Ce mémoire a pour dessein de chercher à mieux comprendre les mécanismes de la perception auditive. Afin de restreindre notre champ d’étude, nous nous intéresserons plus particulièrement au rôle qu’a cette perception auditive dans le contrôle de la boucle audio-phonatoire. Par cette expression nous entendons l’influence de l’audition sur la phonation lorsque nous cherchons à contrôler, via l’écoute, notre propre production de l’acte parlé. Nous voulons ainsi tenter de vérifier les deux premières « lois » qu’Alfred Tomatis proposa en 1957 à l’Académie des Sciences, et qui se formulent comme suit :
- « La voix ne contient que ce que l’oreille entend » ;
- « Si on rend à l’oreille lésée la possibilité d’entendre les fréquences perdues ou compromises, celles-ci sont instantanément et inconsciemment restituées dans l’émission vocale » [1] .
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Par la première loi, Tomatis entend par là que les non-entendants ou les mal–entendants ont effectivement du mal à se faire comprendre car il est difficile pour eux, voire impossible du fait de leur surdité, d’avoir un contrôle sur leur phonation, ce qui expliquerait notamment la difficulté qu’ils ont à articuler correctement les mots qu’ils prononcent.
Outre ses propos sur la possibilité de modifier l’écoute et d’obtenir par ce biais une modification de la phonation, Alfred Tomatis insiste fortement sur le fait que les deux oreilles ne sont pas égales dans la perception auditive en général et dans le contrôle de la boucle audio-phonatoire en particulier. Tomatis prétend, en effet, qu’il faut chercher à latéraliser notre écoute en développant davantage notre oreille droite qui, pour des raisons anatomiques qui sont loin de faire l’unanimité auprès de la classe scientifique, serait plus adaptée que l’oreille gauche pour assurer ce rôle de contrôle de la phonation.
Une mauvaise latéralisation des organes de l’audition serait, selon lui, à l’origine, entre autre, des troubles du langage et de la communication comme le bégaiement, mais aussi la dyslexie ou encore l’autisme [2] .
C’est sur ce point, la latéralité auditive dans la boucle audio-phonatoire, que nous concentrerons notre étude sur la perception auditive.
Nous utilisons, pour cela, la première version d’un appareil en cours de développement : l‘IDS (Intégrateur de Densité Spectrale) étendu et numérique proposé par Laurent Millot sur la base de la version analogique proposée par Émile Leipp et Sapaly.
Cet appareil permet d’effectuer une analyse de la répartition de l’énergie « spectrale » (ou fréquentielle) d’une scène sonore qui s’étale dans le temps. Cette analyse effectuée sur un stimulus d’une durée de quelques minutes est rendue possible en procédant à une moyenne (ou intégration) dans le temps. Cette première particularité de l’IDS constitue un élément pertinent d’analyse de la parole dont la production de sens, dans ses variations de rythme et de timbre, est tributaire du temps qui s’écoule.
Une autre particularité de l’IDS est la grande lisibilité des résultats proposés. En effet, les résultats correspondent à la répartition de l’énergie spectrale (ou balance spectrale) selon les bandes sensibles de l’oreille humaine (8 pour la version de 1977 proposée par Émile Leipp, 10 pour la version proposée par Laurent Millot), allant de la bande associée aux extrêmes basses (0- 50 Hz) à celle associée aux extrêmes aigus (15-22.05 kHz ou 15-24 kHz, notamment, suivant la fréquence d’échantillonnage utilisée).
L’IDS nous permettra donc d’analyser les modifications potentielles de la voix des sujets testés lorsqu’ils seront soumis à une écoute d’une version modifiée de leur voix.
L’ « Oreille électronique » d’Alfred Tomatis est un appareil dont le principe repose sur un filtre Baxandall qui effectue une amplification dynamique des aigus au dessus de 1000 Hz dès que le signal atteint un certain seuil d’intensité sonore. Le niveau global du signal est ajusté de façon à ce que la bascule vers l’amplification des aigus ait lieu les 3/4 du temps.
Nous chercherons dans l’un de nos tests, dont nous parlerons plus loin, à reproduire dans les grandes lignes le fonctionnement de cet appareil afin de nous rapprocher des expériences de Tomatis sur le contrôle de la boucle audio-phonatoire.. Nous mettrons, par contre, de côté le principe de la bascule qui déclenche le filtre à partir d’un niveau minimal d’intensité sonore, ce qui conduira dans notre test à l’amplification systématique des aigus.
