Problèmes de Groupe

Dr Bernard Auriol

 



 

Bien des auteurs en soulignant les dangers du yoga traditionnel chez les malades mentaux ou les personnalités fragiles (77) (166) insistent essentiellement sur le danger de schizophrénisation qu 'il comporterait en remarquant que certaines expériences décrites comme " supranormales " ou " parapsychologiques " par les yogis présentent de fortes analogies avec les phénomènes hallucinatoires de la pathologie mentale.

Par ailleurs, les techniques de groupe, sous leur forme classique de dynamique de groupe d 'inspiration morénienne ou freudienne, paraissent à certains contre-indiquées chez les psychotiques dissociés (4).

Nous ne partageons absolument pas le pessimisme de ces limitations, non seulement pour des raisons théoriques, mais encore en raison de notre expérience personnelle en ces différents domaines.

Nous pensons même que la pratique du yoga et la thérapie de groupe peuvent être associés, combinés harmonieusement dans le traitement des schizophrènes pourvu qu 'ils soient soumis à une surveillance clinique en milieu spécialisé et pourvu qu 'une chimiothérapie convenable atténue la symptomatologie. L 'association en une seule de ces deux techniques sous forme de " yogathérapie de groupe " élimine probablement les inconvénients de l 'une et de l 'autre, à condition de doser convenablement " communication " et " individualisation " (2) ,(158).

DISPOSITION DES PARTICIPANTS

Les cours de yoga traditionnel placent les élèves face au " maître " et c 'est cette disposition spatiale qui a été adoptée à l 'hôpital Marchant.

Nous avons préféré adopter une disposition circulaire des membres au Quartier Psychiatrique de Montauban.

Quelle est, de ces deux distributions la plus favorable ?

On sait que les techniques de groupe verbal ont adopté la disposition circulaire comme plus favorable aux interactions sur un mode non hiérarchisé (119). Dans une technique où l 'on conseille de fermer les yeux et dans laquelle les échanges verbaux sont inexistants, cette possibilité d 'échanges multiples n 'est pas exploitée et dés lors la disposition circulaire parait injustifiée. En fait elle favorise tout d 'abord la déhiérarchisation du groupe et nous parait au moins utile à ce titre. D 'autre part elle réalise une unification formelle symbolique du groupe suffisamment évidente au niveau du vécu pour qu 'un membre qui refuse sa solidarité avec les autres sorte de ce cercle ou adopte une position décalée qui en altère la circularité. Elle symbolise également la réalisation d 'un projet commun, alors même qu 'il n 'est pas formulé en termes clairement conceptualisés. La réalisation en cercle d 'attitudes inhabituelles augmente automatiquement le " télé " (119) dans la mesure ou ce protocole est accepté par chacun des membres. Elle permet dans les phases d 'attente mutuelle la prise de conscience de l 'interdépendance ou mieux de la fonction du groupe qui est d 'être fonctionnellement ordonné à l 'épanouissement de chacun.

Pour toutes ces raisons qu 'on pourrait largement développer, même dans le cadre des psychothérapies verbales de groupe nous proposons de considérer la disposition circulaire comme de règle en yogathérapie de groupe.

Le yoga implique et accentue une certaine séparation du monde environnant et d 'autrui : le fait pour un sujet déjà mal lié aux autres de pratiquer cette discipline en référence à d 'autres qui la pratiquent simultanément précise la signification de cette séparation et lui donne toute sa valeur. Je suis moi-même, différent des autres, avec mon propre rythme et mes propres modalités de réalisation personnelle, je me retire en moi-même avec d 'autres qui en font autant ; je les accepte retirés en eux-mêmes, n 'intervenant pas à mon endroit et je suis accepté par eux, retiré en moi-même n 'intervenant pas à leur endroit.

