Le yoga et l'approche thérapeutique occidentale

(Chapitre II de "Yoga et Psychothérapie" du Dr Bernard Auriol)

 

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Le yoga et l'approche thérapeutique occidentale [1]

 

En occident, grâce au Yoga, le corps est retrouvé.

Comme le remarquait Filliozat [i] , le Yoga est plus célèbre que connu. Il apparaît falsifié, dénaturé, distordu, et dans la représentation qu'on en fait et dans la pratique qu'on en a. Lacheny2 remarque que l'apparition du Yoga et son implantation depuis la deuxième guerre mondiale peuvent s'expliquer par l'évolution de notre société. Vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, le corps est retrouvé.

Le rationalisme accordait toute l'importance à la connaissance intellectuelle; or certains mouvements philosophiques conçoivent petit à petit la nécessité d'une compréhension corporelle directe : le vitalisme de Bergson; on retrouve les possibilités du corps : la danse, les sports, le naturisme, l'expression corporelle.

Après la deuxième guerre mondiale, la pensée occidentale se trouve ébranlée. Elle devient donc susceptible de " recevoir " sans juger.  L'éthologie fait sortir le savant de son laboratoire, l'oblige à aller sur le terrain et à abandonner son ethnocentrisme. Il doit reconnaître l'altérité de valeurs propres aux peuples étudiés. L'écologie lui fait reconsidérer ses vues obsolètes, trop partielles et fragmentées.

 

La médecine devient psychosomatique et quelques penseurs se tournent vers l'Orient C.G. Jung, R. Rolland, R. Guenon, etc.

 


Compétition des moyens et uniformisation des mentalités

Par ailleurs (et cela va assurer très paradoxalement la diffusion du Yoga) s'amorce un processus d'uniformisation, lequel va engendrer par réaction un besoin d'individualisation.

Ce besoin se traduira souvent par la recherche de la promotion sociale : c'est l'heure des méthodes de " réussite " (Pelmanisme, Dynam Institut, Méthode Borg, Cours Carnegie, etc.), fondées sur le volontarisme.

La civilisation métro-boulot-dodo-porno ne suffira bientôt plus à l'homme asphyxié par les automobiles et la promiscuité sans âme des grands ensembles urbains, épuisé par la course à la consommation et par les cadences de travail et même de loisir !... Du point de vue religieux, la désaffection des chrétiens pour leur mystique les laisse en " quête " d'une voie spirituelle.

L'enquête réalisée par M. Lacheny [ii] à propos des motivations (des enseignants et des élèves) est cohérente avec le substrat historique résumé ci-dessus. Le Yoga est un phénomène urbain [2] qui a diffusé à partir de quelques intellectuels à toutes les couches sociales.

PRATIQUE SELON LA CLASSE SOCIALE

Ouvriers

4 %

Employés, commerçants, cadres moyens

34 %

Professions libérales et cadres supérieurs

28 %

Sans profession

34 %

Le Yoga est pratiqué comme quête du sacré, comme traitement psychosomatique et comme méthode de réussite (self actualisation).

Ces diverses motivations comportent un clivage progressif entre des formes de Yoga davantage axées sur la " quête " de l'absolu (il s'agit des grandes organisations: Méditation Transcendantale, Elèves de Muktananda, Raja Yoga de la connaissance, Disciples de Krishna, etc.) et les adeptes du Hatha-yoga surtout à visée psychosomatique (Fédération Nationale des Praticiens du Yoga, Fédération Française de Hatha-yoga, Fédération de Yoga sous contrôle médical, etc.).

I. Le complexe de Baal

Les Professeurs de Yoga, en l'absence d'une reconnaissance officielle de cette discipline, s'improvisent tels au gré de leurs besoins ou de leurs désirs : on y trouve des chômeurs intelligents, des ambitieux hâbleurs, des charlatans de tous poils dont la télévision a donné quelques exemples. Il existe, heureusement, un certain nombre de gens sérieux, compétents et soucieux de donner une image du Yoga moins violemment bizarre! Je regrette pourtant que nombre d'entre eux se livrent à des querelles bien peu en accord avec le principe de non-compétition pourtant fondamental en la matière. Cela n'est pas sans rappeler les querelles incessantes au sein du mouvement psychanalytique.

Ces techniques visent à la réalisation de l'homme, voire à son dépassement. On se demande si leurs protagonistes n'ont pas pour motivation centrale le dépassement des autres, dans l'affirmation très puérile de la valeur absolue de leurs doctrines respectives. Il faut se demander si beaucoup ne sont pas victimes du complexe de " Baal ", ce faux dieu qui exige le sacrifice du premier-né afin de garantir la puissance et le succès!

Celui qui vient demander quelque lumière sur lui-même, une aide dans son angoisse, un sens à sa vie, se comporte comme ces canards naissant qui suivent le premier objet mouvant intervenu dans leur champ visuel : cane, poule ou petit tracteur (Lorenz). Le Professeur de Yoga divinisé par ses clients qui l'identifient à la 'Vérité' elle-même, n'a-t-il pas tendance à se prendre pour elle, à " y croire "...

Baal sans religion et sans dogmes ne serait plus Baal; Baal se veut comme Yahvé, au dessus de tous les dieux : alors il exclut, anathématise, conspue, rejette dans les ténèbres de l'ignorance, de l'erreur et de la déviation tous les autres faux dieux, les Baal2, Baal3, Baaln, etc.

II. Mode d'action du yoga comme thérapeutique

Martin [iii] insiste sur la multitude actuelle des orientations et des techniques de la psychothérapie, mais il croit pouvoir énoncer trois principes qui en constitueraient le plus petit dénominateur commun

1.     accroissement de la " conscience " du malade (" insight "),

2.     expérience émotionnelle du changement,

3.     importance fondamentale de la relation soignant-soigné dans laquelle le soignant doit faire preuve de compréhension " empathique " et se dégager des attitudes de jugement et des solutions toutes faites.

La Yogathérapie comporte évidemment, et comme condition nécessaire sinon suffisante, le dernier point.

Par rapport aux deux premiers, la prise de conscience reste éventuellement informulée, souvent mal formulable, et concerne autant le vécu corporel que les relations interpersonnelles; l'expérience émotionnelle du changement est favorisée au détriment d'une conceptualisation des mécanismes et des conflits par l'attention constante à l'instant présent et le silence.

Le Yoga en tant que thérapie non verbale diffère dans sa méthodologie de toutes les formes de psychothérapie verbale.

Quant à ses mécanismes d'action, il nous paraît s'apparenter de manière analogique à la psychothérapie non-directive de Rogers. Après une mise en évidence des troubles et des énergies en cause (prise de conscience), après leur décharge cathartique (exercices d'expression corporelle en fin de séance), elle a une visée et une action constructive elle ne se contente pas de tendre à mettre en évidence et à démolir les structures " pathologiques ", elle aboutit de plus à mettre en place une structure harmonieuse des énergies présentes. Ceci non au terme de la cure, mais au fur et à mesure.

Sans attitude moralisatrice, elle incite l'individu à prendre en main sa propre thérapeutique et exige pour donner sa pleine mesure que l'ensemble de l'institution ou l'ensemble de l'équipe soignante comprenne l'intérêt et la valeur du dialogue au sujet des moyens de toute nature [3] mis en œuvre pour aider le malade : chimiothérapie, ergothérapie, sociothérapie, psychothérapie verbale et non verbale [4] .

D'autre part, l'harmonisation et la régulation biologique neuro-endocrinienne produite par les postures et le contrôle respiratoire, non seulement débarrassent le sujet des troubles neuro-végétatifs et fonctionnels (qui accompagnent souvent sinon toujours le malaise " psychologique " ou " neuro-psychiatrique "), mais encore favorisent l'investissement pragmatique de ses énergies.

" La maladie mentale " étant sous la dépendance de plusieurs facteurs, il est souhaitable de proposer une thérapeutique comportant plusieurs niveaux [5] Nous suggérons, dans tous les cas, d'associer à la psychothérapie verbale la pratique d'une forme de Yoga (Hatha-yoga et Méditation notamment).

Il faut avoir conscience comme l'écrivait Desoille [iv] que :

 " l'essentiel n'est pas tant de comprendre dans le détail la nature et l'origine de tous les sentiments du patient, mais bien de permettre que les réflexes mal adaptés (entendons les schèmes stéréotypés de réaction aux personnes et aux événements) s'éteignent et que de nouveaux stéréotypes dynamiques se construisent et s'établissent ".

Dans cet esprit, la yogathérapie de groupe, telle que nous la concevons, ne permet que très imparfaitement (et ne la recherche pas comme essentielle) l'intelligence de ce qui se passe, surtout d'un point de vue étiologique. Elle se contente, à partir des possibilités reconnues par le sujet, d'ouvrir à ce dernier d'autres dimensions vécues, agies, d'autres " attitudes " à la fois motrices, esthétiques, viscérales, d'autres voies d'expression que le langage, porteur très souvent de la plus grande partie des troubles relationnels auxquels il s'agit de trouver une issue. Il s’agit donc plutôt de favoriser la créativité, la sublimation et pour tout dire, la résilience.

Cette méthode tend à permettre au client la création ou l'intégration de " nouveaux stéréotypes dynamiques " acceptables dans la mesure où ils deviennent sa propriété et ne s'imposent pas à lui de manière coercitive ou subtile. Elle tend surtout à susciter sa créativité afin qu'il soit, peu ou prou, capable d'abandonner, lorsqu'il le juge nécessaire, n'importe lequel des stéréotypes antérieurement acquis, en s'écoutant dans la situation (en tant que nouvelle), pour se découvrir toujours neuf devant des situations jamais identiques.

