Les disciplines (ou Niyamas )

(Chapitre III de "Yoga et Psychothérapie" du Dr Bernard Auriol)

 

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I. LES NETTOYAGES

Il s'agit de diverses techniques visant à la purification de la peau (ablutions) et des muqueuses (purgations, lavages d'estomac, lavage de la vessie, etc.).

Le nettoyage du nez est le plus pratiqué en Occident1. Il s'agit de faire couler de l'eau salée isotonique dans une narine de façon à ce qu'elle soit rejetée par l'autre.

C'est un geste facile, agréable quand il est bien fait. Il est nécessaire de le bien faire car, réalisé avec angoisse (surtout lorsqu'après le lavage on sèche le nez par petites expirations en " à coup "), il existe le risque d'envoyer de l'eau et des mucosités dans l'oreille moyenne par la trompe d'Eustache (avec le risque d'otite que cela comporte).

Ce lavage quotidien ou biquotidien semble apte aguerrir diverses infections ou inflammations des voies nasales et sinusiennes; d'autant qu'on peut administrer ainsi des antiseptiques ou des antibiotiques, des corticoïdes, etc.


 

Il. LE REGIME ALIMENTAIRE

Le Yogin est végétarien dans le contexte des différentes religions de l'Inde. Le Yoga thérapeutique s'accommode de plus de liberté. Cependant le végétarisme présente des avantages écologiques et physiologiques très évidents à qui l'a essayé. Un régime à dominante lactée crudivore semble le plus proche d'une bonne harmonie psychosomatique. Le régime macrobiotique appliqué avec discernement, entre les mains de médecins de bon sens, s'est montré utile et efficace pour rétablir la santé et améliorer l'équilibre; nous avons observé des résultats encourageants chez un cyclothymique. Il convient cependant de se méfier d'une pratique inconsidérée de la technique d'Oshawa qui peut conduire à des désordres rachitisme, anémie, hypoprotéinémie, hypocalcémie, troubles rénaux (régime n0 7 mené trop longtemps) 2.
 

III. PRINCIPE DE NON-COMPETITION

Déjà, du seul point de vue de la santé " physique ", le fait d'être orienté par le principe de compétition entraîne des conséquences fâcheuses. Les personnalités de type " compétitif " (type A de Friedman) sont beaucoup plus exposées que la moyenne aux troubles cardiaques. Par contre, les personnes qui tolèrent les événements et les hommes (type B) sont beaucoup moins exposées que la moyenne à l'angine de poitrine et à l'infarctus.

Au niveau de la chimie sanguine, Quinlan a montré que les triglycérides, le cholestérol et la réponse insulinémique au glucose étaient significativement plus élevés dans le type compétitif.


La compétition est à la base de l'économie de marché et de la vision libérale. Son efficacité est mise en avant - avec juste raison sur le plan de la productivité, du PNB, etc.

Cependant, la "pensée complexe", globaliste, doit éveiller notre attention sur les méfaits de la compétition, de la concurrence, du "salaire au mérite" : ces méfaits sont lisibles sur le plan de la santé individuelle et à plus long terme, peut-être sur le plan de la santé collective (survenue éventuelle de délinquance, troubles sociaux, guerres civiles, guerres entre états, entre appartenances cultuo-culturelles...

Citons par exemple quelques extraits du journal La Croix :

« Pour certains, le travail est devenu une souffrance »

La Croix fait savoir que « le gouvernement reçoit aujourd’hui un rapport sur le stress au travail ».

Le journal en profite pour livrer le témoignage de la psychologue Marie Pezé, qui « dans sa consultation spécialisée, à Nanterre, a vu le phénomène s'aggraver depuis 10 ans ».
Marie Pezé remarque notamment : « Quand quelqu’un est en pleine détresse dans son travail, parfois, la seule chose à faire, c’est de le retirer de cet environnement professionnel. C’est difficile parce que beaucoup vivent cela comme une injustice mais, en restant, ces salariés mettraient leur santé en danger ».

La psychologue ajoute que « ce sont souvent les gens les plus investis dans leur métier que l’on retrouve en souffrance quand leur vie professionnelle ne va plus. C’est quand même un signe qu’il y a quelque chose qui ne va pas dans le monde du travail ».

