Dr Bernard Auriol
(Psychologie Médicale, 1994, 25, Spécial 8: 788-794)
(abstract)
Certains états de conscience modifiée sont contemporains des sommets de l'invention et favorisent l'émergence de la créativité. Ces états ont un caractère paradoxal : ils sont symétriques de l'état du sommeil avec rêves. Ils permettent un remaniement du passé récent et l'instauration de nouvelles relations intra-psychiques. On peut observer une simplification du vécu conscient combinée avec l'importation d'analogies plus ou moins éclairantes venant du passé du sujet.
Ce lien mémoriel est peut-être plus un oubli du moment qu'une actualisation du passé.
La "marginalité" du créateur est évidente dès le
principe : il doit être de son groupe pour épouser certaines de ses préoccupations,
il doit en être quelque peu distant pour sortir d'une production triviale.
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En français, "créativité" vient du latin: "creo, creas, creaui, creatum, creare".
Ce verbe agricole signifiait "faire pousser, produire, faire naître, et dans la langue ecclésiastique "faire naître du néant" ".
Il dérive lui-même de "cresco" qui signifie "pousser, croître, arriver à l'existence, naître".
En allemand, nous avons "schöpferkraft" qu'on rapproche de "schöpfen" (puiser [de l'eau dans un puits] ou [de l'air pour respirer]...). La créativité consiste en l'invention d'une source et procède d'un appel à l'esprit (inspiration) !
En grec ancien, : faire, causer, créer, produire, composer (un récit poëtique)... Le créateur, c'est l'artisan et le conteur...
En arabe la racine "BaDaEa" permet d'exprimer tout ce que nous rassemblons dans le champ de la créativité, de l'originalité et de l'invention, mais aussi le champ sémantique de l'hérésie !
La racine hébreu analogue, comporte aussi des connotations
positives "inventer, imaginer" et négatives "mentir"...
Le mythe cosmogonique est habituellement le plus important puisqu'il raconte comment le monde entier vint à l'être. Pas seulement les êtres révélés dans le mythe, mais aussi le mode qualitatif de la création devient un modèle pour toutes les formes de la création dans la culture.
Parfois, il s'agit de création "ex nihilo", dans d'autres cas, la création se fait à partir d'un chaos primordial ou bien à partir d'entités embryonnaires situées à l'intérieur de la terre ou de l'eau. Elle peut encore émerger de conflits et de violences entre les dieux. Presque tous les mythes de création comportent une structure de rupture qui sépare une condition primordiale de la condition humaine. Cet événement mythique peut résulter de l'ignorance d'êtres pré-humains, de l'oubli ou d'une désobéissance consciente.
Dans tous les cas, ce défaut suffit à établir une discontinuité entre la création dans son statut primordial et ce qu'elle est devenue pour l'homme vivant. La nature de ce défaut et les rituels pour le réparer sont, bien sûr, corrélatifs.
Delphes était appelée l' "omphalos" (nombril ou centre) de la terre, et cela était marqué par une grande pierre conique.
Se tenaient à Delphes les "Jeux Pythiens" pour célébrer la victoire d'Apollon sur le serpent Python. Ainsi, cette ville était elle consacrée à Apollon, dieu de la prophétie mais aussi patron de la philosophie et des arts.
La ville était aussi consacrée à Dionysos, le dieu du vin, de la fertilité, des danses orgiastiques avec ses liens aux Muses...
Ainsi cette ville était un centre dans lequel paraissaient se conjuguer avec succès les énergies antagonistes de la créativité rationnelle et irrationnelle...
La créativité est la capacité pour un sujet de manifester au monde, à lui-même et aux autres, quelque expression qui n'existerait pas en son absence. La valeur sociale de cette nouveauté dépend à la fois des capacités d'innovation de l'individu, de ses compétences à les exprimer, les faire connaître et les imposer; elle dépend tout autant de la nature du groupe social, de sa réceptivité au changement, de sa flexibilité. La créativité apparaît donc comme un concept étroitement relatif aux interactions de l'individu et de son environnement. Le créateur est bien souvent brûlé avant que d'être adoré !
