Une Erreur Géniale

(Mise à jour du 8 Janvier 1990)

Contribution du DrBernard Auriol [1] au livre « L’Aube des Sens »

(ouvrage collectif sur les perceptions fœtales et néonatales, sous la direction de

E.Herbinet et MC Busnel, Stock 1° éd. 1981, pp.221-228)

Alfred Tomatis a donné le nom d'Audio-Psycho-Phonologie à une pratique fondée sur l'interaction son-psyché. Il utilise un appareil modificateur d'écoute, « l'oreille électronique » dont l'action, parfois décriée, parfois idéalisée, est indéniable.

 Ma forme d'esprit ne m'a jamais entraîné à devenir un disciple de Tomatis que d'aucuns suivent comme un maître à penser. J'ai cependant été frappé d'observer, en 1974, le changement survenu dans le comportement d'une adulte et de deux enfants, dont un de mes neveux, à la suite de cures brèves et intensives d'oreille électronique.


 

Ceci m'a conduit à devenir l'élève attentif de ce chercheur déroutant: après avoir moi-même suivi la cure sonique et avoir ainsi renforcé ma conviction de son intérêt et mes doutes relativement à l'atmosphère et à la théorie qui allaient avec, je me mis à l'utiliser avec certains de mes patients.

 Simultanément, je recherchais des contacts interdisciplinaires [2] afin d'approfondir la recherche critique mais constructive qui me paraissait - et me parait - nécessaire.

 En tout premier lieu, il ne me semble pas opportun que la même personne joue le rôle d'analyste et guide la cure sonique d'un patient donné. S'il s'agit d'utiliser conjointement les deux procédures, je me limite le plus souvent à l'une de ces deux positions : soit que je reçoive cette personne au titre de l'analyse et lui demande de s'adresser à un autre spécialiste pour la cure sonique, soit que je prenne en charge la cure sonique cependant qu'un autre analyste est sollicité, par ailleurs (Auriol, 1985).

"Guider la cure" est une action plutôt rééducative et pédagogique: il s'agit de permettre l'épanouissement et la (re-)mise en état du système d'écoute, en l'entraînant selon des voies qu'il n'avait pas, jusque là, empruntées. Ce faisant, on assiste à une dynamisation de la personne, y compris dans ses aspects les plus valorisés.

 Une Hypothèse (juste)

Tomatis et Dolto eurent l'intuition que le petit d'homme, comme l'oisillon dans son oeuf (Nicolai, 1956), devait avoir entendu la voix de sa mère dans l'utérus, et s'en être imprégné.

On trouvera, dans le présent ouvrage, l'état de la question quant à l'audition fœtale. Je dois pourtant insister sur quelques points.

Il existe encore des scientifiques (Preyer, 1885; Lacomme, 1989) pour dire que le fœtus ne saurait rien entendre (ni le prématuré ?) pour la raison bien simple que son cerveau est inachevé: les régions du cortex qui devront s'occuper des sons ne sont pas "myélinisées".

 En fait, cette remarque est en partie exacte, mais fausses les conséquences qu'on en tire: le fœtus se sert du système nerveux dans l'état où il est, immature, comme il se doit pour un être en formation (Davis H., 1969). Ainsi les cheminements sont ils plus lents dans certaines zones, spécialement celles que nous considérons plus "nobles" (cortex). Cela n'empêche pas les structures plus basales de commencer à fonctionner. Même les parties les plus lentes bénéficient de leur propre activité apparemment paresseuse. Elles semblent justement se structurer sur cette activité débutante; ce qu'elles reçoivent comme "informations" permet la construction des intégrateurs corticaux les plus sophistiqués.

 L'importance de ces premières perceptions du cerveau en construction est maximale car il ne s'agit pas d'utiliser les sensations mais de fabriquer les circuits cérébraux qui les gèreront. Un adulte enfermé dans le noir pendant des années pourra récupérer l'usage de la vue lorsqu'on mettra fin à son supplice. L'être en formation qui serait privé d'une qualité sensorielle particulière ou de ses précurseurs n'acquerra jamais, quelques soient les efforts rééducatifs mis en oeuvre les informations de cette sorte...

