Guérison et Psychanalyse

Conférence donnée par le Dr Bernard Auriol, à l'Université du Temps Libre

(UTLB, Tarbes, 6 Novembre 1992 ; publié in Parcours, 7-8, pp.279-285, 10 93)

 

La Psychanalyse revendique de n'être point une thérapie

Le terme de Psychanalyse ne comporte pas d'allusion particulière au fait de souffrir d'une maladie, d'en demander et, moins encore d'en obtenir, la guérison. Les théoriciens, à quelque courant qu'ils appartiennent, insistent sur ce point, soit pour en magnifier l'altitude soit pour en moquer l'inefficience. Ils s'accordent tous pour distinguer la méthode freudienne d'une véritable thérapie. Ceci concerne aussi bien les tenants de l'orthodoxie freudienne soutenue par la tradition de l'I.P.A. que ceux qui se rattachent au Lacanisme selon toutes ses déclinaisons.


 

L'étymologie conforte cet écart (entre analyse et thérapie)

Tout d'abord, le terme de Psychanalyse ne comporte pas d'allusion particulière au fait de souffrir d'une maladie.

En effet, à la différence du terme Psychothérapie qui inclut le mot thérapie, allusion directe à la notion de guérison, le terme psychanalyse comporte Psyché et Analyse. Il s'agit d'après les termes d'une ANALYSE de l'ÂME !

Psych-

Voyons la chose de plus près :y u c h , signifie "souffle, respiration, haleine" et par extension "force vitale, vie". On en est plus tard venu à désigner ainsi, l'âme de l'être vivant, le siège de ses pensées, émotions ou désirs et jusqu'à l'individualité personnelle. Les philosophes ont ainsi désigné la partie immatérielle et par là immortelle de l'être.

Nous sommes là tout près de la démarche spirituelle comprise selon un point de vue purement humaniste, distant à la fois du matérialisme et de la religion. Charles Baudoin insiste sur le fait que le thérapeute et le psychanalyste sont tous deux condamnés à faire oeuvre suggestive, même s'ils veillent à s'en défendre. Dès lors, explique-t-il, pourquoi ne pas assumer ce fait et user de suggestion selon un projet épuré, acceptable, voire idéal ?...

La racine est *yuw qui signifierait *bhes- souffler (en sanskrit on aura par exemple á -psu- = sans souffle, sans vie)... On comprend tout le parti que pourraient tirer de cette constatation les adeptes du Yoga, les sectateurs du Rebirth et plus généralement tous les praticiens en somatothérapie. Mais l'analyste lui-même, qu'il le proclame ou le passe sous silence, qu'il le fasse de manière subconsciente ou qu'il y soit attentif, doit nécessairement prendre en compte les évènements respiratoires de son analysant. Ce dernier, à plus forte raison, observera ces variations du flux aérien qui pourront le mettre bien souvent sur la voie d'une parole essentielle. De fait c'est la parole qui est pour l'analyse au premier plan. Elle est essentielle en tant que telle si on veut bien considérer sa fonction décisive chez l'être humain qui l'est par elle et peut à juste titre s'appeler un être de parole, un parlêtre comme dit Jacques Lacan...

Analyse

Le terme d'analyse est la deuxième part du mot psychanalyse : il vient de ana "tout à fait, complètement" et de luein qui signifie "délier, dénouer, détruire, dissoudre, payer" ou parfois "être utile". Avec ana cela donne "qui délivre, qui résoud, qui arbitre",...

"analusis" signifie "rachat, délivrance, libération, dissolution, solution". L'analyse du mot analyse, d'un point de vue étymologique, nous conduit à y voir la libération totale, la délivrance complète, la solution définitive.

La racine est lumen. On en rapproche le mot latin "luo" "payer, expier", le gothique nous donne "fra-liusan" (de *leus- ) : perdre... Et c'est vrai ! Mener à bien une psychanalyse comporte de payer et même de perdre. Dans un sens, il s'agit même de se perdre si on entend par "soi" quelque image de nous-même que nous avons, tant bien que mal, gelée pour en faire une entité représentable, un semblant, une forme, y compris très subtile de l'illusion scénique connue sous le nom de persona : ce masque a les traits caricaturés et la voix enflée qui convient à bien des performances au théatre de la vie. C'est pourtant, en toute vérité, un masque de fer, un masque-prison dont la puissance feinte constitue une apparence ironique !

