La Démarche Mystique est-elle addictive

(Point de Vue Introspectif et Physiologique)

Bernard AURIOL



 

Le terme "Mystique" est attesté dans la langue française dès le XIV° siècle et vient de bien plus loin encore puisque les latins emploient "mysticus" et les grecs "mustikos". Il dérive de "mystère", "mysterium", "musterion" et finalement de "mustès" qui signifie "initié aux mystères". Le Sanskrit nous donne "mustika" avec le sens "qui appartient à une secte ou un clan".

L'usage de l'Eglise Catholique réfère ce terme à l'une des deux grandes voies de la Vie Spirituelle. Par opposition à la Théologie Ascétique qui décrit les méthodes de purification active et de maîtrise de soi, la Théologie Mystique s'intéresse aux expériences spirituelles en tant que telles dont l'accès correspond à une attitude plutôt réceptive, voire passive (Vie contemplative).

En fait, la vie mystique se retrouve dans toutes les Cultures et dans tous les cultes, jusques et y compris dans l'Athéisme comme en a témoigné autrefois Geneviève Lanfranchi et plus récemment le groupe "spiritualité laïque"; de même, sous un autre angle, l'oeuvre de Georges Bataille.

Selon le philosophe André Lalande, "ce qui semble propre à ces états, c'est d'une part la dépréciation et comme l'EFFACEMENT des symboles sensibles et des notions de la pensée abstraite ou discursive; c'est d'autre part le contact direct et l'immédiation de l'esprit avec la réalité possédée à même".

Il s'agit d'une démarche aussi bien affective qu'intellectuelle, un véritable VOYAGE vers la connaissance selon la métaphore de Parménide et de Lao Tseu, spontanément reprise par les disciples de Timothy Leary, première cuvée...

On distingue une mystique d'immanence et une mystique de transcendance.

Il s'agit à mon avis de concepts théologiques et idéologiques qui ont tendance à se confondre au niveau du vécu, comme en témoigne l'oeuvre prestigieuse du Père Henry Le Saux, même si l'idéologie dans laquelle s'inscrit l'orant le conduit à décrire son expérience plutôt comme une enstase ou plutôt comme une extase. Le même phénomène de contamination par le discours se fait sentir chez les spirituels qui se demandent s'ils sont entrés en contact avec la Cause Transcendante de toutes choses ou seulement avec sa "transcription terrestre" (sorte d'intermédiaire qu'on appellera "fine pointe de l'âme", "caverne secrète du coeur", etc...).On a fait remarquer, depuis bien longtemps déjà, que chaque Société a sa (ses) drogues (de l'opium à l'alcool en passant par le Kif ou le thé); elle a aussi sa (ses) mystique et peut valoriser ce type d'expérience au point d'entretenir d'innombrables moines pour une activité peu ou non rentable. Sorte de potlatch de l'activité humaine, sacrifice d'une "part maudite" de la pensée, brûlée "en pure perte", pour quelque Grand Etre spécifique à ce lieu. Quitte à ce que ces hommes et ces femmes voués à l'expérience du Non-Agir, de la Contemplation, de la Prière, de l'Amour Gratuit ou du Vide, rebondissent en actions impressionnantes de par leur productivité inattendue : Thérèse d'Avila, François Bernardone, Gandhi et tant d'autres.... C'est un premier point qui nous fera distinguer l'addiction toxicomaniaque et la dévotion mystique...

Freud qui assimilait l'addiction à une substitution masturbatoire nous donnerait sans doute raison au titre de l'orientation allocentrique des états mystiques.

L'étude des expériences mystiques nous intéresse pourtant ici à, au moins, trois titres :

  1. il existe des délirants
Je ne veux pas aborder ici le mysticisme dans la pathologie. Je signalerai cependant qu'on a eu jusqu'à ce jour, trop tendance à rabattre les critères théologiques ou religieux sur l'appréciation médicale ou psychologique des phénomènes. De notre point de vue, les critères qui permettent de séparer le "saint mystique" de celui qui s'est fourvoyé ne nous concernent qu'à demi: pour autant qu'ils incluent une référence à l'adaptation ou non adaptation sociale. Qu'ils aient pour conséquence la piété ou l'impiété, que leur auteur reste fidèle ou non à une orthodoxie, etc ne constituent pas des traits pertinents... Ce deuxième point nous confronte aux hallucinations chez les mystiques qualifiés " d'authentiques " (avec les réserves que nous venons de mettre); elles sont généralement considérées comme accessoires, bénéfiques ou nocives selon le cas. Elles réalisent bien souvent, comme le rêve de Freud, les désirs de l'individu qui les éprouve. A la différence du rêve, le désir en question, en son premier degré au moins, est bien souvent conscient : "je désirais un fruit et j'ai senti que son jus emplissait ma bouche, que je l'avalais, que j'en jouissais pleinement" (cependant, le plus souvent, les muscles restent immobiles).

