La Centration-Décentration

Dr Bernard Auriol

En début de séance nous demandions aux participants de centrer leur attention

·  ou sur la respiration

·  ou sur les différentes parties du corps

·  ou sur certaines perceptions (sonores par ex. )

Pendant la deuxième partie, l 'attention portait sur la posture ou sur la respiration accompagnant la posture.

Pendant la troisième partie, elle portait sur autrui, ou sur soi devant autrui, en communication avec autrui. Parfois, nous demandons une centration sur un objet ou un symbole peint (170), par exemple le symbole chinois du INN et du YAN le " Tai chi " , ou tout autre figure caractérisée par l 'harmonie, la simplicité et la force apaisante suggestive qu 'elles revêtent pour qui les contemple.

Nous croyons à la grande valeur de ces divers exercices pour provoquer une " décentration "psychophysiologique amenant le sujet à négliger les pensées, images ou sensations constituant sa vie consciente habituelle, remplissant perpétuellement le champ de sa conscience, dispersant " sa force " psychologique et abaissant du même coup sa "tension " psychologique au sens de P. Janet (85-86).Décentration n 'est pas synonyme de vacuité, comme on pourrait le penser, mais plutôt orientation différente, réorientation ; l 'attention n 'est plus mobilisée par les objets extérieurs comme ils viennent, et se dégage en même temps des préoccupations actuelles issues de la vie inconsciente et traduction des conflits sous-jacents, intra ou intersystémiques. Nous pensons qu 'il se passe au niveau psychique ce qui a lieu au niveau psychophysiologique lorsque l 'on substitue à une distribution spontanée du tonus musculaire, un pattern de contractions reposant pour ainsi dire sur la relaxation poussée de tous les autres muscles qui ne sont pas directement mis en jeu par ce pattern (Asanas).

Ces exercices répétés tendent à favoriser une attitude " objective " si on veut bien admettre avec Fraisse et Piaget (62) qu 'on " peut aller jusqu 'à soutenir que toute connaissance (représentative comme perceptive) est déformante en ses débuts, à cause de centrations de natures diverses, et que seules des décentrations conduisent à l 'objectivité. En ce cas il serait vain de séparer l 'étude des déformations ou illusions de celle des estimations perceptives normales "*.

* P. FRAISSE et J. PIAGET (2)

On pourrait penser qu 'existent, d 'un côté, les mécanismes de la perception en elle-même et d 'un autre côté, ceux de ses déformations ou " illusions ". Par exemple, en présence de figures comme celle de l 'estimation " normale " des longueurs, et, d 'autre part, les facteurs particuliers perturbant en ce cas une telle estimation.. Seulement une telle séparation s 'inspire peut être de modèles empruntés aux activités cognitives supérieures, au sein desquelles il est effectivement légitime de distinguer par exemple, les structures du raisonnement correct et celle des erreurs. Mais, en ce derniers cas, cela n 'est légitime que dans la mesure ou le sujet parvient de lui-même à cette distinction rétrospectivement (que ce soit tôt ou tard), sans quoi l 'on fait de la logique et non plus de la psychologie (de même que sur le terrain perceptif on risque souvent de céder au point de vue physique ou objectif au lieu de demeurer sur le terrain strictement psychologique). Or dans le domaine des perceptions non seulement le sujet ne réussit presque jamais à dissocier les erreurs systématiques de ses perceptions approximativement exactes, mais encore et surtout l 'on peut même se demander si la présence de déformations n 'est pas inhérente à la nature propre des mécanismes perceptifs, qui procèdent par échantillonnage probabiliste au lieu de fournir une " copie " précise de l 'objet.