Qu'est-ce ?

"Nous donnons le nom de psychanalyse au travail qui consiste à ramener jusqu'au conscient du malade les éléments psychiques refoulés. Pourquoi l'avoir appelé 'analyse', ce mot signifiant décomposition, désagrégation ? Ne fait-il pas penser au travail fait par le chmiste sur les substances qu'il trouve dans la nature et qu'il apporte au laboratoire ? Eh bien, parce qu'à un certain point de vue important l'analogie est réelle. Les symptômes du patient, ses manifestations morbides sont, comme toutes ses activités psychiques, de nature fort complexe; en fin de compte, les éléments qui forment ces combinaisons sont les émois instinctuels. Mais le malade ignore tout ou à peu près tout de ces facteurs élémentaires et c'est à nous qu'il appartient de lui faire concevoir la composition de ces formations psychiques si complexes. Nous ramenons les symptômes aux émois instinctuels qui les ont motivés et, de même que le chimiste décèle dans un sel l'élément chimique rendu méconnaissable par sa combinaison avec d'autres éléments, nous faisons apparaître dans les symptômes présentés par le malade, les facteurs instinctuels jusqu'alors ignorés du patient. Nous lui montrons aussi que certaines de ses manifestations psychiques, non considérées comme morbides, ont une motivation imparfaitement conscinte et que d'autres facteurs pulsionnels dont il n'avait pas connaissance y jouent aussi leur rôle." (de même pour les aspirations sexuelles, les rêves, etc)

utiliser la psychanalyse ?

Mais pourrait-on utiliser la psychanalyse dans le but principal et même unique de soulager la souffrance, atténuer ou supprimer des symptômes, retrouver un état "normal" ou même se borner à restituer l'état antérieur à la demande du sujet, état supposé sain ou à tout le moins acceptable ? Ne convient-il pas qu'elle serve à quelquechose, qu'elle soit utile et donc, qu'elle réponde à la demande initiale du patient qui annonce vouloir surtout se débarrasser de ses peines et se défendre de ses propres errements...

Les Aventures de PIP et POP

Une telle adaptation "pragmatique" de la psychanalyse a souvent été pratiquée et resurgit constamment sous de nouvelles formes. On rencontre ainsi PIP et POP. Ils n'ont pas forcément un destin funeste. Mais pas davantage les gloires qu'on voudrait. Certains prétendent qu'ils se bornent à colmater. D'autres vont jusqu'à parler d'emplâtre sur jambe de bois ! PIP et POP n'ont pas toujours des lendemains heureux... Au moins ont-ils des rejetons revendiqués ou non...

Des Voies bien intentionnées : les dissidents et leurs inventions

Au rang desquels on a du mal à joindre les dissidents dont la plupart ont voulu modifier, voire révolutionner l'approche Freudienne, pour, précisément, une plus grande capacité à guérir: Jung, Rank, Adler, Reich. C'est plus vrai encore des dissidents de dissidents : Lowen, Perls, Janov, Berne, Maslow, Vaughan, Bateson, Watzlawick, Rogers, Bandler et Grinder, Erickson, Orr, etc.

Des voix dissonantes

Sans parler, bien sûr des opposants qui s'inscrivent dans le courant behaviouristes (thérapie comportementale, cognitivisme).

La Cure Analytique

On parle pourtant de Cure analytique. Et c'est dire que l'analyste porte intérêt à son interlocuteur. S'il refuse comme objectif la guérison, ce n'est pas qu'il veuille garder plus longtemps les éléments de sa clientèle, mais il propose un objectif différent.

De cepoint de vue, il est utile de se référer au sens étymologique du mot "guérir" :

Guérir

"guarir" ou "garir" est attesté depuis le Moyen-Age jusqu'au grand siècle avec pour toute première signification : "défendre, protéger". Dans les langues germaniques nous avons *warjan (cf. en allemand : wehren qui signifie réprimer). Mais c'est précisément ce dont la psychanalyse propose de nous délivrer. Il s'agit d'alléger les répressions inconscientes que notre histoire a installé en nous, il s'agit de nous libérer de nos pitoyables et dommageables protections, ce que précisément nous appelons des "défenses" !

