Le transfert en Yogathérapie

(Chapitre IV de "Yoga et Psychothérapie" du Dr Bernard Auriol)

 

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I. MOTIVATIONS ET TRANSFERT

On sait que Freud et ses successeurs ont défini le transfert comme la reviviscence à l'égard du psychanalyste de sentiments, d'attitudes, etc. qui autrefois étaient vécus vis-à-vis du père, de la mère, des frères et soeurs, etc. Le transfert a été étendu aux relations qui existent entre les élèves et leurs professeurs, le malade et son médecin, le malade et l'institution soignante, etc.

La série de séances de Yoga met en présence un ou plusieurs moniteurs et un certain nombre de patients. Que ces derniers vivent une forme de transfert sur les moniteurs est évident. Les liens transférentiels, préexistant à la cure, peuvent entraîner certains malades à choisir de s'adonner au Yoga où à le refuser. En dehors du " désir d'épanouissement ou de guérison " que nous avons souligné il peut exister, et il existe souvent, un désir de plaire à tel soignant ou de déplaire à tel autre, en fonction de la position présumée de ces soignants par rapport au Yoga.

Barte' remarque, en parlant de la mise en place du Yoga à l'Hôpital Psychiatrique de Bonneval " c'est dans une optique résolument institutionnelle et dans le cadre d'une refonte des services à l'occasion de la mise en oeuvre de la sectorisation que ce travail s'est effectué.

" Aussi, les motivations du personnel soignant ont été diverses. Certains en escomptaient un bienfait physique. D'autres en espéraient un meilleur équilibre psychique. Pour un grand nombre, enfin, la participation à l'expérience a été vécue comme un gage de la sincérité de leur adhésion à la mise en place des nouvelles structures du service. Il ne faut pas dissimuler en effet que cette initiative a été accueillie avec dérision par une bonne part du collectif soignant et que c'est sur elle que s'est cristallisée l'hostilité aux réformes des structures de l'établissement. Se porter volontaire pour l'expérience, accepter de se < contorsionner > en compagnie des malades, sous la direction d'un professeur étranger à l'établissement, équivalait dans ce contexte à une prise de position vigoureuse en faveur de toutes les autres réformes ormes en cours dans l'hôpital. Ainsi, suivre son chef de service dans cette voie, c'est accepter le nouveau style de vie, c'est essayer de réaliser l'équilibre du service lui-même, en se remodelant un nouveau corps, en recherchant une nouvelle façon d'être ".

La signification institutionnelle du Yoga ne doit pas être conçue comme univoque.

L'expérience de Bonneval est mue par la volonté du Chef de Service et prend valeur de test par rapport aux relations de chaque membre de l'institution à son égard. Celle de Marchand se déroulait également sous l'autorité de l'un des Chefs de Service (le Dr Deffuant) mais seulement comme activité de " second ordre " au même titre que la pétanque par exemple... D'autre part, et alors que peu à peu ce médecin changeait d'optique et se mettait à voir dans le Yoga une thérapeutique (dont les effets pouvaient à la limite entrer en compétition avec

ceux des sismothérapies qu'elle prescrivait de manière extensive) le collectif soignant s'y opposa; pas seulement pour manifester son agressivité latente à l'égard de l'attitude de ce médecin, qui par ailleurs devait prochainement prendre " sa retraite " et par là devenait moins " dangereux " pour ses subordonnés; il y avait aussi l'opposition à la personnalité de l'infirmière professeur de Yoga dont le caractère entier s'accommodait mal des circuits relationnels subtilement complexes ou agressifs de l'Etablissement; il y avait enfin l'opposition au changement et au Yoga vécu là aussi, comme une technique plus ou moins occulte utilisant des rites de contorsions ridicules.

A Montauban, le Yoga fut d'abord une expérience parmi d'autres, tentée par deux infirmiers et un interne avec l'indulgence ironique ou l'intérêt précautionneux des autres membres de l'institution.

Plus tard survint la sectorisation et des tensions l'accompagnèrent ou la suivirent qui engendrèrent le dépérissement ou la fragmentation de plusieurs activités parmi lesquelles le Yoga, qui disparut complètement pendant plusieurs mois. Il ne nous sembla alors pas opportun de forcer les choses et, en dehors de quelques encouragements inopérants, nous laissâmes aller le cours des événements. Mais précisément, survint alors un intérêt de revues à large diffusion qui encouragea certains surveillants, infirmiers et internes; ils nous demandèrent de reprendre ensemble l'expérience...

Le phénomène Yoga à l'Hôpital Psychiatrique de Moisselle serait intéressant à étudier très à fond; nous manquons de nombreux éléments pour tenter de détail-1er son évolution. Notons cependant que le Yoga n'est devenu réalisation concrète qu'à une époque où l'institution, jusque-là très attentive aux vertus du verbe, prit conscience de la négligence du corps qui en avait résulté (propreté insuffisante des locaux, etc.).

Dans la généralité des cas, on observe une forte résistance de la part des soignants, quelle que soit leur place hiérarchique. J. Weiner note : " Aucune contribution de la part des infirmières pour inciter les malades de la clinique à venir aux séances ". (Clinique Beaupuy).

Un patient de G. Bompart s'exclame : " Je ne comprends pas que l'Hôpital ne considère pas davantage cela comme une thérapeutique ". (Hôpital Sainte-Marie à Clermont-Ferrand).

Les phénomènes transférentiels vis-à-vis d'un membre de l'équipe d'animation des séances Yoga interviennent aussi pour une large part. A titre d'illustration, S. V. refusait d'aller aux séances ou prenait quelque prétexte de travail pour s'absenter lorsque la monitrice seule dirigeait la séance. Elle faisait l'impossible pour être là Si c'était le moniteur. Au bout d'un certain temps, il lui arriva d'animer le groupe en l'absence de la monitrice et du moniteur.

Le désir de guérir et la nécessité de s'affirmer dans une opposition collective constructive au pouvoir institutionnel de certains surveillants expliquent la requête du groupe de l'Hôpital Marchand " faire du Yoga non seulement tous les jours, comme cela existe déjà, mais aussi le dimanche ". Monsieur C. montre l'ambiguïté de cette demande en expliquant : " Le dimanche je ne sais quoi faire et la télé,... ". Dans de nombreux cas, un malade manifeste son mécontentement et son dépit de n'avoir point été averti d'une séance ou d'avoir été écarté délibérément (ou non) par l'équipe soignante.

M. B. a 19 ans. Son dossier porte les mentions "  immaturité affective, réactions caractérielles ". A son entrée on note qu'elle est grossière avec les autres malades et les infirmières, elle s'agite, boude, pleure, crie. Elle tente de s'enfuir à deux reprises. Elle participe au Yoga avec un intérêt croissant. Dans les premiers jours elle paraît effacée, timide, craignant d'être l'objet de moqueries. On remarque son application, en particulier pour obtenir un contrôle respiratoire correct. De temps à autre, son regard circule dans le groupe, craignant que quelqu'un ne la regarde travailler.

Après trois mois, elle apparaît heureuse de vivre, toujours souriante, plus détendue; elle offre ses services aux infirmières pour divers travaux; elle est également plus prévenante à l'égard des autres soignées et se montre moins timide. Elle craint de revenir chez ses parents car son père la maltraite. Sur sa demande elle trouvera du travail et un accueil dans un " foyer ".

Très assidue aux cours, elle voit dans le Yoga " une gymnastique qui détend "3 se félicite d'en avoir bénéficié et assure qu'elle veut continuer à le pratiquer après sa sortie de l'institution.

Précisément ce problème de la postcure s'est très vite posé pour nous en effet plusieurs de nos observations montrent que l'arrêt des séances de Yoga conditionne souvent une réapparition des symptômes. Il convient donc de proposer aux 'malades' des cours de Yoga après leur amélioration et leur sortie. Dans certains cas, ils étaient orientés vers un cours de Yoga en ville; peu s'y rendirent. Plusieurs le firent quand le moniteur de l'hôpital y possédait un club ou quand on leur proposait de revenir à l'hôpital pour suivre les cours.

II. LE PROBLEME DES MONITEURS

L'entreprise d'un mouvement évolutif individuel a toujours été conçue dans l'orbite d'un Maître spirituel, d'un Gourou, d'un Analyste, d'un Thérapeute. Tous les ouvrages consacrés à ces sujets mettent l'accent sur les dangers et les faux pas que connaîtraient les présomptueux ignorants de ce principe universel. Mais Si un aveugle conduit un autre aveugle, quelle aberration 2 Ne s'agirait-il pas d'une situation sans issue? Et qui peut dire, sans vaine suffisance, qu'il est expert dans la voie?