Il en va de l 'introverti comme de l 'escargot : retranché dans sa coquille il n 'en sortira pas tant qu 'avec une épingle on l 'excitera à le faire (et telle est la " psychothérapie " de soutien " trop souvent pratiquée à l 'égard des " indifférents ", des " passifs ", des " athymormiques ", etc. . .) Au contraire si une ambiance convenable le laisse agir à sa guise, il aventurera une corne puis l 'autre, acceptant alors le dialogue avec l 'ambiance - quitte à rentrer à nouveau si ce dialogue se fait trop intense, pour ressortir encore et s 'extérioriser au maximum - jusqu 'à s 'aguerrir au point de se demander à quoi lui sert sa coquille.

Le schizophrène commence à se sentir accepté tel qu 'il se manifeste - ou plutôt au niveau de son refus de se manifester - ce qui lui permet peu à peu de retrouver sa qualité d 'existant et d 'être au monde distinct et cohérent. Sa mère n 'a jamais su l 'enfanter réellement, se contentant de l 'embryonner et le maintenant contre nature au stade d 'embryon (une de nos malades déclare que sa mère a trois utérus : le sien, son mari et sa fille) ; elle l 'a modelé, pétri, elle a tiré sur ce qui lui paraissait trop court, a comprimé ce qui menaçait de s 'étendre, elle l 'a forgé aux dimensions qui lui semblaient convenables, sans accueil du devenir potentiel manifesté par son enfant à tous les stades de son développement.

N 'ayant pu se dégager de cet utérus - prison, toute communication apparaît au schizophrène comme en continuité avec ce modelage sans intuition ni respect vrai. Non seulement il ne s 'appartient pas, mais il finit par ne plus pouvoir exister à lui-même. Ce n 'est pas lui qui vit, mais les autres qui vivent en lui, et sa volonté de vivre personnellement, à force de recevoir des coups, de se heurter à des murs, s 'est pelotonnée sur elle-même, s 'est rabougrie et a semblé disparaître, sauf à se manifester sporadiquement par quelque impulsion inattendue ou un ésotérisme inquiétant.

Nous pensons dès lors que toute thérapeutique du schizophrène doit passer par un respect fondamental et congruent de cet élan qu 'on lui reproche de ne point avoir et qui n 'est que mis à l 'abri, encoconné.

Ce respect, pour nous, commence par le respect de cet abritement, de cette coquille, sans négliger cependant de favoriser progressivement d 'autres potentialités plus brimées qu 'assoupies.

La crainte d 'être incompris se manifeste entre les séances de yogathérapie par une certaine angoisse exprimée et expliquée par la crainte d 'être ridicule, objet de risée.

OBSERVATION N0 8

Nathalie, 28 ans, Schizophrénie paranoïde

COMPORTEMENT EN JANVIER 68

Hallucinations auditives, anxiété ; elle s 'isole souvent ou se rassure en gardant une proximité physique avec une infirmière ; son regard est méfiant.

COMPORTEMENT EN JANVIER 69 (DEBUT DU YOGA)

Elle " entend une sorcière qui dit de vilaines choses ", reste figée dans un coin, ne veut pas " voir du monde ", phénomène de la " cage de verre ".

COMPORTEMENT PENDANT LES SEANCES

Gênée par les tremblements extrapyramidaux et l 'hypertonie iatrogène qu 'elle présente. Observe si les autres participants la regardent, a peur d 'être ridicule. Persistance pendant les séances du phénomène de la " cage de verre ".

COMPORTEMENT APRES 2 MOIS DE YOGA

Déclare que le moniteur se met en face d 'elle et la regarde pour " parler dans sa tête ". Exprime sa peur des " hommes ". Aggravation de son état et refus de continuer le yoga.

·  Q.I. : 70

Traitement inchangé entre le début et la fin des séances de yoga.

Comme les séances se déroulaient en dehors de tout observateur non participant, on peut conclure que cette crainte de l 'ironie se faisait jour par rapport aux différents membres du groupe, et spécialement parfois, par rapport aux moniteurs. Nous pensons qu 'elle trahit la malhabileté ressentie dans l 'utilisation du corps propre, devant d 'autres, censés avoir plus d 'aptitudes.