Freud définit ces défenses, ces "abwehr" comme un ensemble homéostatique qui s'oppose à tout changement. Elles agissent comme une sorte de congélateur psychologique ! Les forces dynamogènes (ou pulsions) sont tenues en respect, mises au pas, fut-ce au prix d'installer des symptômes.

Ces processus défensifs ne sont pas négatifs ou inutiles mais leur excès conduit à la construction des névroses.

Dans un sens, fortifier les défenses peut être assimilé à un renforcement de la névrose. Or, répondre à la demande de guérison dans son expression de premier degré consiste, bien souvent à déplacer des moellons pour étayer d'autres remparts. Le prisonnier ne vivra plus dans la même geole, elle sera plus avenante, plus moderne mais plus sûre !

Ce qu'il y a de particulier dans les mécanismes de défense inconscients et pathologiques, c'est qu'ils n'opérent généralement pas contre des agresseurs externes mais, au contraire, contre les forces vives du sujet lui-même ! D'autre part, au lieu de simplement évacuer les affects désagréables (par exemple rêver plusieurs fois un évènement traumatisant et lui faire ainsi abandonner son caractère menaçant ou inquiétant) le névrosé va refouler, c'est à dire activement rendre à soi-même inaccessible ce qui le dérange et pourtant lui appartient ! Il va refouler et s'adonner à une répétition qui aura toutes les allures de pas-de-chance !

L'inconscient est très inventif - et les théoriciens ne manquent pas de vocabulaire - d'où la floraison des concepts se référant aux mécanismes de défense : à côté du refoulement, nous aurons la régression, les formatioons réactionnelles, l'isolation, l'annulation rétroactive, la projection, l'introjection, le retournement sur soi, le renversement dans le contraire, la rationalisation, la sublimation, la négation par le fantasme, l'idéalisation, l'identification à l'agresseur, le clivage de l'objet, l'identification projective, le déni de la réalité psychique, le contrôle omnipotent de l'objet, la forclusion, etc...

Voulez-vous Changer de lessive ? OUI au transfert

L'étude du rêve, des phénomènes psycho-pathologiques de la vie quotidienne et de l'ensemble des symptômes névrotiques, comme du langage dans son fonctionnement le plus banal ont permis à Freud, Jakobson et Lacan de décrire le mécanisme de condensation qui fait coaguler divers signifiants selon un modèle qu'on retrouve dans la métaphore poëtique et le mécanisme du déplacement qui fait courir le signifiant par rapport au tissu des signifiés. Ce dernier mécanisme permet et impose la constitution d'un inconscient humain qu'il est dès lors difficile de postuler hors du monde des êtres parlant.

Ce mécanisme permet de fuir la vérité, que ce soit dans la maladie ou même la guérison et ne desserrera son étau aliénant qu'au prix de l'analyse...

De fait, la démarche analytique aboutit généralement à l'abandon d'un certain nombre de symptômes mais ne se réduit pas à cette "guérison" qui, dans certains cas constitue à peine le début de l'analyse. La théorie fait voir que les symptômes visibles, s'ils disparaissent, le font au profit de symptômes trans-parents : ils se mettent à tourner autour de l'analyse et de l'analyste; si bien que Freud déclare une nouvelle névrose : la névrose de transfert.

Viser, c'est louper !

La cure analytique est nommé comme soin, comme un traitement. En fait, elle s'oppose à la "cause" au sens latin de "causa" : maladie, infirmité. Laquelle "causa" est aussi ce dont débat le procès : l'affaire, la chose...

Viser la guérison peut même conduire à la rendre impossible : il ne s'agit pas de s'attaquer à une infirmité mais plutôt de débrouiller l'affaire, s'intéresser, prendre soin de la Chose. Comme le furet : toujours en recherche et pas facilement saisissable...

Il peut d'ailleurs être glorifiant pour le symptôme qu'on lui donne un privilège, qu'on s'intéresse à lui, même s'il s'agit de le pourchasser et de viser sa destruction. Il peut, bien souvent, s'en sortir indemne ou, comme le démon de l'évangile : étant chassé, revenir avec sept collègues en core plus terribles !