Par rapport au problème particulier du Yoga il convient de remarquer que, aussi " avancé " que l'on soit, pour autant de durée qu'on ait consacré à son propre entraînement, on n'est jamais assuré de pouvoir donner un conseil parfaitement sûr à une autre personne, justement dans la mesure où elle est autre. Cependant il est probable que certaines erreurs, certains faux pas, certaines impasses sont très fréquents, presque universels; dès lors une expérience même modeste de l'un peut servir aux autres, à condition de ne pas revêtir la forme d'un enseignement dogmatique inaccessible aux variations individuelles, spatiales et temporelles.

La plupart des professeurs de Yoga interrogés par Lacheny3 se sont entraînés de un à cinq ans avant d'enseigner. Le temps consacré par le professeur à sa pratique individuelle quotidienne du Hatha-yoga est généralement de plus d'une demi-heure (51 % des cas).

Le moniteur ne sera jamais conçu, et surtout ne se concevra jamais, comme quelqu'un d' "arrivé ", ayant en main toutes les données du problème, possesseur de 'la vérité' (! ?). L'expérience accumulée par les siècles et qu'il aura connue à travers des livres ou des maîtres traditionnels n'aura été qu'en partie expérimentée par lui-même, vérifiée, confrontée à son propre vécu.

Il est facile, gratifiant pour tous, mais malhonnête de la part du moniteur et dangereux quant aux participants, de provoquer ou laisser se constituer un transfert massif sur le thérapeute facilement vu comme un " Gourou ", un " Maître " Il paraît plus adéquat de favoriser ce que l'on a appelé dilution " du transfert ou " fragmentation " du transfert. Dans ce cas le transfert de chaque membre du groupe n'est pas nettement et massivement centré sur le thérapeute mais se fait aussi sur d'autres patients. Par exemple tel 'malade' fera un transfert paternel sur un collègue plus âgé et un transfert maternel sur une autre patiente qui aura manifesté quelques attitudes homogènes à celles de sa mère. On observe une désintrication de l'investissement pulsionnel, l'agressivité étant polarisée par tel patient, la libido par tel autre. Le malade peut ainsi vivre ses projections non pas sur la seule personne des thérapeutes, mais il investit de ses affects plusieurs membres du groupe. Cette fragmentation des investissements évite à certains patients la montée d'angoisse déstructurante qui pourrait être liée à un investissement trop massif d'un objet unique. Il va de soi que la fragmentation du contre-transfert doit y répondre !...

J.P. Schnetzler utilise la psychanalyse comme thérapie de personnes qui, par ailleurs, pratiquent Zazen. D'autre part, il enseigne Zazen à certains de ses clients mais ne les prend pas, dans ce cas, en psychanalyse. Il cherche ainsi à éviter les interférences transférentielles4.

III. LA COMPETENCE DES MONITEURS

Vous devez savoir que même Si personne n'est près de vous, revêtu de compétence et sacré par des maîtres, vous pouvez commencer, aujourd'hui, une démarche authentiquement Yoga. Vous irez moins vite que Si vous disposiez d'une aide, et après tout, pas nécessairement. Vous pouvez inciter d'autres personnes à emprunter cette voie et les faire bénéficier du peu que vous aurez acquis une seule chose est nécessaire: c'est d'être attentif à tout ce que vous ne savez pas, n'avez pas expérimenté. Dites ce que vous savez pratiquement, n'affirmez ou ne niez ce que vous connaissez par le dire des gens ou les livres.

La présence du moniteur permettra d'éviter, dès l'apprentissage, certaines erreurs techniques, dont beaucoup échappent à une description livresque. L'utilisation thérapeutique du Yoga ne pose pas de problèmes fondamentalement nouveaux : elle doit s'accompagner d'une prudence accrue dans la mesure où les conséquences d'une erreur théorique ou technique peuvent avoir chez les sujets fragiles des conséquences plus graves.

Plus le professeur manque d'expérience personnelle, plus il craint de n'être point " considéré ". Dès lors il est peut-être utile que les " yogathérapeutes " en formation aient à se perfectionner dans un groupe de malades, et dans un rôle de simples participants, sous la conduite d'un moniteur plus ancien. Lorsque un moniteur en formation donne un cours, son propre formateur peut prendre le rôle d'élève et se mettre sincèrement à son école : il en bénéficiera quant à lui en retrouvant la difficulté d'être enseigné; le nouveau moniteur pourra d'autre part recevoir ses avis à l'issue de la séance.

Il s'agit là, avant tout, du rapport moniteur-élève indépendamment du protocole adopté (cours particulier ou cours collectif). Dans le deuxième cas, et d'autant plus qu'on voudra en faire une technique de groupe plus qu'une technique en groupe, il sera opportun de permettre aux futurs moniteurs d'acquérir une formation aux techniques de groupe verbal et non verbal.

Le maniement du transfert n'a pas l'importance curatrice qu'il revêt dans la cure psychanalytique. Il ne s'agit aucunement de déclencher une " névrose de transfert " qui permettrait au sujet de revivre non-verbalement tous les émois qui l'ont structuré jusqu'au jour de sa rencontre avec le Yoga!

Dans l'idéal, la situation conflictuelle apparaît à l'intérieur du sujet lui-même, ici et de manière parfois très évidente, au niveau de son corps. La résolution des conflits vécus corporellement se fait de manière corporelle et semble faire refluer l'angoisse du somatique vers le psychique, pour autant que cette expression ait un sens. En d'autres termes, nous avons souvent constaté que la sédation d'affections psycho-fonctionnelles ou psychosomatiques se soldait par l'apparition de phénomènes expressément " psychologiques " (décharges émotionnelles, changements d'attitudes, décisions, etc.).

Dans la mesure où le sujet était enfermé par l'entourage dans une " définition " édifiée de manière rigide, ces phénomènes apparaissaient comme des " perturbations ", des " symptômes " à type de crises de nerfs, fugues, délire, etc.

Résoudre les conflits " somatiques " peut se résumer à apprendre certaines choses : comme de se réconcilier avec certaines postures, certains rythmes respiratoires, certains exercices d'expression non verbale en groupe. Se réconcilier implique qu'il ne faut pas effaroucher mais apprivoiser. Le moniteur doit donc se montrer (et être) précautionneusement non-directif par rapport au mode personnel de réalisation des exercices (durée des postures et des contrôles respiratoires, possibilité de ne pas faire l'exercice proposé ou de le remplacer par autre chose, etc.); tout ceci afin de ne pas transformer une éventuelle résistance du corps en une résistance à la personne plus ou moins mythifiée du moniteur. Le yogathérapeute adhère à un principe rogérien fondamental à savoir que le malade porte en lui-même le pouvoir d'une " guérison " qui soit réellement la sienne. " Vaincre " une résistance par rapport à un point technique n'apportera au moniteur qu'une satisfaction momentanée, vite déçue par l'apparition de troubles plus importants ou par le départ de l'élève.

Quand nous parlons de " solution somatique des conflits ", il est évident que c'est sans prétention théorique : cela recouvre une réalité irréductible au langage et falsifiée dès qu'on veut la 'comprendre', l'interpréter ou la critiquer dans les termes de la psychologie classique. Malgré le caractère discuté des travaux de Reich, nous invitons le lecteur à se reporter à son ouvrage " L'analyse caractérielle "5, ou un certain nombre d'arguments théoriques et cliniques tendent à prouver que la " cuirasse caractérielle " (l'ensemble des résistances psychiques interdisant le développement de la cure et la cuirasse musculaire (ensemble des tensions musculaires inopportunes), sont identiques sur le plan fonctionnel. On conçoit, dès lors, qu'il puisse exister une thérapie profonde de la vie " psychique " utilisant uniquement des techniques abolissant les tensions musculaires.

Le névrosé ou le psychotique venant au Yoga est comme un enfant enserré dans le maillot de ses propres tensions; la séance de Yoga en lui permettant de se défaire - au moins partiellement - de sa cuirasse musculaire équivaut à une libération du maillot : on assiste alors, selon les cas, à une détente de tout l'organisme tendant au sommeil ou au contraire à un besoin d'activité, d'explosion, de décharge d'énergies libérées à cette occasion6. On comprend l'utilité d'exercices d'expression faisant suite à la séance de Yoga; surtout Si l'on prend en considération que " cette joie est encore plus grande Si un partenaire, (la mère), participe à ces frétillements ".

