Tests de latéralité auditive sur la voix parlée

{Chapitre 4 : L’apport du découpage IDS dans la compréhension des aspects qualitatifs de la perception auditive et du contrôle de la boucle audio-phonatoire, Mémoire de fin d'Etudes soutenu par Charlie Sénécaut à l'École Nationale Supérieure Louis-Lumière, Section Son, rédigé sous la direction de Bernard AURIOL et Laurent MILLOT}

 

1. PROTOCOLE

Le protocole mis en place dans l’étude de la latéralité auditive se décompose en trois phases, indépendantes entre elles.

L’objet de notre étude étant la latéralité auditive, l’une de ces trois phases consistera à mesurer le seuil d’audibilité de chaque oreille afin de tenir compte d’éventuelles dissymétries. C’est le test audiométrique exposé dans le premier paragraphe.

Les deux autres phases de notre expérience traitent respectivement du rôle de l’oreille dans la compréhension et la production du langage articulé, ce que nous tenterons de mettre en évidence au moyen des tests d’écoute dichotique et de contrôle de la boucle audio-phonatoire décrits dans les paragraphes suivants.

1.1. Examen Audiométrique

Classiquement, l'audiométrie liminaire tonale en conduction aérienne repose sur une technique de recherche des seuils d'audition pour certaines fréquences fixes.

Cette technique, qui a peu évolué depuis les années cinquante, donne des valeurs pour seulement 6 à 12 fréquences, ce qui limite considérablement son pouvoir de résolution pour rechercher et/ou détecter les anomalies d'expression fine.

Dans le cadre de notre travail portant sur la perception de la parole, il était nécessaire de pouvoir à la fois choisir les bornes fréquentielles des stimuli envoyés ainsi que la précision en fréquence et en intensité à l’intérieur de ces bornes.


En effet, les appareils d’audiométrie classique proposent généralement les fréquences suivantes : 125, 250, 500, 1000, 2000, 4000, 8000 et 16 000 Hz. Dans le meilleur des cas, les appareils ORL, comportent aussi les fréquences 750, 1 500, 3 000 et  6 000 Hz. Or, ces fréquences, correspondant à des intervalles d’octave, ne permettent pas le dépistage d’un scotome qui, bien qu’étant important, ne correspondrait pas aux fréquences citées plus haut.

C’est donc sur les conseils du Docteur Auriol que nous avons cherché à utiliser l’appareil « Audioscan » de la société internationale de dépistage ESSILOR, et dont Monsieur Prosper Sotto, directeur de la Santé visuelle, nous a généreusement prêté un exemplaire.

La technique Audioscan est fondée sur un balayage fréquentiel, allant de 125 à 16 000 Hz par paliers de 64 fréquences par octave, « à niveau constant  [1] ».

Les plages de fréquences balayées et les niveaux explorés sont commandés automatiquement par un système, automatique, asservi à la réponse du sujet examiné.

La logique de l’algorithme est fondée sur la détection d’encoches auditives, puis sur leur exploration en fréquence et en intensité.

On effectue un premier balayage fréquentiel à un niveau de départ constant (par exemple 0 dB HL). Et, pendant ce premier balayage, le sujet tient un bouton-réponse sur lequel il appuie dès qu’il entend, et qu’il relâche quand aucun son n’est plus perçu, comme dans les autres méthodes automatiques issues de Von Békésy.

Si lors de ce balayage, le sujet entend tout le temps, l’audiogramme est une droite (qui dépend du niveau de départ) et l’examen est terminé.

Si les bords d’une encoche sont détectés, les fréquences correspondantes (f1 et f2) sont mémorisées, la fréquence centrale, fm, est calculée par le microprocesseur en tant que moyenne géométrique car l’échelle est logarithmique.

Le microprocesseur commande un nouveau balayage à partir de cette fréquence (donc d’une zone de non-perception), mais, avec un niveau supérieur de 5 dB par exemple. On détermine les nouveaux bords de l’encoche à ce niveau. Puis, grâce à des itérations successives, l’encoche est dessinée avec précision.

 La précision de l’audiogramme ainsi réalisé peut être très grande, elle dépend de la vitesse de balayage et du pas de progression en niveau.

Nous avons choisi, pour notre étude, une vitesse de 5 secondes par octave et un pas de  3 dB afin de disposer d’une précision relativement fine. Il nous importe, en effet, de prendre en compte les scotomes auditifs des sujets testés, et plus particulièrement le degré d’asymétrie de ces scotomes, dans l’interprétation des résultats des autres tests.

La durée de notre examen audiométrique varie, de ce fait, entre 5 et 10 minutes suivant les déficiences auditives des sujets testés.

Afin de préserver la confidentialité des informations obtenues pour les sujets ayant passé les tests, nous avons placé en annexe les résultats en substituant des numéros aux noms des sujets.

1.2. Test d’écoute dichotique

Le test d’écoute dichotique nous sert à déterminer si le sujet privilégie l’une de ses deux oreilles pour la compréhension du langage parlé.

Pour répondre à cette question, nous utilisons une version imaginée par Bernard Auriol qui diffère de celle décrite dans le chapitre précédent dans la mesure où les stimuli employés sont non plus des syllabes mais des phrases entières formant une histoire.

La raison motivant cette modification, rendant ce test « moins rigoureux mais plus global  [2] », est le souhait de s’écarter, autant que possible, des conditions de laboratoire très éloignées de celles de la réalité quotidienne du problème de réception du langage articulé.

Les tests dichotiques courants emploient des sons courts de façon à ce que le sujet les reçoive simultanément. Cela permet une exploration plutôt de ce qu’on appelle les niveaux « bas » du traitement du son par l’appareil auditif ; le procédé par phrases inclut toutes les étapes plus complexes jusqu’au niveau « haut » de la compréhension sémantique, émotionnelle, imaginaire, sociale des zones cérébrales variées qui gèrent et l’audition et le langage.

Avec ces deux histoires, diffusées respectivement sur les oreilles gauche et droite du sujet, nous espérons ainsi limiter la dimension artificielle et contre-nature au seul procédé de dichotomie de l’écoute.

Les deux histoires sont des contes allemands [traduits en français] des frères Grimm : « L’homme à la peau d’ours » (Der Bärenhäuter) et « Jean De Fer » (Der Eisenhans) et sont envoyées à l’auditeur pendant une durée de 7 minutes environ (l’enregistrement dont nous disposons nous permettant d’aller jusqu’à 11 minutes) durée à l’issue de laquelle, on demande au sujet de raconter ce qu’il a entendu et/ou compris.

Ce test fait donc intervenir la question sémantique ainsi que la mémorisation au détriment d’une simultanéité systématique et rigoureuse des stimuli propre au protocole décrit par Kimura.