Mars 2008


 

Mais qu'est-ce que la non-compétition? Est-elle possible? Est-elle souhaitable?

Il s'agit de vérité à l'égard de soi et de ses possibilités ou besoins actuels, vérité également acceptée dans les rapports avec autrui. Il s'agit de ne pas forcer ses possibilités dans le but d'être à son avantage dans une comparaison avec autrui; cela ne signifie pas qu'on restera en deçà de ses possibilités de crainte d'avoir l'air " compétitif " : comme le souligne Gandhi, cultiver l'humilité revient à cultiver l'hypocrisie... Il insiste pourtant sur le fait qu'il ne peut exister de non-violence lorsqu'on veut se placer au-dessus des autres!

Or nous sommes dans un monde " scientifique ". Toute sa démarche est fondée sur la " volonté de puissance " : la science moderne sert à exploiter la nature et par conséquent l'homme (en tant que partie de la nature). Au contraire le Yoga est fondé sur la " volonté de présence ".

Cet idéal d'harmonie avec la nature, d'intégration à l'ordre universel, s'oppose de façon significative aux orientations pratiques de la cité techno-industrielle. Le Yoga (comme l'alchimie) a souvent des allures réactionnaires, il pourrait être séditieux3.

Pratiquer le principe de non-compétition, serait pratiquer un idéal assez inaccessible, mais nous ne proposons ce principe que pour le temps des séances, de la même façon qu'on propose le principe de compétition dans la quasi totalité des sports. Attitude idéale dont nous verrons que les exercices du Yoga favorisent d'une certaine façon et à un certain niveau l'émergence, en dehors de toute consigne explicite; cela, pourvu que la durée de la cure Yoga soit suffisante.

Martin4 résume l'ensemble de la littérature médico-psychologique et criminologique relative aux causes des comportements " anormaux " ou " antisociaux " en disant : " cette littérature met l'accent - entre autres facteurs importants - sur les pressions sociales résultant d'une société compétitive et régie par la puissance, sur les relations familiales insatisfaisantes, sur le conflit émotionnel et la motivation inconsciente. Tout cela a déjà été signalé à l'origine de la plupart des maladies mentales ". Plus loin, il affirme " la structure de la société, le type de vie collective et familiale qu'elle développe et la qualité de ses relations personnelles sont, en dernière analyse, une question d'attitudes mentales fondées sur un sens des valeurs, soit bonnes soit mauvaises. Dans notre société, un mode de vie compétitif centré sur soi-même est en conflit constant avec les principes de la coopération, et le désir de puissance et de domination nie en permanence que nous soyons les membres d'une famille humaine qui devons apprendre à nous aimer les uns les autres " 5.

On voit que, dans cet esprit, le rejet de toute immigration, ou le rejet arbitraire de catégories mal explicitées, contrevient, non seulement aux règles de l'hospitalité et à l'humanisme vis à vis des persécutés, mais dégrade les valeurs humaines les plus élémentaires et ne peut qu'engendrer un ressentiment croissant. Ce ressentiment ne se retournera-t-il pas un jour contre les occidentaux donneurs de leçons ?

Le texte de Michel Rocard lors de la Réunion de la CIMADE pour son 70° annioversaire parait très éclairant à ce propos.

« Les enfants sont de plus en plus stressés à l’école »

Le Figaro observe : « Mal au ventre, insomnies, pleurs, crises d’angoisse… De plus en plus, les parents sont confrontés à des réactions de leurs enfants face à la pression de l’école ».
Le journal relaie un sondage de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement libre, effectué par l’institut CSA, sur « la perception par les parents du stress de leurs enfants à l’école ».
Le quotidien relève ainsi que « 31% des parents ont le sentiment que leurs enfants sont stressés par l’école, parmi lesquels 7% disent que leurs enfants sont très stressés ».
Le Figaro précise que « ce chiffre augmente quand on parle aux parents de leur propre sentiment, puisque 52% d’entre eux sont stressés par la réussite scolaire de leurs enfants », et observe donc que selon ce sondage, « l’angoisse des parents expliquerait en partie » le stress de leurs enfants.
Le journal relève que « parmi les facteurs déclenchant ces angoisses, les notes et l’évaluation arrivent en tête de liste, avec 39% des réponses, tandis que la peur de l’avenir (31%) et un système scolaire mal adapté aux besoins (30%) sont également responsables ».
« Aux difficultés scolaires d’apprentissage classique vient s’ajouter ce que les psychologues qualifient d’«anxiété de la performance» ».