III. Yoga et psychanalyse

" En général dans la thérapeutique de groupe ", déclare Schindler [v] , " on préférera une technique analytique puisque c'est la seule méthode qui permettra un changement structural ". C'est tomber dans la maladie sémantique par excellence [6] !

Il y a là, comme présupposés :

·       Or, il n'est pas dit qu'on ne puisse obtenir des changements structuraux en court-circuitant la parole, les concepts, l'analyse.

·       Il n'est pas dit, non plus, que les modifications " structurales " décrites par la psychanalyse soient les plus intéressantes, ni les plus fondamentales, ni même peut-être qu'elles correspondent à une réalité " organismique " de façon suffisamment adéquate.

1. La position de Freud

Il écrit [vi]  :

" Un de mes amis [7] qu'une curiosité insatiable a incité aux expériences les plus extraordinaires et a finalement rendu omniscient, m’a assuré qu'en pratiquant le Yoga, c'est-à-dire en se détournant du monde extérieur, en fixant son attention sur certaines fonctions corporelles, et en respirant d'une façon particulière, on parvient à éveiller en soi des sensations nouvelles et un sentiment d'universalité. Il considérait ces phénomènes comme l'expression d'un retour à des états originels et dès longtemps dépassés de la vie de l'âme; il y voyait la preuve pour ainsi dire physiologique de maints articles de la sagesse mystique. Il serait indiqué ici de les rapprocher d'autres modifications obscures de l'âme telles que la transe ou l'extase, mais j'éprouve, quant à moi, le besoin de m'écrier avec le plongeur de Schiller " se réjouisse qui respire dans la rose lumière ".

Chez un homme de science comme l'était Freud, on s'étonne de trouver une exécution aussi sommaire, sans nuances et sans arguments. D'autant qu'à travers le persiflage (" omniscient ") il me semble exister une sincère admiration (" expériences les plus extraordinaires "). D'autant que ce texte ne met aucunement en doute ce que cet ami (Romain Rolland) déclare. Ce rejet, par une pirouette, d'affirmations aussi grosses de conséquences éventuelles me laisse rêveur ! Il s'appuie, semble-t-il, uniquement sur l'opposition entre 1' " obscurité " de " modifications de l'âme telles que la transe ou l'extase ", et la lumière " rose " (de la  [rationalité positiviste ? ] qui lui paraît plus réjouissante. Ce refus de s'intéresser au " sentiment d'universalité " fondement, entre autres, de la capacité d'abstraire, de l'angoisse existentielle, de tous les problèmes " métaphysiques ", correspond à mon avis au refus des expériences primordiales, originelles que nous avons tous éprouvées, je crois!, à un certain moment de notre vie. Peut être vers l'âge de sept ans, lors de la fameuse " période de latence " [8] ! Chacun reconnaîtra que ces problèmes métaphysiques sont liés très rationnellement et très affectivement à la possibilité que connaît cet âge de concevoir la mort, sa propre mort, l'écoulement du temps [vii] , etc.

Le refus de prise en considération de ce type d'expérience, que la littérature post-freudienne a tendance à expliquer selon des schémas aspécifiques et réducteurs, constitue peut-être une première approche explicative de la tendance " impérialiste " de la psychanalyse et de la " sacerdotisation " du psychanalyste.

Le bonheur

En poursuivant la lecture du même ouvrage de Freud, ce dernier point de vue semble trouver quelque confirmation. Il déclare d'abord " bonheur signifie satisfaction des instincts " et il en tire des conséquences, à propos du Yoga, que nous verrons plus loin.

Mais examinons d'abord cette définition du bonheur. Satisfaction des instincts. Bien sûr. Mais quels instincts ? J'aurais trop peur d'en oublier, tellement je suis conscient de ma propre complexité; je crains que Freud n'ait cru les connaître tous, et c'est là que le bât blesse! Peut-on me démontrer que n'existe pas un instinct, notamment un instinct spécifiquement humain et tendant vers quelque chose de difficile à nommer sans parler des systèmes religieux ou philosophiques qui sont peut-être destinés à lui répondre? On m'accordera qu'il y a autant de raison de parler d'un " instinct du bonheur ", mais que devient un instinct du bonheur qui serait défini par la satisfaction (le bonheur) des instincts. Définition discutable dans la conception limitée de Freud, circulaire lorsqu'on l'amende!

Il poursuit ainsi sa démonstration : " puisque bonheur signifie satisfaction des instincts, il surgit une nouvelle cause de lourdes souffrances si le monde extérieur nous laissant dans l'indigence, se refuse à assouvir nos besoins. On peut donc espérer qu'en agissant sur ces besoins instinctifs eux-mêmes, on sera libéré d'une partie de cette souffrance. Ce procédé de défense ne s'attaque plus à l'appareil de la sensibilité, mais aux sources intérieures des besoins pour tenter de s’ en rendre maître. Poussé à l'extrême il y parvient en tuant les instincts, comme l'enseigne la sagesse orientale [9] , et comme le réalise la pratique du Yoga. Y réussir, c'est évidemment abandonner du même coup toute activité quelle qu'elle soit, (sacrifier sa vie), et ne conquérir à nouveau, par une autre voie, que le bonheur de la quiétude ".

Nulle part à ma connaissance, Freud n'explique avec son système, où puiser l'énergie suffisante pour " tuer les instincts ". Où ? Sinon dans un autre instinct plus fondamental, plus central, plus originel, plus spécifiquement humain que tous ceux qu'il arrive à détruire [10] . Car Freud ne nie pas la possibilité d'un tel carnage des instincts et en tire même la conséquence " le bonheur de la quiétude! ". Je passe sur des affirmations gratuites, telles que " sacrifier sa vie " (quelle façon de vie?), " c'est abandonner du même coup toute activité quelle qu'elle soit " : Bouddha, le modèle de tous les orientaux ayant quelque parenté avec la démarche énoncée ici par Freud, fut-il inerte après son illumination? et Gandhi? et l'ensemble des grands maîtres spirituels du christianisme, du Zen, de l'Islam, etc. qui ont choisi de " mourir à eux-mêmes " ont-ils abandonné systématiquement l'action sur le monde? C'est mal connaître l'histoire! Ou l'interpréter bien rapidement [11] . Dire que le Yoga a pour but de tuer les instincts et qu'il y réussit est une affirmation gratuite et très loin de ce qu'enseignent les maîtres.

2. La position d'Aurobindo

Ecoutons le :

" vous êtes encore conscient de la conscience la plus physique; il en est ainsi chez presque tout le monde. Quand on pénètre en elle pleinement ou exclusivement, on la sent comme celle d'un animal, soit obscure et agitée, soit inerte et stupide, et dans les deux cas, fermée au 'divin'. C'est seulement en y amenant la force et la conscience supérieures qu'on peut la changer essentiellement. Quand ces mouvements se montrent, ne soyez pas bouleversé par leur apparition, mais comprenez qu'ils se présentent pour être transformés ".

Le même auteur écrit :

" On devrait toujours commencer par une expérience positive, non par une négative, et faire descendre dans les parties de l'être conscient qui sont à changer, quelque chose de la nature divine; c'est seulement quand ceci a été fait suffisamment et qu'il y a une ferme base positive, qu'on peut avec sécurité faire lever les éléments adverses cachés dans le subconscient, afin de les détruire et de les éliminer par la puissance de la tranquillité, de la lumière, de la force et de la connaissance 'divines'  ".

Mais il ne faudrait pas croire qu'il s'agit de détruire les instincts, jusque dans leur racine! Il s'agit seulement d'éliminer et de détruire certaines spécifications, certaines modalités précises de ces instincts pour mieux utiliser l'énergie qu'ils véhiculent [12] .

Par ailleurs, Sri Aurobindo [viii] écrit (un peu rapidement) les lignes suivantes :

 " votre pratique de psychanalyse était une erreur; au moins pour un temps, cela a rendu le travail de purification moins facile, plus compliqué. La psychanalyse de Freud est la dernière chose que l'on devrait associer au Yoga [13] . Elle se saisit d'une certaine partie de la nature, la plus sombre, la plus périlleuse, la plus malsaine la région subconsciente du vital inférieur, isole ses phénomènes les plus morbides et leur attribue une action hors de toute proportion avec leur vrai rôle dans la nature " ...

J’associe la pratique du Yoga et de la

Professeurs

Elèves

Relaxation médicale (Training Autogène)

11%

7,3 %

Psychothérapie

13 %

6,3 %

Psychanalyse

15,5 %

3,6 %

Il est vrai que le subliminal est la partie la plus importante de la nature humaine et qu'il contient le secret des dynamismes invisibles qui expliquent ses activités de surface. Mais le subconscient vital inférieur qui est tout ce que la psychanalyse de Freud semble connaître (et elle ne connaît de cela que quelques coins mal éclairés) n'est rien de plus qu'une portion bornée et très inférieure de l'ensemble subliminal. Le moi subliminal se tient en arrière et soutient tout l'homme superficiel [14] ; il contient un mental plus large et plus efficace derrière le mental de surface, un vital plus vaste et plus puissant derrière le vital de surface, une conscience physique plus subtile et plus libre derrière l'existence corporelle de surface, etc. ".

