Je me propose de répondre au texte de L. Danon-Boileau
: « Le trouble dans le féminin de l’homme », référé à la problématique
du double ainsi qu’à l’articulation du masculin et du féminin. J’ai par ailleurs
écrit sur le rôle joué par Tirésias
dans le cycle de Thèbes dans une démarche transculturelle qui est celle
de ce site, notamment par l’éclairage du tantrisme, en conjoignant les récits
mythiques des poètes (Homère, Pausanias) et des tragiques grecs.
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Je reviendrai sur deux points de l’article : d’abord
celui-ci prône le respect d’une ombre, d’un certain trouble dans le féminin
qui prévient l’homme de se trouver, dit-il, constamment en lieu et place de
voyant aveuglé. L’ombre est corrélative de la problématique du double
évoquée par ce texte que nous pouvons étendre, à partir de la polarité sexuée,
à toutes les structures doubles du sujet comme les deux axes du langage, nos
deux énergies à la manière du Yin et du Yang des chinois, etc. ; à ce
propos certaines séquences du mythe de Tirésias nous seront des plus utiles.
Sera abordé ensuite le rôle joué par Tirésias concernant la dialectique du
savoir et de la vérité dans le cycle thébain.
Je fais mienne par ailleurs la position épistémologique
de l’auteur concernant les phénomènes psychiques qu’il situe de l’éprouvé
corporel, via le cœur et les processus eidétiques de symbolisation. C’est
sur ce mode, en effet, que Platon, les philosophes grecs et la tradition en
général, nous invitent à élaborer ces processus « du sensible à l’intelligible ».
Des précisions sur une telle organisation topique et dynamique dans le cadre
du tantrisme sont développées sur ce site. Tantra signifie trame et partant
évoque ce que peut tisser ou nouer un sujet au niveau de son être, le corps
étant un lieu d’inscription, un tissu de signifiants. Nous retiendrons certains
des centres étagés, organisateurs de la psyché, appelés roues ou chakras,
au niveau desquels peuvent se décliner les diverses dimensions du féminin
et même du masculin… Très succinctement un chakra (que nous chiffrons :
le II, le III etc.) est constitué d’un élément perceptif (correspondant à
une des zones érogènes de Freud) et d’une sphère d’effectuation, d’intentionnalité,
via l’aire de représentation correspondante. Bernard Auriol, à chacune de
ces zones, à chacun de ces étages, fait correspondre une pulsion partielle
décrite par Freud ou Lacan.
Le centre de la gorge appelé Vishudda, le purifié,
(le VI) où sont prononcées toutes les voyelles, à la jonction de la parole
et du souffle, est le lieu d’arrivée de nos deux courants d’énergie, réels
ou métaphoriques, que nous tenterons de préciser. Tout est effectivement trajet,
circularité dans le tantrisme et les différents lieux de la psyché peuvent
rendre compte de ce que l’auteur nomme bisexualité de fondation, c’est à dire
d’indifférenciation (le II) et la bisexualité processuelle, effet d’un travail,
se situant « à la fin d’un trajet ».
La voie est donc tracée ! Nous nous interrogerons
sur l’articulation du masculin et du féminin et partant, sur la bisexualité
ou plutôt la bipolarité psychique, dans sa dissymétrie, élément bien connu
de la tradition et de certaines cultures, en reliant les divers champs de
référence au moyen de la linguistique.
L’ombre est la métaphore de la méconnaissance et du
savoir inconscient du sujet, métaphore clamée par Œdipe qui, dans « Œdipe
à Colone » à la suite de rétractions et de dénis, avoue au chœur (au
vers 547) qu’il a tué… « Mais ce meurtre a de quoi se justifier. Voici :
j’étais inconscient » - du grec « a-nous » :
« nous » désignant l’esprit (noétique, noumène), le conscient,
négativé par le « a » privatif ; le vocable « inconscient »
apparaît il y a 2400 ans sous la forme de l’adjectif et non du substantif
que nous connaissons. Nombres de termes désignent cette lacune dans le tissu
signifiant, l’Autre, le blanc, le manque, attachés aussi, surtout chez Freud,
à la féminité et au sexe féminin.