Il semble que dans l'ambiance d'une séance de Yoga, les sujets vivent le groupe, plus encore que le moniteur ou la monitrice, comme s'il était leur mère. Les échanges non-verbaux n'ont pas systématiquement un caractère fusionnel mais l'ont parfois et une dialectique difficile à décrire verbalement fait osciller chacun entre deux façons d'exister, ou même trois pour soi, en tant qu'élément du groupe, pour tel ou tels autres du groupe... Sont renforcées toutes les expressions bien accueillies au niveau inconscient par les moniteurs et/ou le groupe, tandis que sont découragés les attitudes, comportements et expressions mal aimés du groupe et/ou des moniteurs.

Pour que s'épanouisse chacun des membres du groupe il faudrait que chacun accepte pleinement chacune des expressions de chacun des autres (c'est-à-dire que chacun soit épanoui!...). Le rôle du moniteur pourrait être de modifier ce cercle en une spirale. Mais il est difficile de valoriser chacun des membres du groupe et " l'on ne peut éprouver de sentiments inconditionnellement positifs envers autrui que dans la mesure où l'on se valorise soi-même inconditionnellement. Cette proposition repose sur l'hypothèse que l'expérience de soi est nécessairement ambivalente sauf lorsqu'elle implique une acceptation, un affrontement de l'angoisse au niveau le plus profond l'angoisse de la solitude, de la séparation, de la mort, de la différence avec autrui, de l'individualité, de l'incommunicabilité, angoisses qui s'évoquent mutuellement 7.

Solitude et solidarité se répondent comme la mort et la plénitude de la vie.

On voit combien il est utile que les moniteurs, en raison de leur place privilégiée dans le groupe, soient attentifs à leurs propres interdits et à leurs propres désirs. Il est utile qu'ils aient bénéficié d'une expérience thérapeutique personnelle. Si ce n'est pas le cas, il me semble absolument nécessaire que les moniteurs soient multiples et que la présence d'aucun à toutes les séances ne soit systématique. On prendra également garde que, si des participants aux séances, dans un statut de non-moniteur, ont un rang ou une importance particulière dans l'institution (médecins, internes, psychologues, infirmiers, surveillants, etc.), leurs attitudes, leurs interdits et leurs désirs peuvent avoir une influence comparable à celle des moniteurs, parfois même une influence plus importante. Il se peut d'ailleurs que leurs interdits et leurs désirs pèsent sur les moniteurs eux-mêmes.

La variabilité des résultats et leur caractère incomplet8 lorsqu'un professeur de Yoga, installé en ville, prend en charge des névrosés ou des psychotiques s'explique sans doute en grande partie par l'insuffisance de formation psychothérapique et par la structuration univoque du groupe en fonction des désirs et interdits d'un seul (précisément le professeur).

Nous connaissons des cas où la pratique des postures et respirations, aisée avec un moniteur donné, revêtant un aspect positif pour le sujet, sont devenues impossibles et anxiogènes sous la direction d'un autre professeur de compétence équivalente...

A ce stade de notre expérience et de notre réflexion, il apparaît qu'on a toujours avantage à mettre en présence du groupe d'élèves un " pool de professeurs ou

de moniteurs, plutôt qu'un seul, et cela d'autant que ces moniteurs ont moins de formation à la psychothérapie.
 

S'il est vrai que la fonction " timonière " du moi se structure à l'occasion de l'accès à la motilité intentionnelle (Spitz) dans un contexte relationnel avec la mère ou ses substituts, la manipulation de la motricité n'aura toute son efficacité que dans un contexte relationnel

le Hatha-yoga pratiqué seul apparaît ainsi beaucoup plus difficilement utilisable psychothérapiquement. Cela ne va pas contre les données de la tradition orientale qui regroupait un certain nombre de disciples ou d'adeptes autour du " guru ".

En France les professeurs de Yoga donnent des cours collectifs plutôt que des cours particuliers.

La grande majorité (78 % d'après Lacheny) regroupe plus de cinq élèves par cours.

Les raisons invoquées pour déterminer la dimension du groupe ne sont pas claires.

On a l'impression qu'il s'agit essentiellement de regrouper un maximum d'élèves, ce maximum étant limité par les dimensions de la salle, d'une part, par l'importance numérique de la demande d'autre part...

Les raisons économiques sont donc les plus évidentes. Surtout Si on considère la réponse des élèves eux-mêmes qui, pour un tiers, s'expliquent de leur choix d'un cours collectif, en disant que c'est plus profitable, alors que les 2/3 déclarent qu'ils n'ont pas trouvé d'autre possibilité ou que seule cette forme de pratique convient à leurs possibilités financières.

Ces mêmes raisons de rentabilité nous conduisent à proposer le Yoga de groupe en psychothérapie d'autant que l'on peut utiliser la dynamique affective du groupe pour renforcer l'effet du Yoga et l'action du (des) moniteur (s). Il convient que le groupe comporte un nombre qui permette un maximum d interactions. Dans les groupes verbaux, on a déterminé l'optimum autour de quatorze (plus de 7, moins de 21). Dans un groupe de yogathérapie, des chiffres entre 5 et 12 participants semblent correspondre à un idéal. (A la clinique Beaupuy, par exemple J. Weiner recevait dans son groupe 6 participants en moyenne).

IV. ATTITUDE DES MONITEURS

1. LA SOUPLESSE

Le (les) moniteur (s) doit être apte à percevoir, comme instinctivement, intuitivement, ce qu'il convient de proposer en fonction d'une perception empathique des besoins actuels du groupe. Cela ne s'apprend ni dans les livres, ni par un travail réflexif sur l'expérience vécue: le décodage de l'expérience au moyen de grilles livresques ou de la réflexion n'aura pas plus de valeur réelle que la réaction intuitive, (on commettrait autant ou plus d'erreur); par ailleurs c'est d'une réaction immédiate et dynamique qu'il s'agit et le travail de " réflexion "conduirait à répondre avec un temps de retard, c'est-à-dire qu'il irait à l'encontre d'une expression spontanée et immédiate de la part des membres du groupe qui serait dès lors engagé dans un processus de viscosité. La conséquence de la viscosité du groupe serait à long terme la survenue de phases critiques explosives d' " échappement "9. Il semble que la participation des moniteurs aux exercices, surtout aux exercices d'expression corporelle qui suivent la séance de Yoga dans notre façon d'opérer, permette à l'inconscient des thérapeutes de s'exprimer pour eux-mêmes et pour le groupe. La psychothérapie est alors conçue comme une mobilisation réciproque, un dialogue, un échange et non comme l'exploration de soi à travers la relation à quelque divinité impavide... Communication avec soi, à travers son corps et sa conscience, dans la partie " Yoga " de la séance, communication avec le groupe et les moniteurs dans les exercices d'expression corporelle ou verbale de la deuxième partie ~

Il nous paraît opportun d'instituer chaque fois que cela est possible, un groupe de Yoga réservé aux soignants. Pour la raison évidente que les soignants auront une action d'autant plus néfaste qu'ils seront eux-mêmes caparaçonnés dans un système défensif et interdicteur, d'autant plus psychothérapiques qu'ils seront épanouis, libérés, responsables, etc. L'intérêt du Yoga en ce domaine est qu'il prétend non seulement guérir ", pour autant que ce mot ait un sens, mais aussi épanouir, " réaliser " le meilleur de chacun, parfaire l'unification en chacun.

Il est moins ridicule qu'on ne l'entend dire souvent, d'affirmer que la " maladie mentale " est contagieuse! Les soignants de psychiatrie - même Si leur désir de soigner n'est que la conséquence de la nécessité de gagner leur vie - semblent affrontés à plus de problèmes psychologiques que les soignants de médecine générale. Aux yeux de l'opinion publique Si la rencontre du psychiatre et de son fou aide - parfois!? - ce dernier, il est indéniable qu'elle contamine le premier : " ils sont tous fous ces psychiatres "... Mis à part le côté schématique et stéréotypé de telles phrases, il n'en reste pas moins que le problème se pose. Le fou, celui qu'on écarte, celui dont le " timonier " est chancelant ou introuvable, parle cependant et sa voix amplifie ou répercute tout ce que chacun de nous écarte dans son comportement ou son intériorité pour n'être pas lui-même écarté de la société des gens " raisonnables " Le psychiatre a pour mission sociale de tenir le fou à l'écart, mais aussi de l'écouter, pour le comprendre, le soigner, voire le " guérir " et le rendre à la société 'normale'. Cette écoute revient à l'analyse sauvage du soignant par le soigné. Le discours délirant prend son interlocuteur à revers et lui dit ce qu'il s'est interdit de se dire, et cela par touches successives, qui portent plus ou moins, mais dont l'accumulation au fil des ans doit avoir des conséquences. Il est impérieux et urgent de reconnaître ce phénomène et d'en tirer les conséquences : la première étant que les soignants de psychiatrie doivent avoir accès à une forme quelconque de psychothérapie personnelle: non seulement pour mieux soigner, mais aussi afin de ne pas devenir malades. Cela paraît aussi indispensable que le port de lunettes filtrantes pour un ouvrier qui soude à l'arc. Une autre conséquence me semble être que l'ensemble du groupe social doit écouter la parole de l'institution psychiatrique.