Nous avons mis en place trois tests pour étudier la latéralité auditive. En préambule à ces trois tests, nous effectuons un examen audiométrique nous permettant d’obtenir des informations d’une part sur la sensibilité auditive des individus qui effectueront les tests de la latéralité auditive par la suite et, d’autre part, sur le degré de dissymétrie existant entre leur deux organes auditifs. Nous nous assurons ainsi que le sujet effectuant les tests sur la perception auditive entend correctement. De plus, la suite des expérimentations portant sur ce qui pourrait différencier ces deux organes, il est important de prendre en compte, lorsqu’il est fortement présent et avant toute expérimentation, l’écart de sensibilité auditive entre l’oreille droite et l’oreille gauche [3] .
Les tests mis en place sont donc :
- le test d’écoute dichotique, nous apportant un indice de latéralité auditive en ce qui concerne la perception auditive du langage (écoute seule) ;
- les tests de contrôle de la boucle audio-phonatoire dont on distinguera deux formes :
o le test de la voix-répétée-retardée de Montaud ;
o le test de contrôle fréquentiel de Bernard Auriol.
Le protocole de ce test est le suivant :
- chacune des deux oreilles du sujet reçoit simultanément, par l’intermédiaire d’un casque, une histoire différente pendant une durée de 7 minutes ;
- à la fin de l’épreuve, on demande au sujet de raconter ce qu’il a entendu. En fonction de sa restitution, on le note :
o « D » s’il n’a retenu que l’histoire de droite ;
o « G » s’il n’a retenu que l’histoire de gauche ;
o « DG » s’il a retenu les deux histoires intégralement ;
o « dg » s’il n’en a retenu aucune intégralement ou s’il mélange les deux.
Les résultats obtenus pour ce test sont les suivants :
Restitution |
Femmes (14) |
Hommes (20) |
Total (34) |
DG |
3 |
5 |
8 |
dg |
3 |
9 |
12 |
D |
5 |
5 |
10 |
G |
3 |
1 |
4 |
On remarque un nombre important d’individus, 12 sur 34, n’ayant retenu aucune histoire intégralement (catégorie « dg » comprenant le plus grand nombre de sujets) ainsi qu’un nombre non négligeable d’individus, 8/34, ayant retenu les deux histoires (3e catégorie en taille juste derrière les « D »).
Ces résultats sont à mettre en parallèle avec ceux de Yamina Guelouet qui effectua en 1984 pour sa thèse en médecine le même test d’écoute dichotique sur 76 sujets hommes et femmes, utilisant les mêmes histoires. Elle trouva alors :
- 69 % d’individus ayant retenu l’histoire de droite (« D ») contre 29 % dans notre test ;
- 18 % de « G » contre 12 % ici ;
- 12 % de « dg » contre 35 % ici ;
- et 1 individu sur 76 ayant retenu les deux histoires contre 24 % pour notre échantillon.
Cette différence dans les résultats pourrait s’expliquer par le fait que les deux populations testées comprennent toutes deux des individus présentant certaines particularités. En effet, les individus ayant effectué les tests dans notre étude, sont, pour 28 d’entre eux, étudiants à l’école nationale supérieure Louis Lumière dont 16 sont apprentis ingénieurs du son. Ces 28 individus évoluent tous dans un environnement artistique où la voix est omniprésente (particulièrement pour les sections « cinéma » et « son » de l’école) et les 16 apprentis ingénieurs du son ont pour habitude d’analyser quotidiennement des scènes sonores. Ceci pourrait expliquer la tentation pour les sujets de notre étude de vouloir analyser un “tout sonore“, dans un esprit de performance à réaliser et, du coup, de ne pas adopter la solution consistant à choisir une des deux histoires pour laisser tomber l’autre [4] .
Concernant les individus ayant effectué les tests de 1984, il s’agissait de personnes venant consulter le Docteur Auriol pour des troubles du langage. Il est donc difficile de comparer les deux populations d’autant plus qu’elles ne constituent pas le même effectif [5] .
Le tableau ci-dessous indique la corrélation entre la manualité des sujets, c’est-à-dire le fait qu’ils sont droitiers, gauchers, ou ambimanes, et leur latéralité auditive :
CorrélationMain/Oreille |
Femmes (14) |
Hommes (20) |
Total (34) |
Homogène |
5 |
5 |
10 |
Hétérogène |
9 |
15 |
24 |
On remarque qu’un tiers environ des sujets testés présentent une homogénéité dans la corrélation entre manualité et latéralité auditive pour la perception d’histoire.
Par individu homogène, on entend une personne utilisant préférentiellement, pour le test dichotique, l’oreille du même côté que celui de la main dont il se sert pour réaliser la plupart des taches quotidiennes (dont la première est l’écriture).
Les 2/3 des sujets sont donc hétérogènes, ce qui montre ici, la limite de la manualité comme indice de latéralité auditive pour la perception du langage.
