PREMIERE PARTIE :

A propos du Yoga traditionnel

NOTIONS GENERALES

1) - Etats de conscience dans la théorie psychologique de Patanjali.

2) - Etapes et méthodes

3) - Influence du Yoga

Dans son excellent ouvrage " techniques du Yoga ", Mircea Eliade met en évidence le fait que " l 'histoire du yoga coïncide à peu près avec celle de la spiritualité indienne ", et que, " loin de former l 'apanage d 'une école philosophique ou d 'une secte magico-religieuse, ses techniques ont été adoptées et utilisées par toutes les gnoses et sotériologies ".

Nous aurons à plusieurs reprises, l 'occasion de faire remarquer combien l 'esprit du yoga est loin de tout subjectivisme à base de masturbation mentale ; bien au contraire " certaines de ses particularités mettent en relief un aspect souvent négligé de la mystique indienne, à savoir la volonté de conquête du réel ". Le professeur Masson Oursel a depuis longtemps souligné que l 'Inde ne connaît pas seulement, comme cela avait paru longtemps un dogme, une libération négative, mais encore une liberté de signe positif.

Autrement dit il s 'agit de visées objectives et désaliénantes.

Nous ne nous attarderons pas sur les doctrines qui sous-tendent, informent ou utilisent les techniques, lesquelles sont seules dans le champs de notre propos.

" La Bhagavad Gita définit le yoga comme Samatva (littéralement égalité, stabilité, équilibre). La plupart des traducteurs font dériver " yoga " des racines yü et yug (qui signifient joindre, adapter, atteler). De là à définir yoga, " union à Dieu " le pas est vite franchi (157), et c 'est ainsi que le comprennent la plupart des yogins à partir du XVII0 siècle. Pourtant ce n 'est pas là le sens originel donné par les Samkhyas athées.
 
D 'autre part, Yug est une vieille métaphore qui signifie " se mettre au joug ", " s 'atteler à l 'ouvrage ". En sanskrit, yug est souvent employé dans le sens de " concentration " (mentale). Ceci nous éclaire sur le début des yoga-sutras où nous lisons que le yoga est d 'abord l 'effort de diminuer les activités parasites et les distractions de notre intellect. Il s 'agit en somme d 'un art de concentration mentale. Le Yogin se joint. . . Il commence par se joindre à lui-même exactement comme le cherche Jung (89), lorsqu 'il parle de la totalité de la psyché. Pour M. Masson-Oursel (110), le symbole de cet effort est la roue, une roue bien faite dont les rayons convergent tous excellemment dans le moyeu " (36).

Pour Pantajali (131) le yoga n 'est autre que " la suppression des états de conscience " par un ensemble de pratiques et au moyen d 'une ascèse la technique physiologique est essentielle alors que les techniques psychologiques sont subsidiaires.

Il existe pour lui trois catégories d 'états de conscience, correspondant respectivement à trois possibilités d 'expérience :

1) - Les erreurs et les illusions (rêves, hallucinations, illusions perceptives, etc.)

2) - La totalité des expériences psychologiques normales (tout ce qui est senti, perçu, pensé chez l 'homme normal).

3) - Les expériences de niveau "supérieur", " illumination ", " contemplation ", expériences parapsychologiques, etc.

Aux approches du terme de son expérience (cf. plus loin " Samâdhi ") le Yogin acquiert selon les maîtres indiens des " pouvoirs miraculeux " ou " siddhi ". Ces pouvoirs sont très nombreux télépathie, lévitation, voyage dans le temps, invisibilité, etc.

Ces phénomènes ont un caractère " prélogique "   indéniable, mais Aristote n 'a pas tout dit ni tout connu et certains pensent actuellement qu 'on peut, sans renoncer a une attitude scientifique se pencher sur les problèmes de la parapsychologie. Le problème le plus étudié, sans doute parce que le moins improbable est celui de la " télépathie ". Nous pensons que la démarche ayant présidé jusqu 'ici aux recherches ne peut aboutir qu 'a ' un échec du point de vue de la découverte de véritables lois scientifiques. En effet, les chercheurs qui se sont intéressés a ' ces questions étudient des sujets réputés capables de produire ces phénomènes. Dans une première étape, ils comptent montrer la réalité de ceux-ci et n 'envisagent leur étude au niveau du mécanisme que prospectivement.