Si cette technique semble spécialement indiquée aux fins de détruire une " idée obsédante " il ne parait pas opportun d 'en limiter l 'indication à ce symptôme. En effet Fraisse et Piaget (62) parlent quant à eux de la perception banale, normale telle qu 'elle est trompée dans les illusions perceptives classiques ; c 'est en approfondissant ce problème qu 'ils sont amenés à lier " centrations spontanées "et " subjectivité ". Nous faisons des " erreurs perceptives " parce que nos habitudes mentales et socioculturelles ou personnelles nous amènent à considérer plutôt certaines formes que d 'autres, certains éléments auxquels nous accordons un privilège dans un ensemble reçu.

Dans les hallucinations, les délires, etc ... il y a une plus grande introduction de la " subjectivité " qui arrive à force de centrations abusives à transformer le " réel ", voire à se détourner de lui pour y introduire " de novo " des " perceptions sans objet " sinon sans substratum objectif. Ces perceptions ne sont alors que la concrétisation de la centration affective du sujet, c 'est-à-dire de ce qu 'il s 'attend à percevoir ou qu 'il a besoin de percevoir.

Bien sûr la technique de centration-décentration ne permet qu 'une décentration très provisoire, peut-être superficielle et qui sans doute, n 'implique que fort peu l 'ensemble de la " personnalité "au niveau profond; mais il faut voir les séances comme les jalons d 'un entraînement progressif qu 'il n 'est pas question de séparer de l 'action institutionnelle, des interventions psychothérapiques verbales, individuelles ou en groupe (150). Il s 'agit d 'une véritable rééducation à la prise de distance par rapport au vécu propre habituel.

Le docteur Chambron H., didacticien de Rêve Eveillé Dirigé a bien voulu nous informer qu 'il s 'était inspiré de ce principe avec bonheur.

Un de ses clients après quelques séances était si bien entré dans le " rêve " qu 'il devenait impossible de diriger ce dernier. Le client devenu la proie de son rêve ne pouvait dès lors bénéficier de la technique qu 'il eut été classique d 'interrompre. Il proposa alors au sujet de prendre conscience de sa respiration (centration) et en cours de séance, chaque fois que l 'imagerie prenait une totale emprise, il lui demandait de " revenir à sa respiration ". Ce fut chaque fois suffisant pour recréer une distance entre le rêveur et son rêve sans rompre ce dernier. Il ne s 'agit aucunement de proposer la " centration-décentration " comme une thérapie des hallucinations, son application est même souvent impossible, comme nous l 'avons noté à propos du contrôle respiratoire, chez les sujets actuellement hallucinés, et la chimiothérapie doit toujours être la base de départ permettant de balayer les symptômes immédiats les plus gênants. Si on parle, au contraire, du traitement psychothérapique de fond, nous pensons que cette technique conserve toute sa valeur pour apprendre au sujet à ne pas revenir sur des attitudes mentales hypercentrées et par là " délirogènes " ou " hallucinogènes ".

OBSERVATION N0 18

·  - M Thierry , 45 ans Schizophrénie paranoïde

HISTOIRE DE LA MALADIE:

Après son succès au baccalauréat, Mr Thierry entreprend des études de Droit. Une déception sentimentale l 'incite a partir pour le Maroc avec le poste de secrétaire a l 'école de Commerce. Il présente les premiers signes pathologiques à 24 ans et les hospitalisations nécessaires sont de plus en plus longues et rapprochées. On note lors de son entrée dans le service en Avril 69 des idées délirantes mal systématisées à thème de jalousie et de mysticisme, des crises excito-motrices et excito-verbales fréquentes, du maniérisme, de l 'ambivalence, des troubles du cours de la pensée, une humeur variable. Il existe des hallucinations olfactives, visuelles, kinesthésiques et un syndrome d 'influence. Il déclare à ce moment la " chez moi je ne sortais plus du tout, je passais mon temps, a écrire n importe quoi. Je deviens de plus en plus timide, j 'ai peur de ce que les gens disent ou pourraient dire de moi ".

ETAT APRES UN MOIS DE YOGA:

La symptomatologie s 'est beaucoup atténuée ; en particulier, il est beaucoup moins angoissé, tendu mais le contact reste pauvre, habituellement, en dehors de la période de verbalisation en groupe qui suit la séance de yogathérapie et pendant laquelle il s 'exprime beaucoup.

