OBSERVATIONS CLINIQUES

OBSERVATION No 2

Monsieur L. 23 ans, vient pour la première fois en consultation en juillet 1977 car « il ne se sent pas bien dans sa peau tant physiquement que psychiquement » dit- il.

Etudiant en musique, c'est son professeur qui, connais­sant la méthode audio- psycho- phonologique, lui a suggéré de suivre un traitement par "oreille électronique".

Lors de l'entretien, Mr. L. nous dit qu'il y a conflit entre ce qu'il voudrait être et son comportement. Il ne comprend pas certains de ses actes. Pax exemple, il se sent dominateur dans un groupe, accaparant la parole, racontant n'importe quoi sur n'importe quel sujet.

Dans les antécédents on note la dissociation du milieu familial, son père ayant abandonné sa mère.

Mr. L. garde de son père une image très dévalorisée par le discours de sa mère. Il a une soeur de 4 ans son aînée. Il a passé un ans en I.M.P. puis deux ans dans un foyer après avoir commis de petits délits. Il avait alors 15 ans et n'en garde aucun souvenir.

Avant le traitement nous notons sur le test d'écoute (ci-dessous) que la sélectivité est fermée à partir de 4000 hz sur l'oreille droite; elle est ouverte à gauche. Les CA sont plates dans l'ensemble, avec un scotome [1] dans les aigus sur les deux oreilles. Enfin il existe des erreurs de spatialisation en conduction osseuse [2] des deux côtés.

Mr. L. bénéficie de deux cures intensives à un mois d'intervalle. La première cure est faite à partir de la musique filtrée, la deuxième avec la voix maternelle. C'est lors de cette deuxième cure, aprés l'accouchement sonique suivant 60 séances de VMF [3] que Mr. L. signale qu'il commence à se servir de sa main droite (par ex. pour diriger un choeur), alors que, jusque là, il était gaucher. La latéralisation auditive par oreille électronique avait été entreprise lors de l'AS [4] . Ce « passage à droite » s'est main­tenu tout au long du traitement (nous n'avons pas revu Mr. L par la suite) et Mr. L. disait qu'il se sentait beaucoup plus autonome avec la main droite, et qu'il était gêné par l'utilisation de son côté gauche.

Le TE à la fin du traitement montre que la sélectivité est entièrement ouverte des deux côtés (elle s'est ouverte déjà lors de la première cure), que les erreurs de spatialisation ont disparu, que les CA sont remontées, la CA droite étant plus haute que la gauche.L'audiolatérométrie met en évidence une oreille droite direc­trice.

A partir de ces deux observations, on peut penser que l'oreille agit sur la latéralité générale. Il faut rappeler que ces deux sujets n'étaient pas traités pour des problèmes de latéralité. Ces passages spontanés à droite sont cependant peu fréquents parmi les sujets que nous traitons. Peut- être nos interventions sont elles trop tardives, les sujets ayant une latéralité déjà établie ?


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Nous avons constaté néanmoins que la majorité des per­sonnes traitées par la méthode audio- psycho- phonologique deviennent droitiers de l'oreille. D'après la théorie de TOMATIS, cette latéralisation à droite serait génératrice de bien des effets bénéfiques du traitement.

A ces deux observations cliniques, obtenues en éduquant l'oreille et en latéralisant progressivement les stimulations du côté droit (hémisphère gauche), on peut ajouter deux autres faits importants concernant les problèmes d'oreille et de latéralisation :

1)       L'observation du développement linguistique de GENIE, publiée en 1974 par FROMKIN et KRASHEN aux ETATS UNIS.

Agée de 13 ans 7 mois lors de sa première hospitalisa­tion pour malnutrition et absence totale de langage et de toute possibilité d'émission vocale, Génie a été observée par ces auteurs qui ont trouvé que, dans le domaine auditif, seul son hémisphère droit traitait l'information (qu'elle soit verbale ou non verbale).

C'est une enfant qui avait été maintenue seule dans une pièce dès l'âge de 20 mois, et jusqu'à celui de 13 ans. La fillette avait été ainsi privée de toute stimulation par la parole, venant de ses parents ou même de la radio ou télévision.