Pour organiser nos résultats, nous utiliserons la notation employée par Bernard Auriol :

- si le sujet raconte le conte qu’il a reçu du côté gauche, il est noté (G) ;

- si c’est celui du côté droit (D) ;

- s’il les maîtrise tous les deux (DG) ;

- s’il mélange tout ou fait un récit incohérent (dg) [3] .

1.3. Test de contrôle de la boucle audio-phonatoire

a) Enregistrement de la voix

Dans cette troisième phase expérimentale, nous cherchons à obtenir la détermination d’une oreille préférentielle dans la tâche visant à contrôler sa phonation pendant l’acte du langage articulé.

À la différence des deux autres tests, celui-ci n’a été que peu exploité. Il n’apparaît, à notre connaissance qu’en 1980 [4] , puis en 1984 pour illustrer les propos de Yamina Guelouet dans sa thèse de médecine traitant de la latéralité auditive.

Compte tenu de ce nombre restreint de références, nous avons longuement hésité à établir la marche à suivre quant au suivi ou à la modification de ce dernier protocole. Celui-ci était exposé par Madame Guelouet comme suit :

« nous avons enregistré la voix de 36 sujets des deux sexes (18 hommes et 18 femmes) âgés de 5 à 55 ans dont la moitié entre 20 et 40 ans de la façon suivante : lecture pendant 5 minutes avec casque d'écoute réglé de telle sorte que l'oreille droite reçoive une amplitude supérieure à celle de l'émission et l'oreille gauche 1/10 de cette amplitude. Ensuite, lecture pendant une période équivalente mais en changeant de côté. Un sujet sur deux commençait par la lecture "droite" et un sujet sur deux par la lecture "gauche". L'amplificateur utilisé est celui de l'oreille TOMATIS réglée à -5 +5 et sans utilisation de la bascule électronique, le magnétophone, un Revox A77 pleine piste (Monopiste). [5]  »

Ce test, tel que présenté ci-dessus, utilise l’ « oreille électronique » de Tomatis, appareil difficilement accessible si l’on ne fait pas partie de la communauté de l’APP [6] .

Le fonctionnement de cette machine est basé sur un double filtre Baxandall :

- « A » : amplifiant les fréquences situées au-dessus de 1000 Hz, l’autre les atténuant lorsqu’elles se situent au-dessous de ce seuil ;

- « B » :  deuxième filtrage inverse puisque amplifiant les fréquences situées au-dessous de 1000 Hz.

« A » : Passe-haut au dessus de 1000 Hz

« B » : Passe-bas au dessous de 1000 Hz

L’entraînement de l’écoute bénéficie de la « bascule » entre ces deux types de filtrage.

L’oreille électronique de Tomatis est réglée en fonction du volume de la source de sorte que l’amplification aiguë se fasse pendant les trois quart de la durée environ. La source est un enregistrement dans les premières phases de la cure. Au cours de la deuxième phase, on demande au sujet de chanter ou de répéter des mots comportant des sifflantes puis de lire des textes dans le micro : la source est alors la voix du sujet lui-même.

Le système utilise le canal « B » lorsque le son est faible, par exemple si le sujet parle doucement ou ne fournit rien au micro qui ne traite alors que le fond sonore ambiant. Lorsque le son est plus fort, le signal est traité par le canal « A ».

La bascule est asservie à une détection réglable du seuil de basculement. Dans le système Bérard, dérivé de celui de Tomatis, la bascule se fait de manière aléatoire et n’est pas basée sur un seuil. Il en va de même de l’Hipérion d’Issartel.

Dans l’étude princeps sur la latéralité du contrôle vocal par analyse de la voix grâce à l’IDS, on n’utilise que le canal « A »

Pour reproduire ces paramètres, nous avons utilisé un filtre de référence Mach M20.06. Bien que ce filtre ait été conçu pour une utilisation dans le cadre d’une diffusion sonore, les traitements du signal audio possibles, sachant que seuls ceux associés au filtrage numérique nous intéressent ici, bénéficient d’une technologie dont la qualité correspond largement à ce dont nous avons besoin pour nos tests.

Il suffit ensuite de nous servir des potentiomètres panoramiques de la console de mixage pour envoyer les 9/10e de l’intensité sonore respectivement sur le canal gauche et sur le canal droit du casque du lecteur.

Le matériel utilisé dans ce test comprend les éléments suivants :

- un microphone professionnel de mesure B&K 4006 omnidirectionnel [7] ;

- un casque fermé Sennheiser HD-25 [8] ;

- une console de mixage analogique Behringer Henyx 1204 FX ;

- un filtre Mach M20.06 [9]  ;

- un logiciel d’acquisition audio, Pro Tools M-Powered, avec une carte son externe M-Audio 410 FireWire branchée sur un ordinateur portable MacBook de processeur : 2 GHz intel Core 2 duo et fonctionnant sous Mac OS X Tiger, version 10.4.11.

Le microphone nous permet à la fois d’enregistrer le son de la voix du sujet en vue d’une analyse future et de la lui restituer en temps réel avec le traitement adéquat : augmentation des fréquences aiguës et atténuation des graves.

Le signal microphonique est préamplifié par la console de mixage et on branche  directement sur la console le casque permettant à l’auditeur d’entendre sa voix.

Mais, il faut, avant cela, effectuer un aller-retour vers notre filtre afin que le sujet reçoive sa voix modifiée selon les paramètres de notre test.

Nous procédons ainsi au prélèvement du signal microphonique à un point de son parcours appelé “pré-fader“, c’est-à-dire avant son passage dans le potentiomètre de gain réglant l’intensité du niveau sonore utilisé pour la diffusion par le casque, afin de l’envoyer via une sortie auxiliaire vers notre filtre.

Nous utilisons également une deuxième sortie auxiliaire pour rentrer dans la carte son afin de numériser et enregistrer le signal au format wav à la fréquence d’échantillonnage de 44,1 kHz, avec une quantification sur 16 bits fixes.

Le signal arrivant dans le filtre ressort aussitôt modifié, par le filtre, pour être réinjecté dans la console sur une nouvelle tranche. C’est ce signal, que nous donnons à entendre au sujet.


Les paramètres du filtre Mach ont été réglés de la sorte :

- amplification des hautes fréquences selon un pente de 6 dB/octave à partir de la fréquence de 1 kHz et jusqu’à atteindre un gain de 6 dB (valeur atteinte à la fréquence de 2 kHz), gain qu’il conserve jusqu’à la fréquence de 20 kHz (fréquence potentiellement inaudible car située au-delà de la limite supérieure des fréquences perceptibles par l’homme) ;

- atténuation des basses fréquences selon une pente de 6 dB/octave à partir de 1 kHz et jusqu’à atteindre un gain de –6 dB (soit à la fréquence de 500 Hz), niveau conservé jusqu’à la fréquence de 20 Hz (limite inférieure communément admise pour la bande passante de l’oreille humaine).

b) Problème que pose l’analyse spectrale de la voix sur un échantillon de longue durée

À l’issue de l’enregistrement de la voix, il nous faut pouvoir interpréter la modification éventuelle de son contenu spectral (son timbre).