Je ne peux m'empêcher de penser qu'il aurait été bien que Sri Aurobindo ait mené à bien une psychanalyse avant de s’autoriser à être aussi catégorique. C'est revenir à cette idée que celui que des disciples appellent " maître " finit par croire qu'il possède la science infuse...

 

3. Science, Yoga et Psychanalyse

Le Yoga et la psychanalyse sont scientifiques au même degré et quasiment de la même manière.

Il s'agit d'une pratique intriquée à une théorie relativement secondaire dans les deux cas. Il existe une même séquence temporelle : longue confrontation avec le gourou ou l'analyste investis d'un pouvoir et d'un savoir absolus et dont le savoir et le pouvoir modestes et réels consistent à faire éclater les illusions aliénantes par rapport, entre autres, au savoir et au pouvoir en général.

Tous deux parlent d'énergie mais aucun des deux ne se donne les instruments nécessaires à sa mesure, tous deux ont une origine aristocratique et individualiste, tous deux font l'objet de sarcasme et évoquent la magie, l'ésotérisme, l'érotisme, l'inavouable, le subjectif, etc., aux yeux des sectateurs de la Science positive. Tous deux donnent des explications potentiellement extensibles à tout le champ humain et font preuve d'ostracisme et d'impérialisme à l'égard des théories ou disciplines ayant le même objet tout en se distinguant de leur propre conceptualisation et de leur propre démarche pratique.

Le Yoga rejette sans justification la psychanalyse comme la psychanalyse rejette sans justification le Yoga. Ils s'excluent réciproquement en quelques points qui semblent essentiels à leurs protagonistes de la même façon que s'excluaient la théorie corpusculaire et la théorie ondulatoire de la lumière, chacun des deux étant indispensable à l'explication de certains phénomènes au moment même de leur contradiction.

Tous deux donnent lieu, au point de vue sociologique, à la création de quasi religions avec leurs dogmes, leur révélation, leurs interprètes autorisés, leur initiation et leurs excommunications. On dénonce les hérétiques et on les brûle ou on les admet comme de pauvres et débiles voisins qui ont tourné le dos à la vraie lumière. Il semble que oppositions et similitudes ne puissent donner jour à une synthèse avant longtemps. Je trouve cela très regrettable en raison des progrès inouïs qui résulteraient d'un tel travail.

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De toute façon on doit distinguer, dans une mesure plus ou moins importante et qui reste à déterminer :

Silence verbal, idéique et moteur

La yogathérapie telle que nous la concevons, non seulement utilise au minimum la parole, mais encore prétend plus ou moins, tendre à en débarrasser provisoirement le sujet (cf. silence verbal, idéique et moteur) pour lui permettre de n'être plus autant soumis aux conditionnements socio-affectifs et culturels véhiculés par la langue et qui ont tendance à supplanter l'ensemble des autres systèmes de communication avec les autres et avec soi-même.

Autrement dit, il s'agit, dans la mesure ou l'équation verbe-phantasme serait une réalité d'abolir le premier terme, ou plutôt de le démystifier afin d'enlever au second une partie de sa puissance quand elle s'avère pathogène.

Major fait remarquer que cette équation est assez explicitement véhiculée par la pensée freudienne [ix]  : " Si les fantasmes combinent le vécu, l'entendu et le vu par le sujet lui-même, c'est à partir des choses entendues qu'ils sont constitués. Cette valorisation de l'entendu chez Freud n'est pas imputable aux seuls premiers écrits psychanalytiques. Elle est constante et se retrouve jusqu'à la fin de son œuvre : (c'est le travail de la fonction du langage écrit-il dans l'Abrégé [x] , d'apporter au moi le matériel en étroite liaison avec les vestiges mnémoniques des perceptions visuelles, mais plus particulièrement auditives).

Il ne faudrait pas réduire la problématique Yoga-Psychanalyse à ces quelques citations et commentaires. Le courant psychanalytique a produit une littérature considérable et des points de vue très variés.

Le courant Yoga ne le cède en rien, au point de vue masse (et intérêt) des documents. " Yoga " est un terme dont les avatars sont multiples, le seul point constant de son utilisation étant qu'il concerne la " réalisation humaine " et qu'il préconise diverses voies de concentration mentale, divers exercices ascétiques ou mystiques prenant en compte la globalité de l'organisme humain et sa solidarité avec le cosmos. En ce sens la littérature qui le concerne est aussi bien occidentale qu'orientale, au dire même des auteurs indiens modernes qui rangent parmi les grands yogis : Jean de la Croix, Thérèse d'Avila, Ignace de Loyola, etc. [15]

Yoga et Auto-analyse

Le Yoga est une voie pratique, auto-expérimentale, où le théoricien est en même temps l'objet de son étude et le sujet réglant les conditions de l'expérience. Dans ce sens on peut établir une comparaison à certaines formes d'auto-analyse. Cette démarche vise à découvrir jusqu'où s'étendent les zones conditionnées de l'être humain pour voir s'il existe encore quelque chose au-delà de ces conditionnements [16] . C'est pour cette raison que, bien avant la psychologie des profondeurs, les 'sages' et les ascètes indiens ont été amenés à explorer les zones obscures de l'inconscient : ils avaient constaté que les conditionnements physiologiques, sociaux, culturels, religieux, étaient relativement faciles à délimiter et, par conséquent, à " maîtriser ". Les grands obstacles surgissaient des " latences [17] ", ces potentialités inconscientes dont l'actualisation peut faire le siège de l'homme à la recherche de sa libération.

Il s'agissait dès lors de les " brûler [18] ", autrement dit d'en sublimer l'énergie. Tout ce qui est devenir est non-être en tant que non-permanent, en tant que voué à la mort ; le Yoga cherche à le dépasser et à sortir du cycle vie-mort dans un non-temps, une non-durée et un non-espace. Toute souffrance, toute angoisse, toute maladie prend sa source ontologique dans le caractère éphémère de tout ce qui est observable en dehors de nous et en nous, à moins que la manipulation de cet éphémère ne lui enlève sa puissance.

4. Le yoga et la " réalité"

"La Vie, ce pèlerinage vers la mort !"

Aloysius Bertrand

(in "Les fantaisies du Gaspard de la nuit")

Nous pourrions alors, dans la coïncidence de notre conscience avec le non-mouvant, le silence-plein, le vide-totalité qui serait au fond de nous, rejoindre le Non-Mouvant, le Silence-plein, le Vide-totalité qui serait au fond du cosmos. On ne peut réduire ce problème à celui de la castration, quoique l'analogie soit évidente. Il y a plus dans le problème de la mort que dans celui de la castration et c'est à une autre époque de notre évolution infantile que se situe cette question ; à l'âge où peut être acquise, précisément, cette idée de la mort, de la réversibilité de la vie qui me permet d'être autre maintenant qu'il y a cinq minutes et assure ainsi ma possibilité d'être libre; qui me promet pourtant qu'un jour je ne serai plus, au moins comme élément de ce monde de la perception, monde qui coïncide avec la totalité (?) de mon connaissable, à moins que les assertions des mystiques et des prophètes n'aient un rapport avec une expérience réelle d'une autre nature que celle de tous les jours; à moins que je ne cache à moi-même cette expérience que peut-être, s'ils ont raison, je pourrais faire à chaque instant.

Quelle que soit la réponse pensée et vécue à de telles questions, il semble bien qu'elles doivent être posées, si l'on ne veut pas scotomiser une étape nécessaire de notre propre développement. Pas plus que je ne peux sauter à pieds joints le stade oral, anal ou le complexe d'œdipe, je ne peux m'abstenir de la double prise de conscience liée à la période de latence : la réversibilité de la vie, le sentiment d'universalité.

Maintenant et ici, si je suis adulte, et si je ne l'ai jamais pu, il faut que je m'achemine vers la prise de conscience de la vie qui sera mort et de mes possibilités de concevoir-sentir l'Universel... Le Yoga prétend m'y préparer pourvu que je le désire, c'est-à-dire que je désire être libre, réalisé, heureux! Il est possible que la cure analytique " réussie " soit toujours sous-tendue par un mouvement progrédient jouant dialectiquement avec la démarche régrédiente induite par la technique elle-même. Qu'une telle guérison par le projet soit possible expliquerait l'évolution surprenante de nombre de mystiques dont les structures très définies et très marquées d'un point de vue psychopathologique ont évolué de manière inattendue (si on se limite aux concepts psychanalytiques) vers un équilibre, une énergie, une spontanéité, une liberté qu'on croirait ne pouvoir espérer chez eux qu'à l'occasion d'une psychothérapie longue et aléatoire...

Schultz lorsqu'il essaie de comprendre le phénomène Yoga, écrit : " considéré sous l'angle médico-psychologique, on acquiert l'impression que le Yoga a pris naissance au terme d'une hypochondrie gigantesque, voire même cosmique, et ceci non seulement parce que les anciens textes promettent à chaque exercice l'immunité contre maladie, blessures et poisons; mais aussi parce que les expériences étranges de " retenir le souffle et même de faire rebrousser chemin au sperme au moment du coït (ou chez la " yogini " d'opérer de même avec les règles), sont de nature à nous faire soupçonner qu'il s'agit là de tentatives primitives de retenir " la vie ", la " force vitale " [19] .