Il ne suffit pas de dire que ces malades sont " mal dans leur peau ", car c 'est une remarque applicable sans doute à la majeure partie des troubles motivant une consultation ou une hospitalisation, il faut dire que le schizophrène " refuse sa peau ", refuse son corps parce que cette peau et ce corps ne sont pas intégrés, parce que sans doute le schizophrène refuse jusqu 'à son moi dans ses déterminations empiriques globalement, ce moi que l 'éducation, les situations successives ont façonné sans appel et qui n 'est plus reconnu comme sien. La catatonie n 'est peut être que ce refus d 'utiliser un instrument un jour perçu comme inutilisable et sans signification vitale, un carcan plus qu 'un vêtement.

La disparition progressive de ces inquiétudes concernant le ridicule est toujours allée de pair avec l 'acquisition d 'une plus grande aisance dans le maniement corporel, d 'une plus grande assurance dans le comportement, la démarche, l 'expression non verbale et même verbale.

OBSERVATION N°11

Juliette, 44 ans Epilepsie (Lobotomisée) Schizophrénie paranoïde
 
 
 
 

COMPORTEMENT EN JANVIER i 968

Délire de persécution non systématisé, plusieurs tentatives de suicide.

COMPORTEMENT EN JANVIER 69 (DEBUT)

Elle brode toute l  après midi sans jamais adresser la parole à quiconque. Phénomène de la " cage de verre ", sentiment d 'inutilité, désir exprimé en paroles et en actes de se détruire.

COMPORTEMENT PENDANT LES SEANCES

Refuse de venir lorsqu 'on lui en parle, déclarant que personne n 'est plus raide qu 'elle et qu 'il n 'est pas question qu 'elle se mette a faire de la gymnastique. Après quelques explications, accepte de venir " pour se rendre compte ". Ensuite reste un peu réticente quelques temps, craignant d 'être un objet de risée, mais simultanément manifestant une certaine satisfaction. Progressivement, la peur du ridicule disparaît et la malade venait avec enthousiasme.

COMPORTEMENT APRES TROIS MOIS DE YOGA

Alors que son ton était violent et ses paroles souvent insultantes en Janvier 69, elle parle d 'un ton très doux maintenant et avec politesse. On ne remarque plus de manifestations agressives, on peut même décider de l 'envoyer passer quelques jours dans sa famille et elle parle de reprendre son poste de professeur d 'Anglais.

SON OPINION

Se trouve plus détendue, et " même plus souple " aussi bien moralement que physiquement.

La sortie s 'est soldée par un échec (nouvelle tentative de suicide).

·  Q.I. en 69 :90

Si certains ont peur du rire, d 'autres au contraire cherchent à le provoquer en adoptant pendant les séances un comportement ludique et ceci, dans la mesure ou l 'explication préalable qui les amène à la première séance a été insuffisante, compte tenu du niveau intellectuel parfois faible de ces sujets.

Le groupe éprouvait dans ces cas là une certaine panique feutrée, son moral s 'effondrait, l 'attitude devenant très réservée, passive, réticente et traduisant une sorte de " désengagement " vis à vis de la thérapie.

Parfois il s 'agit de jeux à deux, par exemple entre un participant et une participante. Il nous est arrivé dans de tels cas, au lieu de " faire comme si " la séance continuait normalement, d 'inciter les deux protagonistes à un dialogue corporel authentique mené au centre du groupe. Cela permet d 'ailleurs une analyse non verbale que l 'on peut rapprocher des techniques du " psychodrame " (119 - 153).

Joseph avait provoqué par mille agaceries Jeanine au cours de la première demi-heure. Jeanine exprime verbalement son agacement. Nous demandons alors que tous deux se placent au centre du cercle, l 'un en face de l 'autre et se " parlent " avec leurs pieds. Progressivement Joseph se désintéresse, alors que Jeanine devient la " provocatrice " de manière très évidente pour les participants et pour elle même.

Les effets d 'un certain " amusement " de membres de l 'équipe soignante mal informés nous ont semblé être les mêmes sur le moral du groupe que les attitudes indiquées d 'un participant. Nous avons réagi habituellement par un engagement personnel plus marqué au groupe. Si notre attitude ne suffisait pas à rendre à l 'ambiance sa chaleur et son sérieux nous provoquions une explication au niveau verbal, précisant par exemple l 'esprit thérapeutique du yoga en milieu psychiatrique, faisant appel au désir de " guérir " et indiquant qu 'une participation sans " sérieux " était inutile et même néfaste.