Mais nous sommes confrontés alors au problème suivant : l’analyse fréquentielle telle que proposée par les méthodes traditionnelles utilisant la FFT [10] montre certaines limites pour l’interprétation de ces résultats si le signal à analyser dépasse quelques secondes.

Or, notre signal à analyser, la voix du sujet en train de lire ou de parler, est fortement tributaire de sa durée dans le temps puisque nous sommes dans l’observation d’un phénomène global.

Les quelques minutes que dure le test nous permettent d’amoindrir les effets d’adaptation du sujet aux conditions inhabituelles du test ainsi que les effets potentiels de fatigue auditive.

Pour atténuer l’influence de ces deux paramètres, nous devons adopter le compromis suivant : une durée suffisamment longue pour que le sujet puisse s’adapter aux conditions du test, mais suffisamment courte pour éviter que la fatigue auditive n’intervienne.

Pour répondre à cette contrainte, il nous faut un appareil nous permettant d’effectuer une moyenne du contenu fréquentiel (ou de la densité spectrale) de ces voix enregistrées, ce qui nous a conduit à utiliser l’Intégrateur de Densité Spectrale ou IDS, décrit en détail dans le chapitre suivant.

2. DÉROULEMENT DES TESTS

Avant la procédure de test, il est demandé au sujet de remplir un formulaire reprenant le questionnaire d’Edimbourg [11] et renseignant sur la main préférentielle utilisée lors de dix tâches quotidiennes : écrire, dessiner, lancer un objet, utiliser des ciseaux, tenir sa brosse à dents, se servir d’une cuillère, serrer son mouchoir sur son nez pour se moucher, ouvrir une fenêtre, craquer une allumette, dévisser un bouchon.

Ce questionnaire est, selon Claude-Henri Chouard, « suffisamment détaillé pour servir de référence à la plupart des publications qu’il rend ainsi comparables [12]  ». Plus loin, il explique comment traduire les réponses données à ce questionnaire selon une échelle de Lickert à cinq degrés, afin de déterminer le degré de « manualité » d’un individu :

« cinq réponses chaque fois sont possibles : toujours à gauche = -10 ; habituellement à gauche = -5 ; sans préférence = 0 ; habituellement à droite = +5 ; toujours à droite = +10.

En additionnant les scores obtenus, on apprécie quantitativement la dominance manuelle entre les valeurs –100 (gauchers parfaits) et +100 (droitiers parfaits). Un score négatif correspond aux gauchers vrais, un score compris entre 0 et 70 aux sujets intermédiaires, et un score supérieur à 70 aux droitiers vrais. [13]  »

Ces résultats nous serviront dans l’interprétation des tests qui suivent, comme pour l’analyse des résultats de l’audiométrie tonale.

2.1. Test d’écoute dichotique

 

Le test d’écoute dichotique a été effectué pour un panel de sujets réunissant 34 personnes âgées de 21 à 55 ans. 14 d’entre elles sont des femmes et 4 sont des gauchers (obtenant un score négatif au questionnaire d’Edimbourg).

Le test se déroule comme suit : il est demandé au sujet d’écouter « une bande son » durant sept minutes, après quoi, nous lui demandons de raconter ce qu’il a entendu.

Lorsque l‘écoute est terminée, nous invitons le sujet à déposer la casque et à commencer son récit. Nous notons alors sur papier quelle histoire a été retenue ainsi que le degré de précision de la restitution.

Nous obtenons alors quatre types de résultats :

- le sujet n’a retenu aucune des deux histoires, donc désigné comme non latéralisé, il est noté dans ce cas (dg) ;

- le sujet a retenu l’histoire de droite avec précision et sera noté (D) ;

- le sujet a retenu l’histoire de gauche avec précision se voyant attribué la note (G) ;

- le sujet a retenu les deux histoires avec précision, on parle alors d’auditeur ambilatéral et on lui attribue la note (DG).


2.2. Tests de contrôle de la boucle audio-phonatoire

a) Tests préliminaires

Nous avons dans un premier temps demandé au sujet de lire pendant une dizaine de minutes un passage du « Petit Prince » de Saint-Exupéry. Tout en lisant, le sujet reçoit sa propre voix par l’intermédiaire d’un casque fermé [14] .

Sa voix lui est, pendant la première phase, d’abord restituée « au centre », ce qui signifie que chaque oreille reçoit la même chose, puis, pendant la seconde phase, nous lui envoyons tantôt les 9/10e de l’intensité sonore vers l’écouteur droit, le 1/10e restant vers le canal gauche, tantôt l’inverse.

Nous n’utilisons pas dans ces tests préliminaires de filtre modifiant l’équilibre basses fréquences / hautes fréquences.

La première phase consistant à habituer le sujet, lors de sa lecture, à une écoute de sa voix au casque, nous la faisons durer entre 1 minute 30 et 4 minutes en fonction de  l’habitude des individus à un tel procédé (la majorité des candidats étant des élèves ingénieur du son).

Puis, dès que le sujet paraît avoir tenu pendant une minute au moins un « rythme de croisière », nous lui atténuons le retour de sa voix d’un des deux côtés, et ce durant trois minutes environ, intervalle de temps là aussi fonction de la rapidité avec laquelle le sujet reprend un rythme de lecture constant.

Au bout de ces trois minutes, on inverse le processus, donc en atténuant le retour sur l’autre oreille, pendant une durée équivalente.

Bien sûr, le côté atténué en premier alterne suivant les individus testés afin d’avoir un nombre équivalent de sujets ayant eu le retour droit réduit en intensité sonore en premier, et de sujets ayant commencé par l’atténuation du canal gauche.

Enfin, pour tenter de nous affranchir le plus possible de l’influence de l’effet de surprise susceptible d’avoir pu intervenir lors de la première suppression, nous réitérons l’expérience en raccourcissant, cette fois, les durées à une minute pour chaque alternance afin de ne pas trop fatiguer le lecteur.

Nous procédons de la même manière pour quelques sujets en situation non plus de lecture, mais, d’interview sur un thème de leur choix qu’ils connaissent particulièrement.

Nous leur demandons de parler pendant environ une dizaine de minutes face au microphone, tout en s’entendant grâce au casque, et, nous exécutons les mêmes opérations en commençant par leur restituer leur propre voix sur les deux canaux gauche et droit pendant une phase d’habituation au casque avant d’atténuer l’un puis l’autre des circuits de retour.

À la fin de la lecture, ainsi qu’à la fin de l’interview, nous demandons immédiatement au sujet s’il a senti une différence lors de l’atténuation d’un canal par rapport à l’écoute binaurale.