Faut-il suivre Schultz dans cette analyse? Que signifie tout d'abord ce terme d'hypochondrie? Sivadon, dans le Vocabulaire de la psychologie, donne cette définition :

" affection mentale caractérisée par des préoccupations obsédantes concernant l'état de santé du sujet lui-même. En proie à des sensations subjectives pénibles, il a tendance à les attribuer à des troubles organiques inexistant et à solliciter des soins continuels ".

Sans doute le Yoga cherche l'immunité contre la maladie et surtout contre la mort (que la maladie symbolise et promet), contre le vieillissement, contre le déterminisme. Est-ce à dire que tout cet effort vers le non-relatif, le non-temporel, le non-déterminé, le non-mourant soit d'origine hypochondriaque? Mais alors il faut prendre ce terme dans un sens très large; il s'agit de la conscience aiguë du caractère limité de ma liberté, de mon bonheur, de ma prise sur le déroulement temporel de mon existence, de l'impression que j 'aie de n'être jamais parfaitement heureux quel que soit le sommet actuel de satisfaction que j'atteigne puisque ce bonheur de maintenant, aussi grand soit-il, est voué à l'échec que constitue ma mort (et pour le cosmos que constitue sa fin imaginée comme cataclysmique : la fin du monde, ou comme extinction progressive le refroidissement du système solaire).

Entre six et quatorze ans le petit homme, capable de maîtriser les pulsions orales, anales ou phalliques apprend vitalement que le temps existe, que hier est autre chose qu'aujourd'hui, que demain sera autre, que la mort n'est pas une simple absence, qu'il existe comme sujet permanent d'expériences successives, que ce " je " ne sait exister que par un " moi " ou pour un " moi " capable de l'emprisonner s'il s'identifie à lui...

C'est l'époque où il commence à ressentir l'angoisse des questions sans réponse " pourquoi maintenant c'est maintenant et tout à l'heure c'était maintenant " , " pourquoi je fais ce que je ne veux pas et ne fais pas ce que je veux ", " pourquoi faut-il souffrir, pourquoi faut-il mourir? ", etc.

Angoisse existentielle, questions métaphysiques! A quoi me sert de maîtriser le monde, de savoir faire (ce que j'ai acquis, lors des stades antérieurs de ma vie infantile) si je ne sais être, si je ne sais pourquoi je suis, d'où je viens, où je vais! Faire ici-maintenant, oui; mais pourquoi faire? La conception psychanalytique de l'homme répond à la première question et semble oublier la seconde, alors on parle de " latence ", voire!

Il se peut que ce soit l'angoisse devant cette question (ces questions) qui soit le plus fondamentalement à la source du désarroi devant la vie, de l'inadaptation, des conflits individuels, des guerres, etc. Cela se peut si, faute de donner à chaque instant ma réponse, je cherche dans mon être phénoménal, mon moi historique et déterminé, des ressources qu'il ne comporte pas ; ce sera la régression, d'autant plus visiblement dommageable que la structuration de mon être sera insuffisante ou distordue ; ce sera la maladie psychosomatique, la psychose, la névrose, la fuite dans le plaisir sans signification, l'accumulation de pouvoir, d'argent, d'expériences vides, de territoires, d'influence, de prestige, la société de consommation, la dictature, la colonisation, l'exploitation, le sous-développement, la guerre; la pollution et la mort de l'individu et de l'humanité!

J'entends déjà les 'défenses' que vous m'opposez. Sans doute certains ont même déjà fermé ce livre (" je croyais avoir affaire à un ouvrage de psychothérapie et je reçois une leçon métaphysique ").

Pour considérer ces questions sereinement, peut-être faut-il « la bonne volonté de devenir semblable à un petit enfant et d'abandonner l'ancien pour le nouveau. Le bonheur de dépasser les fausses limites et la joie de les voir disparaître [20]  ».

5. Yoga et dépersonnalisation

Cela a certainement, plus à voir avec la dépersonnalisation qu'avec l'hypochondrie et je crois être obligé d'étudier ici ce point.

En effet, la relaxation en général, le Yoga aussi, peuvent faire accéder à des états de " dépersonnalisation " [21] : on décrit sous ce terme un état particulier de l'organisme amenant la personne à s'éprouver comme se transformant et à éprouver le monde comme changé, artificiel, étrange sinon illusoire.

L'hypothèse souvent rencontrée dans la pensée hindoue ou bouddhiste est que le monde phénoménal, quoique réel, ne l'est que parce qu'on s'y accroche, parce qu'on y adhère. La réalisation de l'être, de l'essentiel, passerait donc par la prise de conscience stable de son caractère illusoire. ainsi que du caractère illusoire de la pensée, de l'imagination, des sentiments qui constituent le monde intérieur. Ainsi la dépersonnalisation semble un des buts recherchés par le Yoga. Si ce rapprochement a quelque valeur, il convient de préciser autant que possible la notion de dépersonnalisation et de voir si elle constitue un état nécessairement pathologique. Dans cette hypothèse, le Yoga ne serait qu'une route royale de la folie!

Amiel déclare " je suis comme n'étant pas ". Cette contradiction est faite d'un sentiment ineffable d'incomplétude. Angoisse profonde liée à la mise en question de la réalité de soi-même le sujet se regardant comme objet et se réduisant à cet objet, croit perdre sa réalité de sujet. Il se vit comme être-néant, Je-NonJe; en essayant de me saisir dans l'action de tout à l'heure en tant que j'en étais le sujet, je ne trouve rien, je suis devant mon action comme devant celle d'un autre. La non coïncidence du je et du moi devant l'échec que le je, en tant que je, puisse être contemplé, aboutit à l'affirmation qu'il n'est rien. Par " moi " j'entends ici tout le donné empirique constituant l'ensemble de ce qui est élément de mon organisme, corporel ou psychique. Quand " je me regarde ", je regarde, en fait, tout ce qui, en moi, n'est pas liberté instantanée mais processus constituant de mon être phénoménal.

Sartre parlera de " Pour Soi " [xi] et le concevra comme habité de Néant!

Ce sentiment du néant au creux du plus essentiel de ma conscience d'être est angoissant, dans la mesure où je ne veux ni renoncer à la conscience de ma condition, de ma faille, ni au désir de plénitude, de comblement, de bonheur, de totalité; c'est le mal de celui qui n'accepte d'être déterminé et libre à la fois et qui ne veut pas se leurrer au point de croire qu'il est parfaitement libre, ni accepter de ne point l'être du tout.

Comment peut se manifester concrètement l'état de dépersonnalisation vu par le psychiatre?

Sentiment d'étrangeté et de transformation, doutes sur l'identité de soi, sentiment de vide intérieur, sentiment d'agir comme une machine, artificialité et irréalité du vécu imaginaire, sentiments d'auto- dépréciation, sentiment de dédoublement, sentiment du néant, de mort psychique, de vide, de perte d'énergie, sentiment de lourdeur ou de légèreté excessive du corps, impression de gonflement, rétrécissement, sentiment de se trouver hors de son corps, sentiment de se déplacer à l'intérieur d'une enveloppe que serait le corps, sentiment de voir la réalité à partir d'un autre monde, sentiment de facticité du monde, d'étrangeté, de bizarrerie, de dégoût des choses, perplexités sur le temps, sentiments de déjà vu, déjà vécu, besoin constant d'introspection, essai de fixation de la durée intérieure. En pathologie mentale, Henri Ey remarque que la dépersonnalisation est l'un des aspects les plus fréquents et phénoménologiquement le point de rassemblement symptomatique des psychoses délirantes aiguës. Elle apparaît selon Follin et Azoulay " à tous les moments critiques marquant les étapes évolutives des psychoses chroniques ".

Si l'on admet que les 'psychoses aiguës' et les tournants évolutifs des 'psychoses chroniques' sont liés à des événements " traumatiques ", cela veut dire que je mets en interrogation de façon durable et angoissante la valeur de ma personnalité face à un réel tout à coup devenu insupportable. Je me regarde, au sens plein du terme chaque fois que l'action sur le monde n'ouvrant à aucune solution je m'aperçois que je dois agir sur la structure même de ce que je suis afin de ne pas préférer la mort, chaque fois qu'aucune action efficace de moi sur le monde n'est possible et chaque fois qu'aucun compromis ne pourrait se dessiner entre mon désir et ma frustration.

A l'issue de cet examen ultra-schématique de la dépersonnalisation vue par le regard psychiatrique, il convient de se demander si le Yoga n'est pas la manifestation de la psychose collective du peuple indien...

Je pense que tous mes lecteurs ont fait, au moins une fois, l'expérience de l'un ou l'autre des phénomènes énumérés plus haut.

Je remarquerai par ailleurs que le training autogène pratiqué par le sujet le plus 'normal' qui soit, lui permettra de ressentir, avec angoisse ou non, des phénomènes analogues. En fait, le caractère fondamentalement humain de ces sentiments s'exprime en cela que le relâchement de la vigilance ou du tonus musculaire est susceptible de les reproduire de manière plus ou moins fugace.

Le phénomène de dépersonnalisation paraît faire la charnière au niveau du vécu entre la réalité et le rêve. Pour être plus précis, entre le fonctionnement unifié de l'organisme concrétisé par la possibilité d'agir son action en tant que personne distincte du monde et se concevant par rapport à sa durée et par rapport à ses éléments spatiaux (les parties du corps) comme une unité dynamique et structurée (état de veille), et un autre fonctionnement où je ne suis plus maître de mes pensées qui s'agencent d'elles-mêmes, où mon imaginaire s'émancipe de ma tutelle (le sommeil). (On évoque aussi l'expérience psychédélique, mais dans celle-ci la barrière entre le rêve et l'état de veille est abolie).