2 Avril 2009

 

Dans notre culture, le degré d'existence de chacun se mesure à son rang hiérarchique dans une multitude de systèmes groupaux qui s'entremêlent, s'amalgament ou se font la guerre. Il s'agit d'un système des valeurs aliénant, dans lequel chaque individu n'existe qu'en termes de pouvoir ou en termes d'avoir, de paraître, de savoir, etc. Un système prégénital des valeurs! (E. Fromm).

Il ne s'agit, bien entendu pas, de valoriser le contraire la misère, l'ignorance, l'ignominie. On retomberait sans s'en rendre compte dans le même système (mais il s'agirait de " qui perd gagne "...). Seul celui qui ne se situe pas en possesseur de sa propre nature, de son propre moi, qui par conséquent ne l'exalte ni ne l'aliène, seul cet humble parcourt le " chemin de la Paix " et accède à une réalisation véritablement humaine6. La compétition peut devenir aliénation dans la mesure où je ne cherche pas mon épanouissement par son biais , mais à prouver que je suis le plus fort, ou le plus digne d'amour, ou le plus compétent, etc.

C'est autrui qui devient l'étalon de la mesure que je fais de moi-même, dès lors j'entre en sa dépendance et je me fais illusion, croyant l'avoir mis en la mienne.

Eric Fromm en définissant l'attitude " productive

indique qu'elle consiste à se donner naissance à soi-même. Ce travail n'est jamais achevé < dans les conditions les meilleures l'homme meurt toujours avant que d'être totalement né ". L'attitude " productive " n'est pas, pour lui, mesurable à ses résultats tangibles, quoiqu'à bien y regarder ses résultats dépassent ceux qu'auraient pu engendrer une attitude différente (réceptrice, exploitatrice, thésaurisatrice ou mercantile). L'attitude " productive " concerne dans cette optique " le caractère de l'homme et pas son succès "

Il montre aussi que cette aptitude à réaliser ses potentialités et à user harmonieusement de ses pouvoirs ne peut se développer que pour autant que s'atténue l'attitude " autoritaire-dépendante " (puisqu'aussi bien, autorité et dépendance sont dans le même rapport que sadisme et masochisme).

Adler a su montrer dans toute son œuvre l'importance du but implicitement poursuivi quant à la pathologie ou à la réalisation humaine. La volonté de paraître supérieur aux autres est certainement très répandue. Plutôt que de volonté il s'agit bien souvent d'un réflexe, d'une attitude fondamentale et inconnue parfois du sujet lui-même. L'entraînement a une attitude différente a d'incontestables effets (et des plus heureux !), sur le comportement et la vie intérieure de ceux qui s'y essaient.

La séance de Yoga est explicitement orientée vers l'acquisition d'une attitude non compétitive. Cette explication peut être verbale Si elle est, seulement ou surtout, verbale, elle aura pour effet celui de tous les conseils que le conseiller n'applique pas à l'égard de lui-même. Elle doit donc également être non-verbale, c'est-à-dire que le moniteur et la monitrice doivent eux-mêmes chercher à se comporter de manière non compétitive. En d'autres termes ils doivent s'accepter eux-mêmes, en tant qu'objet de leur propre action avec leurs vraies limites.

Les patients sont souvent très sensibles à la difficulté des exercices. Ils l'expriment fréquemment dans les débuts ou même avant de débuter. Monsieur M. déclare par exemple " c'est difficile on ne peut pas faire complètement tous les mouvements ". Il ne s'agit pas en demandant la non-compétition d'abolir ou d'émousser la tendance à mieux faire les exercices afin d'en mieux profiter. Nous indiquons donc que réussir la posture parfaitement, c'est approcher sans nervosité ou contention, sans effort exagéré, dans la mesure des possibilités d'aujourd'hui, ou plutôt de maintenant, (qui ne sont pas forcément aussi grandes que celles de la veille ou de tout à l'heure), d'approcher, et non pas d'atteindre nécessairement, la posture représentée par les schémas, les photos ou la démonstration du moniteur.

Par exemple la posture du Lotus peut être préparée par toute une série de postures valables en elles-mêmes et orientées vers l'obtention ultérieure du lotus parfait.