Si la réponse est positive, nous lui demandons s’il a ressenti une différence entre l’atténuation du canal droit par rapport à celle du canal gauche.

La réponse confirme généralement notre première  impression : la majorité des sujets font abstraction de leur voix restituée par l’intermédiaire du casque et ne sont pas en mesure de répondre précisément à la question. Une minorité sent, effectivement, que le son passe d’une oreille à l’autre mais se révèle incapable d’en dire davantage.

Enfin, très peu des sujets sont en mesure de faire une corrélation entre l’apparition  d’une gêne et le côté du casque où le signal retour a été atténué.

Ces résultats, peu convaincants a priori, nous ont amené, avant de procéder à l’analyse IDS, à chercher un moyen plus probant de mesurer la latéralité auditive en situation d’auto-contrôle de la phonation.

Nous nous sommes alors dirigés vers les travaux de Martine Valère-Montaud, Gisèle Roth et Jean Ribo réalisés en 1978 [15] .

b) Tests de la voix répétée retardée (VRR) de Montaud

Afin de déterminer l’oreille préférentielle dans la production du langage articulé, les étudiants orthophonistes se sont inspirés du test audiométriques de Azzi.

Voici sa description telle qu'elle est donnée par Portmann dans son Précis d’audiométrie clinique [16]  :

« Cet auteur utilise comme bruit masquant la propre voix du sujet. Celui-ci est prié de lire un texte tout haut. Sa voix est captée par un microphone puis retardée d’une fraction de seconde et reproduite à l'intensité que l'on désire dans des écouteurs situés sur les propres oreilles du sujet. Même avec la plus grande volonté, il est absolument impossible de continuer à lire si l’on entend ainsi dans les écouteurs, légèrement retardées, ses propres paroles. En pratique, si le sujet est sourd, il peut poursuivre sa lecture. On augmente alors l’intensité du son des écouteurs jusqu'à l'obtention du bredouillement, le seuil obtenu donne une idée suffisamment précise du niveau de perte auditive du malade. »

Si le test d’Azzi, décrit ci-dessus, a été créé dans le but de déceler les simulations de surdité, c’est parce qu’il court-circuite la boucle audio-phonatoire.

En effet, un sujet normo-entendant cale son rythme d’élocution, mais aussi son intonation, son timbre, d’après le retour auditif qu’il a de sa propre voix (comme nous l’avons décrit dans le second chapitre), retour que l’on peut considérer comme instantané.

Or, en introduisant ce retard dans la voix restituée, ce sont les piliers sur lesquels repose l’apprentissage de la phonation qui vacillent, d’où la perte de fluidité, ainsi que de clarté de la voix dans l’exercice de la lecture.

À l’instar des étudiants de Monsieur Montaud, nous avons utilisé cette voix répétée retardée (VRR) pour court-circuiter l’une des deux oreilles exerçant le contrôle de la phonation lors d’une lecture à voix haute d’un passage du “Petit Prince“. L’autre oreille reçoit pendant ce temps le son synchrone comme dans les conditions normales d’écoute.

Ainsi, si le sujet utilise une oreille préférentielle pour asseoir ce contrôle, il aura plus de difficultés à lire si la VRR lui est envoyée de ce côté que de l’autre.

Et, si on observe une dissymétrie dans la gêne qu’éprouve le sujet lors de la lecture suivant l’oreille recevant la VRR, c’est  qu’il est latéralisé et contrôle son élocution grâce à cette oreille.

Concernant le temps d’écoute de la VRR, nous avons suivi le protocole utilisé dans les tests préliminaires, à savoir :

- première phase d’écoute, du son synchrone de la voix dans les deux oreilles afin que le sujet s’habitue aux conditions du test, phase durant de une à trois minutes suivant la rapidité d’adaptation de l’individu ;

- deuxième phase dans laquelle le sujet reçoit la VRR d’un côté, conservant la voix synchrone de l’autre pendant trois minutes, puis inversion des voies.

Nous avons pris soin d’alterner une fois sur deux l’envoi de la VRR vers l’oreille droite en premier.

À la fin du test, nous demandons au sujet de décrire les difficultés rencontrées afin de vérifier si cela confirme notre propre observation lors de l’exercice.

Une petite moitié des sujets semble en mesure de décrire une différence de la gêne provoquée par la VRR, suivant qu’elle est envoyée à droite ou à gauche.

Ils sont, par contre, peu à pouvoir préciser le côté le plus gênant. Mais, un deuxième test leur permet, en général, de s’en rendre compte.

Grâce à cette méthode, nous avons pu recueillir un certain nombre d’informations sur la latéralité auditive des sujets testés pour le contrôle de la boucle audio-phonatoire. Forts de ces informations, nous pouvons procéder aux tests tels que prévus initialement, c’est-à-dire centrés sur le contenu fréquentiel de la voix, en augmentant les hautes fréquences. Nous espérons, à l’aide de ces derniers, être plus à même de discuter des propos d’Alfred Tomatis concernant l’oreille directrice.

2.3. Tests de Bernard Auriol utilisant l’amplification des hautes fréquences

La procédure adoptée dans ces tests est plus simple que pour le test de la VRR.

Ce que nous recherchons, ici, c’est la perception, consciente ou non, de sa voix plus fortement chargée en fréquences aiguës qu’à l’habitude et de la prise en charge, éventuelle, par une oreille préférentielle du contrôle de cette voix.

Nous avons effectué le test sur 16 sujets composés de 6 femmes et 10 hommes. D’après le questionnaire d’Edimbourg, 12 d’entre eux sont droitiers vrais (8 garçons et 4 filles), 2 sont des gauchers vrais (tous deux sont garçons) et 2 sont intermédiaires (toutes deux sont des filles).

Ainsi, comme pour le test précédent, nous demandons au sujet de lire à voix haute pendant cinq minutes un passage du “Petit Prince“. Par contre, nous ne lui donnons pas à entendre, dans un premier temps, sa voix dans les conditions normales d’écoute au casque.

Durant ces cinq minutes, nous lui envoyons ainsi sa voix inhabituellement chargée dans ses composantes aigues et pauvre dans ses composantes graves. De plus, comme décrit dans le protocole de Yamina Guelouet, l’équilibre droite/gauche de l’intensité sonore perçue par le sujet, est, dès le début, modifié dans les proportions 9/10e d’un côté, 1/10e de l’autre.

Au bout des cinq minutes, nous arrêtons l’exercice et proposons au sujet de faire une courte pause en enlevant son casque. Puis, nous reprenons le processus en inversant l’équilibre droite/gauche : si, lors de la première phase du test, nous avons commencé par envoyer les 9/10e de l’intensité sonore à l’écouteur gauche, ces 9/10e sont maintenant envoyés sur le canal droit.