Il s'agit d'une prise de distance à l'égard de la réalité sur laquelle je renonce à agir, laquelle je décide de moins percevoir, il s'agit aussi d'un abandon provisoire de ma capacité d'unifier le multiple qui me constitue selon un projet d'existence. Abandon, renoncements provisoires et incomplets, en voie de se constituer lorsque je m'endors, en voie de disparaître lorsque je me réveille. Etat entre la veille et le sommeil. En dehors d'une stabilisation du phénomène (névrose de dépersonnalisation), deux solutions s'offrent au sujet victime d'un tel état de dépersonnalisation

1. s'éveiller totalement ou s'endormir tout à fait en réintégrant par conséquent, des états habituels;

2. basculer dans un vécu et un fonctionnement indifférencié plus encore, où rêve, sommeil et veille ont perdu leur spécificité : l'E.E.G. est mal différencié, le vécu mêle rêve et réalité sous forme d’onirisme, d'hallucinations, de délire, d'interprétations.

Le Training Autogène nous a appris qu'un tel phénomène est maîtrisable : je peux décider que je vais me « dépersonnaliser »; je peux décider de retourner à un fonctionnement 'normal' puisque je peux décider de faire les exercices du Training Autogène et de ne les faire que pour une durée que je fixe au préalable. Il existerait donc une dépersonnalisation 'pathologique' : celle qui s'impose à moi; une dépersonnalisation saine et même bienfaisante, celle que je me permets [22] !

Mais comment expliquer l'angoisse si souvent rencontrée dans un tel état ? Il s'agit, je crois, de l'angoisse de mourir. En effet cet état est hautement suggestif, hautement analogue à ce que nous pouvons imaginer de la mort. Il s'agit d'un moment où une personne se réduit à l'état de cadavre, c'est-à-dire un être qui n'en est plus un, qui est multitude, poussière, fragmentation, morcellement. Si la dépersonnalisation correspond à une " analogie de la mort ", il n'est pas surprenant qu'elle soit recherchée systématiquement par ceux qui veulent en triompher ou la comprendre. Triompher de la mort et la comprendre, n'est-ce pas le projet dernier de tous les systèmes religieux et de bon nombre de systèmes philosophiques?

Il conviendrait de distinguer

1.     l'état entre la veille et le sommeil est abandon de l'attitude active ou retour à cette attitude. C’est un état généralement très bref mais qui peut se prolonger plus ou moins dans certains cas :

·         pour des raisons biochimiques (tranquillisants),

·        'pathologiques' (impossibilité vécue d'affronter le monde réel traumatisant et, simultanément, crainte de le quitter par la mort),

·        thérapeutique (Training Autogène, Rêve Eveillé Dirigé, etc.)

·        ou " spirituelles " (méditation, prise de distance à l'égard du perçu et de ce qui, en moi, perçoit et réagit.

Cet état intermédiaire ouvrirait sur un quatrième état de conscience stable qui aurait certaines des caractéristiques du sommeil (repos) et certaines de la veille (conscience vigile). Cet état pourrait donner lieu à des moments de conscience sans contenu, conscience de la conscience. Cet état est de tous les âges [23]  potentiellement.

2.     la faculté d'introspection (qui n'apparaît généralement que vers la septième année) permet au sujet qui vit cet état d’en prendre une connaissance réflexive s'il se prolonge suffisamment.

3.     cet état, pouvant être symbolique de la mort, s'accompagnera de plus ou moins d'angoisse (la peur de mourir), de plus ou moins de jouissance, de plus ou moins d'enseignement (si cette " petite mort " est réellement analogue à la mort, puisque je reviens de cette petite mort, c'est que je suis immortel par rapport à la grande mort; ou encore en maîtrisant mon angoisse devant l'analogon de la mort, j'apprends à maîtriser mon angoisse devant la mort et devant tout ce qui lui est fondamentalement lié : la durée, la vieillesse, la maladie, la souffrance, les privations, les frustrations, les impuissances, etc.).

Enseignement qui pourrait n'être que suprême illusion. La renaissance à une autre vie étant objet de croyance, postulat optimiste indémontrable. De toute façon, ainsi apparaît l'inconnu de la mort, son mystère nous ne pouvons nous représenter l'état d'être-mort que par rapport à la vie même, comme un au-delà repéré encore dans les catégories de vie [xii] "  .

En rapprochant le Yoga de la dépersonnalisation plutôt que de l'hypochondrie, j'ai été amené à parler de la mort. Il eut été aussi opératoire de parler de la vie, de l'immortalité, de la liberté tant vie et mort sont liées et aussi indissolubles que droite-gauche, haut-bas, avant-arrière, dedans-dehors, etc. mort-immortalité, autrement dit mort-non-mort, conditionnement-liberté, mécanique-je [24] .

Je pense qu'il est tout à fait possible d'analyser cela et d'y découvrir des racines plus anciennes, plus primitives du type phallus-castration, rétention-expulsion ou même fusion-autonomie.

J'admets qu'il y a là continuité; qu'en effet la mort n’est pas sans lien avec la séparation de la mère, avec le stade anal, avec le phénomène œdipien; mais la problématique de la réversibilité de la vie, de la différenciation du " moi " et du " je" (au sens déjà indiqué), de la dépersonnalisation (vécue comme telle et dans l'angoisse) ne se laissent pas réduire à ces phénomènes; ils les prolongent et sont colorés par eux mais ils les dépassent. La période de latence est, plutôt qu'un sommeil mâturant, le moment de la découverte de la condition humaine en tant que telle.  C’est alors qu'on vit la nécessité où l'on est de mourir, c'est à cet âge qu'on peut le savoir! Au moins, les possibilités sont-elles réunies! Encore faut-il qu'elles soient mises en œuvre : si bien que la conception de la mort n'est bien établie qu'à l'âge de neuf ans [xiii] . L'idée de se donner la mort reste exceptionnelle au-dessous de quinze ans (4 suicides pour un million d'habitants entre 10 et 14 ans chez le garçon, 1 suicide pour un million chez la fille) alors qu’au-delà de 16 ans les taux sont multipliés par dix ou trente.

D'autres auteurs, spécialement E. Milner, pensent que la mort n'est pleinement envisagée qu'au moment de l'adolescence (à mon avis, il s'agit d'une forte réactualisation) :

" dans le cadre de ce qu'il est convenu d'appeler travail de l'adolescence, se fait la confrontation individuelle de chacun avec ce qui est la Loi des Hommes, c'est-à-dire la nécessité de la mort, dont un des aspects est l'interdit de l’inceste ou, en d'autres termes, la possibilité de la limitation à son propre désir. C'est le véritable moment où se pose le problème de son identité, du rapport à son propre corps, à son nom, et à sa place dans la famille, et aussi, à la différence des sexes, dans cette perspective œdipienne qui est celle de notre société... " [xiv]

Aussi bien la mort redoutée dans l'état de dépersonnalisation n'est-elle peut-être que celle des illusions, des défenses, de l'écroulement de ce que Reich appelait la " cuirasse musculaire ". Un tel effondrement étant d'ailleurs réellement à craindre pour celui qui est dépourvu d'un axe suffisant, d'une colonne vertébrale.

Eviter l’état de dépersonnalisation ?

Dans notre expérience de yogathérapie, nous avons évité de provoquer ou de permettre la prolongation d'états de dépersonnalisation chez les 'malades' qui nous étaient confiés. Actuellement, je me demande si une telle précaution se justifie et si cette pratique ne pourrait être bénéfique. Un des arguments serait celui-ci : dans bien des cas, ces 'malades' le sont pour avoir, par trop, craint la mort (pour quelque raison fantasmatique ou non que ce soit); une technique qui leur  permettrait d'en revivre l'analogon dans une ambiance sécurisante ne serait-elle pas salutaire? Cette technique de se voir mort (exercice de yoga nommé posture de la mort ou " shavasana ") pratiquée en groupe pourrait avoir d'aussi bons effets que d'autres plus agressives, largement utilisées. En effet, n'est-ce pas se servir du même procédé (de manière plus technique, à plus grands frais, sans toujours savoir ce qu'on fait, en faisant plus au niveau métabolique par exemple) que de prescrire des comas thérapeutiques à l'insuline, des électrochocs sous curare, des narcoses, des necs, des sismos, etc. Affronter réellement la mort, comme dans la cure d'insuline, la tentative de suicide ou des bombardements (bien des 'schizophrènes' ont guéri à cette occasion paraît-il!) peut être salvateur. Je crois qu'à un moindre degré sans doute, mais à un moindre danger aussi, une cure de shavasana pourrait avoir le même effet [25] !

Affronter la mort, en échapper cependant peut susciter l'angoisse ou/et guérir de " qui suis-je? ". Certains qui ont échappé à une mort en la traversant (les " ressuscités de la réanimation cardio-respiratoire, les rescapés d'Hiroshima, etc.) restent longtemps choqués, en proie à une angoisse permanente avec cauchemars; ils ont la sensation de ne plus être comme les autres car ils sont " revenus du séjour des morts [xv] "

La mort est ce qui donne ou qui ôte son sens à une vie et parler de la mort c'est philosopher. Expérimenter la mort (d'une façon ou d'une autre), c'est expérimenter sa propre philosophie, se confronter à la signification de sa propre existence [xvi] .

