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La yogathérapie exige constamment un effort qui, pour ne pas être " tendu ", " crispé " , est très réel et très proche des pratiques ascétiques en général.
Les bénéfices qu 'on en retire sont un puissant motif à en continuer la pratique, souvent dès les premières séances. Nous pensons pourtant que cette motivation est insuffisante à elle seule, surtout chez des sujets très perturbés.
Le fait que le yoga soit ici conçu comme une thérapie en groupe s 'il allège cet effort est loin de le supprimer. Il apparaît donc qu 'une motivation puissante doit nécessairement être à la base de la participation pour que celle-ci soit réelle et efficace. Le yoga traditionnel est sous-tendu par la puissante aspiration que constitue chez certains la soif de l 'absolu. La yogathérapie doit reposer également sur une intense aspiration qui peut être le désir de " guérir ", de se retrouver soi-même.
Ainsi Monsieur Martinien (observation 21) demande "les exercices que vous nous faites faire , ont-ils des répercussions sur notre contrôle personnel " manifestant par là son désir d 'arriver à une plus grande maîtrise de lui-même qui serait pour lui la " guérison ".
Ce désir de guérir n 'est malheureusement pas toujours présent (6) et la participation ne s 'appuie parfois que sur la dépendance passive du malade à l 'égard de tel membre de l 'équipe soignante. C 'est le cas de Monsieur Thomas pour qui la guérison impliquerait le retour dans " l' enfer " familial
OBSERVATION N0 15:
· - Monsieur Thomas, 36 ans Hébéphrénie.
COMPORTEMENT EN JANVIER 1968
Agressif à l 'égard de ses parents divorcés, chaque permission chez sa mère se solde par un état d 'excitation. Athymormie et apragmatisme autistique en dehors de ces épisodes.
COMPORTEMENT EN JANVIER 1969 (Début)
Plus calme, figé, autistique ne répondant pas lorsqu 'on s 'adresse a lui sinon après plusieurs appels et manifeste alors une certaine surprise.
COMPORTEMENT PENDANT LES SEANCES
Attitude d 'opposition au protocole, se lève lorsqu 'il faut s 'allonger et réciproquement. . . Prend prétexte de son embonpoint (modéré) pour refuser l 'effort. Observe les autres participants avec un sourire qui est peut-être ironique. Propos délirants a plusieurs reprises.
COMPORTEMENT APRES 3 MOIS DE YOGA
On ne constate pas de modification de son état.
Plusieurs des malades venaient au début en raison de phénomènes transférentiels ou par curiosité, mais leur persévérance malgré les changements de moniteur et en dépit d 'une apparente monotonie des séances a fait preuve de l 'existence d 'une motivation découverte ou mise à jour ensuite..
La motivation exprimée est parfois d 'aspect assez puéril
OBSERVATION N0 23:
Monsieur Florent, Schizophrène de 35 ans déclare " j 'aimerais bien avoir de gros bras. Avec ça, peut-on avoir de gros bras ? " .
Malgré la réponse montrant que là n 'était ni l 'intérêt, ni le but, ni l 'effet du yoga, ce malade resta fidèle aux séances, montrant que derrière ses " gros bras " se cachait probablement un sentiment d 'infériorité à compenser ou un corps mal accepté et qu 'il avait peut-être découvert que sans lui donner de " gros bras ", le yoga pouvait lui apporter autre chose pour ses bras, et tout le reste, comme par exemple de les reconnaître, tels qu 'ils les a, comme siens et utilisables.
ETAT AVANT LA CURE:
Malade très replié sur lui-même ; apragmatique, ambivalent, impulsions au cours des repas.
APRES UN MOIS DE YOGA:
Nette amélioration des rapports avec le personnel et les autres pensionnaires, le comportement au cours des repas est transformé.
Le traitement est resté constant.
Ce désir de guérir et cette conviction que la yogathérapie peut être un instrument de guérison se met en évidence de manière spectaculaire dans la requête d 'un de nos groupes : " faire du yoga, non seulement tous les jours, comme cela existe, mais même le dimanche ".
L 'un d 'eux, Monsieur Antoine (Observation N 24) explique : "je ne sais pas quoi faire ! et la télé ...
Il faut sans doute incriminer ici le manque d 'organisation des loisirs dominicaux, mais quand on sait l 'effort qu 'exige ce traitement, on reste stupéfait de le voir demandé le dimanche....
N ombreux sont les cas où un malade a manifesté son mécontentement et son dépit parce qu 'il n 'avait pas été averti d 'une séance ou parce que la prise en main d 'un groupe nouveau trop nombreux, le mettait provisoirement sur la touche, faute de place.
OBSERVATION N0 3
Marrieta 19 ans, Immaturité affective, réactions caractérielles.