L’ombre est ce que le sujet a dû mal à reconnaître
et à tolérer en lui, ce sont des traits qu’il dévalorise, son côté négatif
et qui pourtant s’impose toujours à lui directement ou indirectement dans
ses rêves ou par ses symptômes, ou ceux de ses proches. Elle affleure dans
les dires du sujet sur le mode de la dénégation, ou simplement avec une notation
négative : « Ces handicapés il faudrait tous les tuer »
déclare ce père omnipotent qui ne reconnaît pas sa part d’ombre, l’altérité
en soi, et ne peut apporter empathie ou tendresse à son fils. La bipolarité
de l’ombre, connue dans la tradition par les termes d’animus et d’anima,
principes masculin et féminin, est formalisée par Lacan selon les « schémas
quantiques de la sexuation » concernant le côté homme et le côté femme,
référés à l’UN et l’AUTRE, l’identité sexuée étant le produit d’une identification
aux deux lignées paternelles et maternelles, la sexuation exprimant comment
un sujet est amené à se déterminer par rapport à la loi phallique et à la
castration du fait qu’il parle, la femme n’étant pas toute soumise à la castration.
Lacan, subjectivant l’énergie psychique, distingue différents types de jouissances
envisagées sous l’angle d’une aspiration, d’un désir, d’une tension de l’énergie
psychique, voire d’un excès (plus-de-jouir) à laquelle peuvent être soumises
les différentes pulsions partielles. Le signifiant du phallus introduit une
division de la jouissance : d’un côté il limite la jouissance, de l’autre
il l’autorise par l’effet du refoulement : c’est la jouissance proprement
sexuelle déterminée par le langage puisque tributaire du signifiant du phallus,
(associée à Vishoudda, le VI). A l’opposé est décrite de tout temps une jouissance
hors langage, dans un au-delà de la référence phallique, jouissance autre,
éprouvée par les mystique et certaines femmes, jouissance supplémentaire de
ceux qui ont commerce avec le divin comme Tirésias. Sur le versant chtonien
c’est celle du sujet livré à l’Autre, comme objet de sa jouissance, à connotation
incestueuse, appelée jouissance de l’être, non saisie dans sa signification
sexuelle.
Nous devons nous pencher sur l’intervention de Tirésias
lors de son apparition au 1er épisode, où est située d’emblée la
dialectique du savoir et de la vérité : celui-ci est mis par Œdipe immédiatement
en position de sujet supposé savoir « Toi qui scrute tout, Ô Tirésias »,
et ce dernier se refuse à soutenir une telle place, permettant à Œdipe de
découvrir progressivement et par lui-même sa vérité et donc à devenir de proche
en proche le clairvoyant. Tirésias occupe donc la position de celui qui sait,
mais qui ne peut dire d’emblée la vérité, celle-ci sera révélée à Œdipe aux
termes d’une joute verbale, d’une lutte au cours de laquelle Tirésias répond
avec maîtrise, en contrepoint, ménageant des écarts chaque fois mesurés aux
menaces et à l’agressivité d’Œdipe. C’est lui qui effectue la révélation sur
son identité : « J’affirme que c’est toi le meurtrier que tu
cherches » , « J’affirme que tu as, sans le savoir
avec des êtres qui te sont très proches, les relations les plus honteuses,
et que tu ne vois pas quel degré d’infamie tu as atteint » révélations
qu’Œdipe assumera de proche en proche au fur et à mesure de l’entrée en scène
des divers intervenants, chacun se rétractant au départ : Jocaste
èle messager corinthien, qui
l’a recueilli sur le Cithéron, et qui annoncera la mort de Polybe « Que
je meure si je ne dis pas la vérité ! »…è Le serviteur élevé au palais, qui a confié Œdipe au précédant, et dont
la révélation permettra à Œdipe de substituer Laios à Polybe au 4éme épisode.
C’est Tirésias qui révèle à Kréon dans « Antigone » sa perversité par la confusion
des lois relatives à la vie et à la mort : en effet Kréon maintient un
cadavre non recouvert au-dessus du sol, bravant la loi implicite, non écrite
qui prescrit d’enterrer ses morts ; et il menace une jeune fille de la
murer vivante « je l’emmènerai toute vive au fond d’un sous-terrain
creusé dans le rocher » (V. 773).