Au bout de trois mois d 'hospitalisation, un essai de sortie se solde par un demi-succès (rechute 4 mois après la sortie).

Au cours des séances on note son application. 
 

SON OPINION : Il me faut du courage pour venir, mais quand je participe, JE N 'ENTENDS PAS MES VOIX.

La chimiothérapie est restée pratiquement inchangée. Mesurant 1m73, il pesait 77 kg avant la cure. Après il n 'en pèse plus que 73. Lors de sa nouvelle admission (et après abandon du yoga son poids est de 79 kg).

OBSERVATION N° 32

- Mr Alphonse. .. 21 ans, Schizophrène.

Ce sujet entré dans le service le 27-5-69 vient du Service Fermé de La Grave ou il était depuis quatre mois.

Ses études se sont normalement poursuivies jusqu 'à la Terminale. Il a échoué au baccalauréat et se plaint de ne plus avoir de mémoire ni d 'intérêt pour les études depuis un an. Il est exempté du Service Militaire en raison de la découverte d 'un " souffle cardiaque ".

Au début de son hospitalisation a Marchant il reste assis de longues heures sur le bord de son lit, les yeux dans le vague ; il ne lie aucune relation avec ses camarades. Le médecin-chef lui demande dés son entrée de suivre les cours de Yoga.

Son aspect est celui d 'un catatonique, on note une hypertonie permanente du visage, des muscles péri-rachidiens, des membres supérieurs. On est frappé par sa dystonie posturale qui entraîne une attitude dissymétrique permanente avec abaissement de l 'épaule gauche et déformation scoliotique du rachis.

Après un mois de traitement associant à la chimiothérapie (inchangée par rapport à La Grave) des massages de la nuque et le yoga, on observe la disparition de l 'attitude scoliotique mais la persistance d 'une certaine raideur dans la démarche. Les temps de détente pendant les séances se soldent pourtant par un bon relâchement musculaire. Au niveau mimique on remarque que son regard a perdu le caractère " pathétique " qu 'il avait lors de son admission.

Au bout de cinq mois sa poignée de main chaleureuse, son contact et son activité pragmatique, LA DISPARITION DE SES HALLUCINATIONS : " je ne vois plus de chimère ", maintenant critiquées, permettent d 'envisager sa sortie définitive.

La technique de centration-décentration en elle-même (c 'est-à-dire au delà du contrôle respiratoire ou de l 'attention posturale) ne peut être utilisée qu 'avec la maîtrise et des postures et de la respiration rythmée. L 'attitude de concentration et le luxe de précautions que nous prenons pour éviter les " distractions " peuvent apparaître comme une sorte de mise en "isolement sensoriel " dont on connaît les effets hallucinogènes ou d 'appel à une introversion plus ou moins narcissique. Le danger existe, il est loin d 'être négligeable et nous connaissons des cas de " schizophrénie " dont l 'évolution vers la psychose a pu être favorisée par l 'usage imprudent des techniques du yoga traditionnel.

OBSERVATION N° 18

Monsieur Thierry à pratiqué le yoga pendant quelques semaines assez peu de temps avant sa dernière hospitalisation. Il s 'agissait d 'un schizophrène.

OBSERVATION N° 31

Mademoiselle Anne, Schizomanie, a pratiqué le yoga pendant plusieurs mois avant son hospitalisation.

On peut discuter à perte de vue pour savoir Si le yoga a retardé ou accéléré l 'hospitalisation de ces deux malades. Il parait de toute façon évident que le passage dans la maladie n 'a pas été instantané et que le yoga est peut-être apparu à ces sujets comme une planche de salut possible alors qu 'ils se sentaient glisser hors de l 'aire d 'adaptation sociale.