Nous avons fait en sorte qu’il y ait autant d’individus commençant l’exercice en recevant les 9/10e de l’intensité sonore par l’écouteur droit, que d’individus commençant par l’écouteur gauche.

De même nous avons tenu à ce que le nombre de sujets mettant le casque de façon à ce que le câble véhiculant le signal sonore arrive du côté droit soit identique au nombre de sujets le recevant du côté gauche. Et ce, aussi bien dans ce test que dans celui de la VRR. [17] .

3. analyses des tests

3.1. Test d’écoute dichotique

a) Résultats

Les scores obtenus sont les suivants :

- 24 % [18] d’ambilatéraux (DG), correspondant à 8 sujets sur 34 ;

- 35 % de non-latéralisés (dg), soit 12 sujets ;

- 29 % de latéralisés à droite (D), soit 10 sujets ;

- 12 % de latéralisés à gauche (G), équivalent à 4 sujets.

Ces résultats sont pour le moins en contradiction avec la littérature scientifique.

En effet, on trouve dans celle-ci, pour des sujets droitiers et pour la version syllabique de Kimura, 80 % d’individus privilégiant l’oreille droite dans le test d’écoute dichotique contre 33 % dans notre cas (10 sujets sur 30 droitiers). Et, dans l’étude de Yamina Guelouet, datant de 1984, les résultats obtenus sur 76 sujets montrent un score de 67 % de préférence du canal droit.

Le score le plus grand que nous trouvons dans nos résultats, 35 %, correspondant à celui des non-latéralisés, est sans commune mesure avec les 3 % trouvés avec le test de Guelouet.

Sur les 34 sujets droitiers, 9 présentent un cas d’ambilatéralité en retenant les deux histoires. Cette catégorie composée principalement de droitiers (8 sur les 9) expliquerait en partie la pauvreté du nombre de latéralisés à droite. En effet, dans les tests de Guelouet, on ne trouve qu’un seul cas d’ambilatéralité sur les 76 sujets testés. Il semblerait donc qu’il s’est produit, ici, un déplacement de (D) vers (DG).

Enfin le score le plus proche des résultats de Guelouet, mais se trouvant tout de même dans un rapport 2 en comparaison de ce dernier, correspond au nombre d’individus latéralisés à gauche. Celui-ci est de 12 % contre les 28 % de Guelouet.

Il nous faut préciser, ici, que tous les sujets testés par Madame Guelouet étaient des patients se plaignant de dyslexie, dysorthographie, retard scolaire, manque de dynamisme, timidité, etc.

En tout cas, tous étaient soumis aux tests parce qu’ils avaient consulté le Docteur Auriol pour un trouble qu’ils pensaient pouvoir être traité grâce au système d’entraînement de l’écoute par Oreille Electronique Tomatis.

La plus faible proportion de (DG), la plus forte proportion de (G) et de (dg) dans la population de Guelouet dépendent certainement au moins en partie de ce facteur. D’ailleurs, Montaud et coll. avaient bien montré que les gauchers et non-homogènes latéraux [19] étaient plus nombreux dans la population des élèves en difficulté ou redoublants que dans celle des élèves de niveau scolaire standard.

Ces différences pourraient s’expliquer également par le fait que les sujets testés dans notre étude, sont des étudiants de l’école Louis-Lumière (préparant à des métiers, pour les sections Son et Cinéma, où la parole est omniprésente) avec 14 sujets sur les 34 testés (soit 41 %) qui sont des apprentis ingénieurs du son. Il est probable que l’entraînement quotidien qu’ils exercent sur leurs organes auditifs pour analyser les scènes sonores, les incite malgré eux à vouloir écouter les deux histoires. Ceci permettrait d’expliquer l’importance des catégories (dg) et (DG) par rapport à des tests effectués sur une autre population.

Si la population testée est particulière, on peut proposer qu’il en va de même pour la « population des patients ». Il serait donc intéressant de mener l’étude à grande échelle s’écartant des deux populations spécifiques pour lesquelles des données sont maintenant disponibles, tout en veillant à ne pas exclure ces deux populations. Une analyse des résultats, à la fois pour l’échantillon global et pour chacune des populations spécifiques, devrait permettre d’apporter des éléments de réponse pour les différences observées entre la population des patients et celles des étudiants se préparant à une insertion dans les métiers du son et de l’image animée (cinéma ou vidéo, notamment).

b) Confrontation des résultats avec le sexe et la manualité

Globalement, pour l’effectif testé, il semblerait que les femmes soient légèrement plus latéralisées que les hommes et ce plus particulièrement à gauche.

En effet nous les scores obtenus par les femmes au test d’écoute dichotique sont répartis comme suit :

- (D) = 5 femmes sur les 14 participants au test ;

- (DG) = (dg) = (G) =  à chaque fois 3 femmes sur les 14 ;

Pour les hommes, nous avons :

- (dg) = 9 hommes sur les 20 participants au test ;

- (DG) = (D) = à chaque fois 5 hommes sur les 20 ;

- (G) = 1 seul homme.

Notons que Montaud avait trouvé, en 1988, un résultat qui l’étonnait dans sa comparaison des garçons et des filles. Il effectua des tests de latéralité à quatre niveaux : les mains, les pieds, les yeux, les oreilles sur 342 sujets filles et garçons allant du CP à la 6e. En comparant l’homogénéité de ces enfants avec leur niveau scolaire, il s’aperçoit que pour les garçons, l’homogénéité dans la latéralité (par exemple même côté préférentiel pour la main et pour l’oreille) est généralement synonyme de bon résultat scolaire. En revanche, pour les filles, on observe un pourcentage de sujets hétérogènes dans la latéralité sensiblement équivalent dans les deux cas [20] . Les tableaux suivants indiquent le pourcentage de droitiers, de gauchers et d’indéterminés pour les filles et les garçons (tableau 3) et le pourcentage d’homogénéité pour les deux sexes (tableau 4) : 

Tableau 3

%

Filles

Garçons

MD

53

72

MG

30

12

D=G

17

16

Chi 2 = 10,6 ; p < 0.01

Tableau 4

%

Filles

Garçons

Homogènes Main/oreille

54

69

Hétérogènes Main/oreille

46

31

Chi 2 = 4,752 ; p < 0.05

Si les femmes de notre étude se répartissent globalement de façon équitable dans les différentes catégories, il se dégage de ces résultats une tendance non négligeable à l’utilisation préférentielle de l’oreille droite lors de ce test d’écoute dichotique.

Nous avons vu que ce dernier constitue un indice de dominance cérébrale. Ceci nous conduit à penser que les femmes, testées ici, utiliseraient, pour 5 (ou un tiers) d’entre elles au minimum, leur hémisphère gauche pour la perception de la parole.

Il est également possible, sur la base de ce même critère, de considérer que pour 3 (un cinquième) d’entre elles, au minimum, la perception de la parole relèverait de l’activité cérébrale de l’hémisphère droit (correspondant à la préférence de l’oreille gauche).