Si une séance laisse le sujet fatigué ou tendu, nous lui indiquons qu'il a probablement voulu pousser les choses trop loin et qu'il eut été meilleur de moins lutter contre lui-même. On ne peut mesurer le degré de perfection yogique au degré de perfection observable. Et même, avec Krishnamurti9 il me semble utile de préciser à l'égard des " adeptes " du Yoga que " la libération peut être atteinte à n'importe quel degré d'évolution par un homme qui comprend, et qu'il n'est pas essentiel d'adorer les degrés comme vous le faites. De même qu'il y a un snobisme mondain qui respecte les titres de l'aristocratie, de même vous avez un snobisme spirituel; il n y a pas une grande différence entre les deux. Il vous faut développer votre compréhension et votre désir de vous libérer, et oublier tous les stades, et les gens qui sont à ces stades. De quel secours vous sont-ils? ".

Il ne s'agit pas de monter les degrés d'une échelle de quelque nature qu'en soient les barreaux, il y a donc une différence radicale entre le sport dans sa conception occidentale et le Yoga.

L'acquisition d'un esprit de non-compétition par rapport à la séance de Yoga est très longue à obtenir dans tous les cas, même au niveau de la simple observation.

Monsieur R. cherche à se valoriser dans l'institution par des exploits sportifs, des fugues spectaculaires. Simultanément, il exhibe quelques malformations corporelles mineures et camoufle une malformation génitale (cryptorchidie) probablement plus cruelle pour lui.

Après une seule séance de Yoga, il renonce : le moniteur avait insisté pour qu'il ne dépasse pas ses possibilités10. Une monitrice, professeur de Yoga en ville et vécue comme " non-psychiatrique ", étant venue l'année suivante, il accepte avec empressement de refaire un essai. Il cherche, visiblement, à la satisfaire par une attitude de réserve, restant même en deçà de ses possibilités quant à la perfection des postures.

De fait, un épisode singulier au premier abord montre que son attitude de surcompensation névrotique se perpétue d'une autre manière : à l'occasion de la " feuille pliée " (posture recroquevillée au sol), il demeure en posture un temps suffisamment long pour que le groupe, discrètement, manifeste son impatience. Il se relève enfin, en déclarant à la monitrice qu'il y était resté aussi longtemps, parce qu'il s'était " complètement abstrait du monde environnant ". Il n'en était pas tout à fait ainsi puisqu'il avait ressenti l'impatience du groupe et s'en expliquait. Il offrait ainsi à la monitrice une réussite de " concentration " éminente (puisque dépassant ce que le groupe pouvait supporter...).

Dans un tel cas nous omettons d'analyser oralement ce qui s'est passé, il est plus opportun, nous semble-t-il, d'accepter le fait tel qu'il a été vécu par le groupe sans commentaire explicatif, rassurant ou autre.
 
HIÉRARCHIE DE RÉUSSITE DES POSTURES HIÉRARCHIE DES PRÉFERENCES DES MONITEURS EFFET SUR LA CURE
1° J.R.

2° B.S.

3° N.C.

4° A.L.

etc.

1° J.R.

2° B.S.

3° N.C.

4° A.L.

etc.

Une structure des préférences calquée sur la hiérarchie des réussites tend à favoriser la compétition.
1° J.R.

2° B.S.

3° N.C.

4° A.L.

etc.

1° A.L.

2° J.R.

3° N.C.

4° B.S.

etc.

Ici, la réussite visible ne permet, en aucune façon, d'être assuré de la préférence. Dès lors la réussite n'est plus évaluée en fonction du regard du/des moniteurs.
HIÉRARCHIE DES PRÉFÉRENCES

Il est, par contre, important que les moniteurs ne manifestent de préférence à aucun membre du groupe en raison de l'apparence d'une meilleure intégration de la technique. Préférer est inévitable. Ecarter toute préférence est parfaitement utopique. On tomberait dans le piège d'une prétendue " neutralité " bienveillante et universelle à laquelle on peut tendre mais qu'on ne peut parfaitement réaliser. Cependant il ne faut pas accepter qu'il y ait coïncidence systématique du spectre des préférences et du spectre de la réussite gymnique formelle Si l'on veut éviter que soit renforcée l'attitude " compétitive " des membres du groupe (tableau ci-dessus).
 