Elle semble avoir été uniquement nourrie et soumise à quelques cris de la part de son père et de son frère. Elle recevait un minimum de soins d'une mère devenue aveugle.

Il n'est pas question ici de reprendre cette longue observation qui montre comment elle acquit une capacité de lan­gage à partir de son hospitalisation.

Les auteurs en effet ont pris le parti d'interpréter tous les progrès linguistiques de Génie à travers les théories de CHOMSKY en présupposant l'innéité des structures syntaxiques, ce qui retire beaucoup de spontanéité clinique à cette publication.

Nous reprendrons seulement les faits cliniques cités dans leur conclusion intitulée "hypothèse sur l'âge critique et la latéralisation du langage".

Partant du principe que latéralisation et acquisition du langage vont de pair, ils s'attendaient à constater un accrois­sement de la dominance de l'hémisphère gauche à mesure que Génie

progresserait dans le langage.

A six mois d'hospitalisation elle se situait à la limite de l'âge de 7 ans sur le plan des tests verbaux, à un stade de 42 mois pour les connaissances non verbales.

Après un an d'hospitalisation et de rééducation intensive, elle s'était normalement développée et sa puberté était survenue.

Son développement se poursuivit dans une famille d'accueil. L'observation de la latéralisation du langage se situe en 1972, à l'âge de 15 ans, alors qu'elle continue à faire des acquisitions.

Les auteurs ont utilisé le principe des stimuli verbaux et non verbaux en écoute monaurale ou en écoute dichotique. Génie est décrite comme droitière de la main au moment du test.

" Deux séries de stimuli furent utilisées :

Le type "verbal" consistait en 15 paires de "montrer" les mots, c'est à dire chaque paire de mots était précédée de la phrase d'introduction "Point to the…" (« Montre le … »). Génie montrait des jouets ou des images représentant les mots, qui lui étaient familiers : bébé, voiture, miroir, table et cochon.

La série non verbale consistait en stimuli couplés de sons d'environnement enregistrés dans l'en­tourage actuel de Génie (accords de piano, klaxon, bruit d'eau qui coule, sonnerie de téléphone, etc... ). Elle répondait en montrant du doigt des photographies des sources du bruit.

Aux tests monau­raux de tous les stimuli, Génie totalisa 100 %. Les résultats de ces tests sont surprenants, puisque les scores verbaux dichotiques montrent une nette prédominance de l'oreille gauche. Ceci montre une prédominance de l'hémisphère droit pour le langage, inhabituel­le chez un sujet droitier. De si grandes différences entre les oreilles ont été trouvées uniquement chez des sujets hémisphérec­tomisés ou présentant une section du corps calleux.

Les résultats des tests dichotiques utilisant les sons familiers de l'entourage, montrent là aussi un avantage de l'oreille gauche, mais seulement à un degré que l'on trouve chez les sujets normaux. Ce type de résultat "normal" montre que Génie n’est pas simplement l’un de ces rares sujets  qui aurait une dominance inverse, mais, au lieu de cela ce serait un sujet  chez qui tous les processus d’audition paraissent couramment prendre place dans l ‘hémisphère droit ».

Les hypothèses explicatives des auteurs sont marquées par leur conviction de l'innéité des structures syntaxiques et celle de l'existence d'une "époque critique" au delà de laquelle il n'y aurait pas possibilité d'acquisition du langage (située aux environs de la puberté).

Leur première hypothèse nous parait difficilement pouvoir être retenue.

"pour expliquer cette performance, l'hypothèse est que le manque de stimulation verbale pendant les premières années de sa vie a interféré sur le développement du langage au niveau de son hémisphère gauche. On peut spéculer comme suit : Du temps de sa "détention", Génie c'est développée comme une droitière "normale" et comme gauchère pour le langage, La réclu­sion et le manque qui en résulte au niveau de la stimulation linguistique a empêché les aires du langage situées dans l'hémis­phère gauche de se développer davantage. Quand elle apprend à parler, Génie utilise son hémisphère droit qui est tout à fait développé et spécialisé dans d'autres domaines (on doit noter ici que Génie est très douée dans ce que l'on considère comme les fonctions de l'hémisphère droit; par exemple : la perception spatiale...)

