LA YOGATHÉRAPIE  DE GROUPE

Présentation de la conférence au premier congrès international de psychothérapie non verbale  (Istanbul, août 1970).

Par Rose Charlotte Poinçon, infirmière spécialisée, Professeur de Yoga.


 

En 1969, dans les services du Docteur Deffuant, commencèrent les cours de Hatha-Yoga. Le fait d'avoir dans ces services un agent professeur dans cette discipline, et nouvellement muté dans la région, est probablement à l'origine de la demande.

Les cours furent dès le début parfaitement suivis par les pensionnaires. Ces cours avaient lieu tous les jours, sauf le samedi et le dimanche. Quelques mois plus tard, Montauban se signala par une expérience similaire. Un jeune Docteur, Bernard Auriol préparait sa thèse sur les effets du Yoga en psychiatrie ; il intitulait sa recherche : Prolégomènes à une Yogathérapie de groupe. A l'hôpital Marchant, service de Madame Deffuant, il y avait 3 cours par jour, à Montauban, 2 cours par semaine.

Un travail d'équipe se fit et les résultats furent mis en commun. A cette époque, le directeur de l'hôpital Marchant, lui-même adepte, favorisa l'expérience et l'étendit à tout le personnel de l'établissement à raison de deux cours par semaine.

En 1970, Monsieur le Docteur Auriol fut invité à un congrès international de psychothérapie non verbale à Istanbul. Ne pouvant s'y rendre, ce fut le professeur de Marchant qui présenta le travail de Montauban et Toulouse. La conférence fut accueillie avec le maximum d'intérêt de la part des professeurs étrangers. A ce congrès étaient représentés : la Suisse, le Brésil, le Canada, le Sénégal, l'Allemagne, le Liban et la France. A la suite de cette conférence, le professeur Rany de Beyrouth vint à Toulouse voir sur place et repartit largement convaincu de l'efficacité de cette technique.

Nous devons cependant déplorer l'arrêt brutal de l'expérience dû au départ du médecin et du directeur, au moment où les résultats se précisaient. Cette expérience a duré de février 1969 à juillet 1971.

Le Hatha-Yoga est la première marche du long édifice de l'évolution humaine. C'est la racine carrée sur laquelle s'appuient toutes les autres formes de Yoga, y compris bien sûr le Yoga mental, la méditation, cette pause psychique si nécessaire à l'homme moderne. L'individu conscient de sa valeur, de l'importance de sa récupération, ne manque pas de s'accrocher à cette technique dite orientale, qui en fait, est surtout humaine ; elle affleure au grand jour parce que justement nous en avons besoin. Les procédés de relaxation, de décontraction physique et mentale sont amenés à un tel degré de nécessité que dans les grands centres urbains les salles de Yoga, de Zazen, sont pratiquement pleines.

En psychiatrie, nous pensons que le personnel soucieux de son équilibre est tout indiqué comme adepte prioritaire ; nous n'hésitons même pas à voir cette technique imposée dans ces milieux où la personnalité du soignant est très vite déphasée par rapport au contexte social.

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Une nouvelle technique de psychothérapie non dialectique,

la Yogathérapie de groupe

Dr Bernard Auriol (Quartier Psychiatrique, Montauban) et

Rose-Charlotte Poinçon (service du Docteur Deffuant, H. P. de Toulouse).

Avec le professeur Filliozat (1 ), il faut dire que « le Yoga est plus célèbre que connu ».

Certains ne voient en lui que charlataneries fakiriques ou mysticisme échevelé, d'autres en font la panacée capable de nous délivrer de tous les maux, physiques ou psychiques...

Nous pensons, avec tous les auteurs sérieux qui ont abordé ce problème, qu'il convient de le concevoir plutôt comme un ensemble de méthodes, découvertes empiriquement au cours de millénaires de recherche et d'efforts vers l’autoréalisation par les maîtres à penser et les « sages » de I'lnde.

On sait que le Yoga comporte de nombreuses variétés : Raja-Yoga, Jnana-Yoga, Karma-Yoga, Mantra-Yoga, Laya-Yoga et bien sûr, le Hatha-Yoga. Ce dernier, le mieux connu en Occident, est une méthode d'unification somatopsychique, tendant à renforcer l'homéostasie biologique et psychophysiologique, par l'utilisation de postures statiques spécifiques ou « asanas », par l'entraînement à la maîtrise respiratoire ou « pranayama » et par des exercices de concentration mentale.

Le Training-Autogène de Schultz, l'Eutonie de Gerda Alexander et même la Sophrologie de Caycedo ont certes des points communs avec le Hatha­Yoga traditionnel et s'inspirent parfois directement de lui ; cependant, à notre avis, ils n'en utilisent pas toutes les possibilités thérapeutiques.