COMPORTEMENT EN JANVIER 69 (DEBUT DU YOGA)
Grossière avec les malades et les infirmières, s 'agite, boude, pleure, crie. Deux tentatives de fugue.
COMPORTEMENT PENDANT LE YOGA
Effacée, timide, craint d 'être l 'objet de moqueries. Très appliquée fait beaucoup d 'efforts pour arriver à un contrôle correct du rythme respiratoire. Surveille les autres participants pour voir si on la regarde.
APRES TROIS MOIS
Toujours souriante, elle aide les infirmières, parait plus détendue, demande à sortir de l 'hôpital car elle ne se trouve plus malade ; elle désire travailler mais craint de revenir chez ses parents car son père la maltraite (vérifié). Moins timide, elle est prévenante a l 'égard des autres malades.
SON OPINION
Toujours prête à l 'heure, elle " réclame " si la monitrice oublie de venir la chercher. Pour elle " le yoga est une gymnastique qui détend ". Très satisfaite de participer, elle voudrait continuer même après sa sortie.
Il arrive même, que malgré l 'opposition d 'une partie importante de l 'équipe soignante un malade (Observation N° 27) prenne l 'initiative d 'inviter un camarade d 'un autre service qui ne possède pas de yogathérapie. Il arrive aussi qu 'on fasse des pieds et des mains pour obtenir de continuer à participer alors que la décision d 'arrêter avait été prise par l 'autorité médicale, et ce jusqu 'à satisfaction (Observation N°28 ). L 'observation suivante est intéressante à plus d 'un titre, il est intéressant de constater qu 'une motivation très puérile finalement donnée par le malade ne l 'a pas empêché de profiter, au moins temporairement des effets globaux positifs de la cure.
OBSERVATION N0 14
Raoul 35 ans Schizophrénie paranoïde
COMPORTEMENT EN JANVIER 68
Syndrome de dépersonnalisation, agressivité à l 'égard de ses parents qu 'il refuse de recevoir, troubles du cours de la pensée, calme dans le service.
COMPORTEMENT EN JANVIER 1969 (DEBUT)
Nombreuses impulsions clastiques, propos suicidaires, anxiété importante.
COMPORTEMENT PENDANT LES SEANCES
attitude autistique (ne s 'occupe pas des autres, en retrait du cercle) qui s 'améliore progressivement.
Bon contrôle respiratoire, exécution correcte des postures.
COMPORTEMENT APRES 5 MOIS DE YOGA
Très nette amélioration, travaille a ' l 'imprimerie, prend des initiatives, demande des permissions et sort seul en ville, contact excellent avec le personnel.
SON OPINION
Très assidu aux séances, estime que " cela lui fait beaucoup de bien ", exprime son mécontentement lorsqu 'une séance est annulée.
COMPORTEMENT 3 SEMAINES APRES L 'ARRET DES SEANCES
Refuse à nouveau de voir sa mère, sa sSur, ou de manger les " suppléments " que ses parents apportent. Ne sort plus en ville en fonction de craintes délirantes. Aspect tendu, retour des manifestations anxieuses.
COMPORTEMENT SIX MOIS APRES L 'ARRET DES SEANCES
Ce malade refuse de participer à nouveau aux séances de yogathérapie, son état est resté jusque la des plus médiocres, il est très dissocié, délirant autistique.
Cependant un léger mieux se manifeste, il se met à peindre déclarant que de le faire l 'aide à guérir (1a motivation profonde que nous invoquions au départ existe bien chez lui), son contact redevient meilleur et simultanément nous apprenons qu 'il s 'exerce chaque jour depuis cinq mois a réaliser la " perche ", posture qu 'il n 'avait jamais pu réussir pendant les séances en groupe. De fait il réalise maintenant cette posture de manière correcte et explique qu 'il s 'y était exercé pour " faire quelque chose que son camarade de dortoir ne pourrait pas faire ". A un niveau très superficiel, nous sommes en pleine " compétition " mais à notre avis on peut interpréter ici ce désir de faire ce que l 'autre ne peut comme un désir de SE retrouver, de se prouver a soi-même sa propre existence, en un mot d 'affirmer son autonomie.
Nous n 'avons pas recherché l 'instauration de liens transférentiels en tant que fondement de la cure et leur analyse n 'a jamais été tentée autrement, parfois, que par une boutade ou une remarque joviale.
Ils ont cependant existé avec évidence, dans certains cas, et ont parfois constitué la base essentielle de la motivation à participer.
