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CHAPITRE III
La bienheureuse aperçut une vaste prison dont les habitants étaient
fort nombreux, et on lui dit que c'étaient les superbes. Cette prison
était divisée en plusieurs pièces, où les victimes
étaient classées selon les diverses espèces de ce péché.
Les ambitieux étaient ceux que les démons paraissaient mépriser davantage. Autant ces misérables avaient été affamés des honneurs pendant leur vie, autant ils étaient rassasiés d'opprobres et de confusion.
En punissant ceux-ci, ils n'oubliaient pourtant pas les autres.
Chaque famille d'orgueilleux, si je puis parler ainsi, avait sa peine propre
et particulière ; mais il y avait un châtiment horrible qui leur
était commun à tous.
Au milieu de cette prison spéciale était posé un lion
énorme d'airain rougi par le feu. Sa gueule était levée
en l'air et largement ouverte, et ses mâchoires, en guise de dents, étaient
armées d'un grand nombre de rasoirs affilés. Son ventre était
un repaire de serpents et d'autres bêtes venimeuses, et l'ouverture
postérieure était comme l'entrée du corps de ce
monstre, garnie de lames brûlantes et horriblement acérées.
Or, les démons chargés de tourmenter ces tristes victimes, les
lançaient en l'air de manière à les faire retomber dans
la gueule du lion. Toutes tranchées et presque divisées par les
rasoirs, elles passaient par la gorge de ce monstre et tombaient dans ses larges
entrailles, au milieu des reptiles qui fourmillaient dans ce lieu infect, et
exerçaient sur elles leur rage infernale. Elles gravitaient ensuite vers
la partie postérieure où des démons les saisissaient avec
des pinces ardentes, et les tiraient violemment à eux, à travers
les rasoirs dont l'ouverture était bordée, et ce jeu cruel les
bourreaux le recommençaient sans cesse. Ces âmes, irritées
et enragées par d'aussi horribles tourments, hurlaient d'une manière
affreuse et proféraient des blasphèmes effroyables. « Hurlez,
leur disaient les esprits infernaux ; hurlez, superbes maudits, qui fîtes
si longtemps la guerre au Créateur sur la terre. Vous avez bien raison
de vous désespérer, car vos malheurs ne finiront jamais ».
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Françoise remarqua qu'ils étaient punis selon leurs divers degrés
de culpabilité ; mais voici une peine qui leur était commune.
Il y avait dans leur prison un serpent d'airain, que le feu
de l'enfer maintenait continuellement embrasé. Sa poitrine était
large, son cou élevé comme une colonne et sa gueule béante.
Dans cette horrible gueule étaient plantés en forme de croissant
de longues et fortes aiguilles, dont les pointes étaient dirigées
vers la gorge de l'animal. Or, les démons, prenant ces âmes dont
nous parlons les lançaient par cette ouverture dans le corps du monstre
; puis ils les en retiraient avec des tenailles ardentes toutes déchirées
par les pointes qu'elles rencontraient à leur sortie. Or, elles souffraient
continuellement ce supplice, qui les réduisait à un affreux désespoir,
et leur arrachait les plus effroyables blasphèmes.
La bienheureuse vit ensuite les avares dans une fosse remplie de gros
serpents qui avaient des bras. Chacun de ces hideux reptiles s'attachait
à un de ces coupables, que la justice divine leur avait abandonnés.
Il lui frappait la bouche de sa queue, lui déchirait le cœur avec
les dents, et l'étreignait dans ses bras, de manière à
l'étouffer, si cela eût été possible ; mais d'autres
démons venaient les arracher à leurs affreux embrassements, avec
des tenailles de fer, qui les déchiraient d'une manière horrible,
et allaient les plonger dans une seconde fosse remplie d'or et d'argent liquéfiés,
les accablant de leurs dérisions et de leurs sarcasmes.