Nous récusons le bien fondé heuristique de ces travaux. Nous pensons qu 'il est nécessaire de POSTULER aux tout débuts de la recherche l 'existence chez tous les individus du phénomène a ' explorer. Ceci admis comme hypothèse nous proposons d 'étudier systématiquement des " couples " en essayant de dégager des différences significatives entre l 'état psychique et physiologique des membres du couple lorsqu 'il y a " bon résultat " , c 'est à dire concordance effective des " informations " et lorsqu 'il y a " mauvais résultat " , c 'est a dire non concordance. Il serait alors possible, si le phénomène existe bien, de favoriser les éléments contemporains des concordances au détriment des éléments contemporains des non-concordances et ainsi de rendre le phénomène reproductible. Dans le cas où on aboutirait a un échec, nous penserions que le phénomène de télépathie est des plus improbables.

Le but du yoga, est conformément à ses idées métaphysiques, d 'abolir les deux premières catégories d 'expériences (issues respectivement de l 'erreur " logique " et de l 'erreur " métaphysique ") et de les remplacer par une expérience " enstatique ", supra-sensorielle. A ce niveau la souffrance dramatique de la condition humaine serait définitivement dépassée.

Pour les maîtres traditionnels, on ne peut atteindre le but sans une action faite d 'une longue série d 'exercices qui demandent à être réalisés successivement, sans hâte, sans impatience, sans exagération du désir, sans passion, sans visée ambitieuse.  

L 'existence humaine est une actualisation sans arrêt de l 'inconscient (" vasanas ") au moyen des " expériences " constituant le flux de la vie psychomentale, c 'est l 'inconscient qui est le principal responsable des " tourbillons " qui animent toutes les expériences de niveau inférieur. C 'est cet inconscient qui détermine l 'existence des différences interindividuelles et des variations ou conflits intra-individuels.

Tous ces tourbillons, ces apparitions et disparitions d 'états psycho-mentaux dont l 'origine profonde est à situer au niveau des potentialités de l 'inconscient, trahissent profondément, le refus de soi-même et du monde, dans la relation qu 'il a avec soi-même, la soif de cesser d 'être ce que l 'on est.

Nous avons rendu le terme " vasanas " par potentialité inconsciente ", ce qui introduit une ressemblance avec les théories psychanalytiques, ressemblance qui est réelle mais ne va pas jusqu 'à l 'identité de conception. En effet "  à la différence de la psychanalyse freudienne, le yoga ne voit pas dans l 'inconscient, la seule libido, mais l 'ensemble des désirs d 'autosatisfaction, de rassasiement, de multiplication. Il est à la fois la matrice et le réceptacle de tous les actes, gestes et intentions " égotéliques " (Kunkel - 96), dominées par la " soif du fruit " (phalatrashna). Toujours à la différence de la psychanalyse, le yoga croit que les potentialités inconscientes peuvent être dominées, et comme " conquises " par l 'ascèse et la technique d 'unification des états de conscience qu 'il préconise.

" Le point de départ de la méditation yoga est la concentration sur un seul objet, lequel peut être indifféremment un objet physique (bout de nez, point lumineux, etc. . .), une " vérité " métaphysique, ou Içvara (" la déité "). Cette concentration ferme et continue en " un seul point " (ekagrata) s 'obtient par la désintégration du flux psychomental, c 'est à dire de l 'attention multilatérale, discontinue et dispersée ou diffuse. La concentration en un seul point a pour résultat immédiat la censure prompte, lucide, sans contention, de toutes les " distractions " et de tous les automatismes mentaux qui dominent, ou plutôt font, la conscience de l 'homme.

Abandonné au gré des associations (produites par les sensations et les potentialités inconscientes), l 'homme " profane " passe sa journée à se laisser envahir par une infinité de moments disparates et comme extérieurs à lui-même. La conscience est continuellement dominée, modifiée par la situation et ce qu 'elle induit au niveau subjectif. Les associations la dispersent, les passions la violentent, la " soif de vie " la trahit en la projetant au dehors d 'elle-même, soit dans le monde objectif-subjectivisé, soit dans le monde subjectif-objectivisé. Le destin de la pensée elle-même est d 'être pensée par les objets et sous les apparences de cette pensée se cache en réalité un scintillement indéfini, plus ou moins ordonné, alimenté par les sensations, la parole et la mémoire. C 'est pourquoi la pratique yoga se définit essentiellement par cette concentration en un seul point qui barre le fleuve mental et constitue un " bloc psychique ", un continuum ferme et unitaire.