La VRR est un procédé utilisé initialement en test audiométrique par Azzi [6] . Celui-ci se sert de la propre voix du sujet pour la restituer avec un retard de 250 ms ce qui correspond à un léger écho. Ce test est alors utilisé pour déceler les simulations de surdités.
En effet lorsqu’une personne se présente comme sourde suite à un traumatisme sonore, alors qu’elle ne l’est pas, il est difficile de mettre en évidence cette simulation avec un test audiométrique basique. Si par contre on lui propose, de se munir d’un casque et de lire un texte à voix haute, devant un micro, on peut vérifier très facilement si la personne simule ou non une surdité.
Le procédé est le suivant : la personne lit sans que rien ne lui soit envoyé dans le casque puis, petit à petit nous augmentons le niveau de sa propre voix restitué avec un léger retard jusqu’à ce que des troubles de langage apparaissent. Ceux-ci sont, en général, flagrant : la personne entendant sa propre voix avec un retard se met à bégayer. Si la personne continue à lire sans modification de son débit ou du volume sonore, c’est qu’elle est effectivement sourde.
À l’instar des étudiants en orthophonie rédigeant un mémoire sur la latéralité auditive sous la direction de l’orthophoniste Montaud [7] , nous nous servons de la VRR pour rendre inutilisable l’une des deux oreilles du sujet pour le contrôle de sa phonation, l’obligeant ainsi à se concentrer sur l’autre oreille [8] qui, elle, reçoit le son synchrone de la voix.
Nous comparons ensuite la gêne occasionnée entre l’envoi de la VRR sur le canal droit et son envoie sur le canal gauche. Le côté où la VRR a été la plus déstabilisante est censé refléter l’« oreille directrice pour l’élocution [9] » puisque c’est en gênant celle-ci que le sujet éprouve le plus de difficulté à lire.
Le protocole de ce test est le suivant :
- enregistrement d’une lecture à voix haute d’un texte pendant une durée de 8 minutes environ ;
- envoi, dans un premier temps, dans le casque du lecteur, de sa propre voix reprise par un microphone sans traitement particulier (conditions normales d’écoute stéréophonique) ;
- envoi, dans un second temps, de la voix-répétée-retardée de 250 ms dans l’un des deux canaux (gauche ou droit) pendant une durée de 2 à 3 minutes ;
- envoi, pour finir, de la VRR dans l’autre canal pendant une durée équivalente.
Durant l’épreuve, je note les réactions du sujet lors de l’envoi de la VRR vers chacun des 2 canaux. À la fin de l’exercice, j’interroge le sujet sur le côté où la VRR a été la plus gênante afin de comparer ses impressions avec mes observations. En général, leurs impressions et mes observations sont conformes.
Oreille “directrice “ |
Femmes (11) |
Hommes (17) |
Total (28) |
D |
4 |
7 |
11 |
G |
1 |
2 |
3 |
D = G |
6 |
8 |
14 |
Sur les 28 sujets testés, 14 d’entre eux (la moitié) semblent ressentir une gêne plus importante lorsque la VRR est envoyée sur un canal particulier. Pour l’autre moitié, on n’observe pas de latéralité auditive apparente.
Il semblerait que les individus fassent abstraction de ce que je leur envoie dans le casque, se concentrant sur leur voix osseuse (ou écoute osseuse) ou bien sur la lecture du texte sans s’occuper du rendu sonore.
Il est difficile de savoir à quel point l’écoute osseuse court-circuite le signal sonore envoyé via les écouteurs du casque [10] . De même il n’est pas évident de savoir si, pour continuer à lire en présence de la VRR, le sujet ne se rattache pas inconsciemment à l’oreille recevant le son synchrone lorsqu’il dit ne pas écouter ce que le casque lui donne à entendre.
Le tableau suivant nous indique les corrélations entre l’oreille préférentielle pour le contrôle de la phonation et la main préférentielle selon qu’elles sont du même côté (homogénéité) ou non (hétérogénéité) :
Corrélationmain/oreille |
Femmes (11) |
Hommes(17) |
Total(28) |
Homogène |
5 |
6 (35 %) |
11 |
Hétérogène |
6 |
11 (65 %) |
17 |
Nous voyons que seulement 1/3 des sujets utilisent préférentiellement l’oreille située du même côté que celui de la main préférée. Ces résultats sont à mettre en parallèle avec ceux trouvés en 1988 par les étudiants de Montaud et dont les tests ont été effectués sur une population de 342 enfants allant du CP à la 6e. Ils trouvèrent, pour les garçons, un pourcentage de 69 % d’individus homogènes contre 35 % ici. Cette différence serait-elle due, là encore, au milieu artistique dans lequel évoluent les sujets testés à l’ENS Louis Lumière [11] ? Difficile d’y répondre.