Ainsi, la créativité est-elle une notion qui dépasse l'individu
: elle nous oblige à le cadrer dans son contexte de temps, de lieu, de culture.
De ce point de vue, la "marginalité" du créateur est évidente
dès le principe : il doit être de son groupe pour épouser certaines de ses préoccupations,
il doit en être quelque peu distant pour sortir d'une production purement répétitive,
conforme et, par là, triviale.
La pédagogie aspire généralement à engendrer des travailleurs-consommateurs qui sachent lire, écrire, compter et surtout qui sachent obéir, être efficaces dans la production et satisfaits de leur sort : on obtient ainsi des adultes bien adaptés ; de même la thérapie cherche à rétablir cette conformité lorsqu'elle a été perdue.
Un tel idéal pédagogique et/ou thérapeutique n'est généralement
pas apte à développer la créativité et l'innovation culturelle ou sociale.
est un acte de créativité pratique consacré par un succès social. Il ne s'agit
pas seulement d'imaginer un progrès technologique significatif, il faut aussi
obtenir qu'il soit agréé, utilisé par la communauté. On reconnaît aux inventeurs
les qualités suivantes :
- ils ont une curiosité insatiable
- une grande détermination dans la poursuite de leurs idées
- une aptitude technique innée ou acquise
- une certaine familiarité avec la science
- et... de la créativité.
Cette créativité est sans doute faite d'un dosage approprié d'imagination, d'intuition,
de logique, de sens esthétique et de culture.
La création du jeu est apparemment gratuite, que ce soit chez l'animal ou l'enfant; il en va bien souvent de même pour l'oeuvre d'art qui n'a pas besoin de se justifier par un usage pratique. Même dans ce cas pourtant, la création humaine se fait à travers la matière et pas toujours dans la facilité. Des problèmes se posent que l'homme doit résoudre. Ce fait est d'autant plus patent que le créateur cherche à s'exprimer autrement que dans l'esthétisme. C'est le cas du créateur d'idée, du savant ou de l'inventeur. On pourrait croire que la rationalité à soi seule suffit à répondre à leurs préoccupations. Lorsqu'on enseignera plus tard leurs découvertes, on pourra souvent le faire comme le déroulement bourbakiste de postulats avec leurs conséquences.
Or, le témoignage des savants et d'autres créateurs intellectuels montre que les processus de résolution des problèmes dont ils firent usage ne sont pas du tout un livre ouvert pour leur propre conscience.
On peut commencer par raisonner consciemment et délibérément, mais la solution vient souvent à son heure, soudainement, comme surgie de nulle part !
Graham Wallas a décrit quatre étapes pour la résolution des problèmes :
Les gestaltistes ont insisté sur la différence qu'il y a entre comprendre la structure d'un problème et découvrir sa solution simplement en appliquant des règles à l'aveugle !
Karl Duncker a remarqué que chaque phase d'une solution consiste à reformuler de manière productive le problème de départ. Il est fondé à en déduire qu'un obstacle commun pour résoudre un problème est la fixité fonctionnelle : en effet si la solution requiert qu'un objet ou un concept soit utilisé d'une façon peu coutumière, une fixation sur l'usage conventionnel peut interdire d'apercevoir cette perspective inhabituelle.
Einstein, en 1921 confirme pleinement cette remarque; il écrit : "Je voudrais qu'on comprenne bien que cette théorie n'est pas spéculative à l'origine; elle doit entièrement sa découverte au désir d'élaborer une théorie qui soit capable de rendre compte le mieux possible des faits observés. Ce n'est pas un acte révolutionnaire : l'abandon d'un certain type de concept ne doit pas être jugé comme arbitraire, mais simplement comme la conséquence directe de l'observation des faits".
Le mathématicien Gyorgy Polya a introduit l'idée qu'il existe des techniques générales pour la résolution des problèmes : il les a appelées heuristiques. Ces procédures peuvent constituer une aide quoiqu'elles ne garantissent pas le succès.