Chacun de ces malheureux était couvert d'un manteau de flammes, avait
un ver venimeux qui lui rongeait le cœur, pénétrait
dans sa poitrine, et, remontant par la gorge se présentait à la
bouche, qu'il forçait à ouvrir convulsivement ; mais un démon
l'empêchait de sortir, en serrant avec la main le cou de la victime, ce
qui lui causait d'insupportables étouffements ; et tandis qu'il l'étouffait
ainsi d'une main, il tenait de l'autre une épée dont il lui perçait
le cœur. Un second démon venait ensuite, qui lui arrachait le cœur
de la poitrine, le trempait dans des immondices, et le lui remettait, pour l'arracher
de nouveau, et ainsi sans fin ; et ces traitements barbares étaient accompagnés
de dérisions et de reproches, qui réduisaient ces infortunés
à la rage et au désespoir
Françoise les vit assis au milieu d'un grand feu, les bras croisés,
et la tête inclinée sur les genoux. Leurs sièges
étaient de pierres ; ces pierres étaient cannelées profondément,
et leurs cavités remplies de charbons embrasés : les bancs eux-mêmes
étaient tout rouges et la flamme qui sortait du brasier s'attachait à
ces tristes victimes, et les couvrait comme un vêtement. Or, les démons,
les prenant avec des pinces ardentes, les renversaient violemment sur ces lits
affreux, et les y traînaient en les tournant et les retournant en toutes
manières ; c'était pour les punir d'avoir perdu le temps. A côté
de chacune d'elles était un démon qui, avec un coutelas, lui fendait
la poitrine, et y versait. de l'huile bouillante, et cela pour les punir d'avoir
trop présumé de la miséricorde de Dieu. Il mettait encore
des vers dans leurs plaies, en punition des mauvaises pensées auxquelles
leur oisiveté laissait le champ libre.
Françoise put contempler aussi les châtiments de la gourmandise.
Chaque malheureux, réprouvé pour ce vice avait un démon
qui le prenait par la tête et le traînait sur des charbons ardents,
tandis qu'un autre démon, debout sur lui, le foulait aux pieds avec violence.
Ils lui liaient ensuite les pieds et les mains, et le précipitaient dans
une chaudière pleine de poix fondue ; puis, le retirant de là,
ils le jetaient dans une autre remplie d'une eau presque réduite en glace.
Ils lui versaient aussi du vin brûlant dans la bouche, pour le punir des
coupables excès qu'il en avait fait pendant la vie. Pendant ce temps
là, ses bourreaux lui disaient d'un ton ironique : «La peine des
gourmands, dans cette demeure, est le superflu chaud et froid. Voici donc où
vous ont conduit vos intempérances, lui disaient d'autres esprits infernaux.
Désormais vous aurez pour nourriture des serpents, et du feu pour breuvage.
»
Françoise cherchait des yeux les esclaves de cette passion honteuse ;
on les lui montra. Ils étaient liés à des poteaux de fer
embrasé, et les bourreaux, avec leurs langues ardentes, léchaient
toutes les parties de leurs corps, ce qui les faisait souffrir horriblement.
D'autres démons, avec des tenailles, déchiraient leurs chairs
par lambeaux, en punition de la bonne chère qu'ils faisaient dans le
monde, ce qui servait à alimenter toujours davantage leur funeste passion.
Sous leurs poteaux étaient des grils ardents et armés de pointes
de fer, auprès desquels étaient couchés d'horribles serpents.
Les démons, attirant brusquement leurs victimes, les faisaient tomber
à la renverse sur ces lits affreux, et les serpents se jetant sur eux,
les mordaient avec une rage inconcevable. Ce supplice était particulier
aux adultères.
CHAPITRE VI
Dans la vision XVII, où la création des anges et leur classification
furent manifestées à la servante de Dieu, Dieu lui fit discerner
ceux qui devaient pécher de ceux qui demeureraient fidèles. Elle
fut ensuite témoin de leur révolte et de la chute horrible qu'elle
leur mérita.