Quoi qu’il en soit, nous voyons ici qu’à nouveau, dans la population que nous avons testée, la manualité n’est pas corrélée à la latéralité auditive [12] .
Le tableau suivant nous indique les corrélations entre l’oreille utilisée préférentiellement pour le contrôle de la phonation, et celle utilisée préférentiellement pour l’écoute de la parole d’autrui selon qu’elles sont du même côté (homogénéité) ou non (hétérogénéité) :
Corrélation perception/ contrôle |
Femmes(11) |
Hommes(17) |
Total(28) |
Homogène |
5 |
9 |
14 |
Hétérogène |
6 |
8 |
14 |
Remarquons juste la non corrélation entre les deux latéralités auditives (perception uniquement et contrôle), quand elles existent.
Si nous confrontons maintenant, ces deux indices de latéralité auditive avec la manualité, nous obtenons le tableau ci-dessous :
Corrélationmain/perception/contrôle |
Femmes(11) |
Hommes(17) |
Total(28) |
Homogène |
2 |
5 |
7 |
Hétérogène |
9 |
12 |
21 |
Comme nous pouvions le prévoir, compte tenu des tableaux précédents, peu de cas d’homogénéité apparaissent ici.
Si nous nous intéressons maintenant aux résultats de l’analyse effectuée avec l’IDS sur les voix enregistrées des sujets effectuant le test de contrôle de la phonation, nous observons un phénomène intéressant. Il semblerait, en effet, que la perturbation rythmique apparaissant en même temps que l’envoi de la VRR sur l’un des deux canaux n’entraîne pas forcément une modification de la répartition de l’énergie spectrale. Au contraire il semblerait même qu’il y ait une corrélation négative entre la modification du débit (rythme) et la modification du timbre de la parole.
Dans le tracé IDS ci-dessous, nous pouvons observer le peu de modification de la répartition de l’énergie spectrale pour un sujet qui a éprouvé de fortes difficultés à continuer à lire lorsque la VRR lui était envoyée.
![]() |
En rouge nous avons la répartition de l’énergie spectrale de la voix du sujet lorsque celui-ci recevait la VRR sur le canal gauche, le tracé noir correspondant à la VRR à droite.
Sur le graphe suivant, par contre, nous observons que les modifications de la répartition de l’énergie spectrale de la voix sont plus importantes selon le changement de côté de la VRR. Pour autant, le sujet n’a montré, lors de l’épreuve, que peu de perturbations si ce n’est une augmentation du volume sonore dans la production de la voix.
![]() |
Ici, également le tracé rouge correspond à la VRR à gauche tandis que le noir indique la répartition de l’énergie spectrale de la voix du sujet lorsque celui-ci reçoit la VRR à droite.
Il est difficile de tirer des conclusions compte tenu du petit nombre de sujets sur lesquels ont été effectués les tests. Néanmoins, on peut retenir :
- la limite, là encore, de la manualité comme indice de latéralité auditive dans le contrôle de la phonation.
- l’absence de réelle corrélation entre latéralité auditive uniquement perceptive (révélée avec le test d’écoute dichotique) et la latéralité auditive de contrôle (révélée avec le test de la VRR) ;
- l’éventuelle corrélation entre la conservation du rythme et la modification du timbre de la parole, et inversement.
Il s’agit ici de vérifier la pertinence des propos de Tomatis selon lequel, le contrôle de la phonation par l’oreille gauche entraînerait la suppression dans la voix d’un grand nombre de composantes fréquentielles responsables de la richesse du timbre vocalique. Comme Tomatis utilisait, pour rééduquer l’oreille de ses patients, l’ « oreille électronique » conçue par ses soins et exposée en introduction de cette synthèse, nous avons voulu placer les sujets de notre étude dans des conditions similaires.
Nous utilisons pour cela un double filtre Baxandall : l’un augmentant les fréquences supérieures à 1 000 Hz de 6 dB/octave et maintenant cette accentuation de 6 dB de 2 000 Hz à 20 000 Hz, l’autre atténuant les fréquences inférieures à 1 000 Hz de 6 dB/octave et maintenant cette atténuation de 6 dB de 500 Hz à 20 Hz. Nous avons ainsi un écart de 12 dB entre les fréquences supérieures à 2 000 Hz et celles inférieures à 500 Hz.
Le protocole de ce test est le suivant :
- enregistrement d’une lecture à voix haute pendant une durée de 10 minutes environ ;
- envoi de 9/10 de l’énergie sonore sur le canal droit durant les 5 premières minutes ;
- envoi de 9/10 de l’énergie sonore sur le canal gauche durant les 5 dernières minutes.