L 'ekagrata apparaîtra sans doute aussi utopique et inaccessible à bien des lecteurs que la réalisation magique de la pierre philosophale dans le projet alchimiste. En effet, occidentaux livrés à une débauche de stimuli de tous ordres nous avons délaissé " l 'évolution progressive et la continuité pour un monde dans lequel tout n 'est qu 'abrupte osculation. C 'est le monde du Happening. Le monde du Happening est un monde électronique fait d 'immédiatetés, dans lequel les choses se bousculent sans connexions entre elle ". (107).

De cet excès dans l 'abandon au " divertissement " (92) qui est presque nécessairement le notre, vient très probablement la réaction de refus (à l 'égard d 'une civilisation sans humanisme) concrétisée de manière spectaculaire dans le " mouvement de Mai " ou le pèlerinage à Katmandou.

Dans un univers de " l'extraversion " (90), " la spécialisation et la standardisation eurent pour conséquence un mimétisme de tous les individus, et, par conséquent, suscitèrent une ardente compétition. Dans cet univers la seule façon pour un individu de se distinguer était de faire la même chose que son homologue, mais mieux et plus vite " (107).

On peut, à notre avis on doit même, rapprocher l 'engouement pour les modes de pensée et de vie orientaux, de l 'attrait pour la drogue, le rock psychédélique et la recherche d 'états " différents ". Mac Luhan écrit " Des savants fort sérieux expérimentent des techniques destinées à éveiller le corps et les sens, particulièrement les autres sens que celui de la vue, et pour aider les gens à accéder à ces états psychiques inhabituels, décrits par exemple dans la littérature du mysticisme " (107)

Retrouver l 'homme ou le dépasser dans une société de consommation qui ne voit en lui que le client obligé de toutes les machines à sous est peut-être le projet psychagogique essentiel dont témoigne la vogue du yoga dont le but avoué est de ressouder les parties dispersées de notre être.

Il est évident que l 'on ne saurait obtenir " l'ekagrata "si, par exemple le corps était dans une posture fatigante ou simplement difficile, ni si la respiration était désorganisée, arythmique.

La technique yogique comprend donc un certain nombre de pratiques qu 'on peut diviser en 8 catégories :

1) - Les réfrènements ou Yama

Le verbe sanskrit "yam" signifie "tenir en main, contenir, soutenir, porter réfréner, maîtriser, mettre en ordre

a) " satyam " véracité

b) " asteya " honnêteté

c) " aparigraha " détachement des biens ou contentement

d) " brahmacharya " modération ou déracinement de toute tendance proprement génitale

e) " Ahimsa " Non violence

L'ahimsa est à la base d'une attitude politique, celle de Gandhi ou du pasteur Martin Luther King. Ses méthodes élèvent l'humanité, à la fois ceux qui les mettent en pratiquent et ceux auxquels ils ont à s'opposer et qui finissent par abandonner leurs tyrannies sinon leur soif aveugle du pouvoir.

Promouvoir l'ahimsa, c'est aussi modifier les conditions qui mènent les individus ou les groupes à la violence : par exemple les fraudes et corruptions de toutes sortes, la valorisation absurde de richesses sans limites aux mains d'individus ignorants et superficiels, les guerres menées sous les auspices d'un idéalisme infernal ou d'un réalisme illusoire, la négligence des générations futures, etc.

Un système économique sans régulation appropriée engendre la violence directement, tant il est vrai que la guerre devient le moyen ultime de faire triompher son mauvais droit. Un tel système engendre aussi la violence par la pauvreté qu'il concentre en des lieux concentrationnaires où sont bannis certains citoyens; le feu aux banlieues est une forme de jacquerie annonciatrice de plus graves affrontements.

La dissolution des moeurs se pare des couleurs de la liberté : a-t-on mesuré l'impact délétère des films, vidéos ou produits multimédia sexuellement "hard" sur les enfants qui les contemplent en dépit des mises en garde hypocrites. Comment s'étonner des viols dans les caves, des enfants sans pudeur, des adultes sans vergogne, des parents sans retenue lorsqu'on prône le sexe déshumanisé qui étale la prostitution aux étranges lucarnes de tant de foyers. Au prétexte qu'il y aurait quelque intégrisme à interdire leur diffusion à l'écran.