 L’œil lui même, qui pourtant n'est éclairé par aucune lumière, crée des potentiels et permet ainsi la constitution de zones cérébrales prêtes à recevoir les premières clartés extérieures, dès la naissance ! La structuration première de cette vision d'avant la lumière prend sans doute appui sur les informations vestibulaires (verticalité, horizontalité, rotation) et pourrait mettre en jeu des états de conscience assimilables au rêve (Auriol, 1988).

 Une expérience mal conduite ?

Persuadé - avec juste raison - que le fœtus entendait la voix de sa mère, Tomatis se fit la réflexion que les bruits organiques multiples qui accompagnaient cette voix, dans les enregistrements qu'il obtenait avaient un effet masquant qu'il convenait d'éliminer.

 L'expérimentation qu'il fit alors, s'inspirant de cette logique, ne pouvait que la confirmer : en filtrant les graves, il lui restait les aigus dont il vint à laisser supposer qu'ils parvenaient plus facilement que les autres sons dans l'univers liquidien du fœtus. Cette pétition de principe se doublait d'une difficulté technique qu'il explique fort bien: la suppression totale du ronflement lié à l'appareillage (notamment le 5O Hz du secteur) ne pouvait se faire que par un filtrage assez étendu qui avait pour effet d'éliminer les bruits utérins eux-mêmes, dans leurs composantes graves.

 Comme Tomatis (1981, p. 50) l'écrit lui-même "Je prenais le milieu utérin pour un filtre et je fondais toute mon expérimentation sur ce fait. Bien m'en a pris. Seulement tout était faux". Rien ne permet d'asseoir davantage l'idée des "sons utérins filtrés en passe-haut".

 On a montré, par ailleurs, (Mehler, 1976) que le nouveau-né est capable de reconnaître la voix de sa mère: mais les graves de cette voix et non les aigus ! De récents travaux montrent pourtant que le fœtus n'est pas aussi privé d'aigus qu'on a pu le dire, il reste que les enveloppes dans lesquelles il baigne atténuent les fréquences élevées... Le monde utérin est donc peuplé de graves et, si le fœtus privilégie la voix maternelle, ce sera, non parce qu'elle est mieux audible, mais parce qu'elle est plus intéressante...

En cela Tomatis retombe sur ses pieds lorsqu'il imagine que le fœtus à défaut d'être plus exposé aux aigus s'évertue à atténuer les graves pour se hisser vers l'écoute humaine...

 Un traitement efficace

 

De fait, les sons filtrés à 8000 Hz (en passe haut : on a supprimé les fréquences graves) ont des effets très nets, constants, reproductibles ! L'exposition prolongée à de tels sons entraîne une dynamisation psychologique: plus grande ouverture au monde extérieur dont le caractère objectif s'affirme, appétit de s'exprimer, de réaliser, voire de combattre; une plus grande puissance des instances timonières de la personnalité.

 Parfois cette dynamisation se manifeste par de plus grandes possibilités d'expression émotionnelle: le sujet qui "rentrait ses sentiments" préfère les dire, se montre tour à tour révolté ou plein d'amour à l'égard du groupe dans lequel il évolue intimement et surtout vis à vis des images maternelles présentes dans ce groupe ou de sa mère elle-même. Dans quelques cas, c'est à une somatisation ou à une poussée d'angoisse que l'on assiste [3] .

 On utilise des musiques, mais aussi la voix de la mère du patient. Le filtrage passe-haut en supprime toutes les données linguistiquement pertinentes : on croirait entendre une suite de parasites sifflants... L'effet précédent se prolonge mais se double d'une intensification des rapports émotionnels entre l'enfant et sa mère. D'anciennes rancœurs, de vieux non-dits, d'éternelles amours resurgissent !

Mais alors ? Comment ça marche ?

Cet effet peut s'interpréter selon deux hypothèses antagonistes:

1.     Pour Tomatis, c'est la conséquence d'un effet évocateur de l'époque prénatale. Le chant de la mère met en joie, appelle à la communication et à la vie. A l'actif de cette thèse, il convient de signaler que les patients sous Voix Maternelle Filtrée produisent très souvent des dessins, sculptures et rêveries en rapport avec ce que nous pouvons imaginer de la vie intra-utérine. Ceci est d'autant plus flagrant que le thérapeute a parlé de ce mythe. J'ai personnellement constaté une raréfaction de ces thèmes depuis que je ne catégorise plus la Voix Maternelle Filtrée comme intra-utérine.

