Sophie Maegerlin
Le moins qu’on puisse dire c’est que le débat lancé par André Riehl ne fait pas rage. Il semble que quasiment personne ne remette en question ou ne s’intéresse au fait que le yoga puisse devenir un sport à part entière en rentrant aux jeux Olympiques. Certains même parlent très naturellement de « yoga sportif ». Peut-être faudrait-il jeter la polémique dans le stade pour assister à quelques joutes musclées dignes d’athlètes qui réfléchissent. Mais du côté du yoga, il semble que l’endormissement cérébral (trop de méditation sans doute) est gagné les fédérés qui comme tout un chacun sont plus préoccupés par leur gagne pain que par leur pratique.
Du côté indien, on s’indigne mollement et on accumule les preuves historiques afin de démontrer la logique intrinsèque de l’appartenance du yoga à l’activité sportive, les Nath nous-dit-on pratiquent la compétition… On ne nous parle pas de dopage, mais historiquement la consommation de produits illicites fait déjà partie intégrante de l’assimilation du yoga au monde du sport. Décidément le yoga rempli tous les critères pour rentrer aux JO et ses professionnels que l’Inde entraîne depuis des années donnent des spectacles tout à fait honorables lors des foires internationales où l’on vend des tapis anti-transpiration, des encens et des zafus multicolores.
Pour y voir clair il faudrait prendre Nandi par les cornes et commencer par s’entendre sur les mots. Mais les définitions parfois trop étroites engoncent le langage tandis que leur absence totale laisse place à la confusion la plus nébuleuse. Néanmoins, il nous faut trouver des points d’entente pour simplement s’écouter sinon s’entendre.
Pour faire simple nous dirons avec André Riehl, sans offusquer personne, que le yoga peut se résumer à la célèbre formule chitta vritti nirodha.
Le sport quant à lui à pour racine le mot desport qui signifie divertissement, plaisir physique ou de l’esprit, l’esprit faisant référence ici à la pratique des jeux de société chers à Gargantua.
En traversant la Manche desport devient « sport » évacuant du même coup les jeux de l’esprit pour se focaliser sur les seules activités physiques.
Le sport est un phénomène universel très ancien qui remue depuis ses origines des problématiques telles celles du professionnalisme, du dopage, des supporters et de l’arbitrage. La puissance du mouvement sportif est aujourd’hui considérable et s’allie à une économie spécifique qui fait vivre un secteur hétérogène assemblant des médias, des équipementiers, des franchises, des clubs, des médecins, des avocats, des entraîneurs, des conseillers en tous genres, des jardiniers, des cabinets d’architecture spécialisés et des sportifs professionnels. Nous pouvons ajouter à cette liste les industries et les commerces du bâtiment, du textile, de l’automobile, du spectacle et du tourisme. Certains clubs sportifs sont des entreprises cotées en bourse et les dérivés du sport brassent un volume d’argent qui participe largement à la machine économique des pays développés qui y investissent une part de leur PIB.
Le jeu, outre être l’apanage de la Lila est aussi comme le précise le Larousse : « une activité non imposée à laquelle on s’adonne pour se divertir, en tirer un plaisir ».
Le but de l’Olympisme modernisé par Pierre Coubertin en 1894 est de mettre partout le sport au service du développement harmonieux de l’homme. Cette « philosophie » affiche une conception humaniste appartenant à un courant politique de l’époque qui pose le sport comme un droit de l’homme. La Charte Olympique énonce la codification de ces principes fondamentaux, des règles et des textes d’application adoptés par le CIO. L’activité du mouvement Olympique atteint son point culminant lors du rassemblement des athlètes du monde au grand festival du sport que sont les jeux Olympiques.
Participer aux jeux Olympiques, on l’a constaté avec la Chine, est devenu plus que jamais un acte politique. La présence des chefs d’états, les protocoles et les budgets engloutis par les pays d’accueils montrent l’importance de cette célébration. Il est vrai que l’Inde brille peu sur les podiums des JO, le yoga s’il devenait un sport lui assurerait soudain une promotion sur le devant de la scène à la fois sportive et politique.
Mais le yoga est-il semblable au baseball, à la natation ou au cyclisme ?
Qu’est-ce qui le différencie d’une activité sportive ? Est-il un jeu ?