En confrontant ces résultats au questionnaire d’Edimbourg, distribué en début d’épreuve, on remarque qu’aucune des 3 femmes ayant retenu l’histoire de gauche n’est gauchère. Lorsque nous  avons leur demandé la raison pour laquelle leur choix s’était porté sur l’histoire de gauche, nous avons obtenu les réponses suivantes :

- première femme : « Mon choix a été aléatoire, j’aurais tout aussi bien pu écouter l’histoire de droite » ;

- deuxième femme : « C’est un mot qui m’a plu au début, dans l’histoire de gauche qui m’a incitée à l’écouter jusqu’à la fin » ;

- troisième femme : « J’ai naturellement suivi l’histoire de gauche, l’histoire de droite ne m’est apparue que par bribes, ça me paraissait plus facile d’écouter à gauche ».

Seule la troisième réponse caractérise la sensibilité auditive de la personne. En observant alors son audiogramme (Audioscan 1), nous remarquons une dissymétrie entre la courbe de réponse de l’oreille gauche et celle de l’oreille droite. En effet, dans la zone située aux alentours de 2 kHz, l’oreille droite perd pratiquement 10 dB en sensibilité par rapport à la gauche. Ceci pourrait expliquer physiologiquement la raison d’une difficulté moindre, pour cette personne, lorsqu’elle se concentre sur le canal gauche lors du test dichotique.

On peut pourtant considérer que les dire des sujets testés ne sont pas nécessairement à prendre selon leur valeur spatiale ; en situation de test certains sujets rationalisent leur réponse en intégrant ce qu’ils croient avoir compris de l’épreuve. La réponse de la première femme selon laquelle le choix a été fait au hasard ne dit rien du mécanisme de ce choix. C’est précisément ce hasard qui mène à un choix plutôt qu’à l’autre qui nous intéresse. Le test ne prétend à aucun moment que le sujet ne serait pas capable de se comporter autrement, on cherche simplement à déterminer comment il s’est comporté spontanément

En ce qui concerne les hommes, la corrélation entre manualité et latéralité auditive est retrouvée : le seul homme ayant retenu l’histoire de gauche est gaucher. Notons toutefois un contre-exemple allant à l’encontre de l’hypothèse physiologique que nous avons avancée pour les femmes.

Audioscan 1

L’audiogramme suivant (Audioscan 2) est celui d’un homme gaucher (score de –60 au questionnaire d’Edimbourg), noté (dg) au test dichotique et présentant une dissymétrie dans son audition de plus de 10 dB, vers 1,3 kHz, en faveur de l’oreille gauche. C’est donc un cas d’audiométrie tout à fait semblable à l’exemple précédent, manualité exceptée.

Or, d’après l’explication que nous avons proposé pour ce dernier, cet homme gaucher aurait dû avoir plus de facilité à écouter l’histoire de gauche.

Audioscan 2

Ainsi, les seuls éléments décelables, pour cet échantillon restreint de sujets, que l’on peut proposer , sont :

- le choix plus catégorique des femmes de n’écouter qu’une seule histoire par rapport aux hommes, dont on pourrait rapidement penser qu’il traduirait le fait qu’elles sont plus latéralisées que les hommes, conclusion dont il convient de se méfier si on garde en mémoire la spécificité et la faible taille de la population des sujets testés ;

- l’absence globalement de corrélations entre la latéralité auditive et la manualité, puisque le nombre de sujets notés (DG) ne semble pas plus corrélé à l’état intermédiaire de manualité [21]   qu’à la « droiterie [22]  » ou la « gaucherie » : il faut aussi considérer ces conclusions avec beaucoup de précautions compte tenu du faible nombre de sujets testés.

c) Conclusion : réserves sur le test d’écoute dichotique

En introduisant la notion de sens, on ajoute indéniablement le risque que le sujet voit  son écoute orientée par un mot qui a, pour lui, une signification singulière suscitant en son for intérieur l’émergence d’une pensée ou d’un souvenir auquel il ne pourra rester indifférent et,  choisir d’écouter préférentiellement l’histoire contenant ce mot. On peut dont proposer que c’est l’aspect psychologique de la perception auditive qui risque de prendre le dessus sur l’aspect physiologique, dans ce genre de cas de figure.

Pour limiter les effets psychologiques qu’une telle méthode peut introduire, les deux histoires qui sont envoyées simultanément au sujet ont été choisies avec un vocabulaire le plus proche possible. On remarque, en effet, l’utilisation de mots-clés communs aux deux histoires et qui reviennent souvent au cours de chacune des deux narrations.

Il paraît alors peu surprenant que ces mots attirent d’autant plus l’attention de l’auditeur qu’ils sont entendus à plusieurs reprises.

De plus, si un même mot est présent plusieurs fois dans les deux histoires, il interpelle l’auditeur tantôt du côté gauche, tantôt du côté droit, « attirant » ainsi l’écoute de l’auditeur d’un côté puis de l’autre.

Cette interpellation est vécue différemment selon les sujets :

- certains cèdent à la tentation de changer d’écoute (et donc d’histoire) dès que le mot apparaît du côté opposé à celui sur lequel ils étaient jusqu’à présent concentrés : ces auditeurs ont alors du mal à obtenir une représentation globale de l’une ou l’autre des deux histoires, cessant de suivre l’une dès qu’un mot-clé est entendu dans l’autre ;

- d’autres, au contraire, résistent à la tentation de changer d’histoire à chaque apparition du mot redondant : ces sujets qui ont décidé de se concentrer sur une seule histoire (ou sur les deux) éprouvent alors souvent une gêne à chaque apparition de ce mot du côté qu’ils ont choisi de ne pas entendre.

Il est alors intéressant de remarquer que certains sujets, appartenant à la première catégorie, éprouvent plus de difficulté à rester concentrés sur une histoire selon que l’écoute se porte sur le côté gauche ou sur le côté droit.

Leur choix d’écoute n’est donc plus seulement lié aux mots que contiennent les histoires mais semble dépendre également de l’oreille où il apparaît. Il est alors tentant de supposer que cette différence de facilité d’écoute s’explique par un facteur physiologique comme, par exemple, une déficience d’audition concernant l’une des deux oreilles (facilement décelable à l’aide du test d’audiométrie).

Or, non seulement l’audiogramme ne confirme que dans peu de cas une telle corrélation, mais en interrogeant les sujets, on apprend que ces derniers décident d’écouter un côté plutôt qu’un autre en raison du confort d’écoute que permettent un certain débit de paroles (lent/rapide), un certain rythme, (régulier/irrégulier) ainsi qu’un certain aspect mélodique (monotone/mélodieux ou chantant) qui ne sont pas toujours les mêmes de chaque côté.