L'existence de séances de Yoga réservées aux soignants, aurait un autre avantage de permettre aux moniteurs de bénéficier (dans une situation de participant) du Yoga qu'ils doivent enseigner. En effet et malgré la participation des moniteurs aux exercices qu'ils dirigent, ceux-ci leur bénéficient peu dans la mesure où ils doivent rester attentifs au groupe, guider les débutants, etc.

S'il est vrai que le degré de spontanéité d'un individu se mesure à sa capacité de jouer les rôles les plus variés, il ne faudrait pas que le moniteur de Yoga se fige au nom de principes théoriques toujours discutables dans une attitude stéréotypée de pur technicien des postures ou de la respiration, agrémentée de quelques pincées de " non-directivisme " ou de " neutralité bienveillante ". " Le thérapeute de groupe peut être amené à prendre, à certains moments très précis de la vie d'un groupe, une attitude active, interventionniste et gratifiante, se départissant de son attitude 'analytique'; réciproquement, le leader de groupe peut adopter une attitude interprétative, à certains moments de la vie d'un groupe " sans visée analytique12. En yogathérapie, il s'agit d'apprendre quelque chose au sujet, de lui permettre de se découvrir, de lui donner la possibilité d'accéder à certaines énergies, de lui permettre d'entrevoir tout l'inexploré de ses possibilités personnelles, de mobiliser son attention et d'élargir ses perspectives, de lui proposer des expériences avec son corps qu'il ne connaît pas ou qu'il méconnaît, de lui enseigner une technique d'harmonisation biologique et psychologique... Comment le moniteur formerait-il réellement s'il n'acceptait de se départir de son attitude de premier de cordée, de père respectueux et bienveillant pour adopter des attitudes très variées, d'une variété indéfinie, comme la vie qu'il propose à ses 'élèves' de ne plus malmener, étouffer, figer, distordre, etc. Il doit être spontané, fidèle à sa propre réalité et c'est pourquoi il doit se donner les moyens d'être tour à tour interprétatif, miroir, non-directif, autoritaire, passif, près et loin, grand et petit, impassible et ému, etc. Celui qui veut soigner par le Yoga ne devrait pas se l'interdire " pour formation insuffisante " même s'il n'en " a " aucune! Il s'apercevra sans doute simplement qu'il est souhaitable de se connaître au mieux, de s'unifier autant que cela est possible et donc d'utiliser tout ce que la tradition et la science lui indiquent comme moyens éprouvés.

Ce qu'on vient de lire a quelque chose de déroutant, de choquant peut-être. Ainsi rien de fixe, rien de précis, rien de méthodologiquement satisfaisant la voie ouverte à tous les charlatans, la justification de toutes les aberrations, le chaos technique!

Qu'on y prenne garde, Si les règles peuvent mettre en évidence les transgressions anti-thérapeutiques, elles peuvent aussi servir d'alibi et bloquer le dynamisme de l'évolution des hommes 'malades' ou non. Il est illusoire de croire qu'elles pourraient nous prémunir des erreurs puisqu'aussi bien, et sans doute pour longtemps, nous ne sommes certains que de bien peu de choses quant à l'évolution psychique, à ce qui la suscite, à ce qui l'entrave et où elle devrait conduire... La valeur du Yoga sera très liée au savoir4aire du moniteur et aussi, quoi qu'on en veuille, à son savoir être.

2. CONGRUENCE

Cette souplesse d'attitude proposée au moniteur ne correspond pas à un " n'importe-quoi-isme ". Il s'agit pour lui d'être au plus près de son vécu propre et de celui du groupe, à un niveau profond, infra-verbal ; il s'agit pour lui de se manifester au plus près de sa propre vérité : ce que Rogers a appelé " congruence " qui est une certaine forme de la sincérité. Le thérapeute cherche à n'exprimer que des sentiments réels, il tente de se révéler tel qu'il est, afin que le " client " puisse avoir confiance et se révéler à lui-même, tel qu'il est. Mais il s'agit d'un idéal, auquel on ne peut se conformer que, dans l'exacte mesure où, on est en communication avec sa propre profondeur; cette communication n'est ni parfaite, ni stable et la congruence ne sera ni parfaite ni stable, et donc, non plus, la confiance du client au thérapeute. Rien ne serait plus néfaste qu'une compréhension rigide de ces idées : chacun de nous est complexe, l'unité de chacun de nous est approximative et l'expression de soi " sans compromission et sans mensonge " risque fort de n'être souvent qu'un mensonge plus pernicieux, irrespectueux de soi-même et de l'autre.

P. Naville, dans le Vocabulaire de psychologie, donne une définition de la " congruence " dans le langage de la psychologie expérimentale : " Effet de confirmation, lié à la convenance particulière, entre un stimulus et une réponse, ou une chaîne de stimuli-réponses-stimuli. Cette notion ne suppose pas un caractère affectif à la liaison établie ". Quoique la congruence dont nous parlons suppose ce caractère affectif, l'application de cette définition au concret est, pourtant, éclairante :

Ce dernier stimulus remet en question, en partie, tout ce qui avait été acquis auparavant, même Si les participants ne discernent pas ce qu'aurait dû exprimer le thérapeute pour rester vrai. Il se crée une ambiance dans laquelle, Si cela se répète, chacun dira : " il ne faut pas dépasser ce qu'on peut " et où chacun fera l'inverse...

3. LA PARTICIPATION EMPATHIQUE

Si on ne tient pas à varier les postures et les respirations à l'infini (et je pense que ce n'est pas souhaitable), on pourra très rapidement, lorsque les exercices seront connus, quant à leur forme extérieure, abandonner les démonstrations devant le groupe, abandonner même le contrôle de la réalisation et les conseils pratiques individuels ou collectifs, pour, soi-même et comme les autres membres du groupe, exécuter les différents exercices. Ainsi chacun pourra développer un effort personnel moins dépendant du regard parental et des jugements prêtés au " maître ". Cet être tout-puissant, dans la mythologie inconsciente du groupe, en " revenant dans le rang ", perdra une partie de son prestige et sera vécu comme moins menaçant; lui aussi essaie d'écouter son corps, son organisme, lui aussi se comporte, au regard, de manière limitée et insuffisante. L'imitation dépassera alors celle d'une réalisation formelle pour chercher à reproduire une attitude profonde de tolérance et d'acceptation vis-à-vis de ses propres imperfections et limites, une attitude de non-compétition à l'égard de soi-même et des autres.

On verra le groupe accepter de mieux en mieux les différences de comportement en son sein. Il y aura possibilité pour chacun de s'identifier aux moniteurs tout en se dégageant de leur emprise. Cette attitude des moniteurs, pour autant qu'elle est réalisée, lutte contre l'hyper-dépendance des 'malades' habitués à voir dans le personnel soignant l'autorité infantilisante, la sécurité aliénante. Les potentialités personnelles pourront enfin se manifester et on verra les 'chroniques' se 'déchroniciser'. Baal tombe en poussière. A moins qu'il ne s'agisse Si on n'y prend garde de façons démagogiques Si le moniteur se manifeste moins capable de telle performance qu'il ne le devrait en ce lieu et cet instant (le jeu de qui perd gagne) ou s'il exprime systématiquement de quoi satisfaire l'attente du groupe ou de tel participant.