Tout comme pour les tests précédents, afin de minimiser les effets potentiels d’ordre de présentation dans la procédure des tests, l’ordre droite-gauche dans lequel nous effectuons l’expérience, est, bien sûr, inversé une fois sur deux.
Le tableau ci-dessous nous indique les modifications de la répartition de l’énergie spectrale de la voix de 16 sujets testés (10 hommes et 6 femmes) lorsque l’on passe d’un contrôle de la phonation via l’oreille droite à un contrôle de la phonation via l’oreille gauche :
- sont exposées, dans la colonne de gauche, les sous-bandes pour lesquelles les modifications les plus importantes ont eu lieu ;
- sont indiquées ensuite les sommes en dB [13] des augmentations et des atténuations correspondant au nombre de sujets marqué entre parenthèse ;
- on lit, dans la troisième colonne en partant de la gauche, la somme globale des augmentations et atténuations pour la sous-bande concernée. Ce nombre en dB nous donne un indice concernant l’orientation que prend la modification de l’énergie spectrale lorsque le sujet passe d’un rétro-contrôle droit à un rétro-contrôle gauche ;
- enfin, la dernière colonne indique la somme des écarts, indice de degré de variation de l’énergie spectrale pour la sous-bande concernée.
Sous-bande |
Évolution D -> G (H+F=16) |
Somme |
Somme des écarts |
1 (0-50 Hz) |
+21,2 dB (6) ; -8,5 dB (5) |
+12,7 dB |
29,7 dB |
2 (50-200 Hz) |
+3,8 dB (2) ; -3,5 dB (3) |
+0,3 dB |
7,3 dB |
5 (0,8-1,2 kHz) |
+7,3 dB (4) ; -3,9 dB (3) |
+3,4 dB |
11,2 dB |
6 (1,2-1,8 kHz) |
+4,5 dB (3) ; -2,5 dB (2) |
+2 dB |
7 dB |
Nous observons, par exemple, pour la sous-bande numéro 1, celle des extrêmes basses, la plus importante modification de l’énergie sonore puisque la somme (dynamique) des écarts approche les 30 dB. Les modifications de cette sous-bande vont globalement dans l’augmentation de l’énergie (somme de +12,7 dB) lorsque le sujet passe d’un contrôle de la phonation via l’oreille droite à un contrôle de la phonation via l’oreille gauche. En fait 6 des 16 sujets ont vu augmenter l’énergie contenue dans cette sous-bande (somme de 21,2 dB) lors d’un contrôle gauche par rapport à un contrôle droit tandis que 5 d’entre eux ont vu une diminution de l’énergie (somme de 8,5 dB).
À la lecture de ce tableau, nous remarquons l’absence de 6 sous-bandes. Nous ne les avons pas mises car les modifications, lorsqu’elles avaient lieu, ne concernaient que trop peu d’individus pour dégager une tendance globale.
Par contre on remarquera à la lecture des portraits IDS en annexe, la conservation quasi-systématique de l’énergie contenue dans la 3e sous-bande (200-400 Hz) lors d’un changement de côté du contrôle de la phonation.
Ceci pourrait s’expliquer par le fait que cette zone fréquentielle contient pour nombre d’individus les fréquences correspondant au fondamental laryngé, zone fréquentielle inhérente à chaque individu car tributaire de la longueur et de l’épaisseur des cordes vocales de chacun.
On trouve, de plus, dans cette zone spectrale, les fréquences correspondant à la plupart des premiers formants des voyelles, eux aussi très peu variables pour un individu donné.
La forte modification de la bande de fréquences allant de 0 à 50 Hz pose quelques questions car elle concerne les fréquences situées en dessous du fondamental laryngé. Comment se fait-il qu’elle soit sujette à de telles modifications ?
Il nous faut préciser ici que la captation de la voix s’est effectuée à 20 cm environ de la source dans les conditions de prises de son cinématographiques. Nous sommes donc en situation de prise de son de proximité propice à l’observation de phénomènes d’écoulement. Il se pourrait donc très bien que ce soient ces déplacements de flux aériens qui soient responsables des fortes modifications de la sous-bande des extrêmes basses [14] .
Le fait que cette sous-bande voit son énergie augmenter lors d’un contrôle auditif gauche de la voix pourrait, selon nous, refléter une différence dans la projection de la parole selon que celle-ci est contrôlée par l’oreille gauche ou l’oreille droite du sujet. Il nous semble, par contre, difficile d’interpréter cette différence pour le moment.
On note, par ailleurs, une augmentation globale de la 5e sous-bande (0,8-1,2 kHz) toujours en comparant le rétro-contrôle gauche par rapport au rétro-contrôle droit. Cette zone spectrale correspond aux fréquences nasales mais aussi à la plupart des seconds formants des voyelles.