 

Il apparaît donc ici une certaine difficulté d’interprétation des résultats inhérente à la faible taille de l’échantillon testé, et, probablement à notre manque d’expérience dans les tests de perception de la parole.

3.2. Test de boucle audio phonatoire

a) Test de la voix répétée retardée (VRR) de Montaud

Nous rappelons que ce test est censé mettre en évidence le rôle dominant d’une oreille par rapport à l’autre dans le rétro-contrôle de la phonation pendant la lecture d’un texte. Nous avons, pour cela, provoqué la gêne d’une oreille puis de l’autre, à l’aide d’un décalage temporel du retour de la voix.  Si ce décalage est plus gênant lorsqu’il est envoyé d’un côté plutôt que de l’autre, nous espérons observer des modifications du spectre de la voix. Il s’agit donc de confronter les notes que nous avons prises sur la gêne observée avec les analyses IDS.

Les résultats de ce test n’ont pas été aussi fructueux que nous l’espérions. Sur 28 sujets testés, 11 semblent être latéralisés à droite, 3 à gauche, et les 14 restant ne  présentent pas de dissymétrie apparente.

Dans bien des cas, le sujet tente de faire abstraction du son de sa voix que nous lui diffusons dans le casque. Cette réaction du sujet est d’autant plus grande lorsque nous déclenchons le retard de 250 ms sur l’un des deux canaux.

Le premier effet perceptible est le bégaiement propre à l’effet de surprise du sujet qui entend tout d’un coup sa voix retardée d’un côté. Cet effet dure en général moins d’une dizaine de secondes. L’auditeur reprend ensuite peu à peu sa fluidité « naturelle » pour la reperdre dès que nous changeons de côté le retard. Plus le nombre de ces changements du canal recevant le retard est important et moins le sujet est déstabilisé. Il semble donc que le sujet parvient bel et bien à s’adapter à la gêne que nous lui imposons.

Après discussion avec le sujet, il semblerait que cette adaptation prenne plusieurs formes :

- certains sujets nous disent, en effet, se concentrer sur la lecture des mots, « n’écoutant pas » ;

- d’autres nous avouent s’habituer au retard de la voix et évacuer ainsi la gêne initiale ;

- d’autres, enfin, se concentrent sur leur voix osseuse (voix intérieure) s’efforçant de ne pas entendre leur retour par voie aérienne.

On voit dans tous les cas se mettre à l’œuvre un effort de triompher de l’épreuve qui s’appuie probablement, comme nous l’avons déjà évoqué, sur l’habitude de travailler de diverses manières avec les sons.

Pour chacun de trois cas, la voix osseuse paraît jouer un rôle important dans l’adaptation du sujet observée vis-à-vis de la gêne introduite. Un fait intéressant relevant vraisemblablement de la psychoacoustique et montrant bien cette habituation au retard de la voix, est la récurrence de la remarque :

« Au début c’était difficile, mais à la fin, comme le décalage de la voix était plus court, ça allait mieux .»

Or, le retard restait le même tout au long de l’exercice. Le sujet s’est donc, vraisemblablement habitué à ce retard et il a traduit l’atténuation de l’effet par une modification de la durée du retard perçu.

À la lecture des résultats des analyses IDS (portraits IDS) de nos enregistrements, nous constatons un fait surprenant : la conservation systématique de la 3e sous-bande [23] (200 Hz – 400 Hz) lors des comparaisons, entre eux, pour les différentes étapes de l’expérience.

On peut, notamment, s’appuyer sur la comparaison entre la voix enregistrée lorsque le sujet bénéficie d’un retour normal via les 2 écouteurs de son casque, et la voix enregistrée lorsque le sujet reçoit le retard de 250 ms à droite ou à gauche. Pour ce cas de figure, nous avons systématiquement procédé aux comparaisons, pour chaque individu, entre l’état  « normal » (pas de retard introduit) avec la version avec le décalage à gauche, puis à la comparaison de  l’état « normal » avec l’introduction d’un décalage pour le canal  droit.

Cette zone spectrale, de 200 Hz à 400 Hz, semble donc être caractéristique de la parole de chacun. Or, dans la littérature [24] , on remarque qu’elle correspond effectivement à une zone à cheval (mais aussi pouvant les inclure) entre la fréquence fondamentale de la voix d’un individu et les premiers formants des voyelles.

Nous retrouvons cette même constance pour la 2e sous-bande pour l’un des sujets de sexe masculin, et entre la 3e et la 4e sous-bande (c’est-à-dire qu’on observe constamment une modification inférieure à 1 dB pour ces deux sous-bandes) pour l’un des sujets de sexe féminin.

Autre fait remarquable, on note des modifications du spectre de la voix qui sont plus ou moins importantes selon les individus.

Lorsque nous confrontons ces degrés de modifications aux notes que nous avons prises lors de la procédure des tests, nous remarquons, bizarrement, que c’est précisément les sujets qui ont apparemment été le moins gênés par la VRR qui présentent les modifications globales les plus importantes de leur spectre.

L’inverse est également observé : les sujets qui ont davantage perdu leur fluidité dans l’acte parlé en présence de la VRR, présentent des portraits IDS peu modifiés.

Ceci conduit à nous poser la question de savoir s’il y a compensation entre la conservation du débit de la parole et la conservation du timbre . Et, par voie de conséquence, on peut aussi se demander si la variation, dans de fortes proportions, de l’un entraînerait l’invariance de l’autre.

b) Test de Bernard Auriol avec amplification des hautes fréquences

Tout comme le précédent, ce test a pour objectif de mettre ou non en évidence, l’utilisation préférentielle d’une oreille pour contrôler sa voix lors de la lecture d’un texte. À la différence du test précédent, néanmoins, nous avons simplement augmenté les hautes fréquences et diminué les basses dans le retour casque.

Un déséquilibre droite–gauche a également été réalisé dans des proportions 9/10e–1/10e favorisant alternativement l’oreille gauche et l’oreille droite durant cinq minutes à chaque fois.

De manière générale, nous n’avons pas noté de différence, à l’écoute, entre le rétro-contrôle gauche et le rétro-contrôle droit durant l’expérimentation. Nous avons donc procédé à l’analyse des portaits IDS.

En comparant les portraits IDS obtenus pour les 16 sujets, on remarque globalement, pour un rétro-contrôle par l’oreille gauche :

-                                               une forte densité spectrale, de 3 dB en moyenne, par rapport au rétro-contrôle droit, dans la première bande, celle des très basses fréquences (0 Hz – 50 Hz), pour 5 hommes et 1 femme ;

-                                               une densité spectrale plus importante, de 1,5 dB en moyenne, par rapport au rétro-contrôle droit, dans la cinquième bande, celle des medium (800 Hz – 1 200 Hz), pour 4 hommes ;

-                                               une légère hausse de densité spectrale, de 1 dB, par rapport au rétro-contrôle droit, dans la huitième bande, celle des suraigus (3 kHz – 6 kHz), pour un homme et une femme.