Une heuristique très intéressante consiste à travailler en partant de la solution pour revenir jusqu'aux prémisses (si la réponse était connue, quelles devraient être ses caractéristiques ?).
Une autre heuristique importante est d'établir des étapes (subgoals) pour diviser la difficulté : on peut alors résoudre des problèmes moins complexes et de leur réunion obtenir la solution.
On peut encore confectionner la liste des moyens susceptibles de conduire au
but et ensuite s'attaquer aux différents problèmes résultant de cette liste.
Quels procédés pourraient développer en nous et chez nos patients
la part de créativité ? Je propose de considérer quelques voies (catalogue non
exhaustif !) :
L'étude des "génies" pourrait faire penser que la créativité suppose des qualités exceptionnelles que certains grands êtres trouveraient dans leur berceau...
Il n'est pas nécessaire d'accepter cette impression au point de refuser une distribution "gaussienne" des aptitudes en général, des dons intellectuels, imaginatifs et artistiques en particulier.
Une condition existe pour permettre au "don" de s'exprimer. Elle se déduit facilement de ce que nous avons remarqué plus haut quant au caractère relationnel de l'invention, de la création, de la sublimation. Le créateur doit s'autoriser à l'être : s'il veut sortir de la redondance, il doit affirmer quelque chose de nouveau, de non réductible à ce qui existe déjà. Ceci suppose quelque pincée de "paranoïa" : le sujet doit arriver à se convaincre soi-même - et si possible autrui - qu'il est en mesure d'apporter du neuf, lui petit homme, au grand Toulemonde qui l'environne et le pénètre. C'est vrai de l'inventeur du stéthoscope ou de l'asepsie; c'est vrai aussi pour le peintre du dimanche, le concurrent des jeux floraux ou l'universitaire. A moins qu'ils ne se toquent de reproduire et de pourchasser leurs moindres erreurs par rapport au modèle. Le violon d'Ingres était-il moins créatif que son pinceau. Le bon sens dit oui, au prix d'une confusion : la démarche créative et son résultat.
Mais la démarche créative peut elle se poursuivre sans approbation sociale
? L'enfant qui joue avec l'eau de la flaque a seulement besoin que nous n'allions
pas l'en empêcher. Mais il dessine plus - et peut être mieux ? - si nous respectons
son oeuvre, il parle mieux si nous écoutons ce qu'il voudrait nous dire, il
chante mieux si quelque oreille recueille l'émotion de l'entendre. C'est dire
que les thérapeutes peuvent, par le simple intérêt qu'ils y portent - ou son
absence - être des éteignoirs ou des créateurs de créativité...
Il s'agit de certains enfants qui souffrent de lésion cérébrale ou d'autisme qui possèdent un "don extraordinaire" dans un ou plusieurs domaines : musique, échecs, art, mathématiques, spécialité bizarre (retenir tous les N° de voiture, calculer les calendriers du passé, etc...). Avant de manifester leur don, ils semblent parfois incapables d'apprendre à parler et la mesure de leur QI donne un résultat affligeant. Cependant, une fois leur talent "découvert et nourri", il arrive souvent qu'on puisse observer un changement de leurs capacités de bases qui elles aussi se découvrent ! Leur talent semble parfois simplement impliquer une capacité mémorielle inhabituelle. Mais quelques uns d'entre eux sont capable de créativité : ils peignent, sculptent, improvisent ou composent de la musique !
On a remarqué que bien souvent ces "savants" ont souffert de lésions cérébrales gauches; par surcompensation, cela aurait permis aux capacités attribuées au cerveau droit de s'épanouir. L'état d'éveil paradoxal tend à augmenter la cohérence des parties avant et arrière, mais surtout des parties gauche et droite du cerveau. Cette remise à zéro pourrait aboutir à faire décroître la "domination" de l'hémisphère gauche et par là à exalter les capacités attribuées à l'hémisphère droit.
Le mythe de création explique comment les dieux ont manifesté leur créativité dans le monde. Par moment ce pouvoir créateur est supposé décroître ou être battu en brèche par l'humanité.