Nous pouvons observer, dans le tableau suivant, les modifications principales concernant les sujets masculins :
Sous-bande |
Évolution D -> G (10 H) |
Somme |
Somme des écarts |
1 (0-50 Hz) |
+19 dB (5) ; -5,5 dB (3) |
+13,5 dB |
24,5 dB |
5 (0,8-1,2 kHz) |
+7,3 dB (4) ; -1,5 dB (1) |
+3,6 dB |
8,8 dB |
6 (1,2-1,8 kHz) |
+3 dB (2) ; -1 dB (1) |
+2 dB |
4 dB |
On remarque l’absence de la 2e sous-bande par rapport au tableau récapitulant les modifications pour les deux sexes.
La figure IDS ci-dessous nous montre la comparaison entre la répartition de l’énergie spectrale de la voix d’un sujet masculin utilisant l’oreille gauche pour contrôler sa phonation (représenté par le tracé rouge), et la répartition avec utilisation de l’oreille droite (tracé noir) :
On remarque effectivement une augmentation de l’énergie contenue dans la première sous-bande ainsi que dans les 5e et 6e sous-bandes lorsque le sujet utilise l’oreille gauche pour contrôler sa phonation comparativement à l’utilisation de l’oreille droite.
Nous pouvons observer, dans le tableau suivant, les modifications principales concernant les sujets féminins :
Sous-bande |
Évolution D -> G (6 F) |
Somme |
Somme des écarts |
1 (0-50 Hz) |
+1,2 dB (1) ; -3 dB (2) |
-1,8 dB |
4,2 dB |
2 (50-200 Hz) |
+3,8 dB (2) ; -2,4 dB (2) |
+1,4 dB |
6,2 dB |
5 (0,8-1,2 kHz) |
-2,4 dB (2) |
-2;4 dB |
2,4 dB |
On remarque une nette différence d’amplitude dans la modification de la première sous-bande comparativement aux sujets de sexe masculin. Cette sous-bande est reléguée à la seconde place, lorsqu’on regarde la somme des écarts, derrière la sous-bande numéro 2. Notons que cette 2e sous-bande correspond toujours aux fréquences situées en dessous du fondamental laryngé en ce qui concerne les femmes. Il semblerait donc que le phénomène d’écoulement, s’il constitue l’explication de la variation de ces sous-bandes sub-laryngées, serait lié à la hauteur de cette fréquence fondamentale de la parole.
La figure IDS ci-dessous nous montre la comparaison entre la répartition de l’énergie spectrale de la voix d’un sujet féminin utilisant l’oreille droite pour contrôler sa phonation (représenté par le tracé noir), et la répartition avec utilisation de l’oreille gauche (tracé rouge) :
On remarque effectivement une augmentation de l’énergie contenue dans la 2e sous-bande ainsi qu’une atténuation de l’énergie dans les 5e et 6e sous-bandes lorsque le sujet utilise l’oreille gauche pour contrôler sa phonation comparativement à l’utilisation de l’oreille droite.
Il semble que les modifications du timbre, lorsqu’on teste le contrôle de la phonation en amplifiant les aigus, concernent surtout les hommes puisque, pour les femmes, les fréquences situées au-dessus du fondamental laryngé ne sont que peu sujettes à des variations de l’énergie spectrale.
Par contre, il semble que le contrôle de la phonation par l’oreille gauche favorise un aspect harmonique de la voix contrairement à ce que prétend Alfred Tomatis.
À l’issue de ces résultats, il semble que la dominance universelle de l’oreille droite pour l’être humain soit une idée un peu simpliste. Bien que nous n’ayons pu travailler sur un échantillon important, les propos de Tomatis, s’ils étaient exacts, auraient du être vérifiés dans au moins une majorité de cas. Or il semble que la latéraltité auditive pour le langage, si elle existe, ne puisse se réduire à un schéma simple laissant à la seule oreille droite le privilège de diriger l’audition [15] .
La latéralité auditive paraît être liée à la spécialisation hémisphérique, ce qui peut être mis en évidence grâce aux nouvelles technologies d’imagerie cérébrale telle l’IRMf et le PET-scan permettant de mesurer l’arrivée du sang dans des zones bien déterminées du cerveau lors de la réalisation de tâches particulières. Nous renvoyons le lecteur au chapitre trois pour un aperçu partiel de l’état de la recherche actuelle en la matière.
Pour nous apporter des résultats complémentaires, les tests comportementaux, tels que ceux que nous avons effectué, doivent être effectués sur une large population.