Nous avons, quant à nous, essayé de retirer du Hatha-Yoga, tout le bénéfice possible, par rapport à des malades mentaux psychotiques ou névrotiques auprès desquels d'autres techniques et la chimiothérapie n'avaient produit que peu de résultat.

Il est évident que l'utilisation psychothérapique du Hatha-Yoga impose des adaptations, et c'est pourquoi nous avons adopté le terme de « Yogathérapie » qui a l'avantage de restreindre la compréhension du concept trop vague « Yoga » ou « Hatha­Yoga ».

Cette psychothérapie est une technique de groupe, et à notre avis, doit l'être nécessairement si on a la prétention de l'appliquer à des psychotiques. En effet, il s'agit d'une technique d'aspect « introversif » qui utilise la concentration de l’attention sur le corps propre ; son utilisation individuelle présente des dangers par rapport aux sujets autistiques, comme certains auteurs l'ont signalé avant nous (2) (3).

Par contre en permettant une autonomisation respectée et attendue par le groupe, quand elle est pratiquée en son sein, elle favorise dans un second temps la communication et le dialogue, qu'ils soient verbaux ou à base d'expression corporelle.

Les séances, l'expérience nous l'a appris, doivent être, surtout dans les premiers mois, très fréquentes et même quotidiennes. Un rythme hebdomadaire ne serait acceptable que dans la mesure où les patients ne présenteraient que des symptômes névrotiques. Il faudrait d'ailleurs, dans ce cas, et comme pour le Training-Autogène, leur demander de consacrer un certain temps chaque jour à leur entraînement solitaire.

La séance type de Yogathérapie comprend deux parties :

'        la première d'une durée de trois quarts d'heure est consacrée à l'entraînement Yoga proprement dit : acquisition des postures, exercices respiratoires et de concentration.

La disposition spatiale des participants a varié dans notre expérience ; nous avons adopté tantôt une disposition « en rangs », tantôt une disposition « circulaire », sans doute plus conforme aux données théoriques de la dynamique des groupes, sans que l’étude des résultats ait permis de dégager la supériorité de l'une sur l'autre.

'        Dans la deuxième partie de la séance, nous invitons les participants soit à l'échange verbal, soit au dialogue corporel nous inspirant de la « Sémantique Générale » de Alfred Korzybski. (4)

Il convient de remarquer que des sujets, particulièrement inhibés au niveau de l'expression, et incapables d'entrer d'emblée dans ces techniques de communication, y parviennent parfois de manière spectaculaire à la suite des exercices statiques de Hatha-Yoga. A travers ces derniers, le malade réalise un type nouveau d'expérience qui l'amène à de nouvelles perceptions synthétiques de son corps.

L'attitude personnelle des moniteurs doit être, autant que possible, de type non-directif, empreinte de réceptivité et dégagée de l'axe autorité-dépendance.

L'un de nous (5) écrit : « La pratique des asanas amène le sujet à assimiler au niveau du vécu et en dehors de toute transmission verbalisée cette évidence que la peur et les défenses qu'elle entraîne, sont généralement plus nocives que le danger auquel elles sont censées faire face : une posture douloureuse ne l'est plus et procure même un certain bien-être, à partir du moment où, au lieu de la produire avec initiative, le sujet accepte seulement, et dans la passivité idéo-musculaire, qu'elle se produise. Il se rend progressivement compte que lorsqu'il « force », qu'il lutte contre son propre corps, la réussite est médiocre sinon impossible... L'attention détournée de la posture sur la respiration, permet ce désintéressement de l'effort volontaire tendu ».

Cet investissement de l'énergie psychique actualisable, sur la respiration, opère de la même façon et simultanément, au niveau psychologique : le sujet attentif à sa respiration voit ses préoccupations disparaître et même son langage intérieur s'abolir: c’est ce que nous avons appelé le phénomène de « centration-décentration ».

Le principe de non-compétition est une des bases essentielles de la méthode: il s’appuie d’une part sur des considérations théoriques qu'il serait trop long d'exposer ici, et d'autre part, sur l'expérience qui est la nôtre.

'        Apprendre à écouter son propre corps, ses possibilités « hic et nunc »,

'        apprendre à accepter les différences dans la réalisation sans se demander si l'on fait mieux ou plus mal que l'autre,

'        s'attendre mutuellement :

telles sont les trois exigences de ce principe.

L'acquisition en est facilitée par l'insistance des moniteurs à expliquer que la perfection en Yoga ne consiste pas dans la réalisation d'un exercice gymnique idéal, mais plutôt dans l'attention qu'on met à réaliser une posture, exactement dans la mesure où son propre corps en a besoin.