2.     La deuxième hypothèse est celle de l'audition utérine surexposée aux sons graves. Les sons graves rythmiques et répétitifs offrent le socle sécuritaire qui permet au fœtus de s'intéresser aux mélodies de la voix maternelle (graves, médiums ou même aigus) et aux bruits d'écoulement intestinaux dont les caractéristiques varient en fonction de la détente ou de l'angoisse maternelle. C'est seulement après la naissance que surgiront, en même temps que la lumière et l'air respirable, les harmoniques les plus fins de la voix, dans leur intensité maximum. Les aigus apparaissent alors comme significatifs de respiration, naissance, découverte, autonomie, confrontation.

Dans cette direction va une de nos observations assez surprenante: Mme X lors de la première séance de voix maternelle filtrée croit distinguer "qu'on parle allemand" et se demande pourquoi on lui fait entendre cela ! Les associations qu'elle produit alors nous apprennent qu'elle fut "nursée" par un - ou des - prisonnier allemand, après la guerre de 1940-45, qui avait été placé comme ouvrier agricole chez ses parents. Ceci ne prouve rien mais illustre plutôt l'hypothèse de la découverte des aigus à la naissance que l'inverse.

 L'accouchement sonique

Il n'en reste pas moins troublant d'entendre fréquemment les patients, soumis à des sons filtrés, manifester des idées, des émotions, des images particulièrement en harmonie avec le désir de "sortir", s'extraire, naître.

 Il s'agit parfois de passage à l'acte dont le sens demeure hermétique à la personne concernée: partir sans raison sous le coup d'une impulsion, envie de prendre l'air, désir de changer de milieu, de métier, de loisir, etc.

 Or, nous savons que le fœtus s'exerce à naître, en rêvant de le faire, bien avant la date, qu'il s'agisse d'oiseau ou de mammifère (Auriol, 1988).

 Il est plausible d'admettre que les aigus, moins bien audibles, sont plus intéressants et plus excitants que les graves et les médiums. Il pourraient avoir un rôle de dynamisation même au moment de la naissance.

Par ailleurs, le défiltrage progressif de la musique et surtout de la voix maternelle peuvent entraîner une certaine libération pulsionnelle, voire une réactivation de conflits apaisés lors de la première phase (ou parfois, l'inverse). Le ça et le sur-moi s'affrontent et, si certaines dépressions semblent s’amender, d'autres peuvent être réactivées progressivement.

Ecoute fœtale et Cures Soniques

J'ai, depuis longtemps (1979), défendu la possibilité selon laquelle le fœtus entendrait les graves des sons externes ou internes mais percevrait aussi certains aigus : surtout ceux de la voix maternelle que conduirait à son oreille la colonne vertébrale, jouant le rôle de "stéthoscope" entre la voix maternelle et le bébé. Mécanisme surtout notable chez les mères dont la voix "bien placée", sait faire résonner le squelette de manière optimale. Le travail de Klopfenstein (1988) démontre au moins que cette possibilité existe: les vibrations enregistrées au niveau de l'os du bassin s'étalent parfois jusqu'au dixième "harmonique" (3 KHz).

Quoiqu'il en soit, il reste que les sons disponibles pour le fœtus sont très atténués du coté des aigus. La naissance s'accompagne donc d'une forte augmentation quantitative de ces fréquences. Même si le fœtus "s'attend à" et "désire" ce changement qu'il pressent peut-être, on ne peut continuer à dire que l'écoute de sons filtrés en passe-haut (MF ou VM de Tomatis) se rattache à une réminiscence utérine.

Et pourtant, les cures soniques, qu'on aurait pu croire portées par le mythe utérin, la mode et les publicités démagogiques, continuent leur chemin: leurs effets se confirment, leur succès persiste et se développe, leur méthodologie se diversifie [4] .

 Bien des auteurs s'abstiennent d'évoquer la vie intra utérine et se gardent d'utiliser les "oreilles électroniques" comme des "oreilles magiques". Les travaux en cours s'orientent plutôt vers la détection de corrélations entre certaines zones de fréquences et des "régions psychiques" qu'elles toucheraient et dynamiseraient de manière préférentielle (Auriol, 1987). D'autres, insisteront sur la stimulation prosodique, la dynamisation des aspects non-sémantique du langage.