Or, elle ne fut pourtant pas aussi profonde pour les uns que pour les autres :
Cette différence dans les châtiments correspondit à celles que Dieu remarqua dans les circonstances de leur faute commune. Parmi ces esprits rebelles, il y en eut qui embrassèrent de gaieté de cœur, si je puis parler de la sorte, la cause de Lucifer; et d'autres qui virent avec indifférence ce soulèvement contre le Créateur, et demeurèrent neutres. Les premiers furent précipités sur le champ dans l'enfer, d'où ils ne sortent jamais, à moins que Dieu ne les déchaîne quand Il veut frapper la terre de quelque grande calamité, pour punir les péchés des hommes. Les seconds furent jetés partie dans les airs, et partie sur la terre ; et ce sont ces derniers qui nous tentent, comme je le dirai plus tard.
Lucifer, qui voulut
être l'égal de Dieu dans le ciel, est le monarque des enfers, mais
monarque enchaîné et plus malheureux que tous les autres. Il a
sous lui trois princes auxquels tous les démons, divisés en trois
corps, sont assujettis par la volonté de Dieu ; de même que dans
le ciel, les bons anges sont divisés en trois hiérarchies présidées
par trois esprits d'une gloire supérieure. Ces trois princes de la milice
céleste furent pris dans les trois premiers chœurs, où ils
étaient les plus nobles et les plus excellents ; ainsi, les trois princes
de la milice infernale furent choisis comme les plus méchants des esprits
des mêmes chœurs, qui arborèrent l'étendard de la révolte.
Lucifer était dans le ciel le plus noble des anges qui se révoltèrent,
et son orgueil en fit le plus méchant de tous les démons. C'est
pour cela que la justice de Dieu l'a donné pour roi à tous ses
compagnons et aux réprouvés, avec puissance de les gouverner et
de les punir, selon ses caprices ; ce qui fait qu'on l'appelle le tyran des
enfers. Outre cette présidence générale, il est encore
établi sur le vice de l'orgueil.
Le premier des trois princes qui commandent sous ses ordres, se nomme Asmodée : c'était dans le ciel un chérubin, et il est aujourd'hui l'esprit impur qui préside à tous les péchés déshonnêtes.
Le deuxième prince s'appelle Mammon : c'était autrefois un trône, et maintenant il préside aux divers péchés que fait commettre l'amour de l'argent.
Le troisième prince porte le nom de Belzébuth ; il appartenait à l'origine au chœur des dominations, et maintenant il est établi sur tous les crimes qu'enfante l’idolâtrie, et préside aux ténèbres infernales. C'est aussi de lui que viennent celles qui aveuglent les esprits des humains.
Ces trois chefs ainsi que leur monarque, ne sortent jamais de leurs prisons infernales ; lorsque la justice de Dieu veut exercer sur la terre quelque vengeance éclatante, ces princes maudits députent à cet effet un nombre suffisant de leurs démons subordonnés ; car il arrive quelquefois que les fléaux dont Dieu veut frapper les peuples, demandent plus de forces ou plus de malices que n'en ont les mauvais esprits répandus sur la terre et dans l'air. Alors les infernaux plus méchants et plus enragés, deviennent des auxiliaires indispensables. Mais hors de ces cas rares, ces grands coupables ne peuvent sortir des prisons où ils sont renfermés.
Tous ces esprits infortunés sont classés dans l'abîme selon
leur ordre hiérarchique. La première hiérarchie, composée
de séraphins, de chérubins et de trônes, habite l'enfer
le plus bas ; ils endurent des tourments plus cruels que les autres, et exercent
les vengeances célestes sur les plus grands pécheurs. Lucifer
qui fut un séraphin, exerce sur eux une spéciale autorité,
en vertu de l'orgueil dont il a la haute présidence. Les démons
de cette hiérarchie ne sont envoyés sur terre, que, lorsque la
colère de Dieu permet que l'orgueil prévale pour punir les nations.
La deuxième hiérarchie formée de dominations, de principautés
et de puissances, demeure dans l'enfer du milieu. Elle a pour prince Asmodée
qui, comme je l'ai déjà dit, préside aux péchés
de la luxure. On peut deviner que, les démons de cette hiérarchie
sont sur terre, lorsque les peuples s'abandonnent au vice infâme de l'impureté.
La troisième hiérarchie qui se compose de vertus, d'archanges
et d'anges, a pour chef Mammon, et habite l'enfer supérieur. Lorsque
ces démons sont lâchés sur la terre, la soif des richesses
y prévaut de toutes parts, et il n'est plus question que d'or ou d'argent.