Il doit alors être ré-initialisé, renouvelé, rafraîchi.
Ce renouveau prend place à la fin d'un cycle, quand la société comme un tout reexpérimente l'acte créatif originel. Durant ce mystère rituel de "création", toutes les règles et toutes les conventions de la société sont abolies. C'est de ce chaos du pouvoir que les conventions et institutions émergeront plus tard.
Theodor Gaster a signalé deux mouvements de base dans ce type de rituel.
Il y a interpénétration dans le rite des hauts faits divins et de leur imitation humaine. Or, ce type de rituel, commun aux Mésopotamiens, Egyptiens, anciens Grecs, est présent dans presque toutes les sociétés agricoles. On le retrouve aujourd'hui sous les espèces de traditions folkloriques ainsi que dans les arts du spectacle (théâtre, opéra, cinéma).
L'enseignement de la technologie cherche à donner aux élèves la capacité d'utiliser leurs connaissances dans la vie quotidienne. On les y incite en éveillant leur curiosité quant au fonctionnement des objets qui les entourent, à la nature des matériaux dont ils sont faits, aux outils qui ont été utilisés pour les confectionner. Des pionniers de l'éducation tels John Comenius, Maria Montessori et Johann PESTALOZZI encourageaient les enfants à travailler avec des matériaux et des outils variés. John DEWEY croyait que la créativité manuelle développait en même temps la créativité en général ainsi que l'intelligence.
Comment les acteurs pourraient-ils induire en eux-mêmes un état créatif qui les libérerait de la variabilité de leur jeu ?
Konstantin Stanislavsky chercha à établir une créativité "disciplinée"; pour cela il divisait le jeu de l'acteur en deux composantes : le travail sur soi (le "self") et le travail sur le "rôle". Pour le travail sur le self, il insistait sur la nécessité de libérer les mouvements spontanés, de réagir à des stimuli imaginaires, de se concentrer et d'utiliser l'expérience personnelle pour avoir la base du caractère à représenter.
Jerzy GROTOWSKI insiste sur l'importance d'une discipline
physique et spirituelle rigoureuse; même les jeux les plus acrobatiques
sont, pour lui, destinés à révéler une vérité intérieure.
L'étude des techniques de relaxation et de leurs effets, permet de les rapprocher, sur le plan physiologique des états de conscience modifiée par diverses méthodes de méditation ou d'oraison.
Du point de vue étymologique, relaxation se rattache à "laxus" qui signifie détendu et vaste, large, étendu. "Laxatio" désigne un espace vide, "laxamentum" une évacuation (cela nous a donné "laxatif").
"Laxus" se comprend par opposition à "artus, adstrictus, angustus et intentus".
"Artus" signifiait "ajusté, serré fortement"
"adstrictus" signifiait "serré, étroit, regardant, contraint par une règle"
"Angustus" signifiait "étroit, resserré, limité, étroitement mesuré, mesquin, borné"
"Intentus" signifiait "énergique, intense, violent, tendu, attentif, vigilant, sévère, strict"
La mise au large opérée par la relaxation s'oppose à toutes sortes de strictions, resserrements, étroitesses et mesquineries. Ceci du point de vue de l'usage musculaire qui ajuste les tensions et libère des contraintes (simples témoins de stresses révolus). Mais la patiente recherche des physiologistes a montré que cet élargissement concerne aussi bien - et peut-être plus - les strictions mentales, les tensions internes, les étroitesses de l'affectivité et de la réflexion ! Ne sommes nous pas aux portes de cet assouplissement de l'esprit que l'étude des inventeurs et des novateurs culturels situe au centre de leurs créations...