Concernant
la scène des deux serpents ou deux phallus enlacés que vit Tirésias, une des
séquences du mythe nous indique qu’Athéna, après l’avoir rendu aveugle, lui
aurait donné un bâton pour se conduire. Tirésias, selon certains écrits, est
à l’origine du mythe du caducée d’Hermès, mythe indo-européen, retrouvé sur
des tablettes de pierre en Inde. Ce caducée est une baguette dénommée axe
du monde autour de laquelle s’enroulent en sens inverse ascendant et descendant
deux serpents en forme de huit symbolisant nos deux courants opposés et complémentaires,
nos deux polarités, métaphoriquement chtonienne, (tournée vers les profondeurs
de la terre) et ouranienne, (orientée vers le ciel), de l’indifférencié à
l’organisé. La même approche se retrouve par le double enroulement autour
du bâton brahmanique des deux courants d’énergie, vecteurs du souffle et des
paroles que sont les deux Nadis du tantrisme (du sanskrit : Nad :
voie, chemin). L’axe du monde devient l’axe vertébral, et les deux serpents
sont les deux conduits (nadis) Ida et Pingala circulant
dans notre corporéité de part et d’autre du canal central Shushumna.
La finalité du Yoga étant d’orienter les énergies des divers canaux dans cet
axe central où circule, d’étage en étage, la kundalini,
qui a été comparée à la libido en occident. La kundalini est d’essence
féminine, le féminin étant actif en Inde.
·
Ida
Nadi commence au testicule droit et aboutit à la narine gauche ; sa polarité
est métaphoriquement féminine, lunaire.
·
Pingala
Nadi commence au testicule gauche et va à la narine droite ; sa polarité
est métaphoriquement masculine, solaire.
Ida rafraîchit et Pingala réchauffe, le yin et le yang des chinois.
Leurs voies d’arrivée sont les narines, lieu de filtration
de l’air, dont la vibration et la pulsation assurent la parole, laquelle se
déroule, comme la musique, dans le temps. Topiquement, elle est le produit
du centre vishudda, fort complexe dans le tantrisme, celui de la gestion du
monde sonore, et de la phonosensibilité dans son côté expressif et signifiant,
selon les lois du langage formulées de Saussure à Martinet, que ce soit
au niveau écrit ou oral : le discontinu et le continu de la chaîne signifiante,
impliquant :
- l’opposition, c’est à dire les écarts différentiels
des traits acoustiques qui sous-tendent les phonèmes constitutifs des mots,
éléments discontinus de la chaîne parlée, de façon à contraster le réel, de
distinguer, d’identifier un objet : ceci est autre que cela.
- la commutation,
la réversibilité dans le syntagme
: la combinatoire, permettant les substitutions au niveau du sens, méthode
usitée en hébreu lors d’exercices vocaux en permutant voyelles et consonnes
ainsi que pour la lecture d’un texte, avec le chiffrage. Exemple : Rime
à Emir, c’est à dire le retournement,
la commutation dans le continuum de la chaîne parlée, dans la succession,
au moyen d’unités de plus en plus vastes, que cela se situe au plan logique
ou mythique.
Claude Lévi-Strauss, situe le mythe, qui est langage,
dans l’espace ciel-terre avec les relations binaires se situant à tous les
niveaux que nous avons étudiés. Il ne s’agit donc pas de relations statiques,
mais de « péripéties », de retournements en leurs contraires d’unités
dynamiques selon l’axe vertical de l’espace du mythe, analogue à l’espace
psychique « du pied à la tête », associant la corporéité au langage.