IV. NON-COMPETITION A L'EGARD DE SOI

Il s'agit ici de constatations au niveau de l'expérience de chacun pour autant qu'on obtient de chacun une attention à sa propre expérience.

Tout d'abord il y a le phénomène des deux déclics11. Si je mets en extension une de mes articulations et que mon effort pousse cette extension au maximum du possible, je m'aperçois que cela est pénible à un certain degré. Si après avoir accepté cette " douleur " je persiste, elle disparaîtra et je ne constaterai aucun trouble consécutif à cet exercice. Supposons que j'ai décidé d'aller plus loin encore, je le peux au prix d'une nouvelle " douleur ", perçue qualitativement différente de la première, distincte d'elle, et lui succédant. Il se peut alors que, dans l'exemple de la " pince " (Pl. 2), une vive douleur me donne connaissance du trajet de mon nerf sciatique, il se peut que le lendemain je sois courbatu et, que me reste de cet effort, plus d'inconvénients que d'avantages " lumbago " ou même " sciatique "... Ces inconvénients conséquents m'apprendront le phénomène des deux déclics mieux que plusieurs tomes de neurophysiologie... Le deuxième déclic et ses conséquences agit comme excitation déconditionnante par rapport à la compétitivité à l'égard de soi-même... Pour éviter que chacun ne fasse à plusieurs reprises cette expérience12 il est opportun de rappeler aux participants qu'ils doivent faire effort mais ne pas chercher à " se dépasser ", ne pas " forcer ".

Ceci est également valable pour les exercices respiratoires qui ne doivent jamais entraîner d'essoufflement. C'est encore vrai de la concentration qui ne doit pas être une contention. Il s'agit d'être attentif mais non point de " froncer les sourcils "...

Cela veut dire également qu'on ne cherchera pas à" réussir " tel exercice par la répétition d'essais au cours d'une séance. Chacun essaie de réaliser un exercice une fois. L'échec se solde par un renoncement provisoire. Il n'y aura pas d'autre tentative le jour même...

Au fil des jours, on prendra conscience de variations personnelles énormes quant à la réussite formelle de chacun des exercices. Je m'étais efforcé plusieurs années durant, d'exécuter " shirshasana " sans grand succès. Après plusieurs mois d'abandon des " asanas ", je l'exécutai soudain et sans aucune difficulté... Par contre, certains jours, il est des postures, aisées la veille qui deviennent difficiles, voire inaccessibles.... Pas n'importe quelle posture, ni n'importe quel jour! Cela est également vrai pour la respiration et la concentration. L'heure du jour est également importante la séance du lever est habituellement moins " spectaculaire que celle du coucher ".

Ainsi vient le temps, dans l'espace corporel et ses déformations voulues ou subies.
 

V. INSTANT PRESENT

Korzybski dans ses travaux insiste sur la " désorientation temporo-spatiale " qui nous fait réagir aux données de maintenant en fonction du passé ou de l'avenir attendu. Les exercices qu'il propose pour permettre une meilleure " orientation ", une attitude moins " expectante " présentent des analogies avec certains exercices du Yoga indien ou tibétain. Plusieurs sont originaux et réellement nouveaux, surtout lorsqu'il s'agit d'exercices de groupe; nous les utilisons avec bonheur après la séance de Yoga.

Pendant la séance de Yoga, on est amené à abandonner la loi implicite de la répétition dans l'actuel de phénomènes passés, (de manière identique, par rapport à un moi identique) : je ne suis pas le même; la situation malgré les analogies apparentes est, elle aussi, autre; il n'y a aucune raison pour que ma réaction soit la même. Ce nouveau principe du toujours-neuf est d'abord vécu : il est impliqué croissant dans la mesure où progresse l'entraînement, dans la mesure où l'attitude d'attention aux postures, aux points du corps, à ses tensions, à l'air respiré, aux sons entendus, etc. me déconnecte de la valeur purement anecdotique des stimuli en acceptant simplement de coïncider avec eux en tant qu'ils sont ma réalité du moment. Ils perdent leur valeur de message indicateur d'une modification de l'environnement auquel il faudrait que je réagisse; ils deviennent ce qu'ils sont aussi : ma propre réalité, ma propre mouvance, ma propre impermanence. Si " théoriquement "13 vous êtes d'accord avec ces mots, si " théoriquement " seulement vous êtes d'accord, cela ne vous sert de rien. Le chemin Yoga est inverse et le toujours-neuf ne devient opérant, déconditionnant, anti-répétition que dans la mesure où une situation expérimentale m'a permis de le découvrir " in vivo ". Cette expérience souvent renouvelée érode toutes les nostalgies, toutes les attitudes de fuite " en avant " dans un futur imaginé-imaginaire, tous les Si, les mais, les " Si j'étais à votre place ", les " n'y a qu'à ", etc.