On y peut rattacher les voix, les visions et l'ensemble des phénomènes généralement qualifiés de "surnaturels", allant jusqu'aux stigmates ou aux mouvements du corps ("sauts de grenouille", "lévitation", etc...).

Ces expériences sont vécues parfois comme privatives et nous n'en prenons connaissance qu'au travers de compte rendus destinés à notre instruction quant à la voie. Elles sont parfois, tout au contraire, proclamées et revendiquées à titre d'instruction publique que l'individu se sait en devoir de publier: révélations édifiantes, visions - rendez-vous de Bernadette avec la Dame, des trois enfants de Fatima avec Marie, etc...

Si conviction délirante il y a, nous devons remarquer qu'elle est attendue et valorisée par le groupe social. Il définit des "vraies révélations" et d'autres qui ne le sont pas et que, selon les époques on attribue à Satan ou à l'Hystérie. C'est le Système Social qui suggère l'expérience, la promeut et s'en valide: comme lorsqu'il s'agit de Bouter les Anglais Hors de France, proclamer, dans un même mouvement, le dernier dogme venu (Immaculée Conception) et l'Infaillibilité papale qui va avec, ou s'assurer qu'on évitera la "tentation du communisme" puisqu'on doit Prier pour la Russie.

Mais la pieuse Cantianille (XIXe s) entraînera dans la réprobation générale l'évêque qui accepta ses "révélations" sur les "moeurs horribles" des prêtres du diocèse (Tanquerey, N° 1502).

  1. Les Motifs invoqués sont comme dans la toxicomanie liés au plaisir éprouvé et aux angoisses fuies. Quant au plaisir - de nature divine s'entend - nous en reparlerons. C'est quand même assez spécial. Pour l'angoisse elle est coupable: karma accumulé lors d'innombrables vies antérieures pour l'hindouiste, péché originel, faille essentielle chez les monothéistes, etc... Et thème de l'exil !
  2. Les Moyens employés sont très variés mais se laissent regrouper autour de quelques types:
    • Pratiques physiques (postures, respirations, etc)
    • Pratiques Chimiques (cannabis, alcool, thé, etc...)
    • Pratiques psychologiques (usage de sons, de prières, d'imagerie mentale)
De très nombreuses recherches, ces vingt dernières années, ont permis de montrer que la plupart de ces pratiques conduisaient à des états modifiés de la Conscience (Altered States of Consciousness: A.S.C.) caractérisés par ce qu'on a d'abord appelé un Eveil au Repos.

Cet état de conscience connaît de multiples modalités qui sont décrits, du point de vue INTROSPECTIF dans la littérature extraordinairement abondante des adeptes de toutes les spiritualités.

Du point de vue Physiologique, les études étant encore à leur début, on a tendance à mêler tous ces états et tous ces niveaux. On aboutit alors à remarquer leur extrême proximité avec ce que la littérature médicale nomme RELAXATION, qu'il s'agisse du Training Autogène, de la méthode de Jacobson ou d'autres formes encore.

Les études sur l'alcool ont permis de mettre en évidence un "beer goggles effect" qui consiste en ceci : boire un peu d'alcool tend à magnifier l'aspect d'un(e) éventuel(le) partenaire sexuel(le) aux yeux du buveur (comme à ceux de l'usager de GBH). Plus encore : la simple évocation d'un mot en rapport suggestif avec l'alcool aura le même effet. De fait, cela rejoint la "faculté idéo-motrice" qu'Eysenck à la suite de Chevreul place à la base des phénomènes de suggestibilité.
Extrait de Nature On Line : " No booze needed for beer goggles" par Roxanne Khamsi (28 April 2005)


The thought of beer might make your libido sink or soar. The mere thought of beer or wine can influence your sex drive, according to a study of undergraduates.

Alcohol has long been known to have a number of effects on dating behaviour: some good, some bad. Enough booze can wipe away inhibitions and act as an aphrodisiac, or it can dampen sexual performance. It can even produce what are jokingly called 'beer goggles', which mean you judge people as more attractive when you are drunk.

But scientists now say that whatever effect someone expects from alcohol can be produced by simple exposure to flashes of alcohol-related words on a computer screen.

Ronald Friedman, a psychologist at the University of Missouri, Columbia, and his colleagues tested the idea on 82 male undergraduate students.

The researchers first questioned the men about how they felt alcohol affected their libido, and then presented them with rapidly flashing words and jumbled letters on a computer screen. One group was exposed to cue words that suggested alcohol, including beer, whisky, martini and malt; the other, control group was exposed to words such as smoothie, espresso and ice.