J.C. Henrotte écrit (17) : "Le Hatha-Yoga n 'est pas une discipline purement physique. La concentration et les respirations associées aux positions en font à la fois l 'efficacité et le danger, qui est donc bien plus d 'ordre mental que d 'ordre physiologique. La méditation n 'est ni une hypnose, ni une somnolence agréable, ni une rêverie. Ce n 'est pas davantage une auto-analyse, mais elle exige du disciple un psychisme " purifié ".C 'est pourquoi les anciens maîtres choisissaient avec soin leurs élèves. C 'est aussi la raison pour laquelle l 'apparition de névroses latentes à la suite de la pratique du yoga n 'est pas exceptionnelle. Le yoga est en effet une discipline d 'action par laquelle l 'homme arrive à fortifier et à contrôler des facultés normalement peu ou pas développées. Il importe donc que ce développement se fasse sur un terrain mental assez solide pour en supporter la charge ou sur un terrain préparé par une analyse psychologique préalable".

Les ashrams de l 'Inde sont pourvus de quelques personnalités pour le moins " bizarre ". Si la sérénité et la force calme de certains maîtres est frappante, les assertions et le comportement de certains autres invitent à la prudence.

De même l 'observation suivante montre qu 'il est peu opportun de conseiller la yogathérapie à certains malades dissociés au cours d 'une " période féconde " comportant par exemple des idées d 'influence.

OBSERVATION N° 8

Avant de commencer le yoga Nathalie est hallucinée et présente un syndrome d 'influence. Après deux mois de yogathérapie elle déclare que le moniteur se place en face d 'elle dans le cercle et la regarde pour " parler dans sa tête ". Elle a peur des hommes qui participent avec elle aux séances ; ses hallucinations sont toujours autant, si ce n est plus, importantes qu 'au début de la cure. Elle refuse de continuer.

Nous pensons que ces différents accidents ne sont pas liés à la technique de " centration-décentration ", mais plutôt à une " centration " qui ne se fait pas au détriment des orientations personnelles privilégiées du sujet mais au contraire en leur faveur, l 'envahissement de la " subjectivité n 'étant pas endigué mais favorisé par le flou hypnoïde ainsi créé.

Par rapport aux malades mentaux, névrotiques, psychotiques ou prépsychotiques il est important de veiller à ce que la " concentration " soit réelle, précise, sur quelque chose qui soit toujours objectif ou d 'un symbolisme adéquat.

La nécessité et la valeur de ce contrôle apparaît nettement dans l 'observation suivante

OBSERVATION N° 40

Mlle Marthe Schizophrène leptosome, aux cheveux blonds et aux yeux bleus, marque son ambivalence dès l 'entrée :elle attend que les autres participants aient déposé leurs chaussures, hésite un moment puis se décide " je les mets la ". Son autisme ne lui permet pas de " tenir " la posture suggérée, elle s 'évade rapidement, soliloque doucement, lâche la posture et regarde ses ongles. La monitrice lui signale qu 'elle " n 'y est plus " " Ah ! oui c 'est vrai ! " et elle reprend alors la posture. . . Après 3 séances, elle s 'absente du cours pendant huit jours, puis revient en expliquant son absence par la présence des hommes. La monitrice lui demande alors de se placer devant (rappelons qu 'il s 'agit de la série d 'observations où les malades sont disposés en rang, face à la monitrice.) Elle reprendra à chaque séance cette place et cela dès son arrivée, par crainte de se la voir ravir.

A partir de ce moment, son comportement pendant les séances est beaucoup plus calme, il lui arrive après le cours de parler avec des participants hommes. Elle reste, au bout de deux mois, incapable de fermer les yeux, mais remarque pourtant que les séances la détendent alors que les premiers cours lui paraissaient être une source de tension et d 'énervement.

On voit dans ce cas que la concentration sur la posture n a été ' possible qu 'en éliminant du champ visuel le sexe masculin. D 'autre part la centration sur le corps propre a permis une reprise de dialogue avec les hommes.