 Vers l'avenir

Ces méthodes constituent un précieux instrument de travail. Beaucoup de recherches demeurent nécessaire pour en préciser les limites et les points forts.

Ce n'est pas la première fois dans l'histoire de la science qu'une hypothèse erronée, une observation hâtive, une base fragile, auront conduit à de nouvelles observations valables, ou même très riches, à des modèles thérapeutiques indiscutables.

 Si les thérapies sonores ne peuvent pas tout, leur usage, sur des bases empiriques aujourd'hui, plus tard de manière mieux théorisée, peut rendre de grands services aux patients de l'orthophoniste, du psychologue et du médecin.

Bibliographie

1.     Auriol B. Introduction aux Méthodes de Relaxation, Privat 1979 - (remise à jour, 1987).
2.     Auriol B. Pour une approche multifocale en thérapie, Psychologie Médicale, 1985, 17, 6 : 809-813
3.     Auriol B. et coll. De l'Audiogramme aux Chakras Tantriques, (Analyse factorielle de la sensibilité spectrale et d'une projection de la personnalité).
4.     Auriol B. Communication au 2° Symposium International de l'ANEP
5.     Les influences sonores dans le développement prénatal, Saint Raphaël 26 Novembre 1988.
6.     Davis H. and Onishi S., Maturation of auditory evoked potentials Int. Audiol., 8, 24, 1969.
7.     Klopfenstein D. Le Bassin : Caisse de résonnance
8.     Andrey P. Haettel J.P. (Polycop, 1988: Annexe 8)
9.     Lacomme Y. L'oreille - Anatomie physiologique (Discussion)
10. Le Bruit dans la Société 2° Colloque de Fronton - 16 6 1989
11. Mehler J. La reconnaissance de la voix maternelle par le nourrisson, La Recherche, 70, 786 sq., Septembre 1976.
12. Nicolai J. Zur Biologie und Ethologie des Gimpels (Pyrrhula pyrrhula), Z. Tier-Psychol., 13, 93-132, 1956.
13. Preyer W. Spezielle Physiologie des Embryo, Leipzig, 1885
14. Tomatis A. La Nuit Utérine. Stock, 1981 (réponse à la 1° édition de l'Aube des Sens)
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  Web auriol.free.fr   


Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

© Copyright Bernard AURIOL (email : )

2 Août 2008

 



[1] Psychiatre et Psychanalyste, cofondateur avec le Professeur Josserand, du Groupe de Réflexion sur les Sons (Laboratoire d'Acoustique, Métrologie et Instrumentation, Université Paul Sabatier, Toulouse).

[2] Il en est résulté le Groupe de Réflexion sur les Sons qui se réunit à Toulouse, six à huit fois par ans pour débattre des recherches en cours, échanger des idées nouvelles, faire le point sur une question, présenter une technique ou un appareillage... Les participants sont intéressés par le son sous l'un ou l'autre de ses aspects: musiciens, chanteurs, facteurs d'instrument, acousticiens, linguistes, médecins ORL, pédiatres ou psychiatres, psychologues, psychanalystes, orthophonistes, éducateurs spécialisés, enseignants, audio-prothésistes, méditants (Zen, MT, Thibétains) etc...  (adresser la correspondance au L.A.M.I., rue des 36 Ponts, 31400 Toulouse).

[3] Ceci ne suggère-t-il pas un certain parallélisme avec l'effet de certains anti-dépresseurs, plus aptes à stimuler l'humeur qu'à faire s'estomper l'angoisse ?

[4] J'ai parlé ici de Tomatis qui conduit un "réseau Tomatis" en "franchising"; il existe (1989) également une Association d'Audio Psycho Phonologie, qu'il a créé mais qui a fait dissidence. Il faut citer aussi la méthode de Bérard, la Sémiophonie d'Isi Beller, La Musique Triturée de Bourdin, le Variophone de Marinof, l'Akousmatik de Thourel, etc...

 Certains de ces appareils sont utilisés dans des Centres Hospitaliers (Villeneuve St Georges) ou des C.H.U. (Pr Moron). L'extension se fait également eu Europe, en Amérique du Nord, au Mexique et en Amérique du Sud, comme dans certains pays africains.