Cette philosophie est tellement évidemment vécue par chacun qu'on ne saurait l'oublier même quand on parle de " thérapeutique ", voire d'astronomie, de chimie ou d'épistémologie!

*

*          *

La voie que propose Patanjali est expliquée en grande partie par la conception anthropologique qui est la sienne ou si l'on veut par sa conception de l'expérience psychique qu'il découpe en trois classes [xvii]

1.     les erreurs et les illusions (rêve, délire, illusions perceptives, etc.)

2.     la totalité des expériences psychologiques 'normales' et 'objectives' (tout ce qui est pensé, perçu, senti, éprouvé, imaginé avec conscience d'imaginer, etc. par l'homme éveillé 'normal')

3.     les expériences " supra-conscientes " : contemplation, expériences parapsychologiques, enstase, etc.

Pour lui, il s'agit d'abandonner les deux premières catégories d'expériences pour atteindre à la troisième. Cette dernière catégorie serait probablement rangée dans la catégorie de 1' " illusion " par bien des psychologues ou psychiatres à prétentions " scientifiques ". Il convient donc d'ouvrir ici une parenthèse à propos de ces phénomènes " supra-conscients ".

Il s'agirait pour l'adepte de " se joindre " à soi-même et cela ne va pas sans évoquer le " soi " de Jung, le processus d'individuation, c'est-à-dire l'unification en une synthèse parfaite de la totalité du psychisme conscient et inconscient. Jung parle à ce propos de fonction " transcendante " [xviii] . Schiller, cité par Jung, parle  d’" état esthétique ", à propos de cette unification contemporaine d'une " déterminabilité infinie " du psychisme. Jung lui-même insiste sur la valeur du Yoga par rapport à cette recherche de la réalisation humaine à travers l'assimilation des opposés, en particulier par l'ouverture aux symboles inconscients. Masson-Oursel [xix]  symbolise cet état d'unification par une roue bien faite dont les rayons convergent tous excellemment dans le moyeu...

Le Bouddhisme parle de libéré vivant ", d'éveil. Thérèse d'Avila parle de la " vie d'union " [xx]   "Heureuse l'âme qui y est parvenue" dit-elle, "elle goûtera la paix en cette vie et en l'autre ". N.K. Gupta déclare " au niveau du supramental, on voit (...) l'unité amasser en elle toutes les diversités sans les détruire, mais annuler et repousser la conscience séparative qui est le commencement de l'ignorance. "

Les états surconscients demanderaient des livres et des livres pour être explorés un tant soit peu ; et combien de recherches avant d'entrer dans le domaine de la " Science "!

Il est d'ailleurs inutile de décrire une planète inconnue tant que les hommes croient que les voyages interplanétaires sont des fables, des rêves, des illusions répondant à un ensemble de troubles " pathologiques ".

IV. La yogathérapie comme technique de groupe

Le groupe a un rôle de " garde-fou " propre à éviter les aberrations ou l'anarchie d'une pratique individuelle. Cette dernière en effet, dans la mesure où le sujet insisterait sur la nécessaire " écoute de soi-même ", pourrait voir cette écoute s'exagérer et devenir unilatérale au point que l'individu s'entraînerait à renforcer ses propres tendances somato-psychiques, qu'il s'agisse de respiration, de posture ou de concentration, au lieu d'en assurer l'équilibration progressive. Ces remarques montrent de toute façon que le Yoga ne doit généralement pas être pratiqué seul. Il est préférable qu'il y ait un contrôle, par un moniteur, un médecin ou un groupe et, mieux, par les trois réunis...

1. Disposition des participants

On sait que les techniques de groupe verbal ont adopté la disposition circulaire comme plus favorable aux interactions sur un mode non hiérarchisé. Dans une technique où l'on conseille de fermer les yeux et dans laquelle les échanges verbaux sont inexistants, cette possibilité d'échanges multiples n'est pas exploitée et dès lors la disposition circulaire paraît injustifiée.

En fait elle favorise tout d'abord la dé-hiérarchisation du groupe et nous paraît utile au moins à ce titre.

D'autre part elle réalise une unification formelle, symbolique, du groupe suffisamment évidente au niveau du vécu pour qu'un membre qui refuse sa solidarité avec les autres, sorte de ce cercle ou adopte une position décalée. Elle symbolise aussi la mise en commun d'une portion de l'espace. Elle permet, dans les phases d'attente mutuelle, la prise de conscience de l'interdépendance ou mieux de la fonction du groupe qui est d'être ordonné à l'épanouissement de chacun.

La disposition en rangs évoque celle d'une salle de cours et indiquerait plutôt la volonté pédagogique dans le cadre d’un rapport de connaisseur à ignorants.

**

Le Yoga implique et accentue une certaine séparation du monde environnant et d'autrui. Le fait pour un sujet, mal lié aux autres, de pratiquer cette discipline en référence à d'autres qui la pratiquent simultanément, précise la signification de cette séparation et lui donne toute sa valeur.

" Je suis moi-même, différent des autres, avec mon propre rythme et mes propres modalités de réalisation personnelle, je me retire en moi-même avec d'autres qui en font autant; je les accepte retirés en eux-mêmes, n'intervenant pas à mon endroit et je suis accepté par eux, retiré en moi-même n'intervenant pas à leur endroit ".

Ce retrait en soi est d'autant plus précieux et nécessaire que l'on s'adresse à des personnes souffrant (pour quelque raison que ce soit) d'un excès de stimulation.

Justement Goldstein et Sugerman [xxi] ont montré par l'analyse sur ordinateur de l'électro-encéphalogramme de schizophrènes " que ceux-ci souffrent d'un état d'hyper-activation ou d'une saturation d'entrée d'information.

Tout récemment ces travaux ont été confirmés par la méthode d'idéographie cérébrale (intensité de la circulation dans les zones corticales de perception).

Il en va de l'introverti comme de l'escargot : retranché dans sa coquille, il n'en sortira pas tant qu'avec une épingle on l'excitera à le faire (et telle est la " psychothérapie de soutien " trop souvent pratiquée à l'égard des 'indifférents', des 'passifs', des 'athymormiques', etc.). Au contraire si une ambiance convenable le laisse agir à sa guise, il aventurera une corne puis l'autre, acceptant alors le dialogue avec l'ambiance quitte à rentrer à nouveau si ce dialogue se fait trop intense, pour ressortir encore et s'extérioriser au maximum jusqu'à s'aguerrir au point de se demander à quoi lui sert sa coquille.

Le groupe rond, le groupe cocon, permet à ses membres de réparer ce que leur relation avait de trop proximal, de parfaitement insupportable et désocialisé.

Les psychanalystes ont montré que l'image du corps s'établit essentiellement entre six mois et six ans comme mouvement dialectique entre un pôle de " fusion ", de pleine réalisation, et un pôle d'arrachement, d'insécurité. La conséquence thérapeutique, que le Yoga préconisait d'ailleurs avant cette conceptualisation, sera d'établir la rééducation au moyen d'une alternance d'insécurité dynamique et de repos sécurisant.

La réalisation de postures identiques (fusion) que l'on peut ou non, prendre, garder plus ou moins longtemps, réaliser avec plus ou moins de perfection apparente (autonomie) permet une identification de l'image du corps propre comme unique et autonome dans la similitude.

Il faut également remarquer que cette dialectique fusion-arrachement rejoint à un certain niveau ce que nous appelons la "dialectique posturale ". On ne peut aider quelqu'un à réviser ses positions " fusionnelles"  qu'en partant d'elles. C'est, par exemple, ce qu'on observe dans les groupes de psychodrame de type Bour (par opposition aux psychodrames de type triadique) d'une grande valeur dans le traitement de tous ceux (c'est-à-dire de tous) qui ont avantage à revivre leur relation première à l'utérus. C'est également à partir de cette notion que s'explique la grande efficacité de l'audition de la " voix maternelle " filtrée à 8000 Hertz et de 1' " accouchement sonique [xxii] ".

La yogathérapie, grâce au groupe circulaire-maternel, grâce aux débuts de la cure où le moniteur et la monitrice sont " aux petits soins ", grâce aux postures régressives immédiatement compensées par les postures antagonistes, grâce au soutien, à la chaleur, à l'unanimité du groupe; enfin et peut-être surtout, grâce aux modes respiratoires régressifs contrôlés, aux relations nouées uniquement sur le plan non-verbal, la yogathérapie constitue une rééducation de type " anaclitique [26] de ce soubassement pré-verbal sur lequel s'est bâtie la personnalité du 'malade'.

2. L'homogénéité diagnostique

Ce problème se pose surtout lorsqu'on hypostasie les " Diagnostics ".

Selon Newcomb [xxiii] , deux conditions de base doivent être remplies pour qu'un groupe humain quel qu'il soit puisse se structurer et fonctionner normalement.

1.     une adhésion librement consentie par les participants à un certain nombre de règles et de lois, en vue d'un but commun à atteindre;

2.     l'existence de possibilités d'identifications réciproques minima entre les participants du groupe.