Dans la centration-décentration à partir d 'une image il s 'agit de fixer l 'objet lui-même au point d 'en percevoir les éléments négligés par un regard superficiel, les schèmes d 'abord non perçus. Quand on se concentre sur le corps propre, il s 'agit de s 'identifier à la zone somatique en question et de passer des parties les plus basses (périnée, plexus solaire) aux parties les plus élevées (thorax, pharynx), la progression amenant une intégration des différentes parties en une unité harmonieuse finale. Ces techniques supposent un échange verbal facile entre thérapeute et malade et ne doivent être abordées selon nous, qu 'aux derniers stades de la yogathérapie (chakras).

L 'introversion pouvant être considérée comme le primum movens de la dépersonnalisation, il faut que le contrôle s 'emploie à éviter que la concentration n 'entraîne une fuite du monde, mais bien au contraire rende possible un meilleur contact.

Les malades s 'interrogent d 'ailleurs moins sur l 'effet négatif possible à cet égard que sur d 'éventuelles conséquences positives, auxquelles nous croyons:

Un malade demande si " ce système permet de développer l 'amitié entre les participants ". L 'observation de son cas est d 'ailleurs suggestive :

OBSERVATION N° 21

Monsieur Martinien. pratique le yoga depuis le début de l 'année 69 dans le service de Marchant où il est hospitalisé. Sa mimique reste très longtemps empreinte de tristesse. Après 6 mois il abandonne l 'entraînement tandis qu 'il ébauche une liaison avec une malade. L 'introduction de la mixité est sans doute la raison qui l 'amène a revenir aux cours en décembre 69. On note que sa mimique est devenue souriante, plus détendue. Il sort le dernier du cours afin de lier conversation avec les malades femmes. En janvier 1970 il apparaît plus ouvert, mieux apte à la communication capable de prendre la parole et d 'écouter celle des autres. Il apparaît beaucoup moins autistique. Il lui arrive en cours de séance d 'encourager un voisin ou d 'aider une compagne embarrassée, à la réalisation d 'une posture. Simultanément on constate une amélioration de l 'attitude qui devient moins tendue, une certaine relaxation (qui présente des fluctuations parallèles à son évolution clinique) des masses musculaires para-vertébrales.

De toutes façons il convient de remarquer que l 'attitude de concentration n 'est introvertie qu 'en apparence ; elle n 'est pas introvertie au sens de subjectivité séparée d 'autrui mais elle est introvertie au sens d 'un éloignement provisoire des centrations ou hypercentrations incontrôlées à partir du flux des représentations prenant leur origine dans la personnalité profonde et à partir des stimuli ambiants. Cet éloignement provisoire permet selon nous d 'abandonner à la fois les sollicitations externes et internes, qui sont toutes le moteur d 'un éparpillement du moi, d 'une fuite du projet personnel vers l 'ordination de soi aux autres pour ce qui est du pôle hystérique, l 'ordination du réel à soi pour ce qui est du pôle schizoïde. Il s 'agit dans tous les cas de récupérer une coïncidence dans l 'instant de concentration mais en intégrant ce réel (proprio ou extéroceptif) comme sien, reconstruisant par là non seulement l 'unité du corps mais aussi l 'unité affective...

Plusieurs infirmières du service d 'admission, et à plusieurs reprises nous ont dit après une séance de yoga : " mais qu 'est ce que vous leur faites ? "La question semblait presque dire " est-ce que vous faites l 'amour avec elles ou quoi ? ".

Elles marquaient par là leur étonnement de voir la mimique épanouie l 'aspect détendu du visage, l 'entrain, la bonne humeur de malades qui une heure auparavant et malgré un traitement intensif étaient moroses, pleurnichantes, geignardes, grincheuses. Ainsi, provisoirement sans doute, mais assurément, la yogathérapie avait rendu à ces malades la possibilité de relation et l 'unité intérieure.