Cette attitude ne crée pas de " névrose de transfert " et par là s'écarte de l'attitude analytique. Une attitude d'inexpressivité frustrante pourra pourtant être occasionnellement utilisée suivant le moment de la thérapie, avec qui elle se fait et par qui elle est faite! Mais en général les phénomènes de transfert ne seront pas favorisés ni analysés systématiquement. Le leader d'un groupe non analytique doit pouvoir utiliser à certains moments la technique analytique frustrante; il peut même être utile de faire une interprétation transférentielle, sans vouloir aller trop au fond des choses cependant " tout est une question de dosage "... Avec Jordi12 nous pensons que de telles interprétations ne doivent être faites que dans 1' " ici et maintenant " de la séance sans remonter explicitement aux conflits-mère vécus dans l'enfance.

V. LA NEUTRALITE BIENVEILLANTE?

On laissera de toute façon cette latitude d'interpréter à ceux qui ont " appris " à le faire. Quant aux autres, qu'ils ne se laissent point aller à la tentation, que chacun connaît, du " mage impassible " ou de la " neutralité bienveillante ~. Ces attitudes Si elles s'ébauchent, reçoivent un renforcement de la part du groupe de participants qui y voient la marque de la puissance surhumaine sinon divine. Les cours aux infirmiers de psychiatrie, aux psychologues et même aux psychiatres n'insistent généralement pas assez sur le caractère illusoire de ces attitudes (hors et dans le cadre psychanalytique).

En yogathérapie, que la relation du moniteur aux participants et des participants aux moniteurs soit d'abord comprise comme une relation de sujets humains. J'ai essayé ailleurs de formaliser cette relation


Soit une rencontre quelconque entre H, sujet humain (thérapeute par ex.) et H', autre sujet humain (participant du groupe par ex.).

Soit H1 = H à l'instant t1 H'1= H' à l'instant t1

Soit H2 = H à l'instant t2 H'2= H' à l'instant t2

Soient C = les circonstances indépendantes de H et H'

(qui jouent pendant la durée {t2 - t1}).

Je peux écrire

H2 = f ( H1,H'1, C, t2 - t1)

et

H'2 = f (H'1, H1, C, t2 - t1)


Que voudrait dire " neutralité " ? Si H est neutre, cela veut dire qu'il n'a aucune réaction à H' ou encore que H2 = f (H1, C, t2 - t1). Dans ce cas : H' = 0. Ou plutôt il est inclus dans l'ensemble C des objets environnants. Il n'est pas de pire insulte. Et c'est une erreur... de calcul! La rencontre change le thérapeute, et plus peut-être s'il s'agit de rencontrer un 'malade' qui fait d'une façon ou de l'autre entendre la voix de l'inconscient... La " neutralité " n'est peut-être qu'une défense (sans grande solidité!) à cette voix qui fait écho à tant de cris en moi que je m'efforce de ne point ouïr.

Même si je suis analysé et que je continue à m'auto-analyser!

Rogers affirme avoir montré que les psychanalystes efficaces sont ceux qui, en fait sinon dans le principe, ont trahi cette fameuse neutralité13.

Le psychothérapeute, le pédagogue, le psychologue ne peuvent se dire ou se croire neutres. Ils devront cheminer entre cet écueil de la " divinité impassible " Si agréable à leur narcissisme et cet autre écueil, qui serait avant tout de chercher à se satisfaire dans leur client en usant de démagogie... C'est en usant des possibilités de la " centration-décentration " que le guide évitera ces deux précipices, dont chacun ferait de lui un " aveugle guidant un autre aveugle "...

Mac Luhan14 insiste sur l'engagement nécessaire en pédagogie : " engagement signifie mobilisation de toutes les facultés dans une situation donnée et exige un échange constant de l'individu avec son environnement. Et pour qu'il désire maintenir la continuité de l'échange, il doit avoir le sentiment d'un but à atteindre. En d'autres termes, l'élève et l'entité enseignante, doivent être maintenus dans une relation d'échange, attrayante et motivée. Si ces conditions sont réunies, l'élève n'éprouvera plus le désir d'abandonner l'expérience ".

Généralement, au niveau du comportement grossièrement observable, les remarques ci-dessus sont de peu de portée. En effet la séance de Yoga n'utilise que par exception le langage parlé : il y a silence verbal, idéique et moteur (même mimique!) au moins comme projet constant. Bien sûr, Si, selon notre proposition on s'adonne ensuite à de l'expression corporelle, il n'en va pas de même... De toute façon, pendant les postures les plus immobiles elles-mêmes, et dans la mesure où le contrôle mimique, moteur, respiratoire, postural, etc. est non-compétitif, c'est-à-dire non centré sur le regard des autres (s'il s'agit d'un travail sur soi destiné à désamorcer les " vagues " du psychisme : sentiments non actuels, soucis, projets, désirs, etc.) une foule de choses " passent " entre les participants; l'attitude de " masque neutre " dans sa rigidité laisse également passer des choses... mais surtout la volonté de puissance de celui qui l'adopte!

Martin développe un point de vue analogue à propos de sa tentative de psychiatrie communautaire15 " Traditionnellement, on attend du personnel d'hôpital qu'il soit aimable, sympathique et compréhensif envers tous les malades et l'on enseigne aux infirmiers de ne pas laisser leurs sentiments intervenir dans le traitement et dans leur attitude envers le malade. C'est une exigence idéaliste et irréelle puisque nos sentiments affectent inévitablement notre attitude envers nos malades et ainsi notre façon de les manier.

Cet enseignement amène souvent le personnel à se sentir coupable ou honteux de la colère ou de la crainte qu'il éprouve souvent pour ses malades. Il peut alors essayer de couvrir ou de cacher ceci, à la fois aux collègues et aux malades. Il lui sera ainsi impossible d'agir librement et efficacement dans ses relations avec les différents malades impliqués. Bien plus, l'hostilité cachée peut trouver une expression indirecte dans le rejet16 du malade, de bien des façons subtiles, aggravant ainsi le problème et empêchant la guérison ".

A ce propos, je pense utile que les " yogathérapeutes " échangent leurs vues, dans des réunions " entre eux " à propos des sentiments que font naître chez chacun tel ou tel client.

L'intégration à un même niveau de communication non-verbale, des malades et des soignants (expression corporelle) permet des échanges non-hiérarchisés et contraint chacun à une manifestation de ses sentiments

d'attraction, de répulsion, etc. dans une ambiance de jeu cathartique dépourvu d'impact culpabilisant.

Cet engagement " du thérapeute doit se baser sur une coopération de plus en plus nette entre lui et les malades, en vue de la " guérison ", ou mieux, dans le sens d'une évolution libératrice17

" Le psychothérapeute n'est pas plus un censeur qu'un magicien; il est le collaborateur de son patient et il faut que ce dernier en soit convaincu. Pour qui est habitué à l'attitude olympienne recommandée par la psychanalyse classique, ceci peut paraître une stupéfiante " libéralité ". Van den Berg reconnaît d'ailleurs qu'elle ne présente que des avantages. Il suffit de constater avec quelle étonnante acuité les névrosés savent dépeindre le personnage de leur psychanalyste pour rejeter définitivement ce masque de prétendue impassibilité dont se revêt le freudien orthodoxe "18 (ou tel professeur de Yoga...).

Une analogie suggestive peut être établie entre l'attitude de neutralité bienveillante et la définition métaphysique de Dieu par Thomas d'Aquin et Aristote. Il s'agit en effet d'une relation dans laquelle un être 1' " analysant " est censé évoluer en raison des phénomènes qui se déroulent en lui grâce à sa rencontre avec l'analyste. Sans analyste, il n'y aurait pas d'analyse

l'analyste est donc le moteur de la cure en tant qu'analytique (c'est-à-dire pour autant qu'on doit la distinguer d'une évolution spontanée dans les circonstances non techniquement définies en tant qu'analytiques). Si l'analysant est mu en tant que tel par sa rencontre avec l'analyste, ce dernier doit être sans réaction affective indiquant un mouvement en lui qui résulterait de la rencontre analytique. Il est donc, au moins idéalement, immobile d'un point de vue affectif. Moteur et immobile, l'analyste par rapport à l'analysant est comme Dieu par rapport au cosmos.

On pourrait de même montrer qu'il tend par là même à se présenter au patient avec l'ensemble des autres caractéristiques divines bienveillance infinie (Dieu est Amour...), Vérité, Justice, etc. L'analysant est ainsi affronté selon la méthodologie elle-même (et non en fonction d'attitudes erronées, perverses ou accidentelles) de la psychanalyse à un Homme-Dieu qui est le psychanalyste. Cette confrontation à une idole n'est pas sans valeur thérapeutique, d'autant qu'on assure que l'analyse du transfert en est résolutive et que l'analysant est amené à désinvestir l'idole de l'adoration qu'il lui portait. Quelques indices font cependant penser que l'analyste se prend parfois à son propre piège et pense détenir la 'vérité', au point de fabriquer un temple, un culte (et un denier du culte), des hiérarchies sacrées, une initiation, des excommunications, la chasse aux hérétiques, etc.