L'excès du chômage, l'entassement des citoyens dans des clapiers à étages, le durcissement des frontières, la culture des rendements à tout prix sur le plan industriel comme agricole nous promettent des lendemains qui déchantent après les bonnes intentions du progrès jusqu'au ciel.

21 Septembre 2006


Ces réfrènements résument les moyens d'être libre et plus heureux. Le respect des 5 yamas permet à l’homme d’être dans Sa vérité.

" La notion d'ahimsa est (36) a ' la base de la résistance non violente de Gandhi et a été imprudemment traduite par " amour ". C 'est solliciter les textes. Ahimsa veut dire littéralement " non-meurtre ". Pour le yogin ce terme finit par signifier " ne pas faire de peine " même " ne pas vouloir de peine à qui que ce soit ". Vivekananda précise : " avant tout ne pas ' nuire en pensée ". Le vrai critère d 'Ahimsa est donc absence d 'envie dans le cSur. Nous savons d 'après Freud que toute jalousie est interprétée dans l 'inconscient comme un désir de prendre la place de... Prendre la place de quelqu 'un équivaut à le tuer. Seule l 'expérience psychanalytique expliquera les dérivés d '" Ahimsa " et comment non-meurtre devient absence d 'envie. Le non-meurtre étant de règle, en sa présence cessent toutes inimités. Toute pensée de haine que vous pouvez avoir, précise Vivekananda, serait-ce au fond d 'une caverne, s emmagasine et retombera un jour sur vous avec une énorme puissance, sous la forme de quelque souffrance ici-bas. Si vous projetez de la haine et de la jalousie, elles vous reviendront avec intérêts composés. Nul pouvoir ne peut vous les faire éluder. Une fois que vous les avez mises en mouvement, il vous faut en supporter les conséquences. Cette affirmation qui parait d 'ordre magique correspond à une profonde vérité psychologique. La psychanalyse a redécouvert comment le mécanisme d 'autopunition joue quelques fois très longtemps après la faute réelle ou imaginaire. La fuite dans la maladie dans l 'accident ou l 'échec nous a livré ses secrets.

Or ce n 'est pas l 'acte qui détermine la névrose, mais bien la pensée refoulée. Ici le Yoga est tout a fait d 'accord avec la psychanalyse.

Tous les refrènements (a, b, c, d) ont pour but de parfaire l 'Ahimsa ou non-violence et trouvent en elle leur justification.
 

2)- Les Niyamas ou disciplines

a) propreté (çauca) - ablutions, purgations etc.

b) sérénité (samtosha) - non amplification des nécessités de l 'existence.

c) ascèse (tapas) - acceptation des " contraires " (chaud et froid, envie de rester debout et assis), silence verbal et mimique.

Notons que cet ensemble de renoncements entraîne, pour Patanjali (131) comme pour François d 'Assise, l 'abondance des possibilités auxquelles on renonce et leur possible utilisation sans esclavage à leur égard.

3)- les postures (asanas) :

Ce n 'est qu 'ici qu 'on peut réellement parler de yoga, au sens étroit du terme. En principe l 'asana ne s 'apprend que d 'un maître ou " guru " et non par des descriptions dessins ou photographies. Ce qui, de toute façon est important, c 'est le fait que l 'asana donne une stabilité rigide au corps et en même temps, réduit l 'effort physique au minimum. Il ne peut être considéré comme acquis, que dans la mesure où il est devenu, à force d 'exercice, stable et agréable. Au début, l 'asana est incommode voire insupportable ou impossible dans sa perfection. L 'entraînement réduit progressivement l 'effort, la douleur qui devient finalement tout à fait négligeable. La concentration ne sera évidemment favorisée que dans la mesure où l 'asana sera devenu tout à fait naturel et indolore. Vachaspati écrit : " celui qui pratique l 'asana devra user d 'un effort qui consiste à supprimer des efforts corporels naturels. Autrement la posture restera irréalisable ". Autrement dit l 'asana pratiqué pour la première fois induit un certain nombre de contractures inutiles à sa réalisation et nuisibles pour autant que ce sont surtout elles qui le rendent douloureux. Seule leur disparition permettra une parfaite réalisation de la posture ; l 'acquisition d 'une posture même très difficile apparemment n 'est plus un problème à partir du moment où l 'attention n 'est plus prisonnière des perceptions corporelles, c 'est-à-dire est concentrés sur un objet précis, serait-ce la zone douloureuse elle-même. Il s 'agît dans la terminologie occidentale d 'une parfaite relaxation obtenue habituellement sans faire appel aux suggestions du training autogène.