Il s 'agit pour nous de rééduquer la manière de percevoir le monde, la manière de faire attention au monde et ceci en exécutant des exercices qui n 'ont jamais été pratiqués, fixant la vie mentale sur des points d 'attention et des manières de faire attention radicalement nouveaux. Il s 'agit donc d 'introduire de multiples changements de perspectives à partir desquelles se constitueront des points de référence solides tendant à s 'adjoindre aux références coutumières en faisant perdre à ces dernières leur caractère absolu.

La mise en tension quasi douloureuse de certains tendons ou de certains muscles, centre nécessairement la conscience sur ces parties du corps habituellement hors de son champ, il y a ainsi constitution de nouvelles évidences corporelles. Lorsque le sujet apprend à négliger sa douleur pour s 'intéresser à sa respiration et la maîtriser, il apprend là aussi à se détourner du vécu immédiat, à prendre de la distance

Le fait que la yogathérapie soit une yogathérapie de groupe nous semble essentiel, de toute façon, pour éviter les écueils d 'un individualisme et d 'une " introversion apparente " souvent reprochés au yoga traditionnel.

L 'OBSERVATION 78 qui est celle d 'un étudiant en Médecine de 26 ans, est démonstrative à cet égard. Son opinion et son vécu du yoga sont instructifs à de nombreux points de vue : nous reproduisons ses propres paroles :

1) - Jusqu 'à fin Septembre 1966 

Normal sur tous les plans, heureux de vivre, études, famille, filles, aucun problème.

Personnalité plutôt dynamique, mais un peu instable, pas toujours confiance en moi.

2) - Fin Septembre.

J 'arrête de fumer.

3) - Rentrée en 3ème année de médecine - début de l 'externat - dès le 1er Novembre - FATIGUE EXTREME tant physique que mentale.

Tout le mois de Décembre, je ne vais pas en cours l 'après-midi car trop fatigué. Le matin je fais acte de présence à l 'hôpital sans fournir aucun travail.

Pendant toute cette période, le moral est bon comme auparavant. Je suis étonné, presque amusé par ce qui m 'arrive.

Puis apparition d 'une dystonie neurovégétative importante, des vertiges, hypoglycémie, cystalgie, mauvaise digestion, météorisme, fatigue +++

Je fais faire quelques analyses

- Radios pulmonaires

- Formule et Numération sanguines

- Cuti-réaction à la tuberculine

TOUT EST NORMAL.

Vers Pâques 1967, le moral et le mental sont atteints.

J 'alterne en moments de dépression et d 'euphorie. Je me sens prisonnier de cette fatigue et ne vois aucune issue. Je commence à me sentir " en dehors " et je me pose des questions sur l 'avenir. Pourrais-je faire mon métier ?

Eté 1967 : apparition d 'angoisse, de peur, sans raison. Les gens me paraissent hostiles et je déteste les endroits ou il y a du monde et où il faut parler.

Dans les restaurants ,les cinémas, je crains que les gens ne " m 'attaquent ". J 'y suis d 'autant plus mal à l 'aise qu 'une fille m 'accompagne, il me semble que je serais incapable de la défendre. Je me trouve lâche. De tout ceci je ne parle à personne, simplement je dis être fatigué. D 'ailleurs les gens le remarquent je suis en effet très pâle.

FN de temps en temps. Toujours normale.

Ma réaction est de plus en plus de me foutre de tout. De laisser pisser. De dire " on verra bien ".

Hiver 1968 - Cela continue aussi de temps en temps, envie de me suicider.

Mai 1968 - C 'est le grand bordel en France et aussitôt je me sens mieux. Ça parle, ça discute. Je revais au restaurant, au cinéma sans trop d 'appréhension.

Eté 1968 - Ça repart, hyperémotivité, l 'idée de parler me panique complètement.

- Rentrée scolaire - Moral à zéro - envie de mourir - mais toujours un espoir.

Je parle à mes parents. Ils me conseillent de voir un psychiatre. Ce que je fais (je vais voir le professeur G ...) qui m 'envoie à un psychotechnicien (Monsieur C ...) qui me fait faire pour 300 Fr. d 'examens.