On peut décrire, à côté des états classiques de la conscience, un état de relaxation ou "quatrième état" caractérisé à la fois par l'éveil et le repos. Je vous propose de l'appeler "état d'éveil paradoxal". Le tableau ci-après résume ce qui le différencie de l'éveil et du sommeil trivial comme du sommeil paradoxal symétriques de l'état du sommeil avec rêves :
Repos | Activité | |
Eveil | Eveil Paradoxal | Eveil (trivial) |
Sommeil | Sommeil (trivial) | Sommeil Paradoxal |
état de repos trophotropisme |
état d'activité ergotropisme |
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E
V E I L |
éveil paradoxal communications cortico-corticales synchronisantes
(renforcement des rythmes et ) tonus localisé (posture et (R.O.T. ) tonus des vaisseaux périphériques besoins en oxygène respiration ample, lente et très régulière (avec phases d'apnée) vagotonie (pouls et T.A., péristaltisme ) homéostasie endocrine métabolisme très faible processus d'unification psychologique distanciation, simplification, renoncement |
éveil trivial communications cortico-environnementales désynchronisantes
tonus global d'action tonus des vaisseaux périphériques besoins en oxygène respiration courte, rapide et très variée sympathicotonie globale variations hormonales métabolisme très actif processus de focalisation exogène action, effort, combat |
S
O M M E I L |
sommeil trivial communications cortico-viscérales (synchronisantes) hypotonie globale respiration lente vagotonie globale métabolisme faible processus d'harmonisation organique abandon provisoire, remise à plus tard |
sommeil paradoxal communications cortico-corticales désynchronisantes hypertonie d'action oculaire respiration variée sympathicotonie sexuelle métabolisme actif processus focalisé endogène renforcement des motivations, enrichissement des perspectives électrogenèse spontanée |
Les tests dits de "créativité", malgré leur imperfection, donnent quelque indication sur l'aptitude à innover. L'utilisation d'une méthode de culture de l'éveil paradoxal (par exemple la MT) induit une augmentation des échelles "fluency", "flexibility" et "originality" au test de pensée créative de Torrance (forme verbale A).
processus d'oubli relativement aux préoccupations "accessoires"
du moment plutôt qu'effort d'actualisation des vestiges du passé. Le mot "accessoire"
implique une évaluation qui met en relation un objet psychique local et la globalité
du sujet (son désir ?). L'état de veille paradoxal peut alors être rapprochée
de la notion métallurgique du "recuit".
Shallice distingue les fonctions de "routine" des fonctions de "supervision attentive" qui permettraient le dépistage de certaines erreurs, l'édification d'hypothèses nouvelles ou de nouvelles stratégies. Cette instance pourrait surtout servir à décider ce vers quoi il faut tendre et ce qui doit être éliminé dans toutes les proliférations que propose l'imagerie mentale et d'autres sources de "nouveautés". Il s'agirait ici plus d'un système de sélection que d'un générateur de diversité.
Pour Changeux la phase "d'illumination" coïnciderait "avec une entrée en résonance de représentations mentales entre elles. Or, le cortex frontal, où cette résonance a vraisemblablement lieu est très directement lié au système limbique, engagé, quant à lui, dans les états émotionnels.
Toutes les activités humaines n'exigent pas la même dépense d'énergie. Pierre Janet nous propose une analyse très suggestive de ce point de vue énergétique en utilisant une métaphore tirée de l'électricité : il oppose la force psychologique (similaire à l'intensité électrique) à la tension psychologique (analogue à la tension électrique, c'est à dire à la différence de potentiel). La métaphore peut remonter jusqu'à l'observation des cours d'eau : débit versus dénivellation.
Pour obtenir une mesure de l'énergie psychique chez l'animal, on peut envisager divers protocoles : par exemple, l'animal doit tirer sur un dynamomètre pour approcher une nourriture dont il a besoin ou un partenaire sexuel. Mais comment, à force de traction égale, à dépense calorique identique, comment caractériser la différence de "tension psychologique" impliquée par deux activités qualitativement distinctes ?
Pourrions nous assimiler la "force psychologique", dans un système neuronal, au nombre de "spikes" par unité de temps, circulant dans ce système ou dans une coupe de ce système ?