Ainsi Amandine (Observation n°13) refusait de venir ou prenait quelque prétexte de travail pour s 'absenter lorsque la réunion de Yoga était dirigée par la monitrice, cependant que nous étions absents. Elle faisait au contraire l 'impossible pour être présente quand nous étions là, nous-mêmes
Le fait qu 'elle revivait le conflit oedipien à l 'occasion des séances est très nettement marqué par son identification à la monitrice, qu 'il lui est arrivé de remplacer en l 'absence de tout moniteur.
OBSERVATION N0 5
Charlotte schizophrène, se montre, quant à elle, après quelques semaines, très dépendante du moniteur infirmier. Progressivement, elle se dégagera de cette tutelle pour, un an après le début de la yogathérapie, prendre seule des initiatives à l 'intérieur du groupe qui aboutissent ou avortent en fonction de la réceptivité actuelle du moniteur et des autres participants (soulignons au passage
l 'inconvénient du groupe " mobile " que nous avons été contraints d 'adopter, certains participants cessant de venir (sortie) ou de nouveaux survenant (entrée).
Son comportement dans le pavillon évoluera simultanément dans le sens d 'une meilleure adaptation et d 'une moins grande dépendance passive.
Au problème des motivations se rattache aussi celui de la post - cure. En effet plusieurs de nos observations montrent que la yogathérapie doit être continuée après la sortie du malade si l 'on veut assurer la solidité des résultats obtenus. (voir par exemple l 'observation N°11, N° 14, etc. )
Dans cet esprit Madame Poinson, monitrice de Yogathérapie à l 'Hôpital Psychiatrique Marchand, a indiqué à plusieurs reprises, à des malades qui sortaient définitivement, un cours de Yoga traditionnel en Ville, cours auquel elle participait elle même. En fait, dans aucun cas, les malades ne sont venus à ce cours.
En dehors du fait que, peut-être, la vie quotidienne difficile de ces sujets interdisait à la plupart de prendre le temps nécessaire et d 'y consacrer un budget suffisant, l 'effort que cela eût impliqué ne trouvait pas sa contre - partie dans le désir et l 'espoir de " guérir ", (ce qu 'il faut entendre par espoir de " sortie "). Il ne s 'agissait plus que d 'un traitement d 'entretien ne répondant plus à une situation intenable ou à des symptômes actuellement gênants. Dès lors le malade n 'a plus les mêmes motivations à continuer et même refuse de le faire dans la mesure ou Yogathérapie et Hôpital Psychiatrique sont plus ou moins liés dans son esprit ; l 'un rappelant le caractère désagréable de l 'autre.
Par ailleurs se présenter au cours avec la recommandation de la monitrice, ou au moins avec le risque d 'être salué par elle en tant qu 'ancien malade, c 'était proclamer venir de l 'Hôpital Psychiatrique, autrement dit, reconnaître devant autrui qu 'on a été parmi les "fous ".
Chacun le sait, la maladie mentale est la dernière des maladies " honteuses " ! *
Cependant, il n 'en va pas nécessairement ainsi comme le prouve l 'expérience de Montauban;
Nous donnerons seulement l 'exemple de Monsieur Georges, 35 ans, Psychasthène.
OBSERVATION N0 43:
Un ouvrier avec lequel il travaillait lui ayant fait comprendre que l 'ouvrage avancerait plus vite s 'il n 'était pas là, il devient dépressif en quelques jours et totalement incapable d 'une activité " productive ". Il revient alors à l 'hôpital, demande son admission et une modification de la chimiothérapie.
Interrogé par nous au sujet du yoga auquel il participait sporadiquement l 'année précédente, il déclare que cela n 'avait eu aucun effet évident (craignant à notre avis qu 'on ne profite d 'un avis favorable à cet égard pour lui refuser la modification chimiothérapique souhaitée).
La prescription d 'Imotryl ayant répondu à son désir, il déclare le lendemain ressentir une nette amélioration de son état. Il guette, en disant cela, notre réaction qui est assez mitigée :
Nous pensons en effet que le médicament lui a permis de rejeter sur le compte de la " maladie " son échec au travail et l 'humiliation qu 'il lui avait valu, mais cela au titre d 'un effet placebo.
Nous exprimons donc notre avis en disant que le médicament est responsable de son amélioration mais que, probablement, un autre médicament eut été également efficace.
Nous lisons l 'approbation sur son visage.
Deux jours plus tard, il demandera spontanément à participer aux séances de yogathérapie. La sortie est décidée au bout de huit jours d 'hospitalisation mais il décide de revenir suivre les cours de yoga chaque semaine et depuis plus de deux mois il parcourt 30 km pour réaliser son projet chaque Vendredi.
*S 'il avait été besoin de nous en convaincre, ce que racontèrent plusieurs malades de leurs expériences " à l 'extérieur " lors d 'une séance de groupe verbal n 'eut plus laissé de doute à ce sujet.
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