The men then rated 21 female high-school graduation photos on a scale of 1 to 9 in terms of attractiveness. The men who expected alcohol to boost their libido rated photos more favourably after subconsciously viewing alcohol cue words. Those who expected alcohol to reduce their performance actually rated the girls as less attractive after boozy words.

"What is most surprising is that mere expectancy can influence perception," says Markus Denzler, a co-author of the report, based at the International University Bremen, Germany. The findings appear in the May issue of the journal Addiction1.

The men were also asked to rate the girls' intelligence based on their pictures. In this case the flashing words had no impact on the results, so at least beer goggles may not make the world seem smarter than it really is.

(...)

Friedman stresses that other studies have shown how simple words can sway our behaviour. One notable study found that after undergraduate students were subconsciously exposed to phrases such as 'old age' and 'bingo' they walked more slowly down hallways.

Assessing the power of these veiled cues is important, agrees Jack Darkes, a clinical psychologist at the University of South Florida in Tampa who has studied assumptions about alcohol. "It's another link in the chain that supports what a lot of us have been saying for a while," he says. Darkes notes that appreciating the difference between psychological and chemical effects may help those with alcohol addictions to face up to their problem.


References

1. Friedman, R. S.,McCarthy, D. M.,Förster, J. & Denzler, M. Addiction 100, 672 - 681 (2005).
2. Bargh, J. A.,Chen, M. & Burrows, L. J. Pers. Soc. Psychol. 71, 230 - 244 (1996).

 

J'ai pu montrer, dans l' "Introduction aux techniques de Relaxation", que cet état correspondait à un profond repos (plus accentué peut-être que dans le Sommeil) doublé d'une Vigilance parfaitement maintenue. Lorsqu'il est profond cet état procure d'intenses satisfactions comportant plus que la "Sérénité" ce qu'on est bien contraint de nommer "Béatitude".

Un tel résultat ne s'obtient que par une pratique régulière, généralement bi ou triquotidienne, pouvant aller de quelques minutes à plus d'une heure par séance.

Les utilisateurs réguliers de ces techniques, après plusieurs mois, avouent qu'ils ressentent un malaise subtil, une sorte d'inconfort et d'inquiétude s'il leur arrive d'omettre une séance. Spontanément, leur interlocuteur pose la question "n'est ce pas une drogue dont vous ne pouvez vous passer ?".

Question impertinente qu'il nous faudra pourtant examiner. D'autant qu'on y ajoute l'observation de certains effets sociologiques qui, PARFOIS, (heureusement pas toujours) l'environnent. Notamment cette dévotion au gourou. Tel Jésus, il peut tout demander. Et même demander TOUT: jusqu'à renoncer à son père, à sa mère, à ses frères, voire à sa femme (Luc XVIII, 29)...

Sectateur d'une chapelle infime ou moine d'une Confrérie plus officielle se comportent de même et - y arrivent-ils ? - qu'ils soient bouddhistes tibétains, trappistes catholiques ou sadous de Rishikesh, renoncent tout uniment au sexe, à l'argent, au pouvoir,.... choses bien mesquines au regard de l'Absolu qui vaut le "FaNA" (terme qui N'EST PAS à la racine de notre mot "fanatique" dérivé pourtant du culte , celui de Cybèle, la Grande Mère) , ce qui signifie "anéantissement" pour les soufis).

C'est dire qu'ils s'adonnent, s'addictent, se vouent à leur chef spirituel. Certains prétendent qu'ils feraient mieux de le faire à un produit, quel qu'il soit; ce serait, parait-il, moins grave.... Mr Lionel Bénichou nous a rappelé que "addictus" pour les romains (cf. Dictionnaire de Félix Gaffiot) signifiait "corps donné, esclavage, pour dette". Mais il y a toutes sortes de maîtres et de relaxateurs. L'expérience transmise est souvent très bénéfique, voire merveilleuse; que ne donnerait-on pas pour la parfaire ? Comment résister à celui qui a donné (?) tant et qui promet plus ? Avatar du transfert avant la lettre. Ethique de son bon usage...

L'élève fera bien d'évaluer l'attitude du maître qu'il compte se donner !

L'expérience mystique une drogue?

L'initié répondra généralement qu'il n'en est rien; que le besoin qu'il ressent est lié au "plus" de sa pratique; que l'omettre le fait redescendre du plan qualitatif où le porte cet état de conscience particulier.

Plus que cela ! Le mystique est un amant. L'Amour est une ivresse.