Ce qui arrive peut être décrit comme une sorte d’atrophie fonctionnelle des centres usuels du langage , inhibés par la répression. Cette atrophie de l'hémisphère gauche "arrête" peut être les stimuli de l'oreille droite, les empêchant d'at­teindre les centres du langage dans l'hémisphère gauche", expli­quant ainsi le score faible de l'oreille droite. Si cette hypo­thèse est vraie, c'est un apport de poids à la position de "l'âge critique", la conséquence  serait que la capacité de Génie à acquérir le langage est limitée et qu’elle va s’arrêter dans un futur proche,  comme cela semble être le cas pour les quelques patients adultes qui ont subi une atteinte de l'hémisphère gauche"

Le fait que Génie continue ses acquisitions parait ne pas permettre de retenir cette hypothèse.

La seconde hypothèse: à laquelle nous convient les auteurs, nous parait plus recevable :

La latéralisation changerait à mesure des progrès de Génie dans le langage.

Il faudrait admettre alors une certaine dissociation au départ entre latéralité manuelle et latéralité auditive, (mais il n'y a pas d'étude précise de la latéralisation corpo­relle de Génie).

Ainsi Génie garderait- elle la possibilité ultérieure de structurer au plan verbal son hémisphère gauche, en admettant avec les auteurs que cette capacité de spécialisation pour le langage est inscrite génétiquement au niveau de cet hémisphère.

On pourrait ainsi admettre que cette structuration pourrait seulement se faire par la mise en action prolongée du circuit audiophonique oreille droite- hémisphère gauche, circuit resté longtemps en sommeil du fait de la situation de privation de parole maternelle et autres, et de l'impossibilité d'auto - stimulation de Génie, situation d'une durée de plus de 13 ans.

Ainsi, on peut prendre le développement de Génie comme modèle expérimental d'une enfant de 20 mois pour laquelle on aurait supprimé toute stimulation verbale, que l'on aurait ainsi laissée dans une passivité de réception totale.

L'histoire de Génie tendrait alors à prouver que c'est sur le lit de la stimulation fondamentale rythmo- mélodique de la mère, l'hémisphère droit et donc les perceptions glo­balistes et syncrétiques étant privilégiés, que serait inaugurée obligatoirement l'acquisition du langage parlé.

La latéralisation à droite de Génie pourrait alors être interprétée comme précédant la structuration ultérieure d'un centre du langage dans l'hémisphère gauche. Il s'agirait alors d'un centre potentiel ne se structurant fonctionnellement qu'à travers les rétroactions par la parole non verbale puis verbale du sujet.

Resterait à expliquer pourquoi ce centre s'établit parfois fonctionnellement au niveau de l'hémisphère droit, sans qu'il y ait une liaison toujours évidente avec la latéralité corporelle.

2° - L'autre fait qui apparaît à l'opposé du cas de Génie peut être tiré du travail d'un médecin japonais, le Dr. TSUNODA professeur à l'Université Médicale et Dentaire de Tokyo. Le Dr. TSUNODA montre que l'hémisphère cérébral gauche, c'est à dire l'oreille droite, des japonais, perçoit les sons

linguistiques, vocaliques et consonnantiques mais aussi les sons non linguistiques tels que les pleurs, les expressions émotionnelles, les sons des instruments musicaux traditionnels japonais, les bruits du vent, des vagues, des cours d’eau…

L'hémisphère droit, donc l'oreille gauche, ne reçoit ainsi selon TSUNODA que les sons méca­niques, les sons des instruments musicaux occidentaux, les bruits.

Il fait remarquer qu'à la différence des japonais, l'hémisphère droit des non- japonais capte tous les sons perçus par l'hémisphère gauche des japonais et les sons vocaliques (voyelles sémantiquement vides).