COMPTE RENDU DE L 'EXAMEN DE MONSIEUR JULIEN .. - 24 ans - 20.11.68.

1) - Rorschach - Netteté des phénomènes de choc au noir et de choc - couleur avec la planche 2 : mauvaise réponse d 'ordre anatomique et description des couleurs à la planche 3 critique de l 'objet ; aux planches 4 et 5 fuite des consignes et critique de l 'objet ; aux dernières planches colorées, véritable déroute interprétative avec même dénomination de couleurs - noyau central d 'incertitude, de manque de confiance en soi.

Type de résonance intime extratensif égocentrique.

Structure névrotique à la fois psychoplastique et rétive, irritable, impatiente, avec inhibition de la production intellectuelle.

2) - M. M. P. I. - Accentuation élective de la triade névrotique avec, très caractéristique, la présence du V psychosomatique.

Structure névrotique très marquée avec des notes de 90 pour hypochondrie et Pithiatisme.

3) - T. A.. T.

Surtout inhibition aboutissant à la stupeur productive. Labilité des affects avec passage aussi injustifié dans un cas comme dans l 'autre du pessimisme à l 'euphorie. Pas de structuration nette de le personnalité. Inconsistance des affects. Réaction de défense sous forme d 'agressivité, de repli hypochondriaque, de refus de participation et de contact social. Ambivalence névrotique des pulsions. Demande d 'aide et refus de cette aide. Besoin de se confier et en même temps politique de fuite.

Conclusions :

Structure névrotique très pure - Très isolée. Psyochosomatisme caractérisé des symptômes somatiques avancés, labilité, immaturité névrotique.

Contenus très névrotiques de la personnalité mais réactions de défense constamment en éveil tout au long de l 'examen.

Il conseille une psychothérapie au long cours. Le Professeur G...m 'envoie au Docteur B ... qui est bloqué pour 8 ans. En attendant, décision de faire du yoga.

Le Professeur G ... consulté me donne un produit ROCHE NOBRIUM dosé à 10 mg.

1969 -je fais du yoga, je prends une pilule ou deux par jour : légère amélioration. La fatigue disparaît presque. Amélioration neurovégétative. (L 'hypoglycémie disparaît, bonne digestion, mais persistance de cystalgie et d 'hyperémotivité).

Difficulté à dormir quand même améliorée.

Septembre 1969 - Pilule plus Yoga - la trouille revient, je prends la décision de refumer. En quelques jours, plus de troubles.

Maintenant :

Yoga + Pilule + fumer => Je me sens assez bien.

Conclusions :

A mon avis dépression névrotique endogène (?) Aucune cause décelable. L 'hyperémotivité s 'est quand même améliorée.

Aspect positif du yoga. Le travail de groupe. Sorti de mon isolement, réaccoutumance et réadaptation aux autres. Par la technique de la respiration le calme revient, le sommeil s 'améliore. Mais il faut le pratiquer régulièrement comme la pilule. Cela a été un des moyens de m 'améliorer. Mais pas le seul. Devant la carence de la médecine psychiatrique et le manque de psychothérapeutes disponibles, le yoga a été la seule possibilité de me réadapter en quelque sorte à la collectivité.

J 'ai toujours considéré le yoga comme une psychothérapie et non comme un échappatoire mystique.

Il m 'a semblé que ce côté ambigu et mystique de l 'enseignement de Maître R ... était très prisé d 'une bonne partie de la salle. (Les visites des yogins étaient attendues comme celles des " seuls prophètes "). Cela aide ces gens-là. C 'est peut-être une escroquerie spirituelle. A vous de juger.

Le mieux serait donc de faire une sélection par interrogatoire des futurs pratiquants et de les diriger selon leurs affinités. Soit vers un yoga matérialiste (purement psychothérapique), soit vers un yoga para-religieux.

Très subjectivement je pense que je répondrais actuellement de la même manière à toutes les épreuves psychotechniques.

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14 Juin 2001