Analysant le mythe d’Œdipe en recueillant toutes ses unités, les mythèmes,
à travers la multiplicité des aires géographiques dans lesquelles il apparaît,
et surtout au niveau des interprétations des différents auteurs au cours des
âges, Lévi-Strauss incorpore la version de Freud. Revenons au mythe de Tirésias
qui vit deux serpents en train de s’accoupler. A ce point, les auteurs ne
s’accordent plus : ou bien Tirésias sépara les serpents, ou bien il les
blessa, ou bien il tua le serpent femelle, ou les deux selon la version et
l’interprétation de M. Danon Boileau : le mythe, comme le rêve, permet la
libre association. Quoi qu’il en soit, le résultat de son intervention fut
qu’il devint lui-même une femme…
J’ai cité Vishudda, au niveau de la gorge, le lieu
de la parole et de la durée : le fait que Tirésias ait été successivement homme et femme, se mue
au niveau de la structure, au niveau
de l’organisation topique, en nos deux polarités côté homme /côté femme
(réceptivité, intuition, le féminin psychique de l‘auteur). Sur le mandala
figure le Dieu Shiva, l’effaceur, dieu de la destruction-reconstruction, représenté
sous sa forme androgyne. La moitié gauche de son corps est dorée et l’autre
est de la couleur blanche, celle de l’énergie féminine, la Shakti. L’union
métaphysique de Shiva (la substance, la conscience) et de Shakti (l’énergie)
est le fondement de toute création. Ce centre qui gère le monde sonore peut
nous aider à interpréter l’attitude de Tirésias envers les serpents car au
niveau structural nous retenons les signifiants : séparer, tuer 2 serpents
ou 2 phallus, un axe central. D’abord parce que sexe signifie séparation,
division au niveau du genre. D’autre part pour prononcer un mot il convient
d’abstraire, de négativer le réel, bref de s’en distancier pour élaborer le
symbolique : le mot est le meurtre de la chose, permettant à l’élément
sonore d’effectuer ses processus intra-psychiques.
Le signifiant
désigne le sujet, c’est la fonction thétique du langage, posant le sujet dans
son identité et ses choix selon l’axe
paradigmatique, l’axe du choix (paradeigma : le modèle), désignant :
- d’une part le sujet existant
avec le « Je », l’embrayeur, le shifteur de Jakobson qui nomme le
sujet de l’énonciation et nous avons vu avec quelle détermination Tirésias
s’adresse au tyran : « J’affirme.. »
- d’autre part le sujet sexué,
c’est le choix du genre, l’identité chez Tirésias alternant sur le fil du
temps, lequel est figuré sur les circuits représentés dans l’iconographie
sous forme des vecteurs que nous avons décrits (axe du temps).
J’ai évoqué plus haut au niveau du syntagme (la phrase), la commutation, la réversibilité, qui opère
un renversement de sens lequel autorise un renversement de la position du
sujet dans le transfert, de la passivité à l’activité, du IL au JE, du oui
au non. Cela implique que le sujet ne soit plus en rapport d’immédiateté avec
le monde et ses objets, ce qui a lieu dans l’établissement d’une distance
corrélative du renoncement à la toute puissance sur l’objet du désir. Au moyen
de la nomination du monde et de lui-même, le sujet accepte ce qu’il est, mais
il peut refuser de voir apparaître à sa conscience l’image de lui-même qu’il
n’accepte pas sous forme de « l’ombre » qu’il projettera sur l’Autre.
« L’ombre » ou le « double », éléments archétypaux, furent
étudiés par Rank (1973) et Jung en une abondante littérature : l’être
qui vient au monde se sépare de son double placentaire qui meurt, et pendant
ses premiers moments, c’est l’entourage qui est son double. Ce peut être aussi
le double hallucinatoire qui s’adresse au sujet, ou selon les cultures le
double en tant qu’âme du sujet, qui l’accompagne durant sa vie et lui survit
après la mort.
Toute l’équivoque de l’ombre se situe dans son oscillation
entre ses deux versants : inconscient, inconnu, voire refusé, et son
aspect créateur orienté vers l’idéal du Moi et le Soi jungien. L’ombre est
dissipée par la dynamique de la chaîne langagière qui toujours opère coupures
et rapprochements des unités linguistiques, sans oublier le médiateur, le
3ème terme de la dualité, la copule,
laquelle relie, (co apula = couple, dérivant de cum apere = attacher) à la
manière du verbe ETRE qui unit le sujet et l’attribut, ou la conjonction ET
qui unit deux mots ou deux phrases au sein d’éléments de nature antagonistes,
ce que les anciens nommaient « l’union des opposés », la « coincidencia
oppositorum » liant le masculin et le féminin, opérant l’articulation entre
nature /culture, vie/mort…
Lacan dans la « Signification du phallus »
(Ecrits, p 692) attribue à celui-ci le rôle de copule au sens symbolique et
littéral, dénotant par la logique linguistique un au-delà du lien charnel.