Il existe un très grand nombre d 'asanas possibles :le but de ces positions est toujours le même : la cessation absolue du trouble de la part des contraires, la réalisation d 'une sorte de neutralité des sens, et la libération par rapport à la présence du corps qui n 'est plus mobile, agité, arythmique.

De même qu 'on parle beaucoup de " schéma corporel " quand il est pathologique, de même la maîtrise parfaite du corps en tant que relations réciproques implique qu 'il ne pose plus de problème ni ne dérange l 'action ou la perception. Au niveau du corps l 'asana est une " concentration en un seul point ", en ce sens que le corps est concentré en une seule position. De même que la concentration en un seul point met fin aux fluctuations et à la dispersion des états de conscience, de même l 'asana met fin à la mobilité et à la susceptibilité motrice du corps, favorisant du même coup la concentration mentale. Il s 'agit d 'un effort à deux niveaux différents vers un certain type d 'unification.

4)- Le contrôle respiratoire (pranayama) :

il s 'agit de rythmer aussi lentement que possible la respiration en la soumettant à un rythme stable et durable, tout en restant attentif à ne pas dépasser les possibilités du moment ce qui entraînerait automatiquement des ruptures de rythme. . . Pour Bhoja " il existe toujours une liaison entre la respiration et les états mentaux ". Comme le remarque Mircea Eliade (116) " il est question ici d 'une observation qui dépasse le simple enregistrement du fait nu que, par exemple, la respiration d 'un homme furieux est agitée, alors que celle du penseur se ralentit d 'elle-même. Cette liaison respiration-état de conscience apparaît comme un instrument d 'unification de la conscience, en ce sens que le yogin pourrait éprouver expérimentalement et en état de veille les états de conscience qui caractérisent le sommeil. Il faut noter à ce propos que le sujet non entraîné qui s 'exerce à certains de ces rythmes s 'endort aussitôt.

Il serait ainsi possible de garder une vigilance normale, (en ce sens que la volonté garde la possibilité de passer d 'un état à l 'autre à tout moment), tout en passant à l 'état de " rêve " (ce qui n 'est pas sans rappeler la technique du rêve éveillé dirigé de R. Desoille, dont on sait d 'ailleurs qu 'elle prend historiquement, son inspiration dans le yoga), à l 'état de conscience " cataleptique " ou à l 'état de conscience de " sommeil sans rêve ". Ces affirmations ont paru longtemps tout à fait paradoxales et sans valeur de crédibilité. Les recherches récentes dont nous parlerons dans le chapitre Yoga et Biologie nous portent aujourd 'hui à moins de scepticisme. .

La suppression de la discontinuité normale entre les différents états de conscience, et spécialement entre les états de conscience de la veille et ceux du sommeil, réalise l 'unification de la conscience.

Le but immédiat du pranayama est moins ambitieux : il s 'agit de stabiliser la fluidité psychique, la mouvance des états de conscience et par conséquent l 'instabilité et la dispersion de l 'attention, tout cela par la stabilisation de la respiration d 'abord au moyen d 'un contrôle volontaire, plus tard de manière aussi automatique que possible afin que la respiration elle-même puisse être " oubliée " parce que parfaitement maîtrisée. Rappelons que les techniques respiratoires sont connues du taoïsme, des mystiques chrétiens (hésychastes) aussi bien que des courants mystiques de l 'islam.

Les exercices de pranayama engendrent classiquement une intense sensation d 'harmonie, une plénitude rythmique, mélodique, un nivellement des aspérités physiologiques fonctionnelles.

Le rythme respiratoire s 'établit par égalisation du temps d 'inspiration, de rétention et d 'expiration. Chacun de ces temps est prolongé autant que possible et progressivement afin d 'atteindre à la limite une suspension très longue de tout mouvement respiratoire. (état de conscience cataleptique). Le maniement de la respiration ne se limite d 'ailleurs pas à l 'acquisition de certains rythmes, la respiration par narine alternée en est un autre exemple et a des effets spécifiques.

