Le Silence verbal, idéique et moteur

Dr Bernard Auriol

" L'anxiété est la fièvre de la vie "
(Proverbe sanscrit)

 

SILENCE VERBAL IDEIQUE ET MOTEUR

Afin de favoriser l'attention et d'apaiser la conscience (157), ou en tous cas de lui éviter momentanément les excitations inutiles, nous avons donné l'exemple du silence le plus complet possible, sans l 'imposer par une discipline extérieure, sans lui donner non plus un aspect magique ou initiatique mais en le faisant accepter et vouloir individuellement comme essentiel à la cure. Nous pensons que le silence associé au contrôle respiratoire et à la fixation posturale non seulement met un frein aux excitations externes mais encore tend à diminuer et parfois à supprimer l'exercice du langage intérieur et le déroulement des images habituelles à notre télévision intérieure, autrement dit à déconceptualiser la conscience. Notons déjà que nos observations confirment ces vues ; par exemple il est extrêmement difficile d'obtenir un contrôle respiratoire chez les psychotiques pour lesquels existent des phénomènes d'automatisme mental. Pendant la durée des exercices s'ils sont malgré cela réussis, les phénomènes hallucinatoires ou apparentés disparaissent. (cf. observation 18)

 



Quant nous parlons de " déconceptualiser " la conscience, il ne s'agit bien entendu que d'un phénomène temporaire, fort peu stable et qui n'a aucune commune mesure avec quelque lavage de cerveau idéal ... Le sujet ne pense plus, la rêverie, l'envahissement de l'imaginaire sont abolis bien qu'il soit toujours conscient et vigile. Il s'agit d'un vide intérieur provisoire, créant une distance à l'égard des problèmes actuels, distance elle aussi provisoire. On ne peut considérer ce phénomène négligeable dans la mesure ou la succession des séances favorise un entraînement, un conditionnement si l'on veut, ou mieux une rééducation. Nous pensons qu'il est inutile de conseiller à quelqu'un, peu ou gravement préoccupé, de s'abstraire un peu de ses soucis, de les remettre à leur juste place, de ne pas les majorer, etc ... par contre si nous arrivons, comme c'est le cas ici, à lui rendre possible cette minimisation, cette objectivation, nous l'aidons réellement car il découvre que cette distanciation n'est pas une directive moralisatrice, mais une attitude réalisable et de mieux en mieux réalisable.

Wahler (174) a montré que la méthode d'isolement des enfants caractériels pendant cinq minutes associée a une attention plus polyvalente des parents a l'égard de leurs enfants, amenait des changements spectaculaires et stables du comportement de ces enfants (et aussi de celui des parents.)

De même dans notre expérience cette faculté de " prendre de la distance " se traduit, chez les névrosés, les épileptiques et même les débiles par une diminution ou une disparition des réactions caractérielles inadaptées (cf. 4 e Partie: Etude des Résultats). Il ne semble pas qu'on puisse attribuer cette amélioration à une plus importante " dépense énergétique " comme cela pourrait se voir avec de la gymnastique ou un sport quelconque, ni a des contacts plus fréquents avec les membres de l'équipe soignante :en effet le yoga est une " gymnastique immobile " et d'autre part les contacts étaient les mêmes, avec les mêmes membres de l'équipe soignante (y compris les moniteurs) avant la mise en place de la yogathérapie. C'est donc à l'action spécifique du yoga des postures et de la respiration avec l'apprentissage du silence intérieur et de la prise de distance qu'on doit attribuer l'amélioration de ces sujets.

Le changement de perspective engendré par la pratique yoga amène a notre sens une " fissuration de l'égocentrisme primitif "(56), et une libération de la spontanéité : d'ou l'amélioration des conduites d'adaptation dans le respect sans raideur des conventions sociales indispensables. Même chez les débiles, nous constatons souvent une prise de distance a l'égard de leur " subjectivité ", leur permettant de considérer plus froidement leurs désirs ou les frustrations momentanées, frustrations auxquelles ils réagissaient autrefois " dans l'instant " et de manière univoque. . . . Il leur devient possible d'attendre, de se mettre, plus ou moins, " à la place " d'autrui. Bien sur tout cela est renforcé par une meilleure intégration neurovégétative qu'on peut attribuer à l'utilisation combinée des postures et du contrôle respiratoire. (cf.: Yoga et biologie 77 - 166).

Le silence porte peu à l'agitation et la discipline du yoga l'exclue : nous demandons, par conséquent aux participants de n'avoir que des gestes lents, mesurés à chaque instant pour l'établissement des " asanas " ou pour leur abandon. Cette discipline lutte contre l'anxiété, l'émotivité, l'impression que toute minute perdue constitue un dol* irréparable. Le groupe attend que chacun ait fini la posture ou l'exercice précédent pour entamer le suivant; cette attente mutuelle, si elle exerce la patience, implique surtout une attention de tous au rythme de chacun. Les membres se sentent mieux acceptés et peuvent mieux accepter les autres et c'est ainsi que nous expliquons l'acquisition d'une plus grande assurance, d'une certaine aisance face aux autres, même pour des malades dont la relation à autrui est extrêmement perturbée, voire inexistante...

Afin de lutter contre la tendance spontanée à la compétition et pour éviter l'ensemble des distractions visuelles, nous demandons aux participants de tenir autant que possible, les yeux fermés, en dehors des périodes ou une nouvelle attitude du corps est proposée sous forme d'exemple. Il s'agit d'ailleurs, seulement, d'un conseil qui n'est formulé qu'après plusieurs séances. En effet, le donner au tout début, augmenterait, comme l'expérience nous l'a appris l'anxiété de certains.

Un maître de Yoga parisien (Monsieur Chabaud) nous a fait remarquer que les clients de ville, qu'ils soient névrotiques et traités comme tels ou non, ont de grandes difficultés à tenir les yeux fermés au cours des exercices. Il a constaté (et cette remarque nous a mené à modifier l'ordre de la séance) que la position de l'arc une fois accomplie, l'occlusion palpébrale ne posait plus, ou posait beaucoup moins de problèmes.

De même la relaxation musculaire est grandement facilitée par cette posture. Bien pratiquée, elle amène en effet une détente globale

intense qui " va de soi et se fait en l'absence de suggestion verbale ou même de contrôle respiratoire ".

Or cette posture réalise une contraction intense des muscles de la loge antérieure de la cuisse, des muscles éleveurs des membres supérieurs et de la paroi antérieure de l'abdomen Cette contraction s'exerçant simultanément à leur étirement passif. Par ailleurs les masses musculaires para-vertébrales postérieures sont également, surtout au niveau cervical contractées. Il s'agit donc d'une posture qui met en jeu une très grande quantité de muscles et exige une dépense énergétique considérable, d'où la sensation de chaleur et le besoin de repos qui lui succède. Cependant son efficacité en yogathérapie est réduite par le fait que tous les sujets asthéniques athymormiques ou dépressifs ne peuvent mettre en jeu une énergie suffisante et ne font que l'ébaucher. Elle sera utile surtout chez les caractériels et tous les sujets plutôt hyper que hyposthéniques.

 

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·  * " Dol " est un terme juridique relatif à un dommage infligé par autrui. Nous l'appliquons ici à l'individu par rapport à lui-même. Il ne s'agit pas d'un dommage subi mais bien d'un tort qu'on se cause.

 

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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29 Mai 2001