Il nous suffit de lire les définitions mentionnées ci-dessus pour répondre par la négative, le yoga aux vues de ces définitions aurait même un objectif opposé à celui du sport et du jeu, son but n’est pas de divertir mais d’arrêter la diversion, son but n’est pas de rechercher un plaisir mais de cesser d’en chercher. Pourtant il s’agit bien d’une activité physique. Mais toutes les activités physique ne sont pas du yoga et ne sont pas du sport.
Le yoga avant sa récupération et son exploitation par les occidentaux, était une activité n’appartenant pas à la sphère du profane mais à celle du religieux. Le mot religion est aujourd’hui discrédité par les laïques qui lui préfèrent celui de « spirituel » expurgé de cette notion grotesque de Dieu, notion réservée désormais aux « religions » elles-mêmes devenues synonymes de décadence et de violence. Ces mêmes laïques qui refont l’histoire à leur façons tout comme la religion le faisaient autrefois, accepte parfois du bout des lèvres d’associer encore le yoga à une forme de spiritualité édulcorée et politiquement correct. Là où on aurait pu attendre une levée de bouclier pour défendre le fondement même du yoga, c'est-à-dire en Inde, on clame que l’Inde est une démocratie depuis des siècles et qu’à ce titre, celui du plus grand nombre, elle peut faire ce qu’elle veut du yoga, décider qu’il devienne un sport, un support publicitaire pour boisson amincissante ou une activité de divertissement profane. Pourtant si vous vous promenez dans les villages et demandez au bon peuple de l’Inde même le plus naïf et le plus illettrés il vous répondra sans hésiter que le yoga est une méthode pour chercher et trouver Dieu, en vérité la seule efficace.
Vider les notions et les mots tel que religion ou yoga de leur substantifique moelle, semble être une des perversions les plus en vogue du Kali-Yuga. La confusion des genres et des esprits règne en maitresse sur nos territoires planétaires et vider le yoga de ce qui constitue son âme, le déraciner de ses origines divines, et en jeter la coque vide sur les pelouses des JO parait un destin inévitable. L’apathie, l’indifférence générale et l’opportunisme démocratique ou plus exactement capitaliste vont laisser se pervertir sans sourciller 4000 ans de tradition, de transmission pour le seul profit de quelques uns qui auront l’honneur de participer avec des dizaines de chefs d’états, dictateurs y compris, aux cérémonies d’ouverture des prochains JO.
En réalité ce phénomène aujourd’hui totalement légitimé d’un yoga réduit à une gymnastique a déjà un passé conséquent. L’entrée du yoga au JO ou dans le monde du sport n’est qu’une conséquence de cette laïcisation à outrance et vu sous cette perspective d’une implacable logique. Les compétences mise en avant par le sport : équilibre, force, motricité, vitesse, endurance, concentration, reflexe, dextérité etc.… correspondent parfaitement à la partie « physique » du yoga. La notion qui faisait du mot yoga -comme du mot religion- un lien, un liant, capable d’atteler ensemble physique et mental sera oublié au profit de l’effort, de la tension et de la volonté. S’abandonner à Dieu n’est plus au programme, une fois de plus nous nous crispons sur l’Avoir et dédaignons l’Etre.
Ceux qui cherchent Dieu à travers une pratique sont perçus comme suspects et dangereux. Et à plusieurs égards, ils le sont. Le non-agir est un pouvoir capable de contrer tous les pouvoirs mêmes les plus militairement armés. L’esprit n’appartiendra jamais au profane et au profit. Que les imbéciles s’emparent du mouvement et vide le visible de l’invisible présence est une constante historique humaine seulement amplifiée par les courants tourbillonnants de notre époque. Nous n’avons d’autre choix de laisser le yoga sportif aux sportifs, mais nous pouvons tout de même nous indigner même si nous savons la faible portée de notre voix. On peut seulement déplorer que cette partition crée encore une fois de la séparation dans un monde qui ne cesse de se fragmenter en créant de la confusion, on de devra pas s’étonner de voir bientôt enseigner le yoga sportif au cœur même des ashrams. Cette chose sans nom qui plane au-dessus de nos destinées montre parfois un humour redoutable qui échappe sans doute aux organisateurs politiciens indiens qui entraînent des enfants à devenir des contorsionnistes pour gagner des médailles.
Le yoga ne sera jamais touché ni même effleurer par les agitations des promoteurs et des philanthropes de papier. Il se retirera plus loin, comme ces léopards des neiges chassés sur les hauteurs, plus haut, toujours plus haut.
27 octobre 2008