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Pierre Josserand (Joss... comme nous disions entre nous) nous laisse en pleine
course !
Il me semble que c'était hier : alors que j'étais préoccupé
des rapports entre les sons et l'être humain, troublé de constater
les effets surprenants de procédés rééducatifs utilisant
simplement des sons filtrés de manière variable, me sentant plus
apte à siéger derrière un divan qu'à manipuler des
concepts physiques, j'entendis parler de ce Professeur d'Acoustique : il était,
me dit?on, très compétent dans son domaine et passionné
d'en découvrir d'autres, de dialoguer avec les médecins, les ergonomes,
les hygiénistes, les psychologues...
Je lui téléphonai donc, avec le vague espoir d'un entretien utile
et la crainte qu'il trouve ma démarche sans objet... Un acousticien,
même très ouvert, pouvait-il consacrer du temps à une question
marginale que ni ses confrères ni les miens ne prenaient en compte ?
Il accepta d'en discuter et me proposa bien plus : pourquoi ne pas organiser
régulièrement des rencontres, plutôt informelles, entre
acousticiens, thérapeutes et musiciens ?
Inutile de dire que je saisis la balle au bond. Nous recrutâmes également
le Professeur Guy Maneveau dont j'avais découvert les qualité
de chef d'orchestre, de formateur et de pédagogue de haut vol à
l'occasion d'une Université d'Eté (Ustaritz). Il fut des nôtres
plusieurs années tant que les contraintes de l'éloignement (Pau
/ Toulouse) et les obligations nouvelles de sa vie familiale l'y autorisèrent.
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Avec Pierre, ce furent vingt ans de travail, d'échanges et de créativité.
Sous son impulsion nous organisions chaque année plusieurs rencontres
du "Groupe de Réflexion sur les Sons".
Aucun sujet ne rencontrait son ostracisme. Cependant, il ne renonçait par là à aucune des obligations de la pensée scientifique; il encourageait les avancées et mettait en garde, d'un même mouvement, contre les enthousiasmes illusoires ou les prétentions illusionnistes. Nous écoutions les jeunes médecins, psychologues, orthophonistes exposer leurs travaux, avant même leur publication sous forme de thèse, mémoire ou article. Qu'un chercheur soit connu pour ses travaux sur la latéralité (manuelle, visuelle et auditive) il était des nôtres ! Qu'un autre puisse nous instruire des problèmes de la reconnaissance vocale par ordinateur : nous l'écoutions. Un troisième prétendait?il connaître les effets de l'usage antique des mantras indiens : il nous les expliquait. Nous demandions aux musiciens de nous décrire leurs états d'âmes et ceux qu'ils croyaient pouvoir repérer chez leurs collègues; nous discutions alors de savoir si le violon présentait des différences avec l'alto ou la contrebasse ! Le ténor avait-il un caractère distinct de la basse noble ou du baryton ? Des chanteurs venaient essayer de nous en rendre compte.
Qu'entend le foetus ? Et nous voici invitant Tomatis aussi bien que son adversaire
Feijoo... Les appareils utilisés par les rééducateurs présentent?ils
de l'intérêt ? Nous le demandions aux protagonistes de ces méthodes:
filtres de Gubérina, Tomatis, Bérard, Beler, Marinof et Thourel,
etc..
On parle de l'activité intrinsèque de l'oreille : et nous voici
sur les Oto Emissions Acoustiques.
Les instruments de musique ne le laissaient pas non plus indifférent,
lui que d'autres que moi décrirons comme musicien et chanteur. Nous rencontrâmes
donc les créateurs du système original mélisson (synthétiseurs
pédagogiques modulaires), les responsables de l'Ecole musique Music'Halle,
le créateur du LUM, le facteur d'Orgues Bernard Thourel...
Mais cela ne suffisait pas à Joss ! Pour favoriser tous les types d'action
"transversale" et les mettre à la disposition de notre environnement,
il suggèra de créer des groupements régionaux au sein de
la Société Française d'Acoustique (G.A.L.F.) Après
quelques hésitations, il remporte l'adhésion générale:
voici que naît le GSO, puis le GSE...
Le GSO rend possible l'organisation de journées sur le bruit,
la réglementation y afférent et un Colloque extrêmement
multidisciplinaire "Le
Son au Subjectif Présent" qui réunit à
la Faculté de Médecine de Toulouse-Rangueil les intervenants les
plus divers intéressés par le Son et ses interactions avec l'être
humain. Les psychanalystes et les physiciens n'en reviennent pas de se rencontrer
et de pouvoir nouer un dialogue qui ne soit pas de sourds...
Mais Pierre Josserand n'en reste pas là. II donne son appui à
la création d'une Université d'été (Universon),
qui se réunit tous les trois ans, avec pour objectif de prolonger ce
type de dialogue : déjà - et seulement - deux sessions d'Universon
ont connu un plein succès à Narbonne sous la houlette de Jean
et Denise Alexis.
Plus qu'un scientifique et un penseur hors pair, Pierre Josserand était mon ami, il était notre ami. Tous ceux qui l'ont fréquenté et aimé partageront la perte que sa disparition nous a infligée.
12 Mai 2008