Comment pourrait il se contenter de solitude et abandonner le Graal ? Témoin le "Cantique des Cantiques", le Tantra Asana et les poèmes de la mystique soufi qui seront à l'origine des "Cantigas de Santa Maria" (J.B. Trend) et, selon certains historiens, de tout le courant (au moins méridional) de l'Amour Courtois. A l'origine soufi, La femme symbolise tout simplement l'Unique sans second, l'Absolu, Allah. Pour Lacan (cf. L'Ethique) elle incarne La Chose freudo-heideggerienne.

Il inclut dans cette quête avec juste raison, Aristote, St Bernard, la béguine Hadewijch d'Anvers et "des gens doués comme St Jean de la Croix - parce qu'on n'est pas forcé quand on est mâle, de se mettre du côté du (Pour tout X, Phi de X). On peut aussi se mettre du côté du pas-tout. Il y a des hommes qui sont aussi bien que les femmes. Ca arrive. Et qui du même coup s'en trouvent aussi bien. Malgré, je ne dis pas leur phallus, malgré ce qui les encombre à ce titre, ils entrevoient, ils éprouvent l'idée qu'il doit y avoir une jouissance qui soit au delà. C'est ça, ce qu'on appelle des mystiques." (...) "C'est comme pour Ste Thérèse - vous n'avez qu'à aller regarder à Rome la statue du Bernin pour comprendre tout de suite qu'elle jouit, ça ne fait pas de doute. Et de quoi jouit-elle ? Il est clair que le témoignage essentiel des mystiques, c'est justement de dire qu'ils l'éprouvent, mais qu'ils n'en savent rien." (Encore, 70-71).

Cette jouissance serait-elle "une affaire de foutre" comme le refuse Lacan ou d'hormones de style "endorphines" ? Le tantrisme décrit deux courants d'énergie, nommément sexuelle. L'une liée au "Linga" (phallus) et l'autre au "Yoni" (sexe féminin symbolique), toutes deux présentes sous différentes formes et en différents lieux de la topologie humaine, sans distinction quant au sexe réel. Les étapes du chemin spirituel conduiraient, en dernière analyse, à la conjonction des deux énergies, des deux jouissances. Celle d'en haut et celle d'en bas, celle des formes et celle de l'indifférencié, celle des catégories signifiantes et celle de la quête fusionnelle.

Les écrivains spirituels et les théologiens occidentaux qui se sont occupés de ces questions distinguent nettement le cheminement vers l'Union Divine, qui pourrait être de l'ordre de la Jouissance du côté du "pas-tout", et les accidents ou ornements du parcours au long duquel fleurissent les "consolations" et les "aridités". Ces phénomènes, les plus visibles il est vrai, seraient la marque de la composition "corporelle" de l'être humain; les anges, selon eux, ne pourraient qu'en être exempts.

Que nous enseigne la physiologie?

Diminution du cholestérol sanguin, d'autant plus importante qu'il était élevé au départ, normalisation des sécrétions thyroïdiennes lorsqu'elles étaient en hypo ou en hyper, diminution de la sécrétion de cortisone, diminution du taux de la prolactine, diminution des catécholamines. Je ne connais pas d'étude biochimique concernant une éventuelle sécrétion d'endorphines. Je pense qu'il y a là une piste intéressante et facile à mettre en oeuvre, si un lieu de recherche convenablement équipé de notre région voulait s'y atteler. Sous l'hypothèse d'une telle augmentation des endorphines, conviendrait-il de ranger ces pratiques dans le chapitre des conduites addictives ? Il conviendrait également de comparer l'effet EEG des drogues et des états relaxés. Pour les premiers, le résultat obtenu dépend du produit utilisé; pour les derniers, nous noterons surtout le ralentissement, la symétrisation et surtout la mise en cohérence (d'autant plus importante que l'étape est avancée).

Personnellement je soutiens, depuis quelques années, l'idée que la culture de cet état de conscience, que j'ai pu appeler d' "Eveil Paradoxal" (par symétrie avec le "Sommeil Paradoxal"), non seulement n'est pas nocive, comme le serait l'usage d'alcool, de DBZ, de tabac ou d'héroïne, mais encore est plus que bénéfique, véritablement indispensable à une bonne harmonie de notre organisme.

Qui plus est, ce genre de démarche conduit, statistiquement parlant, à l'abandon des excès en tous genres, spécialement ceux qui concernent l'usage des stupéfiants ou du tabac comme la consommation immodérée d'alcool...

Il s'agirait, dés lors, d'une addiction pas plus néfaste que celle qui nous oblige à dormir, rêver, manger, boire ou respirer ! Dans cette conviction Shabistari murmure: "En un instant, échappe au temps et à l'espace. Mets le monde de côté et deviens un monde en toi-même." C'est la grâce que je nous souhaite... chaque matin et chaque soir...

 

On trouvera un grand nombre de titres dans les notes de mon ouvrage sur les Méthodes de Relaxation.
 
Google
  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

5 Mai 2005