En ce qui concerne le rétro-contrôle par l’oreille droite, nous observons :

-                                               une faible densité spectrale, de l’ordre de 1,5 dB comparativement à un rétro-contrôle par l’oreille gauche, dans la sixième bande, celle des medium-aigus (1,2 kHz – 1,8 kHz), pour 2 hommes et 1 femme ;

-                                               une légère hausse de densité spectrale, de 1dB environ par rapport à un rétro-contrôle gauche, dans la neuvième bande, celle de la stridence (6 kHz – 15 kHz) pour également 2 hommes et 1 femme.

Les éléments qui semblent les plus pertinents sont donc :

-                                               un déséquilibre global de densité d’harmoniques de la voix en faveur du rétro-contrôle gauche, puisque lorsque le retour est à gauche, la voix semble plus chargée en medium, medium-aigus et sur-aigus ;

-                                               la présence de très basses fréquences en forte quantité ainsi que des medium, bien que dans des proportions moindres, dans le spectre de la voix d’une majorité d’hommes lorsqu’ils entendent leur voix par le canal gauche.

Précisons tout de même, que cette présence de très basses fréquences, lors d’un rétro-contrôle gauche concerne, chez les hommes, un gaucher sur deux.

L’un des deux hommes gauchers réagit comme les 4 hommes droitiers bien que dans de plus petites proportions : 2 dB d’augmentation des très basses fréquences au lieu de 3 dB en moyenne pour les hommes droitiers.

L’autre homme gaucher, au contraire, voit s’atténuer, de 3 dB, les très basses fréquences lorsqu’il  reçoit le son de sa voix à gauche.

4. Conclusion

Ce n’est pas sans prudence que nous avançons les conclusions de nos expériences. Deux aspects de celles-ci nous y invitent : d’une part, la dimension restreinte de notre échantillon et, d’autre part, la difficulté d’évaluer les résultats des tests comportementaux. Il nous semble, qu’afin d’atténuer les erreurs de mesures dues à l’interprétation de l’examinateur, il conviendrait de multiplier les tests sur un plus grand nombre de sujets, bien entendu, mais aussi avec différents examinateurs afin de réduire l’influence de ceux-là sur le relevé des mesures.

Si nous souhaitons tout de même faire état de nos observations, c’est que nous y avons distingué certaines tendances assez nettement.

Il semble ressortir des tests de la voix-répétée-retardée (VRR) la relation potentielle qu’entretient le rythme de la parole avec le timbre de la voix. Face à la gêne provoquée par la VRR sur l’un des deux canaux d’écoute, la modification du débit de la parole semble permettre la conservation de la manière dont l’énergie spectrale est répartie. Si, par contre, cette répartition est modifiée, on observe a priori la conservation de la fluidité dans le rythme de la parole.

Il faudrait cependant effectuer plus de tests pour vérifier, notamment, si la modification de l’un des deux paramètres est corrélé à l’envoie de la VRR vers un même côté.

Quant aux observations tirées du test de l’amplification des aigus, il semble que la différence de timbre de la voix suivant son contrôle par l’oreille gauche ou par l’oreille droite montre un avantage du premier sur le second. Lorsque les sujets utilisent leur oreille gauche comme contrôle de la phonation, la voix semble effectivement plus chargée en harmoniques. (sons allant de 800 Hz à 6 000 Hz) Cette conclusion irait à l’encontre de la théorie de Tomatis concernant l’effet du contrôle audio-phonatoire latéralisé sur les aspects chromatiques de l’élocution. C’est à dire que l’écoute gauche favoriserait un aspect non sémantique, plutôt harmonique de la parole.

Mais là, plus encore, nous estimons que le nombre de sujets testés est insuffisant pour affirmer cette tendance.

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6 Septembre 2008

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Niveau constant audiométrique. En fait il s’agit d’une moyenne dont les portions intercalaires sont obtenues à partir des données connues sur la sensibilité auditive (courbes isosoniques).

[2] AURIOL, Bernard. La clef des sons. Toulouse : éditions Erès, 1991, p.148 ; ISBN : 2-86586-179-1

[3] les publications à ce sujet sont : http://auriol.free.fr/psychosonique/OreilleDG/plan.htm et encore : http://auriol.free.fr/psychosonique/audilater.htm

[4] Dr Bernard Auriol et Pr Josserand, Recherche statistique à propos de plusieurs aspects de la latéralité auditive. C.R. de la 6° Journée du GRASP - Faculté de Médecine, Université de Créteil - 20 Sept 1980 (in fine)

[5] Contributions à l’étude de la latéralité auditive, Yamina Guelouet, pars 2-chap 3-3, thèse pour le doctorat d’état en médecine, Université Paul Sabatier, Facultés de médecine, Toulouse, 12 Janvier 1984.

[6] Audio-Psycho-Phonologie

[7] loué chez la société Tapages Nocturnes à Paris 

[8] Id.

[9] prêté par la société Embase Système Audio à Draveil

[10] Fast Fourier Transform : transformation de Fourier rapide, ou TFR, en français, terme générique regroupant les différents algorithmes, utilisés notamment pour l’analyse du signal vocal, et basés sur la transformation de Fourier (description d’un signal continu dans l’espace des fréquences).

[11] voir Annexe A3, p. 111.

[12] CHOUARD, Claude-Henri, L’oreille musicienne, Éditions Gallimard, 2001, p. 272.

[13] Ibid, p.272

[14] l’isolant de 20 dB environ de l’environnement sonore extérieur.

[15] VALIÈRE-MONTAUD, Martine, ROTH, Gisèle, RIBO, Jean, Oreille gauche, oreille droite. Recherche sur la latéralité auditive, 1978.

[16] PORTMANN, Michel, PORTMANN, Claudine, Précis d’Audiométrie clinique, 1988 (6e édition).

[17] Test de la voix répétée retardée de Montaud, décrit dans le paragraphe précédent.

[18] [Les pourcentages sont utilisés ici pour faciliter la discussion ; on gardera à l’esprit que cet usage est généralement prohibé par les statisticiens rigoureux qui ne se permettent d’utiliser les pourcentages que pour une population atteignant au moins 60 individus]

[19] Pour de plus amples informations à ce sujet, se reporter à l’adresse suivante : http://auriol.free.fr/psychosonique/OreilleDG/Pars2/depouillement.htm

[20] cf.  http://auriol.free.fr/psychosonique/audilater.htm

[21] Correspondant aux scores allant de 0 à 70 dans le questionnaire d’Edimbourg expliqué p. 53.

[22] Droiterie : néologisme pour désigner les personnes droitières.

[23] Voir Annexes A5, p. 116 et plus.

[24] Voir chapitre 1, p. 17.