Les analystes qui se sont penchés sur les psychoses - lorsqu'elles existaient - ont été amenés à proposer des thérapies non plus analytiques mais anaclitiques, c'est-à-dire dans lesquelles la gratification prendrait la place de la frustration. Cette nouvelle perspective les amenèrent à s'engager résolument dans la relation et nécessairement à abandonner sinon la bienveillance, du moins la neutralité.

L'étendue du champ intermédiaire entre 'névroses' et 'psychoses' s'agrandissant tous les jours et la frontière apparaissant comme une vue de l'esprit, il n'est pas extraordinaire que le concept de " neutralité " ait perdu du terrain chez les analystes les plus orthodoxes. Le complexe de Baal guette pourtant toujours le thérapeute, d'autant qu'il est moins expérimenté et qu'il a acquis moins d'humilité, d'autant qu'il garde à la conscience qu'on ne peut s'impliquer n'importe comment, dans une sort d'immédiateté de l'échange le spontanéisme faisant peut-être autant de dégâts que l'attitude olympienne...

A l'occasion de son engagement thérapeutique le psychothérapeute-parent veut garder - avec juste raison - une " distance " tout en donnant le plus de champ possible à sa réceptivité. S'il n'a pas simultanément cette distance et cette empathie à l'égard du soigné, ce dernier sera terrifié par la fusion ou s'y perdra (et elle ne peut avoir de lendemain) ou se sentira, une fois de plus " étranger ".

Le 'psychotique', le 'borderline', et à un degré moindre le 'névrosé', refuseront la psychothérapie-nourriture Si elle est administrée dans la tempête de l'amour captation-assimilation. J. Lacan écrit19 " c'est l'enfant que l'on nourrit avec le plus d'amour qui refuse la nourriture et joue de son refus comme d'un désir ". " Confins où l'on saisit comme nulle part que la haine rend la monnaie de l'amour, mais où c'est l'ignorance qui n'est pas pardonnée ". On nous permettra de ne pas être d'accord avec le mot " ignorance ", ce n'est pas d'un savoir, conceptuel, verbal, ventriloque, dont il s'agit; c'est d'une compréhension qui a peu à voir avec l'intellect : il s'agit plutôt de ce tact, cette finesse, ce respect, cette compréhension, profonde mais ineffable, justement dans la mesure où elle n'a rien de commun avec un savoir, aussi plein de subtilité qu'on l'imagine.

On est ici très loin d'une attitude scientifique une telle attitude considère des objets et c'est une insulte quand on parle à quelqu'un. Cette empathie et cette compréhension n'est pas une sympathie qui fait de l'autre un autre moi, en prétendant que je suis un autre lui. Cette compréhension est du domaine des fonctions psychiques que Jung appelle " intuition " et " sentiment ". On sait qu'il faut, pour cet auteur, les voir diamétralement opposées aux fonctions propres à conquérir le monde des objets : sensation et pensée...

La thérapie est nécessairement un dialogue il ne s'agit pas de donner la parole ou de la recevoir, il s'agit de l'échanger, mais de l'échanger entre des sujets-objets et non entre les instances d'une dyade fusionnelle... Et ce n'est pas Si facile... il n'est pas Si facile de dire en vérité le mot principe Je - Tu à bonne distance du Je-tu (qui serait vite un je tue) monologal et du je-cela (l'attitude scientifique, technique). Cet être à qui je dis Je-Tu n'est pas une chose entre les choses, il n'est pas que cela. " Il n'est pas Il ou Elle, limité par d'autres Ils ou Elles, un point de l'espace et du temps porté sur le réseau de l'univers. Il n'est pas non plus un mode de l'être perceptible, descriptible, un faisceau lâche de qualités définies. Sans voisins et d'une pièce, il est le Tu et il remplit l'horizon. Non qu'il n'existe rien en dehors de lui; mais toutes choses vivent dans sa lumière.

La mélodie ne se compose pas de sons, ni le vers de mots, ni la statue de lignes, car c'est à force de les tirailler et de les déchiqueter qu'on arrive à faire de leur unité une multiplicité; de même chez l'homme à qui je dis Tu " ~ Je peux extraire de lui un diagnostic, la variété de ses symptômes, les éléments de sa biographie, les mécanismes de sa psyché, sa structure, déjà, il n'est plus le Tu.

VI. STRUCTURE DES RELATIONS EN YOGATHERAPIE

J'ai souvent évoqué dans les pages ci-dessus une image caricaturale de la psychanalyse mythifiée. Non

que je récuse Freud et ceux qui en sont issus; mais la psychanalyse d'abord digue de tous les bûchers en est sortie triomphante et court actuellement le risque de tous les triomphalismes la statufication rayonnante et le défaut d'humilité d'une part, la multiplication des gadgets en plastiques pour magasins de piété, d'autre part. C'est à ce deuxième niveau que le danger m'apparaît évident, de manière quotidienne : on voit circuler nombre de psychothérapeutes d'autant plus éclatants dans leurs propos qu'ils ont mauvaise conscience et revêtent le masque du supposé-savoir comme une cartomancienne qui n'aurait point fait les frais d'un jeu de cartes. Des " concepts " psychanalytiques réduits à leur plus simple abstraction, au lieu de servir le soignant l'obèrent souvent, mais il n'ose aller plus loin ni s'en passer.

Je veux ajouter aussi, combien l'histoire du Yoga, les motivations qui poussent à s'y intéresser, à beaucoup lire et à fort peu pratiquer, etc. combien tout cela et pis encore : la " maîtrise de soi " ou la " sérénité orientale " en forme de " gourou ", a d'analogie avec les pièges que je dénonce à propos de la " psychanalyse ", les mêmes mécanismes sont en jeu. La même. volonté de puissance peut utiliser les mêmes armes vendre cher, peu se manifester, sourire et, mystérieusement, se taire.

Peut-être mon insistance paraîtra lourde, mais il s'agit d'éviter aux 'malades' une relation qui les rendraient plus aliénés encore. Il existe un phénomène d'identification au Moi idéal des thérapeutes qui peut se multiplier par lui-même dans un groupe par le " processus d'identification des malades entre eux, ou au Moi idéal du groupe "21.

A la suite de Choisy, et comme elle l'a compris22, le conte suivant me semble éclairant par rapport au problème " moniteur-participants ", même et surtout quand on ne parle pas dans le groupe et qu'on ne favorise d'aucune façon les échanges (verbaux ou non).

" Il était une fois six jeunes gens qui avaient des problèmes. Ils décidèrent d'aller trouver un gourou qui leur répondit :

- venez habiter avec moi pendant un an. Voyez vous-mêmes d'abord si je suis capable de résoudre vos problèmes. Moi, de mon côté, j'observerai votre comportement, vos besoins. Alors, au bout d'un an, nous déciderons : vous, Si vous devez me poser vos questions, et moi, si je dois y répondre.

Après que les six jeunes gens eurent passé quelques années auprès du gourou, ils purent, sans que le gourou ait à dire quoi que ce soit, résoudre leurs problèmes.

D'ailleurs, ils n'avaient plus de problèmes ".

M. Choisy montre que la transmission peut aller autrement que par la parole. Par les cinq sens, dit-elle, et plus énigmatiquement : " la transformation s'opère par l'intérieur, d'inconscient à inconscient ".

Elle semble confondre, un peu plus loin, le problème de la régression et celui de la communication non verbale. Que le soigné aille au soignant, dans tous les cas, plus encore s'il s'agit de maladie " nerveuse " ou " mentale ", dans une attitude régressive, comme un enfant vers un adulte dont il attend quelque chose, il n'y a pas de longue démonstration à en faire. Je crois que personne ne le discute sérieusement. Que cette régression soit favorisée par le divan de l'analyste, le prix qu'il fait payer, les règles qu'il impose, c'est encore indiscutable. Que le gourou ait agi de même en dramatisant l'échange (si vous devez me poser vos questions, et moi si je dois y répondre), encore oui !

Mais l'échange non-verbal (à travers les cinq sens) n'exige pas de régresser. Il est, de fait, le plus souvent lié à des phénomènes de relations régressives mais pas nécessairement. L'usage habituel des mots fait oublier tout le reste lorsqu'on parle de la relation, mais tout le reste garde une très grande importance.