Autre fait fondamental : TSUNODA note que les japonais ne vivant pas au Japon depuis 2 ou 3 générations mais résidant dans un pays de langue occidentale (Etats Unis, Brésil, Canada) pré­sentent un modèle de fonctionnement cérébral typiquement occidental, alors que les enfants d'américains ou de coréens qui sont depuis leur naissance dans un environnement entièrement japonais, ont un fonctionnement cérébral japonais.

Ainsi selon TSUNODA, la fonction cérébrale des japonais n'est pas héréditaire mais est due à l'influence de l'environnement.

Pour TSUNODA, le facteur jouant un rôle déterminant serait le langage japonais. Non par l'aspect écrit de la langue: les tests effectués sur des aveugles de naissance ont montré que l'aspect écrit de la langue n'a rien à voir, car ces japonais aveugles ont les mêmes caractéristiques cérébrales que les autres. Il confirme à ce sujet que la langue parlée semble être la carac­téristique la plus influente sur les fonctions cérébrales et ce pas seulement sur les japonais.

TSUNODA explique l'action de la langue japonaise sur les structures cérébrales par l'importance dans cette langue des voyelles qui isolées ou associées, peuvent présenter des signifi­cations précises, c'est à dire être de véritables mots, subs­tantifs ou prédicats.

Un autre trait important au plan linguistique serait le fait que toutes les syllabes se terminent par l'une des cinq voyelles.

A partir de là TSUNODA affirme que les voyelles séman­tiquement vides sont perçues par l'hémisphère gauche dans le cas des japonais et par l'hémisphère droit pour les autres.

Ainsi tous les sons vocaliques ou qui s'en rapprochent qu'il s'agisse de sons linguistiques, émotionnels ou de sons natu­rels, sont transmis par l'oreille droite à l'hémisphère gauche. Ce dernier percevrait donc les sons en rapport non seulement avec le langage propositionnel, rationnel, abstractif, mais également avec le monde environnant et les emotions, langage essentiellement syncrétique fait de significations globales et émotionnelles.

TSUNODA explique par cette structuration particulière de l'hémisphère gauche :

-          l'émotivité particulière des japonais,

-          le peu de créativité actuelle de ce peuple qui ne fait que s'adap­ter aux technologies déjà existantes, la faible religiosité de la population japonaise (le mysticisme par la capacité d'appréhensios syncrétique, symbolique du monde, étant d'abord lié au fonctionnement de l'hémisphère droit.

Cette intéressante publication nous permet de remar­quer là aussi que l'action du milieu semble déterminante sur la structuration fonctionnelle des centres du langage. Elle milite en faveur d’une extrême variabilité, fonction essentiellement de la stimulation verbale du milieu, des zones ou centres de com­mande des hémisphères.

Le cerveau du japonais moyen apparaît comme l'extrême opposé de celui de la pauvre Génie ! Mais est- ce vraiment la pauvre Génie qu'il faut plaindre ?

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21 Février 2007



[1] On appelle scotome visuel une partie de l’espace que l’oeil ne voit pas. Par analogie, on appelle scotome auditif une fréquence ou un ensemble de fréquences sonores non ou mal entendues par le sujet.

[2] Certains ORL pensent et l’ont même affirmé dans des “manuels universitaires ou professionnels”  que le mammifère, et spécialement l’homme, seraient dans l’incapacité de localiser les sons donnés par voie osseuse (vibreur), au prétexte que le crâne vibrerait globalement, ne permettant pas de décalages de volume ou de délai entre les récepteurs cochléaires droit et gauche. Notre pratique clinique, les tests effectués pendant trente ans, les études statistiques qu’on peut en faire, l’évolution des capacités de localisation osseuse en rapport avec l’audio-training démontrent amplement que nous sommes capables de localiser le son en voie osseuse, même si c’est beaucoup plus difficile qu’en voie aérienne.

[3] Voix Maternelle Filtrée (à 8 KHz en passe-haut).

[4] AS => Accouchement Sonique selon les hypothèses (controversées) de Tomatis (Cf. notes précédentes à ce sujet).