à qui gagne, perd !

Se féliciter d'une amélioration ou d'une guérison parait bien légitime. Dans le processus analytique, cela peut avoir des effets vicieux ! Je n'en dirai qu'un exemple : telle analysante se rendant chez son généraliste, apprend de lui qu'elle va beaucoup mieux, qu'elle a bien eu raison d'entreprendre une analyse, etc... Dans les semaines suivantes, on assiste à une rechute spectaculaire...

"Furor Sanandi"

Freud avec la sagesse que nous lui connaissons écrivait :"s'il faut tout dire, la furor sanandi, pas plus que tout autre fanatisme, ne saurait être de quelque utilité à la société humaine. Mais c'est granddement sous-estimer et l'origine et l'importance pratique des psychonévroses que de penser que ces affections peuvent être vaincues par des opérations pratiquées à l'aide de remèdes inoffensifs. Non, dans la pratique médicale, il y aura toujours place à la fois pour le ferrum et pour l'ignis à côté de la médicina et l'on ne pourra ainsi se passer d'une psychanalyse non modifiée, méthodique, qui ne craint pas de manipuler les émois psychiques les plus dangereux, afin de les maîtriser, dans l'intérêt même du malade."

Mourir guéri !

La guérison complète, que voudrait à tout prix le fanatique dénoncé par Freud, peut n'être pas souhaitable; au point de conduire à la catastrophe si elle est obtenue.

Pour en dire un mot je citerai seulement le cas de ce patient délirant, non traité par l'analyse mais par un neuroleptique efficace. Il revient à la raison, ne tient plus que des propos recevables, rentre dans sa famille et se suicide. Ainsi n'est-il pas toujours opportun d'obtenir la disparition de la pathologie, y compris la plus voyante, la plus grosière, la plus impressionante...

Une guérison épouvantable

Un auteur a prétendu que nous devions Hitler à un psychothérapeute particulièrement compétent. Le futur Fuhrer n'était alors qu'un soldat poltron, à peine plus antisémite que ses concitoyens. Gazé dans les tranchées de 1914, il est évacué. Aveugle, infirme, il ne peut retourner au combt. C'est alors que serait intervenu le Docteur Miracle : une bonne morale, des remarques acerbes sur sa poltronerie, la suggestion qu'il pourrait, avec de la fermeté, faire de très grandes choses pour l'allemagne et voici notre avorton d'hier transformé en ce que nous l'avons vu devenir ! Retour au combat de tous et puis solitaire : c'est Mein Kampf ...

Là où ça était, que je advienne

Cette "cure" est bien particulière dans la mesure où elle ne vise pas à éradiquer un ou plusieurs symptômes mais plutôt à promouvoir le Sujet, accoucher de soi.

Traverser le miroir et dépasser les illusions n'est pas de tout repos et ne promet pas immanquablement le bonheur de la quiétude. Ainsi est-on dans un autre registre que celui de la sagesse...

Freud nous précise un principe fondamental : "le traitement psychanalytique doit autant que possible s'effectuer dans un état de frustration, d'abstinence".

De quoi s'agit-il ? Non de priver le patient de toute satisfaction comme le proposera plus tard Arthur Janov, non de le priver de toute relation sexuelle comme l'ordonneront les sexologues Masters et Johnson.

Nous savons que c'est la frustration qui est à la racine de la maladie du sujet; les symptômes lui servent de satisfaction substitutives.

Au cours du traitement, nous constatons que toute amélioration de son état morbide ralentit l'allure du rétablissement et diminue la force pulsionnelle qui l'aiguillonne vers la guérison. Or cette force pulsionnelle nous est indispensable et sa diminution compromettrait l'accession au but poursuivi.

Conclusion inéluctable : nous devons veiller à ce que les souffrances du malade ne s'atténuent pas prématurément de façon marquée. Au cas où les symptômes ont été ainsi détruits et dévalués, nous sommes obligés de recréer la souffrance sous les espèces d'une autre frustration pénible, faute de quoi nous courrions le risque de n'obtenir jamais qu'une faible et passagère amélioration.

Et pourtant, ça vaut la peine.


Google
  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

26 Juin 2005