Il ne faut pas, à mon avis, exagérer le deuxième point jusqu'à constituer des groupes de schizophrènes, d'éthyliques, de maniaco-dépressifs, etc. D'abord parce que cette identification entre les membres n'est pas évidente par le seul fait d'une étiquette psychiatrique commune. Le diagnostic est une abstraction jugeant de l'identification réciproque possible au seul niveau " pathologique" . Par cela même le groupe pourrait se structurer sur un mode pathogène et non thérapeutique, les participants ne parvenant, à la limite, à communiquer qu'à l'intérieur du " champ morbide ". On trouvera plus d'entraide dans un groupe composé d'aveugles et de paralytiques. Mais, s'il n'y a que des aveugles, comment le groupe y verra-t-il clair? S'il n'y a que des paralytiques quel sera son dynamisme? Il y a là une question de bon sens, de nuances et finalement d'expérience.

Une trop grande homogénéité de symptomatologie, de structure et d'âge ferait encourir de graves dangers de 'résistance de groupe’ et d'immobilisme.

3. Yoga et parole

L'alternance, pour le même groupe, des exercices de Yoga et d'expression corporelle ou verbale semble être très intéressante. Schwenn [xxiv] a déjà montré, chez des toxicomanes, que cette alternance (relaxation/groupe verbal) favorisait l'expression et engendrait un approfondissement affectif de la vie du groupe.

V. Thérapie de groupe, thérapie du groupe

Par rapport aux dimensions sociologiques de la problématique des névroses, on peut se poser deux problèmes :

1.     Les conditions sociales peuvent-elles provoquer des névroses?

Hollingshead et Redlich ont montré que plus la classe sociale est basse plus la proportion de psychoses est forte, et inversement plus la classe est élevée, plus la proportion de névroses est grande.

E. Fromm décrit dans " la révolution de l'espoir" l'homme de notre civilisation livré au cauchemar d'une société totalement mécanisée, dont la morale est fondée sur l'évolution technique, l'efficacité et la productivité. Cette organisation crée " l'homme consommateur " purement passif, impuissant, isolé et plein d'angoisse. Il ne peut préserver ou construire son intégrité et son identité parce qu'il ne peut échapper quoiqu'il se sente condamné à vivre sans espoir. C'est la société bureaucratisée qui engendre ce désespoir, ce vide intérieur, cette confusion et une tension permanente.

La dépression n'est que cette tristesse qui vient au jour, l'agressivité " névrotique " exprime seulement la rage face à des conditions de vie implacables.

2.     Ces remarques posent un deuxième problème : la mentalité sociale peut-elle être considérée comme pathologique?

K. Horney le pense et Fromm le suggère. De cet avis également W. Reich. Freud lui-même (dans Une névrose démoniaque) et Jung ont montré que des phénomènes collectifs peuvent être compris sous l'angle de la psychologie des névroses. De même G. Mendel et H. Marcuse montrent que la guérison radicale des névroses ne peut se concevoir sans un profond bouleversement socioculturel et politique qui permettrait de désacraliser le principe d'efficacité.

D'autant la thérapie se penche sur les causes, d'autant elle passe de l'individu (psychologie), au sociologique et au politique d'une part, au biologique et au chimique d'autre part (dans la perspective déjà tracée par Auguste Comte [xxv] ).

Il convient de remarquer que la dimension proprement individuelle et psychologique ne devrait pas ressortir appauvrie de ces recherches et extensions. De même qu'il n'y a pas à supprimer le concept d'atome au nom de la physique des particules ou de la chimie des molécules [27]

La yogathérapie cherchera à agir au niveau psychosomatique individuel en tenant compte des limites imposées par le milieu de vie du client. Cette action aura nécessairement d'heureuses conséquences biologiques (biochimiques, immunologiques, etc.).

Cette constatation ne doit pas, à mon avis, freiner  l'engagement socio-politique, ni du thérapeute, ni du client. Cet engagement pourra trouver, éventuellement, sa motivation et son point d'impact, dans l'analyse des causes sociopolitiques de la maladie ou du symptôme et dans l'action contre les structures pathogènes.

De fait, si la démarche Yoga constitue souvent une mesure purement individuelle de défense contre les aspects les moins défendables de notre culture elle n'implique pas nécessairement  un " désengagement " du contexte socio-économico-politique malgré ce que soupçonnent certains [xxvi] et comme on pourrait l'attendre d'une démarche proche du phénomène religieux. L'adepte dirait alors comme la sœur de Gribouille [xxvii] " ma pauvre mère s'est toujours remontée en priant; je ferai comme elle, et comme elle j'aurai le calme et la paix du cœur " .

La critique de Karl Marx à ce sujet est loin d'être vaine comme chacun peut le vérifier dans l'Histoire et dans l'Actualité. Mais la formulation réitérée de cette critique tend à modifier le phénomène et, depuis Marx, des chrétiens, des musulmans et la plupart des courants spiritualistes se sont efforcés de montrer un intérêt nouveau pour un nouvel état de l'organisation sociopolitique [xxviii]

Michèle Lacheny trouve que parmi les Professeurs de Yoga, 1/3 s'intéresse à la politique et se déclare " de gauche " ou " plutôt de gauche ".  On n'en trouve pas plus de 6 % pour se déclarer du centre ou de droite. Parmi les élèves des cours de Yoga la proportion de ceux qui s'intéressent à la politique est des 2/3 avec 31 % se déclarant à gauche et 18 % du centre ou de droite.

On voit que 2/3 des professeurs de Yoga et 1/3 des élèves se désintéressent apparemment des événements politiques mais cette proportion n'est pas nettement différente de ce qu'on rencontre dans le reste de la population.

Ce texte a été republié par la Fédération Francophone de Yoga,
sous la direction de Swami Saï Shivananda, PhD
in "Yoga, Thérapeutique Appliquée"

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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19 Novembre 2008

Notes



[1] Chapitre II de "Yoga et Psychothérapie" du Dr Bernard Auriol, republié par la Fédération Francophone de Yoga in "Yoga, Thérapeutique Appliquée"         , sous la direction de Swami Saï Shivananda, PhD 

 

[2] Il existe des exceptions : par exemple Mme COUDERC à La Française (82) et de nombreuses communautés rurales composées le plus souvent d'émigrés en provenance des villes.

 

[3] Que le client doit pouvoir refuser comme le prévoit la " charte des Internés " sauf cas très précis définis très clairement. (Delirium tremens par exemple qui met directement la vie du patient en danger).

 

[4] Cf. Pour une Approche Multifocale en Psychothérapie

[5] Cf. P. Sivadon et F. Gantheret, La rééducation corporelle des fonctions mentales, E.S.F.. Cette position est la nôtre à condition de ne pas la comprendre comme une sorte de siège volontariste de la maladie qu'on traque chez le malade. Dans ce cas s'instaurerait une compétition entre le malade qui, pour préserver son existence. préserverait sa maladie et ferait en sorte de mettre en échec le thérapeute. (J'ai connu trois cas de cet ordre issus de La Verrière). " Je vous mets au défi de me guérir , répète ensuite avec tous les thérapeutes ce malade "vacciné".

 

[6] "Allness Disease" , Maladie sémantique décrite par Alfred Korzybski. Elle consiste à croire tout savoir d'un objet de connaissance...

 

[7] On sait qu’il s’agit de Romain Rolland

[8] cf. Piaget stade d'apparition de la réversibilité des opérations portant sur des objets concrets. On sait par ailleurs que l’aspect « latent » est ici très superficiel, comme le montre par exemple le modeste travail de Jules Celma.

[9] En fait, surtout le bouddhisme.

[10] Faire appel à l'instinct de mort serait s'arrêter à la superficie sauf à reconnaître qu'il s'agit d'une mort pour une vie.

[11] C’est assurément simplificateur : les mystiques en général, et les yogis en particulier, peuvent se montrer très actifs, très créatifs que ce soit au point de vue artistique, littéraire ou même architectural et social ; je fais ici allusion aussi bien aux grands fondateurs de religions (Bouddha, Moïse, Jésus, Patanjali, Mohamed, etc.) qu’à leurs disciples :  Thérèse d’Avila  Patanjali, Aurobindo, Gandhi,  etc.

 

[12] On aperçoit ici qu’il s’agit avant tout, non de refoulement mais de sublimation.

[13] La pratique simultanée du Yoga et d'une psychothérapie médicale existe sans être fréquente (enquête Lacheny, 1968) comme l’indique la statistique ci-dessous.

[14] Il semble qu’Aurobindo fasse ici allusion à ce que C.G. Jung ou C. Baudoin ont appelé le « Soi » ou le « Principe d’individuation ».

[15] On nous excusera de notre négligence au niveau historique. Ce qui nous importe est de tirer du trésor indien, par sa confrontation aux démarches thérapeutiques occidentales, ce qu'il renferme d'utile à notre réflexion et à notre action. Cela sans prétention à l'exhaustivité bien d'autres nous ont devancé et nous suivront dans cette voie et découvriront combien d'aspects essentiels nous avons négligés. Souhaitons pourtant que notre effort porte des fruits, sans regret exagéré pour toutes nos omissions. L'hindouisme (référant à un ensemble de doctrines et de pratiques qui pour vaste qu'il soit ne représente qu'un sous-ensemble de l'Indianité) connaît trois voies de réalisation Karma-marga ou voie de l'action, Bhakti-marga ou voie de la dévotion et Gnana-marga ou voie de la connaissance; cette dernière utilise trois systèmes Samkhya, Yoga et Vedanta. Le Yoga est alors celui de Patanjali, théiste et qu'on appellera dualiste ou non-dualiste selon qu'on s'intéresse à certains aspects de la doctrine ou qu'au contraire on s'attache au vécu phénoménal. Par ailleurs le Yoga comme le remarque Eliade ne peut être évacué d'aucunes voies (Karma-marga, Bahkti-marga), ni même d'aucun des autres systèmes philosophico-religieux de l'indianité l Cet aperçu fera comprendre à quel point nous aurions dû alourdir ce travail pour rester dans le champ des références historiques précises. Voir L'hindouisme de la collection Que sais-je? ", 1951.