5) - l 'émancipation par rapport aux sensations (pratyhara)

Pratyhara réalise une sorte d 'isolement sensoriel sans suppression des sources externes de stimulation, par une sorte de déafférentation corticale physiologique par rapport aux organes des sens. Nous verrons que l 'E.E.G. de yogins entraînés conserve le rythme alpha en présence des stimuli externes de toute nature : l 'esprit connaîtrait " les choses telles qu 'elles sont " sans recevoir aucune fluctuation en les connaissant. Il est impossible de percevoir la signification d 'une telle phrase en dehors d 'une pratique et de vérifications expérimentales précises.

6)- La concentration (Dharana)

C'est la fixation de la pensée en un seul point, soit à différents niveaux corporels ou " chakras ", soit sur des notions philosophiques ou mystiques prépare la phase suivante

7)- La méditation (Dhyana)

Elle réalise un courant de pensée unifiée, continuum de l 'effort mental excluant toute tension, pour assimiler l 'objet de la méditation, libre de tout autre effort d 'assimiler d 'autres objets. A aucun moment le continuum mental ne s 'enrichit latéralement, par des associations non contrôlées, des analogies, des symboles, etc. . . Il s 'agit d 'une expérience qui ne peut se comprendre correctement que dans la mesure où on a pu la mener à bien. Cet état selon Vijnana Bhiksu(117) peut être interrompu par les stimuli externes d 'intensité suffisante.

8) - " Samâdhi " ou "samadhi"


Samâdhi

Union, totalité, accomplissement, achèvement, mise en ordre, rangement, concentration totale de l’esprit, contemplation, absorption. La huitième et dernière étape de la méditation dans le raja yoga ; étape qui conduit l’esprit de la personne a réaliser la Réalité Ultime. NB libéré vivant correspondrait plutôt à « jivan mukta ».

d’après "Dictionnaire Sanskrit-français de Shtoupak N., Nitti L. et Renou L., Maisonneuve, 1980, p.794

C'est la libération dans l 'unification totale de soi, ou encore " enstase ". Il y aurait à ce niveau coïncidence réelle entre connaissance de l 'objet et objet de la connaissance. Mircea Eliade explique que le Samâdhi n 'est pas conçu comme univoque. Il existe plusieurs sortes de Samâdhi, ou plutôt d 'états " enstatiques " en voie de Samâdhi. Par exemple lorsque, abandonnant toute perception, même celle des " réalités subtiles ", on expérimente " le bonheur de l 'éternelle luminosité et autoconscience du sattva ". Il nous parait possible, au niveau de description par témoignage auquel nous sommes réduits, de comparer cet état au régime des images " mystiques " qui a été décrit par Desoille dans la technique du Rêve Eveillé Dirigé (48).

Les indiens connaissaient l 'hypnose et la pratiquaient par des méthodes issues du yoga, ils la considéraient comme un état mental de concentration occasionnelle et provisoire sans réelle valeur de libération, au contraire... L 'assimilation qu 'on a voulu faire (105) de l 'état de Samâdhi a ' l 'Hypnose ne peut que faire sourire. En effet, l 'état de " vikshipta " (hypnose) est expliqué par la pénétration spirituelle dans le corps d 'autrui selon des croyances extrêmement archaïques. Provoquer cet état chez autrui est considéré comme un pouvoir magique auquel peut accéder, sans qu 'il soit bon pour lui de l 'utiliser trop systématiquement, le yogin entraîné.

Le vikshipta, pour Bhatta Kallata n 'est qu 'une paralysie, d 'origine émotive ou volitive du flux mental.

Il est en deçà de l 'état de conscience normal, alors que le Samâdhi est au delà

CLASSIFICATION DES YOGAS SELON M. CHOISY (35)
 
 

YOGAS " PHYSIQUES "

1) Mantra yoga ou japa yoga (son et rythme)

2) Laya yoga ou nada yoga (son intérieur)

3) Raga yoga ou yoga musical

4) Yoga chromatique (couleur)

5) Yoga géométrique (lignes et formes)

YOGAS " PHILOSOPHIQUES "

1) Gnana yoga (yoga de la connaissance)

2) Karma yoga (yoga de l 'action)

3) Bhakti yoga (yoga du sentiment)

YOGAS " PSYCHOSOMATIQUES "

1) Hatha yoga (exercices du corps) 

2) Raja yoga (exercices psychiques)

3) Kriya yoga (exercices ascétiques)

4) Tantra yoga (exercices de transformation de l 'énergie nerveuse).