Notre exposé cherche seulement à poser les jalons essentiels d'une méthode dont les bases et la pratique exigeraient de bien plus larges développements. Nous ne pouvons dès lors que vous renvoyer au travail intitulé « Prolégomènes à une Yogathérapie de Groupe ».

En ce qui concerne les résultats que nous avons obtenus, sur les 117 sujets qui ont participé à nos séances, nous vous livrerons seulement quelques remarques - sans prétention à la vérité scientifique, vues les difficultés d'ordre méthodologique que rencontre l'appréciation de la valeur spécifique d'une quelconque méthode psychothérapique :

1)     Les femmes semblent mieux profiter de cette technique que les hommes (63 % de bons résultats contre 48 % chez les hommes).

2)     Le pourcentage de bons résultats semble décroître avec l'âge.

3)     Pour des raisons différentes, trop longues à analyser ici, les sujets ayant un quotient intellectuel compris entre 70 et 110 semblent moins bien profiter de la Yogathérapie que les sujets dont le Q.I. est inférieur à 70 ou supérieur à 110. (QI. apprécié au moyen du test de Wechsler-Bellevue).

4)     Les résultats semblent d'autant plus net que la participation aux séances a été plus régulière, convaincue et attentive. Ce parallélisme ne se manifeste que pour les sujets dont le traitement chimiothérapique n'a pas varié (le plus grand nombre) et qui ont été assidus pendant deux mois ou plus.

5)     Les résultats sont plus nets et plus solides chez les névrosés que chez les psychotiques.

Nous ne prétendons pas avoir prouvé définitivement la valeur de notre technique : il faudrait en effet, pour cela, établir une série-témoin, comparable...

Nous espérons pourtant que notre expérience pourra inciter d'autres chercheurs à s'engager sur le chemin que nous avons emprunté.

Précisions et réponses à quelques questions.

Par rapport aux indications

Nous avons peu insisté dans cet exposé sur les indications et contre-indications de cette méthode psychothérapeutique: nous réservions en effet ces problèmes à un autre travail (Communication au VIII ème congrès de Psychothérapie de Milan).

Suivant la sévérité des critères d'efficacité, le pourcentage des sujets hospitalisés qui ne bénéficient pas de la Yogathérapie de groupe va de 15 % à 50 % (rappelons qu'il s'agit toujours ici de « psychiatrie lourde »).

Le pourcentage de sujets qui en bénéficient de manière évidente va de 50 à 65 %. Parmi ces derniers un tiers a pu quitter l'hôpital psychiatrique et se réadapter à son milieu. La sortie a souvent coïncidé avec l'abandon de la technique faute de possibilités pour proposer une post-cure de même style. Nous n'avons donc pas essayé de vérifier quelles étaient la qualité et la durée de la rémission.

Les symptômes qui ont été les plus favorablement influencés sont dans l'ordre :

1)     attitude introvertie et autisme,

2)     retard psychomoteur,

3)     extra-punitivité,

4)     humeur dépressive,

5)     dépendance passive,

6)     troubles posturaux et dystonies d'attitude,

7)     sentiment d'étrange réalité de soi-même.

D'autre part, la chimiothérapie a été allégée de manière stable dans 25 % des cas au cours de l’expérience sans conséquence fâcheuse alors qu'elle a été augmentée seulement dans 10 % des cas.

Bibliographie sommaire

1) Pr J. Filliozat

« La nature du Yoga dans sa tradition » en introduction de l'ouvrage du Dr T. Brosse:

« Etudes Instrumentales des techniques du Yoga, expérimentation psycho­somatique ».

(Publ. de l'école Française d'Extrême-Orient, vol. LII, Paris, 1963).

2) J. G. Henrotte

« Yoga et Biologie » revue « Atomes » N° 265, pp. 283 et sq. Paris, Mai 1969.

3) R. Veylon

« Le Yoga, mystique, mystification ou technique médicale » ? dans « La Presse Médicale » 77 N°50 pp. 1882 et sq. novembre 1969.

4) A. Korzybski

«Science and Sanity: an introduction to non-aristotelian systems and general semantics», 4ème ed. , Lakeville, Conn. International Non Aristotelian Library Publishing C°, 1958.

5) Bernard Auriol

«Prolégomènes à une Yogathérapie de Groupe», Éd. S.I.T.E.C., 1970, Montauban.

6) R. Durand de Bousingen

« La rééducation psychotonique ( relaxation, gymnastique, rythmique). La pédagogie de relaxation de Mme G. Alexander», paru dans «La Relaxation » expansion, Ed. Paris, 1964.

7) J. H. Schultz

« Le Training -Autogène », 3ème Ed., Paris P.U.F., 1965.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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29 Mai 2001