Ne pas pouvoir utiliser le mot et le concept est une façon de retourner à l'époque infantile d'avant le langage; ne pouvoir utiliser que ce dernier est une privation dommageable liée pour une part à notre culture. Il n'est pas exclu - Si on croit que l'évolution thérapeutique se place essentiellement au niveau affectif, relationnel, etc. - que tout puisse se passer sans échange de mots. L'interprétation peut se faire sans mot. 3e veux dire ici qu'il est trop rapide de disqualifier au niveau thérapeutique les " groupes ", ou les thérapies duelles sans interprétations. Il peut même paraître opportun d'en faire l'économie (des concepts, des mots, des interprétations) lorsque le malade ou son thérapeute aurait tendance à fuir ce qui est en jeu à travers le rationnel.

Quoi qu'il en soit de cette position, je propose de lire l'évolution de la cure de yogathérapie selon les schémas de Berne23.

Il existe pour chacun de nous trois attitudes fondamentales

Ces relations sont complémentaires et Berne a montré que Si cette complémentarité est mise en échec, l'un des protagonistes est désarçonné et amené, soit à la rupture de l'échange, soit à réformer sa propre attitude...

" Parent " et " enfant " sont des attitudes quasi-délirantes dans la mesure où elles ne correspondent pas au statut 'réel' des personnes en jeu.

On peut considérer que, dans un service de soins (plus encore en maison de cure psychiatrique) et dans toute relation thérapeutique, la structure des échanges se fait entre le parent-soignant et l'enfant-soigné. (Fig. 2, à gauche).

Cette structure complémentaire s'établit avant même le premier contact (les images stéréotypées du soignant et du soigné). Si elle prend sa source dans la demande et l'attitude du soigné, elle trouve très souvent une correspondance profonde - une connivence - dans le psychisme du soignant.

 


Figure 2 Schéma Transactionnel


L'idéal évolutif de la cure de yogathérapie sera d'amener une modification des échanges symbolisée. ci-dessus (fig. 2).

Ceci, sans désamorcer d'emblée et sauvagement la structure initiale, mais en acceptant le rôle de parent dans un premier temps et en favorisant le glissement de chacun des rôles vers l'attitude adulte.

Le moniteur de yogathérapie accepte d'abord l'attitude pédagogique nécessaire à la tâche qui consiste à faire connaître les exercices du Hatha-yoga : il explique la posture, la respiration, il les démontre, demande qu'on les exécute et vérifie s'il a été compris et suivi.

De même pour les exercices d'expression corporelle: il donnera des thèmes d'exercices et s'assurera au niveau de l'exécution que la compréhension a suivi ses explications.

Très rapidement - quitte à revenir de temps à autre au premier stade - il demande au groupe que l'un de ses membres propose des exercices de Yoga ou d'expression.

Comme je l'ai dit à propos du principe de non-violence, le thérapeute essaie de se situer de manière non-directive par rapport au groupe et à chacun de ses membres. Il conçoit sa tâche en fonction du groupe et est amené parfois à intervenir autoritairement à l'égard de tel participant amené à la séance par le désir spécifique de perturbation (s'il n'a pu, par exemple, exprimer librement son agressivité à l'égard d'autres instances de l'institution). Il n'est pas contradictoire de parler d'une pédagogie non-directive comme le souligne Rogers. Non-directivisme qui peut parfois mal correspondre à l'attente ou même aux possibilités des participants... On comprendra donc qu'il faut user de souplesse et se permettre des nuances. Dans de telles conditions il nous est apparu que l'attitude non-directive favorise une autonomisation rapide du groupe. Dans les différentes expériences auxquelles j'ai participé, il s'est trouvé, à plusieurs reprises, qu'aucun animateur officiel " ne soit présent pour assurer la coordination de la séance. Dans chaque cas, spontanément, un membre du groupe, a rempli ce rôle d'animateur à la satisfaction de tous.

A la Clinique Beaupuy, J. Weiner rapporte : " pendant les dix jours de mon congé, le groupe, muni des autorisations médicales nécessaires, a fonctionné seul. Il s'agissait, à ce moment4à, d'un groupe de fidèles 'adeptes' ayant fait d'étonnants progrès ".

G. Bompart note qu'un des clients du groupe, qui a fait du Yoga avant son entrée à l'hôpital, la remplace Si elle est absente. Elle estime qu'il obtient de meilleurs résultats qu'une soignante très souple mais peu familière de 1' " esprit " du Yoga.

Ce passage progressif de la dépendance à l'autonomie peut être favorisé ou défavorisé par le projet profond de l'animateur, qu'il se manifeste ou non par une transgression visible des principes que nous proposons. En effet, le moniteur placé, par le groupe et par lui-même, dans la situation de maître, tend à maintenir la fumée de gloire qui l'encense dans l'univers clos de la cure. D'autre part, et comme l'éducateur à l'égard de l'enfant, ses sentiments s'équilibrent entre les deux pôles, de la solidarité et de l'antagonisme, à l'égard des soignés qui lui font confiance : solidaire des soignés parce qu'intéressé à une technique commune (le Hatha-yoga), espérant évoluer vers un plus grand épanouissement personnel; rassuré par la chaleur fusionnelle du groupe ou angoissé par ses tensions, etc.

Une autre solidarité lie le moniteur aux participants il reconnaît plus ou moins confusément en lui les mêmes attitudes régressives, qu'il a éprouvées ou qui le renvoient à sa propre enfance. Cependant cette solidarité, justement à ce niveau, peut être refusée et se muer en antagonisme. Dans la mesure où les soignés réveillent ce qu'il se refuse, ou se refusent ce qu'il se permet. Le soigné l'est parce que " anormal ", déviant, menaçant ainsi la normalité et le conformisme du soignant. Cet antagonisme se nourrit de la différence et s'accroît de tout ce qui, chez les soignés, diffère de l'idéal propre du soignant, de sa propre façon de voir le monde, la vie et la mort. Le soigné devient un adversaire qui pourrait rompre une tradition, défendre la cause adverse, soutenir ce que le soignant combat avec la dernière énergie. Dès lors le malade se charge de tout ce qui est détestable dans l'enfance la faiblesse, l'infériorité, les tendances combattues, le mal... (Allendy).

Le moniteur devra s'interroger fréquemment sur ses attitudes profondes à l'égard des soignés dont il prend la responsabilité; il ne s'agit pas d'un simple travail de réflexion et nous devons beaucoup à Freud pour nous l'avoir fait découvrir. D'autant que le moniteur est perçu par le groupe à la fois au niveau de la perception, sans doute avec tous les phénomènes projectifs qu'elle implique, mais aussi au niveau d'une " communication d' inconscient à inconscient " particulièrement frappante chez les psychotiques, et dans les situations de groupe. Que cette communication soit à base d'intuition (à partir des mimiques, des expressions non-verbales variées, des mots) ou de type différent (si l'on admet l'hypothèse télépathique). Il ne s'agira donc pas uniquement pour le moniteur d'un travail technique sur lui-même, comme de prendre conscience des phénomènes contre-transférentiels dont il est le siège, mais aussi d'un travail plus essentiel, plus fondamental qui a sans doute à voir avec son propre mouvement réalisateur, avec sa propre difficulté éthique ou spirituelle, en dernière analyse.

Dans la mesure où l'on ne peut exiger de chaque thérapeute " de bonne volonté " ni qu'il soit psychanalysé (ce qui serait, on l'a vu, encore insuffisant, en soi), ni qu'il ait atteint un degré élevé de " réalisation " personnelle, le problème se pose de l'unicité ou de la pluralité des animateurs -

VII. UN OU DES MONITEURS POUR LE GROUPE DE YOGATHERAPIE?

Pour cette raison théorique et en fonction de données pratiques que nous verrons, il est préférable qu'il n'existe pas un seul moniteur, mais plusieurs.

Au point de vue " scientifique ", aucune preuve de cette assertion n'existe. Nous avons essayé de comparer l'efficacité d'un groupe avec unicité du moniteur et d'un autre animé par trois personnes ou plus. Nous n'avons pas observé de différence quantitative par rapport aux résultats de ces deux groupes. Les conditions d'évaluation des résultats étaient critiquables (nombre de sorties définitives ou d'adaptation satisfaisante à la vie de l'institution), les groupes comparés n'appartenaient pas à la même institution, ne pratiquaient pas les mêmes exercices de Hatha-yoga, etc.