La "tension psychologique" aurait alors pour mesure un indice de complexité, tiré des structures mises en jeu pendant cette même unité de temps (?). Cet indice de complexité pourrait alors concerner le nombre de niveaux hiérarchiques impliqués (par exemple le réflexe ostéo-tendineux fait appel (en première approximation...) à un seul niveau de traitement (spinal), alors que les réflexes de posture impliquent un nombre important de structures interconnectées (niveau spinal, bulbaire, cérébelleux). Cet indice de complexité pourrait aussi tenir compte de l'appel à des structures parallèles quoique de niveau hiérarchique équivalent (comme c'est le cas dans le réflexe conditionné).
La force psychologique a probablement quelque chose à voir
avec le nombre de bits par unité de temps, la tension étant liée à la complexité
de l'information (structure des spikes dans le temps et dans les voies).
Une pulsion est "sublimée" si elle est réorientée vers un but non sexuel, quoique psychiquement apparenté, et si elle vise des objets socialement valorisés (activité artistique, création intellectuelle).
Ce détournement, non seulement permet à l'énergie instinctuelle de s'exprimer comme réalisation culturelle, mais encore il est presque une condition de tout investissement culturel ... Comme bien des artistes, chercheurs et mystiques l'ont proclamé, voire institué, la répression sexuelle réussie et la mise à disposition de l'énergie ainsi détournée constituent un réservoir d'énergie utilisable pour l'expression artistique ou l'effort intellectuel.
"La transformation d'une activité sexuelle en une activité sublimée (ces deux activités étant dirigées vers des objets extérieurs, indépendants), nécessiterait un temps intermédiaire, le retrait de la libido sur le moi, qui rende possible la désexualisation." Cette opération "sert à instituer cet ensemble unifié qui caractérise le moi" et permet à l'activité sublimée de viser l'objet avec une tendance à l'unification, l'harmonisation, voire la fusion : ces caractères se retrouveront dans la notion de beauté artistique, d'élégance mathématique, de puissance pour une théorie capable de subsumer un grand nombre de faits expérimentaux. On les retrouve aussi dans l'extase du mystique, l'illumination du découvreur, voire la parole analytique...
Ce sont également ces caractères qui assurent la distinction avec des notions psychanalytiques techniquement voisines malgré des conséquences fort dissemblables : formation réactionnelle, inhibition quant au but, idéalisation, refoulement. Leur simple énumération suffit à évoquer la notion d'antagonisme dont la sublimation, dans son essence, est préservée.
On notera que la notion sublimation et d'un même mouvement la notion de créativité dépendent, pour une part au moins, de l'assentiment du groupe dans lequel s'inscrit le sujet. Lui même, hormis le cas de découverte scientifique vérifiée par l'expérimentation, ne peut s'arroger le pouvoir de décider que sa production a une valeur sociale : il doit obtenir l'approbation d'au moins un de ses interlocuteurs ! Ceci même pour une validation purement interne, purement subjective.
Remarquons cependant que deux théories de l'invention s'opposent : l'une pour laquelle l'invention est signée du sel nom de son inventeur, l'autre qui voit en elle le fruit d'une création collective dont les inventeurs (il y en a rarement un seul) sont les simples porte parole... Dans cette perspective, tous contribuent au progrès intellectuel et artistique et les moindres efforts, apparemment infructueux constituent le socle nécessaire des avancées les plus éblouissantes. La sublimation acquiert alors ses lettres de noblesse du seul mouvement subjectif de tout un chacun lorsqu'il offre à ses pulsions un but créateur alors même qu'au premier regard il n'a pas les moyens de son ambition.
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Lee attribue à la sublimation une fonction restitutoire ordonnée à la réparation symbolique des lésions imaginaires attribuées au corps maternel.
Pour les kleiniens, les "beaux arts" sont supposés capables d' apporter au sujet des satisfactions, un élément de solution, une forme d'équilibre. "Cela consiste à valoriser des activités qui semblent bien se situer dans le registre de l'explosion plus ou moins transitoire de dons supposés artistiques, qui paraissent, dans les cas envisagés, plus que discutables. On laisse ainsi complètement de côté (...) la reconnaissance sociale." (ce qui peut paraître tout à fait étranger au domaine métapsychologique, comme le remarque Lacan !) . Toute production d'art est datée.