De cette manière, il serait intéressant de comparer un nombre équivalent d’hommes et de femmes mais aussi de droitiers et de gauchers. Par ailleurs si l’on s’intéresse à la compréhension de la parole, il serait sans doute utile de chercher également à comparer des sujets pour lesquels la langue française constitue la langue maternelle avec des sujets qui ont appris le français comme seconde langue [16] . Enfin, il serait intéressant de comparer les différence de perception auditive des musiciens professionnels avec des non musiciens et ce tant pour des stimuli verbaux que musicaux [17] .
Une autre méthode donnant un indice de latéralité auditive mériterait d’être citée. Le temps nous a malheureusement manqué pour la mettre en œuvre. Il s’agit de la discrimination temporelle de l’oreille.
Puisque pour analyser les sons de la parole, nous avons besoin de reconnaître des variations très brèves dans le temps, la capacité de l’oreille à discriminer temporellement des stimuli sonores très courts et très proches dans le temps joue un rôle important dans la compréhension du langage. Aussi si un sujet présente une différence de discrimination temporelle entre l’oreille droite et l’oreille gauche, cela peut constituer un indice supplémentaire de latéralité auditive puisqu’une oreille serait plus « rapide » que l’autre
6 Septembre 2008
[1] Alfred Tomatis
[2] Tomatis pensait qu’il est utile de travailler l’écoute dans de nombreux troubles mais, pour lui, la latéralisation n’était qu’une part du travail d’entraînement qui concernait surtout l’entraînement à l’écoute des fréquences élevées et la stimulation cérébrale globale par ce biais.
Le deuxième point est l’entraînement spécifique de l’écoute en conduction osseuse par vibreur, placé au milieu du front ou au sommet du crâne, qui envoie, bien entendu, un son non-latéralisé. Ce travail osseux se fait simultanément avec l’usage du casque sur les deux oreilles. En effet, on augmente progressivement l’amplitude du signal envoyé à l’oreille droite quand on passe de la musique au langage prononcé par le sujet. La méthode de rééducation de Tomatis débute en effet par une phase d’écoute de musique classique, essentiellement du Mozart, puis se poursuit avec la propre voix du sujet lisant un texte.
Quant à l’autisme, Tomatis ne croyait pas que la causalité en soit purement auditive et avait tenté une collaboration avec Françoise Dolto qui était très intéressée par son travail avec la « Voix Maternelle ». Ils ne purent mener très loin cette collaboration faute d’une connaissance suffisante de la psychanalyse par Tomatis. Cependant le Dr Hebrard et d’autres allèrent assez loin dans ce sens.
[3] Dans le cadre d’une recherche de la meilleure méthodologie scientifique possible, il conviendrait purement et simplement d’éliminer de l’étude tout sujet présentant une dissymétrie notable entre les deux oreilles du point de vue audiométrique. Bien que n’étant pas spécialiste de l’examen audiométrique, il ne m’a pas semblé que de tels écarts aient été trouvés. Aussi aucun sujet ne fut exclu, ici, des tests de latéralité.
[6] PORTMANN, Michel, PORTMANN, Claudine, Précis d’Audiométrie clinique, 1988 (6e édition).
[7] Martine VALIÈRE-MONTAUD, Gisèle ROTH, Jean RIBO, Oreille gauche, oreille droite. Recherche sur la latéralité auditive, mémoire pour l’obtention du certificat de capacité d’orthophoniste, Toulouse III, 1978.
[8] Le test est surtout parlant si la personne se contente de se concentrer sur ce qu’elle lit plus que sur la façon de se contrôler…
[9] L’oreille « non directrice pour l’élocution » est généralement la plus performante, dominante pour la musique, les voyelles versus les consonnes, etc…
[10] Selon Bernard Auriol, cette remarque ouvre une voie très intéressante de recherche : on peut imaginer de neutraliser la conduction osseuse sur la base théorique utilisée dans les casques anti-bruit actifs. Il faudrait, pour ce faire, remplacer les écouteurs du casque par un vibreur et utiliser le micro au plus près des cordes vocales (larynx) ou au moins dans l’axe sagittal (Cf. http://auriol.free.fr/psychosonique/ClefDesSons/casque-anti-bruit.htm).
[11] On peut aussi évoquer l’idée d’une différence dans les tests utilisés pour évaluer la latéralité manuelle (En 1984, et dans l’étude de Raufaste, il s’agissait du Test d’Auzias). Par ailleurs Montaud s’intéressait à l’homogénéité entre latéralité auditive et manuelle, mais aussi latéralités visuelle et des pieds.
[12] Le nombre faible des sujets ne permet pas, d’un point de vue statistique, de conclure, même pour l’ensemble parent des élèves d’une école de type Louis Lumière….