Notons que le tantrisme distingue trois types de phallus (lingam) du réel
au symbolique sur l’axe vertical de l’être. Par exemple, dans le chakra-racine,
le II, celui de la base du corps, se trouve « dans le triangle féminin
ou Yoni fiché le Shivalinga mâle » (Avalon) iconographie vénérée sur
les autels des temples attestant à quel point le masculin et le féminin sont
l’objet de représentations dans cette culture. Ce centre est impliqué, avec
le suivant, le III, dans des conduites protectrices et nourricières ( le féminin-maternel
), les deux suivants étant dotés d’une connotation plus séductrice et érotique,
le IV et le V.
Il n’est pas
certain que Tirésias n’éprouve un trouble dans son féminin, ni qu’il ne subsiste
une certaine ombre en lui, mais les faits se passent à un autre niveau chez
celui-ci, dans un centre qui transcende les positions identitaires, Ajna ou
le TROISIEME ŒIL, le VII, situé entre les deux sourcils. Au niveau des
deux pétales de celui-ci nous rencontrons le troisième phallus, décrit dans
les textes « brillant comme la foudre ». Celui-ci symbolise plus spécifiquement
les valeurs morales, la loi et les interdits rencontrés par le désir. Loi
du surmoi archaïque : pas un mot ! tu n’es rien. Loi surmoïque qui dépossède un sujet de sa parole, (la malédiction),
et loi symbolique, l’autorisant
à assumer son désir dans le bien-dire, loi par laquelle « il reçoit le
commandement d’un devoir de devenir » (A. Didier-Weill, 1995). Modalité
illustrant la maîtrise avec laquelle Tirésias répond aux tyrans, le situant
dans la tragédie du coté de l’éveilleur plutôt que de « l’arpenteur
de la scène primitive ».
Il s’agit de l’étage de la vision internalisée, de
la conscience, lesquelles sont informées par les plans sous-jacents, (passage
de la pulsion scopique à AJNA). C’est le plan de la pulsion épistémophilique
celle qui sied à Œdipe selon le jeu de mots : Oides=œdème=pieds enflés,
mais aussi Oida=je sais. Il a effectivement répondu à l’énigme de la Sphinge :
qu’est-ce que l’homme ? C’est à lui maintenant de découvrir l’énigme
qu’il représente pour lui-même : il remonte le temps et retrace son histoire
en un dialogue initialisé par Tirésias.
Il s’agit aussi
de l’approche du réel par la télépathie qui opère directement,
dans le silence, sans la médiation du langage. C’est ainsi que par ses perceptions
extrasensorielles, grâce à son intuition du présent, du passé et du futur,
Tirésias est en relation avec le monde divin en l’occurrence Apollon, dieu
de la divination, de la musique et de la poésie. Que ce soit inné ou du fruit
de son travail, le sujet parvient à une approche de la réalité par delà les
illusions, les traces anciennes, les passions, les émotions ; il accède
à la pure conscience, conscience infinie et informelle.
Dans la culture qui est la nôtre, c’est aussi le fait
de celui qui, au moyen de sa réceptivité, son anima, est à l’écoute de la
parole vraie de l’autre dans l’espace vacillant du symbolique. Il a été lui-même
à l’écoute de son ombre et de son trouble, de l’innommable, du vide, de l’abîme,
mais aussi du féminin en lui, ce qui concerne la question de l’altérité :
la femme engendre le même, du même sexe, et l’autre, de sexe différent (F.
Héritier), elle est source de l’altérité. L’amour est le passage à l’autre,
qui émane de la place que j’accorde à l’autre en moi. L’autre est un visage
porteur d’une voix qui m’interpelle et à laquelle je peux répondre. Je suis
donc mis(e) en position de répondant(e) et d’écoutant(e). La voix est le lieu
des signifiants, comprenant aussi le signifiant du manque, qui nous indique
que « tout » ne peut pas se dire. Un défaut, une aporie trouveront
leur élaboration dans un au-delà de la parole. Soulignons l’intérêt de démarches
comprenant une médiation corporelle s’adressant directement au trouble d’un
sujet et des pratiques méditatives tournées vers l’infini et la vacuité, le
silence contenant tous les mots passés et à venir.