En attendant qu'une telle preuve soit administrée, il me semble préférable de faire fonctionner successivement ou simultanément plusieurs moniteurs (deux, trois, quatre ou davantage) partageant des conceptions et des attitudes thérapeutiques compatibles, mais différant tant au point de vue de leur personnalité, que de leur statut, leur âge et leur sexe. Chacun, dans une telle pratique, doit, bien entendu, être conscient qu'il ne représente qu'un des éléments référentiels aux yeux des soignés.

Une équipe de soigneurs en yogathérapie devra, pour devenir soignante, tenir compte de ce fait c'est elle, l'équipe, qui constitue le référant du groupe des soignés. Dès lors tout ce que j'ai dit plus haut au sujet du moniteur s'applique à l'équipe.

Tout ceci devrait nous amener au problème du degré de réalisation de l'équipe en tant qu'équipe, problème aussi difficile à résoudre sans " idéalisme " de mauvais aloi, parce qu'illusoire, que celui de la réalisation humaine du moniteur lorsqu'il est unique.

C'est oublier que la yogathérapie, comme toute thérapie (le Yoga, comme tout effort vers la réalisation de soi), est un mouvement, un projet Si l'on veut. Un mouvement d'un groupe et des membres de ce groupe. Est-ce le moniteur qui est responsable de ce mouvement, les moniteurs s'ils sont plusieurs, l'ensemble soignants-soignés? Seule la dernière hypothèse peut être soutenue s'il s'agit du mouvement des personnes et non de celui des objets. Les enfants n'apprennent pas à marcher parce qu'un adulte les comprend ou les écoute. Ils marchent parce que voyant que les adultes marchent ils d& sirent, eux aussi le faire, ils marchent parce que les adultes les appellent, ils marchent parce qu'ils voient d'autres enfants - un peu plus grands - marcher, parce que les adultes les aident ou les soignent lors de leurs chutes, les avertissent des dangers, etc.

Le lecteur s'étonnera peut-être que j'aie fait cette analogie qui semble réduire à une seule, trois démarches qu'on distingue généralement (quand on ne les oppose pas !)

Il est probable qu'il est nécessaire d'accentuer ou de permettre une " régression " lorsqu'on veut promouvoir un nouveau pas en avant. L'analyse et les thérapies voisines utilisent un protocole frustrant qui favorise la reviviscence des premières expériences de la vie. Si - et dans la mesure où 24 - le psychanalyste est neutre et bienveillant, le sujet apprend à s'aimer indépendamment de toutes ses expériences; il est considéré avec une bienveillance qui transcende le bien et le mal, le beau et le laid, le vrai et le faux, etc. Il apprend ainsi sa valeur. Et comme tout peut se dire, il apprend à pouvoir tout se dire et trouve un plus large accès à la spontanéité, à l'imagination, à l'objectivité, etc. Aimé (en tous cas pas " rejeté ") malgré tout ce qu'il se croyait d'inavouable, il peut nouer des relations plus authentiques et par là être plus assuré de ce qu'il vit.

Mais ce mouvement progressif, à travers la reviviscence, n'est actualisé par le psychothérapeute analytique que dans la limite de ses interdits propres, de sa capacité d'accepter l'altérité du soigné. Ce qui avait été puni ne l'est plus, ce qu'il fallait taire peut être dit, dans une certaine mesure, dépendante de l'équation personnelle du soignant, à ce moment-là. Le progrès de l'analysé est également mesuré par la capacité d'aimer du soignant. Si on nous suit dans cette façon de voir les choses, la psychothérapie se trouve fort rapprochée de la pédagogie, la différence résidant surtout dans ce fait que cette dernière n'est pas seulement une structuration de l'affectivité, mais aussi la transmission d'un savoir.

Les thérapies anaclitiques reprennent ce point de vue en le poussant à ses conséquences ultimes.

Il n'y a pas à établir de fossés entre psychothérapie et pédagogie, il nous faudrait peu d'efforts pour montrer que pédagogie et psychagogie, ou psychothérapie et psychagogie sont en parfaite continuité. Ainsi le Yoga qui est à l'origine une psychagogie peut devenir au prix de quelques nuances et de beaucoup de prudence une psychothérapie : il conservera pourtant un versant nécessairement " pédagogique " car il est aussi un savoir-faire, et donc un savoir qui se transmet. L'existence de plusieurs moniteurs dans une telle perspective est souhaitable comme l'est celle de plusieurs parents tout d'abord un homme et une femme. Eventuellement plusieurs hommes et plusieurs femmes, sans tomber dans une multiplicité qui ne permettrait pas la naissance et l'exploitation de liens repérables entre soignants et soignés. La demande d'être soigné se mue très fréquemment et très vite en une demande d'être " rééduqué ". C'est donner à cette demande une réponse déjà confirmante que de proposer un moniteur-homme et un moniteur-femme. Desoille a fort bien mis cela en évidence pour sa technique de Rêve Eveillé Dirigé. Il préconise qu'il y ait deux thérapeutes, même Si l'un des deux est peu rôdé à cette méthode, dans ce cas il serait présent mais passif. Il propose, lorsque c'est possible, que chacun soit thérapeute actif tour à tour. Nous avons transposé cette façon de faire en yogathérapie, d'autant que l'expérience des méthodes de groupes verbaux conduit aux mêmes conclusions (A. Ancelin-Schützenberger).
 
 

NOTES

1. H. BARTHE, E. Pouyollon, D. Dange, Râm, J. BOULIN, M. Robert, " Hatha-yoga et psychiatrie ", Congrès de neurologie et psychiatrie, juillet 1971, polycopié, p. 7.
Voir aussi BARTE NHI, Yoga et psychiatrie, éd. de la Tête de Feuilles, 1972.

2. Jésus d'après Mt. XV, 14 et XXIII, 16.

3. Lacheny, op. cit.

4. Comm. pers.

5. W. Reich, L'analyse caractérielle, Payot, 1971, pp. 288 Sq.

6. Voir R.A. Spitz, De la naissance à la parole, P.U.F., Paris, 1968, p. 93 " L'enfant prend plaisir au processus de décharge de ses pulsions instinctuelles sous forme d1actions et quiconque a observé le comportement d'un nourrisson que l'on démaillote, connaît bien la joie évidente qu'il manifeste à cette occasion ".

7. Cf. M. PAGIS, in La vie affective des groupes, Dunod. tout ce qui se rapporte au groupe de la Baleine). - Du même auteur on pourra aussi consulter L'orientation non directive, Dunod, 1968. p. 66.

8. Souligné par M. LACHENY dans les conclusions de sa thèse.

P. Chabaud fait la même remarque (comm. pers.).

9. Groupe Epileptoïde.

10. Le terme " communication " est à prendre selon la définition de Spitz " Tout changement perceptible du comportement, intentionnel ou pas, dirigé ou non, par l'entremise duquel une ou plusieurs personnes peuvent influencer volontairement ou involontairement la perception, les sentiments, les pensées, ou les actions d'une ou de plusieurs personnes ". op. cit., p. 96.

11 Cf. J.L. MORENO, Psychothérapie de groupe et psychodrame, P.U.F., 1965.

12. JORDI et GENEVARD, in Pratique de la psychothérapie de groupe, P.U.F., 1965, p. 29.

13. C. ROGERS, Le développement de la personne, Dunod, 1968.

14. M. Mac Luhan, Mutations 1990, Marne, 1969.

15. D.V. Martin, op. cit., p. 78.

16. Balvet, Le malade rejeté, in Psychiatrie et vie chrétienne, n° 1, XIII° an., janvier 1969.

17. Cf. la notion d' " Alliance sophronique " prônée par Caycedo. Il s'agit de cette collaboration du thérapeute et du client en faveur du développement de ce dernier; thérapeute et client seraient autonomes l'un par rapport à l'autre et tous deux dépendants de l'objectif commun qu'ils se sont fixé.

Cf. également Otto Rank Volonté et psychothérapie.

18. R. Desoille, op. cit.

19. J. LACAN, Ecrits, éd. du Seuil, 1966.

20. M. BUBER, Te et Tu, Aubier, Paris, 1938.

21. JORDI, in Pratique de la psychothérapie de groupe, P.U.F., 1965, p. 180.

22. M. CHOISY, in Yoga et psychanalyse, Mont-Blanc, 1949.

23. E. BERNE, Des jeux et des hommes, Stock, 1964.

24. cf. plus haut, combien il s'agit là d'une gageure, d'un paradoxe, d'une limite.

Chapitre 5 (Centration et Décentration)

 

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29 Septembre 2002