Nous avons esquissé là, les étapes caractéristiques du yoga de Patanjali (131).Notons que toutes les philosophies, sotériologies et religions indiennes ont adopté le yoga en l 'adaptant.

On connaît un yoga thibétain, un yoga bouddhiste, un yoga jaïna, des yogas Zen de toute obédience. . (116), (69).

Le Taoïsme ancien utilisait des techniques corporelles destinées à acquérir l 'immortalité (" rétention du souffle le temps de mille respirations ". .) Pour Filliozat, il est évident que la technique de " respiration embryonnaire " des chinois si elle s 'associe à la vieille médecine chinoise de l 'acupuncture n 'en est pas un produit mais prend sa source dans le yoga indien, de même que les techniques de rétention séminale qui viendrait du tantrisme. (cf. bibliographie (109), (58), (46)).

L 'influence du yoga sur les arts et les sports de combat japonais n 'est plus à démontrer.

Le soufisme islamique a également été fortement influencé par les méthodes spirituelles de l 'Inde et les aurait même transmises par sa zone d 'influence ibérique aux carmes espagnols et par là, à l 'ordre des carmes déchaux tout entier. (cf. (66), (6), (80).

Les techniques hésychastes d 'oraison et de contemplation basées sur la respiration, l ' omphaloscopie et l 'adoption de postures spécifiques sont phénoménologiquement très proches des techniques du yoga, alors même que le but avoué n 'est pas, et de loin, exactement le même (cf. M. Eliade, Hausherr I. (75), Gouillard J. Meyendorff J. (113). Il est probable que ces méthodes trouvent leur origine historique en Inde de même que le courant mystique partant de Plotin pour aller, à travers St Augustin, jusqu 'à Maître Eckhart avec des similitudes étonnantes de formulation chez Denys l 'Aéropagite, Ste Thérèse d 'Avila et St Jean de la Croix, etc.

Un courant de mysticisme néo-orientaliste s 'est affirmé, ces dernières années dans le catholicisme occidental avec Gardet (66), Lasalle (99), Dechanet (44), Maupillier, Le Saux, etc.

Le Père Lasalle s. j., missionnaire au japon est l 'auteur d 'un ouvrage sur le Zen (99), dont il caractérise ainsi les retombées psychophysiologiques bienfaisantes :

" Facilité d 'obtenir un recueillement profond, une concentration d 'esprit intense sur l 'activité réalisée à l 'instant présent, paix intérieure et domination de soi malgré tous les tracas et les responsabilités, disparition de l 'anxiété, des modalités dépressives de l 'humeur, de la crainte et des sentiments troublants, contentement ininterrompu qui habitue a jouir de tout son être de tout ce qui est beau et bon, disparition des troubles corporels mineurs (psychosomatiques). Ces effets existent toujours : au début de manière intermittente et peu solide, par la suite sans aucune altération ".

De même le Père Déchanet, bénédictin, déclare :

(44) " l 'euphorie réelle qui suivait les exercices s 'installait vraiment à demeure et transfigurait ma journée (sans aucune exagération). Je dus faire face durant les premiers mois, à des difficultés qui mettent les nerfs a l 'épreuve, et qui n eussent pas manqué, auparavant, de me jeter sur le flanc. Or, tout se passa si bien, je pris les choses de si bonne part, que j 'entraînai dans ma propension " à accueillir plutôt qu 'à subir " tous ceux dont j 'avais la charge. Sur le plan physique, ce fut la disparition des problèmes de santé générale :concrètement, de ces fatigues périodiques, qui trahissaient, fièvre a l 'appui, un surmenage évident. Je me découvris un corps très souple et tout disposé à servir. Les problèmes de ma nature compliquée, nécessairement, n 'ont pas disparu; sans doute. Mais ils n 'ont plus ce caractère obsédant, aigu, dramatique qu 'ils revêtaient parfois naguère. Je me sens libre, beaucoup plus libre, vis-à-vis de certains attraits, débarrassé de je ne sais quoi, qui tendait a compliquer ma vie intime, ma vie d 'homme. On a bien voulu m 'écrire que ma " méthode " était d 'un secours presque inouï dans certains cas de difficultés d 'ordre sexuel. Je n 'en suis pas étonné ; car le yoga, tout de suite, m 'est apparu comme un facteur d 'équilibre en ce domaine.