OBSERVATION N0 12

Madeleine, 22 ans troubles du caractère, débilité.

COMPORTEMENT EN JANVIER 68(1 AN AVANT)

Les infirmières notent ses caprices, ses colères, son opposition a la chimiothérapie, son agressivité violente, ses actes malveillants.

COMPORTEMENT EN JANVIER 69 (AU DEBUT)

Elle est encore très instable, coléreuse, se disputant constamment avec les autres malades et usant de violence physique. Cependant elle est moins agressive a l 'égard du personnel acceptant même, lorsque " ça lui plaît " de rendre service.

COMPORTEMENT PENDANT LES SEANCES

Comportement ludique lors des premières séances, respiration bruyante et de rythme très accéléré (effet iatrogène). . . La respiration s 'améliorera au cours des séances sans jamais devenir correcte.

COMPORTEMENT APRES TROIS MOIS

Elle est nettement plus agréable avec tout le monde, sa mimique s 'est détendue. Elle aide spontanément les infirmières, est fière qu 'on lui fasse confiance, se montre consciencieuse avec un net souci de ne pas décevoir.

Voudrait sortir et travailler. Un placement en établissement de postcure a été décidé.

SON OPINION

Elle estime qu 'elle est plus " détendue ", plus " à l 'aise " et qu 'elle a un meilleur appétit depuis qu 'elle pratique ce " traitement ". Elle remarque aussi qu 'elle arrive mieux a se maîtriser lorsqu 'elle éprouve le désir d 'exercer son agressivité.

·  Q.I. : 50

Le traitement est quasiment invariable de Janvier 69 à Juillet 69.

La situation s 'est normalisée dans tous les cas et les sujets les plus " perturbateurs " nous ont paru bénéficier plus que d 'autres, par la suite, de ce traitement. Nous ne pensons pas être abusif dans notre interprétation en disant que cette attitude ludique apparaît surtout comme une défense devant le bizarre des postures, l 'incongru de la situation, vécus à travers le regard d 'un observateur, absent certes apparemment, mais puissant au niveau de l 'inconscient individuel au titre peut-être d 'une sorte de " surmoi social assez superficiel ". Au niveau de l 'attitude du personnel soignant, il faut sans doute également incriminer la puissante " résistance au changement " dont les services de psychiatrie ne sont assurément pas le seul bastion.

Au fil des jours, il nous a paru que le groupe dans son ensemble se sentait de plus en plus responsable de chacun de ses membres : ainsi au cours d 'un exercice de communication non verbale par applaudissements libres avec adresse du regard de la part de celui qui émet vers celui auquel il demande de recevoir et de répondre. Charlotte (OBSERV. N° 5) se mit à frapper dans ses mains de manière stéréotypée et sans donner l 'impression de vouloir s 'arrêter jamais. Spontanément, tous les participants se mirent à frapper dans leurs mains au même rythme, réintégrant ainsi dans la chaleur unanime du groupe la " parole " d 'aspect sémantiquement vide de cette malade.

Elle parut étonnée de ce qu 'elle avait suscité et eut l 'air de " refaire surface ". Par la suite ses interventions non verbales furent toujours imprégnées d 'un certain courant vital.

Nous pensons que les exercices d 'expression non verbale que nous plaçons en fin de séance ne sont rendus possible, et avec l 'intensité de communication qui les imprègne que grâce à l 'ensemble de la séance yoga qui les précède.

Nous serions d 'ailleurs tentés de dire que les exercices non verbaux de sémantique générale sont au groupe ce que le yoga est à l 'individu.

On constate dans l 'expérience de Marchant, pour de nombreux malades une facilitation à l 'égard de l 'expression verbale elle même, ce qui montre à quel point il est injuste de voir dans le yoga une technique exagérant l 'attitude introvertie de celui qui la pratique.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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29 Mai 2001