Après Horace qui le disait au monde latin au nom du bon sens, Jésus au nom de la confiance au Père céleste nous invite à abandonner les soucis du lendemain " comme les oiseaux du ciel, ou les lys des champs ".

Omar Khayyam redit la même chose14 : " Tu sais que tu n'as aucun pouvoir sur ta destinée. Pourquoi l'incertitude du lendemain te cause-t-elle de l'anxiété? Si tu es un sage, profite du moment actuel. L'avenir que t'apportera-t-il? ".

En Occident, " vivre l'instant présent " a constitué l'élément déterminant du " réalisme spirituel " de Thérèse de l'Enfant Jésus et c'est lui qui donne à sa " petite voie " le plus éminent de son efficacité. Ignace de Loyola, Charles de Foucauld, etc., parlent dans le même sens. On trouvera surtout de remarquables développements à ce sujet dans les dits et les écrits de Krishnamurti. C'est ici et maintenant que tel exercice de Yoga est expérimenté; il n'est que partiellement déterminé par mon passé et mon projet, il est d'autant plus facile que je suis mort à mon passé et à peine naissant à mon avenir (ou je suis sans " moi " Krishnamurti).

M. Foucault de son côté assure15 : " Le retour à l'immédiat est la thérapeutique par excellence, parce qu'il est le refus rigoureux de la thérapeutique : il soigne dans la mesure où il est oubli de tous les soins. C'est dans la passivité de l'homme à l'égard de lui-même, dans le silence qu'il impose à son art et à ses artifices, que la nature déploie une activité qui est exactement réciproque du renoncement. Car, à la regarder de près, cette passivité de l'homme est activité réelle ". Le " vivre ici et maintenant " de la séance Yoga est une ouverture sur cette chose tellement vague, tellement grandiose, tellement misérable, tellement réelle qu'on appelle 'liberté'.

M. C. essaie de vivre " corps et esprit dans la minute qui passe "... " Le résultat est au-delà de toutes mes espérances ", assure-t-elle. " Je suis arrivée à dominer mon vagabondage cérébral et mes idées absurdes grâce à la concentration dans tous les actes de ma journée. Je suis recréée! ".
 

VI. LE PROJET ET LE SUCCES

Paradoxalement le renoncement à la réussite formelle, la permet parfois plus sûrement que toutes les impatiences, et l'attitude, a priori peu réaliste, de non-compétition, donne souvent naissance à un succès inespéré..

Le projet Yoga existe qui est d'abandonner tout projet autre qu'être. Ce mouvement vers l'être que je peux vouloir entreprendre n'aboutit et ne réussit que lors de la disparition de ce que je pensais être moi, et la notion de " réussite " n'a plus alors de sens. On a parlé avec autant d'imprécision - mais comment y échapper - d'un mouvement vers le non-être. Recherche d'un vide, recherche d'une plénitude; l'un et l'autre, ni l'un ni l'autre.

Les paradoxes du Yoga ne peuvent être écartés, même dans un travail destiné à étudier sa valeur thérapeutique; c'est peut-être un gage de sérieux et plus scientifique que d'écarter tous les paradoxes comme le voudrait une science de l'homme d'apparence " mathématique ".

Poursuivi fidèlement, l'entraînement Yoga déconsidère la compétition aux yeux de qui le pratique, réduit ses anxiétés et le met en face d'un vide qui est celui du temps qui passe, de la mort qui vient, des faux semblants évanouis; dès lors l'angoisse de vivre, de mourir, d'être, d'avoir été et de devoir être, s'avive, se fait lancinante jusqu'à l'acceptation de la condition où nous sommes.

 

 

Chapitre 4


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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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6 Octobre 2009