[16] Le résultat le plus net de la démarche psychologique est que la Conscience apparaît comme déterminée, produite, fondée, secondée enfin par rapport à la Nature dont elle constitue en même temps un aspect, d'ailleurs le plus évolué. La phénoménologie, elle, " en vient à conclure que c'est l'acte de conscience par lequel le monde m'apparaît qui est originel et donateur de sens et que le fondement absolu du savoir est la conscience plus exactement, le JE Transcendantal. La conscience n'est alors plus fondée, mais fondante, le JE n'est plus un personnage historiquement constitué mais la source inconditionnée de son propre savoir, le lieu unique et intégrant de tous les sens. (H. CHAMBRON, art. cit.). La démarche de la psychologie scientifique apparaît comme une tentative d'étendre le déterminisme physico-chimique à la conscience, la démarche du Yoga, et en occident celle de Husserl apparaît comme une tentative qui pour beaucoup sera estimée tentation de se dégager du déterminisme scientifique. Teilhard de Chardin en arrivera, par des voies différentes à supposer la " conscience " jusque dans l'état le plus inorganisé de la matière...

 

[17] vâsana

[18] Cela peut sembler impossible à un premier coup d’œil ; pourtant la pratique de méthodes telles que le « rebirth » ou l’ « EMDR »  comme l’ancien usage des électronarcoses ou le simple emploi des benzodiazépines montre que certains effets du stress, certaines « inscriptions » ineffaçables par les approchez verbales classiques, peuvent se dépasser et perdre leur venin par ces moyens physiques, psycho-physiologiques ou chimiques.

[19] SCHULTZ, Le Training Autogène, 4°, éd., P.U.F., Paris, p. 189, Fse. La suite du texte montre à quel point Schultz voit dans le " Training une expression moderne du Yoga " nous pouvons nous étonner à juste titre du fait que l'esprit indien créa depuis plus de quatre millénaires à partir de ces pratiques curieuses ce qui ne devint facilement accessible à l'investigation qu'au début d'une époque d'essor scientifique, d'orientation pourtant bien différente.

 

[20] Mary Baker EDDY, in Science and Health, éd. par Christian Science, éd. autorisée par The First Church of Christ, Scientist, Boston, U.S.A. éd. Anglais-français 1917 et 1964.

[21] Pour l'étude de la dépersonnalisation présentée ici, je m'inspire essentiellement du travail de Follin sur cette question. Cf. notamment E.M.C. Psy., 37 125 A 30.

 

[22] Cette réflexion rabat sans doute trop l’état très courant et souhaitable qu’on pourra qualifier d’éveil au repos ou d’état de veille paradoxale. J’ai tenté d’être plus détaillé et précis ultérieurement à la rédaction du présent ouvrage : Les états de conscience modifiée ou Etats modifiés de Conscience. Cf. http://auriol.free.fr/yogathera/4consc.htm

[23] Cf. Desoille, op. cit., p. 10. Le R.E.D., état intermédiaire et nuancé entre l'état de veille et l'état de sommeil, entre le  physiologique et le psychique est, par essence, le reflet de ce réservoir inépuisable où le sujet a accumulé depuis sa naissance ses angoisses, ses craintes, ses désirs, ses espérances ".

 

[24] " Le bonheur consistant à s'unifier, il peut sembler contradictoire que la simplification de l'être doive se faire par la souffrance. Rien n'est plus vrai, pourtant, ni mieux confirmé par l'expérience religieuse des siècles, ni plus en accord avec l'explication du Monde par la multitude. Jésus nous en avertît, nous l'éprouvons chaque jour; le mécanisme de la création l'exige la même douleur qui tue et décompose est nécessaire à l'être afin qu'il vive et qu'il devienne esprit (...).                                                                                                                                    Ceux-là en effet seront sauvés qui, transportant audacieusement hors d'eux-mêmes le centre de leur être, oseront aimer un autre plus que soi, deviendront cet autre en quelque manière, c'est-à-dire traverseront la mort pour chercher la vie ". (Teilhard de Chardin, in Ecrits du temps de la guerre, la lutte contre la multitude, Grasset, Paris, 1917, 22).

[25] Il en va peut-être de même du suicide manqué lorsque ont été utilisés des moyens assurant une " mort dont on revient " : barbituriques, noyade suivie de réanimation, dépendus in extremis après perte de conscience, etc. Nous mettons donc en doute le bien fondé de l'affirmation de ROELANDTS : " c'est que la Mort lorsqu'on en revient, ne change rien, ne soulage de rien, n'enrichit en rien l'expérience de l'homme ". (ROELANDTS, art. cit.).

[26] plus qu'une thérapie analytique

[27] La causalité socio-politique est surtout reconnue dans des structures en pleine effervescence ou capables de fortes remises en question (cf. La Chine de la " Révolution culturelle "). La foi en une éradication de la maladie mentale par une meilleure structuration sociale est aussi celle de Maîtres spirituels modernes comme Maharishi, Guru Maharaji, etc. qui proposent des " plans mondiaux , destinés à la guérison de la structure sociale par l'action sur un certain pourcentage d'individus de la structure (effet 1 % ; effet 5 %).

 



[i] J. Filliozat, La nature du Yoga dans sa tradition, Ecole Française d'Extrême Orient, LII, 1963.

[ii] M. Lacheny, 2. Op. cit.

[iii] Martin, Aventure en psychiatrie, Ed. Scarabée, C.E.M.E.A., p. 151.

[iv] R. Desoille, Théorie et pratique du R.E.D., p. 83, éd. Mont Blanc, Genève, 1962.

[v] Schindler, in Pratique de la psychothérapie de groupe, ouvrage collectif sous la direction de P.B. SCHNEIDER, P.U.F., l%5, pp. 60 et sq.

[vi] S. Freud, Das Unbehagen in der Kultur, Vienne, 1929, passim. rééd. p.u.p., 1971.

[vii] Voir à ce sujet R. GENTIS, Guérir la vie, Maspéro, 1972.

[viii] Sri Aurobindo, Le guide du Yoga, Albin Michel, 1970, pp. 106 sq.

[ix]  R. Major, L'économie de la représentation, Revue française de psychanalyse, XXXIII, 1969, n° 1, Janv.), pp. 79 sq.

[x] S. Freud, Abrégé de Psychanalyse

 

[xi] Jean-Paul Sartre, l’Etre et le Néant, Gallimard, 1943

[xii] Roelandts, in Sandorama, n" 21, 1971, p. 15.

[xiii] D'après M. QUIDU, " Sémiologie de la conduite suicidaire ", E.M.C. Psy., 1, 37140G, oct. 1964 (4).

[xiv] Cité par C. Ricard d'Esposito, " Le suicide simple proposition de l'adolescent ", Sandorama, n°, 2122, 1971, pp. 7 sq.

[xv]  " Le complexe de Lazare ", in Inst. Med., 3, 81, 1972.

[xvi] R. GENTIS, Guérir la vie, Maspéro, 1972, pp. 65 sq. Ph. RooUn'LO, Foi d'un malcroyant, Cerf, l969.

[xvii] D'après M. ELIADE, in Techniques du yoga , Paris, Gallimard, « Les Essais », Paris, 1959 ; nouvelle édition revue et augmentée, « Idées », 1975. (ISBN 2-07-035328-1) et 1994, «  folio/essais ».

[xviii] C.G. JUNG, Les types psychologiques, 2, éd. Fse, Librairie de l'Université Georg et Cie, Genève, 1958, 2' éd. Fse, p. 113.

[xix] MASSON OURSEL, Le Yoga, P.U.F., 1967.

[xx] Thérèse d'Avila, Château de l'âme, 5° demeure, cap. 3. ; Dom MARMION, Le Christ, idéal du moine, chap. xvi, p. 526 ; Dom André : La Vie Surnaturelle, Salvador, 1934, p. 207.

[xxi] Goldstein et Sugerman, " Electrocerebral activity in schizophrenics and nonpsychotic subjects : quantitative E.E.G. Amplitude analysis ", E.E.G. Clin. Neurophysiol., 1965, 19.

[xxii] A. Tomatis in   La Nuit Utérine. Paris, Stock, 1981

[xxiii] Newcomb, in Pratique de la psychothérapie de groupe, op. cit., p. 43.

[xxiv] P.13. Schneider, in ibid., p. 127.

[xxv] http://fr.wikipedia.org/wiki/Auguste_Comte#Id.C3.A9es_g.C3.A9n.C3.A9rales

[xxvi] P. Séay, " Le Yoga en France ,, in Le Monde du 244, l970, p. 19.

[xxvii] D’après la Comtesse de Ségur, née Rospotchine, 1862  La Sœur de Gribouille, prépublié en feuilleton in La Semaine des Enfants (LSDE) à partir du 22 mars 1862 ; disponible en ligne. Chapitre XVIII : « Le Combat de Gribouille ». Edition papier in Bibliothèque Rose, p.232.

[xxviii] Ce courant est bien représenté par R. GARAUDY, in Parole d'homme, Laffont, 1975.