estimée à moins de 8 % des individus. Pourtant, dans les cultures qui encouragent un apprentissage précoce de la musique (actuellement, par exemple, au Japon), la fréquence de cette capacité est bien plus grande, de l'ordre de 50 % ! Ogawa et Miyazaki ont montré, à partir d'une population d'enfants entre quatre et dix ans, qu'un programme d'entraînement par clavier musical permettait à la plupart des enfants d'acquérir cette capacité. Par ailleurs Takeuchi et Hulse font l'hypothèse de la nécessité pour cela d'un apprentissage précoce, la période critique d'intégration de cette faculté finissant aux alentours de la sixième année. On peut sans doute en déduire qu'elle nécessite de s'inscrire dans la structure des constituants neuronaux plutôt que dans les relations entre neurones. Ce serait une propriété liée à l'existence de certains neurones plus qu'aux relations que ces neurones établissent entre eux (synapses) ! Malgré tout, même chez les adultes dépourvus de cette faculté, Levitin a constaté qu'après avoir connu une mélodie par un enregistrement et un seul, ils la chantaient au niveau de hauteur à peu près exact : deux tiers des sujets se tenaient à l'intérieur d'une fourchette de deux demi-tons par rapport à la hauteur de référence...
Les enfants entre quatre et six ans sont capables de repèrer les mélodies ou leurs imitations en utilisant le contour. Ce n'est qu'après sept ans que la tonalité devient un facteur déterminant pour reconnaitre les mélodies et leurs imitations tonales ou atonales.
Certains auteurs ont découvert que dès l'âge de cinq ans, certains enfants, pouvaient utiliser les différences de tonalité pour différencier des mélodies. Il s'agissait de mélodies dont certaines étaient écrites dans des gammes comportant beaucoup de notes en commun (gammes assez semblables) et certaines écrites dans des gammes comportant très peu de notes en commun avec elles (gammes très différentes). Les enfants de cinq ans, comme l'adulte, font bien la distinction entre les gammes assez semblables et les gammes très différentes. Par contre, dans les imitations tonales, ils échouent à détecter les changements dans la dimension des intervalles. Les enfants de moins de six ans se fient plus à la hauteur absolue qu'aux relations d'intervalles alors qu'ils répondent aux comparaison d'amplitude en terme d'amplitude relative plutôt qu'absolue.
A sept ans environ, les enfants arrivent bien à distinguer les modes majeur et mineur et à remarquer qu'un morceau a été réécrit dans une gamme éloignée de celle entendue tout d'abord (transposition très décalée). Ils marquent une préférence pour une mélodie diatonique {mi - sol - si - sol - mi} par rapport à sa contre partie chromatique très similaire mais non identique {mi - sol - si# - sol - mi}
Mais il faut attendre neuf ans pour que soient clairement distinguées la version familière d'une mélodie et ses imitations de même contour.
Quant à la capacité de déterminer la "direction" d'un changement de hauteur, c'est une compétence acquise assez tardivement à moins qu'on n'explique l'échec de ces enfants dans cette tâche à un défaut du vocabulaire utilisé pour y répondre. Quoiqu'il en soit, les erreurs sont ici un indice très pertinent par rapport aux capacités scolaires. Les échecs étant d'extrêmement bons prédicteurs de difficultés. L'entraînement de cette capacité d'analyse tonale étant un gage de progrès.
La gestion de la composante mélodique de la musique va d'une gestion assez grossière à une subtilité de mieux en mieux acculturée. Les bébés peuvent distinguer le contour et produire des sons isolés de hauteur définie. Vers cinq ans l'enfant commence à organiser le son par rapport à des repères de tonalité (gamme) mais ne possède pas encore une échelle tonale stable qu'il puisse employer pour une transposition d'une gamme à l'autre. Le système tonal se développe et est approprié tout au long de l'enfance jusqu'à l'âge adulte.
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En fait données rythmiques et mélodiques sont très intriquées chez l'enfant et difficiles à analyser séparément.
Les enfants de cinq ou six ans réussissent à peine mieux qu'au hasard quand il s'agit de détecter une mélodie connue dans laquelle ont été intercalées des notes étrangères. Vers neuf ou dix ans, la situation s'améliore, surtout si les notes étrangères appartiennent à des hauteurs nettement différentes de celles qui constituent la mélodie "cachée".
Rythmer des rythmes ternaires réguliers est aussi facile pour un enfant de cinq ans que des rythmes binaires. Mais si on inclut des subdivisions variables à l'intérieur d'un rythme répétitif, les subdivisions de type binaire sont mieux gérées que celles de type ternaire. A sept ans l'enfant commence à maîtriser ce genre de complexité.
La perception des émotions véhiculées par la musique commence certainement très tôt et s'accroît sans doute au cours de la scolarité. Statistiquement, dès l'âge de quatre ans les enfants savent classer comme les adultes, des extraits musicaux sous les étiquettes "joie", "tristesse", "colère", "peur". Cependant, ils progressent peu à peu, reconnaissant plus rapidement la joie, puis la tristesse et la colère et plus tardivement la peur. La distinction de la colère et de la peur reste d'ailleurs incertaine jusques et y compris à lâge adulte !
joie > tristesse > {colère-peur}
C'est seulement à partir de sept/huit ans que les enfants font un lien notable entre joie et mode majeur, tristesse et mode mineur.
Le corrélation qui lie la montée en hauteur et la joie et celui qui lie la descente et la tristesse n'apparait nettement, dans les questionnaires de type verbal, que chez l'adulte ! Cependant même des enfants de trois ans ont tendance à rapprocher les dessins de visages heureux ou neutres des extraits en mode majeur et les dessins de visages tristes ou en colère des extraits en mode mineur. Cette tendance croît progressivement jusqu'à l'âge de douze ans.
Les capacités musicales ont leur germe dans notre berceau - et bien avant - elles se précisent par une lente acculturation et ne s'épanouissent qu'au prix de beaucoup de travail ! Ce travail devrait se faire notamment avant l'âge de neuf ans, car ensuite, les aptitudes musicales tendent à se stabiliser.