[13] Il n’est pas mathématiquement légitime d’additionner arithmétiquement des dB (Cf. La Clef des Sons p.79 : note au bas de la page). Le procédé d’addition que j’emploie ici abusivement, me permet de façon simple de représenter globalement l’amplitude des variations dont les sous-bandes font l’objet afin de les comparer entre elles.
[14] A l’issue de la présentation, a eu lieu une discussion pour déterminer à quoi pouvait correspondre cette variation dans une zone située au dessous du fondamental de la voix, qu’il s’agisse de l’enfant, de la femme ou de l’homme. L’hypothèse d’un artefact ne tient pas la route car il se manifesterait aussi bien en « contrôle droit » qu’en « contrôle gauche » de la voix. Il en irait sans doute de même quant aux conditions de la prise de son : ces conditions ne variaient sans doute pas en fonction du canal G ou du canal D.
Mr Millot a indiqué d’une manière générale, que si ces fréquences hyper-basses n’apparaissaient pas dans les études sur la voix, c’est tout simplement qu’on ne cherche pas à les mesurer ou à les mettre en évidence sur les sonagrammes.
Bernard Auriol propose, sous toutes réserves, une autre hypothèse qui n’avait pas été évoquée lors de la soutenance : il se pourrait qu’on puisse - à la faveur du changement de côté de l’auto-contrôle - invoquer la survenue d’une dissymétrie de tension des cordes vocales D et G, conduisant à une forme mineure de diplophonie : la fréquence fondamentale Fo serait alors remplacée par deux exemplaires simultanés (Fo et Fo’) qui seraient de fréquences voisines l’une de l’autre, mais un peu différentes, de telle sorte que leur interférence produirait un « son résultant », « un troisième son, correspondant à leur différence acoustique : en acoustique musicale, on sait, par exemple, qu’un intervalle de tierce pure, de rapport 5/4, va émettre un son résultant de 5/4-1=1/4, soit la note du bas, mais deux octaves en dessous. Par exemple do4-mi4 permettent d'entendre un do2, très ténu. Il s'agit du même phénomène d'interférence que le battement, mais d'une fréquence plus élevée, audible alors en tant que son musical, et non plus en tant que simple variation périodique d’intensité (Cf Wikipédia, rubrique « son résultant » et la discussion de JP Bourgeois ). Cette hypothèse est assez facilement testable par électromyographie (ou peut être par film des cordes vocales).
Notons que malgré les critiques qu'ont subies les théories chronaxiques auxquelles se réfère souvent Husson, certaines de ses observations ne sauraient être disqualifiées pour ce motif théorique qui ne concerne d'ailleurs qu'une partie de ses travaux. En particulier le réflexe tonico-récurrentiel qu'il a mis en évidence. Il écrit notamment : "Un sujet émettant un son piano sous vision laryngo-stroboscopique, on envoie dans une de ses oreilles un son pianissimo de fréquence rigoureusement identique au son qu’il est en train de produire. On voit alors la corde homolatérale se raidir, accusant un accroissement de tonus musculaire (expériences de Garde, Larger et Husson à l'Hôpital Boucicaut ; 1951). Ces expériences ont été refaites aussi à l'Hôpital La Grave de Toulouse (Birague, Bonpunt, Mailhac et Husson ; Pr Calvet)." Si le son envoyé est plus fort, le phénomène devient bilatéral et la dyssymétrie disparait (même référence)...
Une expérience amusante, proposée par l'accordeur de piano FREDERIC PINCEDE, permet de percevoir ce dont il s'agit quand on parle de "battements". Cf. http://accordeurdepiano440.com/ecouterladiffere/
[15] Tomatis remarque à la suite des neuro-chirurgiens, que le cerveau Gauche s’occupe du langage chez l’immense majorité des humains, même si cette spécialisation est moins prononcée chez les gauchers. Il en déduit que pour ce qui est langage, il est plus économique et intéressant de favoriser un contrôle de l’élocution par l’oreille droite (Cf L’oreille et le langage, p.149-175).
[16] Chez certains bilingues, on a pu montrer qu’il existe parfois deux aires corticales spécialisées dans le langage, chacune d’elles étant mise en jeu lorsque le sujet parle la langue correspondante. Il est même arrivé que chacune des deux langues soit gérée dans un hémisphère différent !
[17] Il est connu que les musiciens professionnels gèrent la musique, notamment la musique solfégique, comme un langage et que cette gestion se situe le plus souvent sur l’hémisphère gauche. Le simple mélomane s’intéresse à la musique plutôt grâce à son hémisphère droit. On a vérifié ces faits de plusieurs façons, notamment avec des tests dichotiques musicaux (non verbaux).