Un jour il faudra dire ses résultats merveilleux a l 'égard d 'autres " complexes " : celui des timides, des inhibés, celui des durs, des violents, ou celui des orgueilleux. Qu 'il me suffise de signaler le plus grand besoin de douceur, de compassion, de bonté, qu 'il à suscité en moi. J 'aimais à piquer autrui, sans méchanceté, mais enfin...j 'étais enclin à la polémique, Je me sens plus pacifique, parce que pacifié ".

Il conclut " je ne pense pas trahir la cause du yoga en affirmant que LE PROBLEME QU 'IL POSE A TOUS DOIT ETRE SITUE D 'ABORD ET CONCRETEMENT SUR LE PLAN DE LA VIE HUMAINE ET DE L 'EQUILIBRE MENTAL. C 'est sans doute plus qu 'une question d 'hygiène et d ' équanimité, mais ce que peut surtout nous apprendre cette pratique c 'est à devenir, à redevenir un homme. Ni ange, ni bête, l 'homme n 'accepte que rarement d 'être ce qu 'il est ". " Autrefois on établissait un combat en l 'homme entre tendances instinctives et aspirations spirituelles, le yoga nous entraîne à tendre plutôt vers une hiérarchisation des énergies, vers leur intégration harmonieuse au niveau d 'une synthèse à la fois psychique et somatique ".

Alors qu 'il étudiait le danger des pratiques du yoga aux différents niveaux somatiques et psychiques, le Dr. MOULINJEUNE est obligé de conclure (121) dans sa conférence du 25 Avril 1968 (donnée à la FNPY *) : " Si l 'on essaie de faire une synthèse des résultats de la pratique du yoga, on constate que ses effets bénéfiques dépassent de beaucoup ses dangers, dus à des pratiques erronées : le yoga peut apporter beaucoup à la médecine ". Il insiste sur la nécessité de contrôle par un moniteur lui-même entraîné au yoga.

L 'influence du yoga sur la médecine et les sports en Occident se fait de plus en plus intense. En dehors des travaux de recherche physiologique ou psychophysiologique que nous devons à Th Brosse et Laubry, Risch, Filliozat, Bourdiol, Lefébure, de Sambucy, Henrotte pour ne citer que les auteurs français (dont les travaux sont d 'ailleurs de valeur très inégale), des essais d 'application thérapeutique prennent une partie de leur inspiration dans les techniques indiennes : Thooris, Desoille, Schultz, Alexander, Caycedo, Forget, etc. . . C 'est dans leur sillage que nous présentons notre travail.

Vers 1920, le Psychiatre japonais Morita, (119 bis), précurseur en ce domaine commençait à mettre au point sa technique de psychothérapie directement inspirée du Zen. Ses basses sont surtout ascétiques : isolement total du malade qui est contraint de revenir à l 'essentiel de lui-même et d 'aller au bout de son désespoir par évacuation du " divertissement " (92). Au bout d 'une semaine, il peut s 'adonner à de menus travaux et doit écrire son journal dont il s 'entretiendra avec le thérapeute. Il emploiera 15 jours de cette façon.

La quinzaine suivante il s 'adonnera à de lourds travaux physiques. Chaque soir une séance de discussion en groupe permettra au patient d 'échanger avec le médecin. Nous verrons (" exposé de la méthode ") que la " yogathérapie de groupe " n 'utilise pas cette démarche d 'isolement et de travaux. Nous pensons cependant que par d 'autres voies (spécialement par une prise de conscience améliorée du schéma corporel) elle aboutit également à une meilleure identification de ce qui est et de ce qui n 'est pas " moi ". Il y a élimination des parasites conceptuels ou imaginaires, prise de distance par rapport à la vie affective et, finalement, possibilité de recentrer l 'attention sur l 'essentiel, un peu comme l 'agonie ou une grande catastrophe, mais de manière moins agressive et plus progressive.

Fédération Nationale des Praticiens du Yoga

48, rue de la chaussé d 'Antin Paris IX

Reconnue d 'utilité Publique par le Ministère de la

Jeunesse et des sports sous le N 75 - S - 68 le 6 Février 1970.

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Psychosonique Yogathérapie Psychanalyse & Psychothérapie Dynamique des groupes Eléments Personnels

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21 Septembre 2006