Pour Lacan la sublimation peut s'adresser à un objet sexuel tout en conservant sa définition de désexualisation et de changement d'objet : il suffit que l'objet sexuel soit survalorisé. "C'est un paradoxe - la pulsion peut trouver son but ailleurs que dans ce qui est son but, sans qu'il s'agisse là de la substitution signifiante qui constitue la structure surdéterminée, l'ambiguïté, la double causalité, de ce que l'on appelle le compromis symptomatique."
Changement de but et non d'objet. Dans l'idéalisation, il y a identification du sujet à son objet : ce n'est pas le cas de la sublimation (Freud dans "Pour introduire le narcissisme"; cité par J.Lacan dans "L'éthique de la psychanalyse").
"La sublimation, qui apporte au Trieb une satisfaction différente de son but - toujours défini comme son but naturel - est précisément ce qui révèle la nature propre du Trieb en tant qu'il n'est pas purement l'instinct, mais qu'il a rapport avec das Ding comme tel, avec la Chose en tant qu'elle est distincte de l'objet."
La sublimation "élève un objet à la dignité de la Chose". Mais qu'est ce que la Chose : c'est "ce qui du réel - entendez ici un réel que nous n'avons pas encore à limiter, le réel dans sa totalité, aussi bien le réel qui est celui du sujet, que le réel auquel il a affaire comme lui étant extérieur - ce qui, du réel primordial, dirons-nous, pâtit du signifiant. Il s'agit de l'Autre chose, ce que nous recherchons dans l'ennui et la prière. La Chose est toujours représentée par autre chose.
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Le point de vue économique de Freud permet à la théorie psychanalytique de faire référence au domaine énergétique. On a remarqué maintes fois que c'était un point faible de son système, du fait que, cette "quantité d'excitation", nous ne savons pas la mesurer !
Il a montré un point fondamental : le quantum d'affect lié à une représentation ne lui est pas complètement lié. Il peut en être détaché et se reporter sur d'autres représentations, liées à la première.
La "Représentation", en terme neuro-physiologique
pourrait bien concerner une réalisation particulière d'une structure neuronique
loco-temporellement individualisable à un niveau hiérarchique donné du système
neuronique. Il serait utile de déterminer d'un point de vue purement formel
dans quelles conditions, une telle délocalisation d'une quantité d'excitation
dans un réseau largement interconnecté est permise et prévisible...
(l'humeur vs la dépression, le découragement, l'acédia)
Au sens étymologique, l'enthousiasme est un état de possession par le divin (-), autrement dite une transe inspirée.
La créativité dépend non seulement des capacités imaginatives et des compétences, mais aussi de l'enthousiasme (comme un cas particulier de l'humeur). Cette observation est bien illustrée par les changements de la puissance créatrice chez Victor Hugo par exemple : La publication des "Odes et Ballades" (1826) marqua chez lui le début d'une période intense de créativité. Pendant les 17 années qui suivirent, il publia des essais, trois nouvelles, cinq volumes de poëmes et la plupart de ses oeuvres dramatiques. En 1843 cependant, l'échec de sa pièce en vers "Les Burgraves", suivi par la mort de sa fille tant aimée Léopoldine, interrompit sa prodigieuse productivité ! Ainsi la créativité se montre-t-elle liée au niveau de l'humeur...
Comme Hugo, Balzac fut très productif et à la limite de l'excitation maniaque
(Jannot). Ce qui n'implique pas que tous les hypomanes soient créatifs ! Au
moins, pouvons nous espérer que leur ouvrir des voies d'expression puisse contribuer
à les apaiser, un peu comme la décharge cathartique pacifie, pour un moment,
l'hystérique.
Bergson a proposé les concepts de "durée intérieure", "évolution créatrice" tout en insistant sur les limites de notre intelligence. Le flux de la durée intérieure apparaît, pour lui, comme non métrisable, il ne saurait être soumis à la mesure; la personne humaine quand sa durée s'accroît, s'exprime dans des actes imprédictibles. Il développe ses concepts dans "Matière et Mémoire" (1896) en introduisant une théorie des interrelations du corps et de l'esprit. Il poursuit dans l' "Introduction à la métaphysique" (1903) en construisant une théorie de la connaissance où l' intuition joue un rôle éminent.
L'analogie a un destin bien curieux : utilisée par tous, les uns la portent aux nues de l'ésotérisme cependant que leurs adversaires s'en gaussent en s'appuyant sur l'adage évident "comparaison n'est pas raison". Certes ! Mais les plus rationnels d'entre nous y trouvent leur aliment lorsqu'il s'agit de faire plus que d'appliquer une procédure déjà connue. écoutons A. Connes et J.P.Changeux :
"le raisonnement par analogie comporte deux étapes.
1) D'une part la reconnaissance de l'analogie, qui est probablement l'étape la plus difficile à comprendre, et qui est probablement proche de la reconnaissance de des formes
2) D'autre part l'étape de réplication-traduction-amélioration." Il est
possible que pour ce faire nous utilisions le fait que nous avons deux hémisphères.
Cependant ce n'est pas indispensable : l'interconnexion gigantesque de nos neurones
est si riche qu'on peut imaginer cette réplication en de nombreux lieux, y compris
dans le cadre d'un seul et même hémisphère !
Alain Connes remarque à propos d'une de ses découvertes mathématiques : "A force de parcourir un champ d'exploration voisin mais disjoint, où les objets d'étude étaient plus nombreux et plus faciles à saisir, je parvenais à une expertise, à une intuition qui pouvait s'appliquer au premier problème. Il s'agissait donc d'un cadre, d'un champ d'exploration indirecte."
Cette remarque peut sans doute être généralisée à toute création : la nécessité d'une décentration au cours de la phase "d'incubation" serait alors fondée sur cette utilité, pour créer, d'importer dans un lieu psychique des données appartenant à un autre lieu : soit des concepts ou des structures, soit des images. Changeux rapproche cet accroissement de diversité des mutations biologiques auxquelles on doit la complexification de l'arbre biologique.
Après avoir été longtemps négligée, l'imagerie a gagné une
place des plus brillantes dans la psychologie contemporaine. On a étudié l'imagerie
et la créativité, les fantasmes, la rêverie, les rêves et même l'effet de la
télévision sur l'imagination enfantine ou le comportement adulte.
Dans les années 1920, le Surréalisme, au niveau de l'art, théorise l'incompatibilité de l'art et d'une attitude rationnelle qui serait répressive pour les pouvoirs créateurs de l'imagination. Il proclamait son admiration pour l'inconscient de Freud et pensait que le contact avec ces parties enfouies de nous mêmes pouvait conduire à quelque vérité poëtique. Quoique survenant en réaction à Dada, il bénéficiait de ses effets libérateurs.
Quelques unes des techniques Dadas furent adoptées par les
surréalistes, comme par exemple l'assemblage d'objets et de matériaux incongrus
pour former une sculpture. Les surréalistes s'inspirèrent également de peintres
fantastiques comme Hieronymus BOSCH, des Maniéristes et des mouvements romantique
et symboliste aussi bien que de l'art primitif et des oeuvres de psychotiques.
"The paradoxical waking state, an access to creativity"
Some altered states of consciousness go along with invention peaks and enhance creativity. These states are paradoxical : they are symmetrical to dreaming sleep states. They allow us to rebuild the very recent past and give way to new intra-psychic relationships. These paradoxical states induce consciousness simplification. They also promote the importation of analogies (linked to the moment) from the past. Yet, this importation of analogies seems more designed to forget the moment than to grasp the past data. The marginality of the creator is obvious, from the principle: he needs to belong to his society due to the necessity to answer the interesting questions. He has to be, more or less, distant of his surrounding, to bring anything not too trivial.
(11 novembre 1993)