Quant à Belzébuth, il est le prince des ténèbres, et les répand, quand Dieu le permet, dans les intelligences, pour étouffer la lumière de la conscience et celle de la véritable foi. Tel est l'ordre qui règne parmi les démons dans les enfers ; quant à leur nombre, il est innombrable.
On retrouve ces mêmes hiérarchies parmi les démons qui demeurent
dans l'air et sur la terre, mais ils n'ont point de chefs, et par conséquent
vivent dans l'indépendance et une sorte d’égalité.
Ce sont les démons aériens qui, la plupart du temps, déchaînent
les vents, excitent les tempêtes, produisent les orages, les grêles
et les inondations. Leur intention en cela est de faire du mal aux hommes, surtout
en diminuant leur confiance en la divine Providence, et les faisant murmurer
contre la volonté de Dieu.
Les démons de la première hiérarchie, qui vivent sur la
terre, ne manquent pas de profiter aussi de ces occasions favorables à
leur malice ; trouvant les hommes irrités par ces calamités et
fort affaiblis dans leur soumission et leur confiance, ils les font tomber beaucoup
plus facilement dans le vice de l'orgueil. Ceux de la deuxième hiérarchie
ne manquent pas à leur tour de les précipiter de leur hauteur
superbe dans le cloaque impur, ce qui donne ensuite toute facilité aux
démons de la troisième hiérarchie, de les faire tomber
dans les péchés qu'enfante l'amour de l'argent.
Alors les anges qui président aux ténèbres les aveuglent,
leur font quitter la voie de la vérité, et rendent leur retour
extrêmement difficile. C'est ainsi que tous les démons, malgré
la différence de leurs emplois, se concertent et s'aident mutuellement
à perdre les âmes. Les uns affaiblissent leur foi, les autres les
poussent à l'orgueil, ceux-ci à l'impureté, ceux-là
à l'amour des richesses, d'autres enfin leur jettent un voile sur les
yeux et les écartent si fort de la voie du salut, que la plupart ne la
retrouvent plus. Le seul moyen d'échapper à ce complot infernal,
serait de se relever promptement de la première chute, et c'est précisément
ce que ces pauvres âmes ne font pas. De là, cette chaîne
de tentations, qui de chute en chute les conduit au fond du précipice.
Lorsque j'ai dit que les démons qui sont dans l'air et sur la terre n'ont
pas de chefs, j'ai voulu dire seulement qu'ils n'ont pas d'officiers subalternes
; car tous sont soumis à Lucifer, et obéissent à ses commandements,
parce que telle est la volonté de la justice divine. Malgré la
haine qu'ils portent aux hommes, aucun d'eux n'oserait les tenter sans l'ordre
de Lucifer, et Lucifer lui-même ne peut prescrire, en ce genre que ce
que lui permet le Seigneur plein de bonté et de compassion pour nous.
Lucifer voit tous ses démons, non seulement ceux qui sont autour de lui
dans l'enfer, mais encore ceux qui sont dans l'air et sur la terre. Tous aussi
le voient sans aucun obstacle, et comprennent parfaitement toutes ses volontés.
Ils se voient également et se comprennent fort bien les uns les autres.
Les malins esprits, répandus dans l'air et sur la terre, ne ressentent
pas les atteintes du feu de l'enfer ; ils n'en sont pas moins excessivement
malheureux, tant parce qu'ils se maltraitent et se frappent sans cesse les uns
les autres, que parce que les opérations des bons anges dans ce monde
leur causent un dépit qui les tourmente cruellement. Les peines de ceux
qui appartiennent à la première hiérarchie sont plus acerbes
que celles des esprits de la seconde, et ceux-ci sont plus malheureux que les
esprits de la troisième. La même justice distributive préside
aux tourments des esprits infernaux; mais ceux-ci sont tous en proie à
l'ardeur des flammes infernales.
Les démons qui demeurent au milieu de nous, et ont reçu le pouvoir
de nous tenter, sont tous des esprits tombés du dernier chœur. Les
anges commis à notre garde sont aussi de simples anges. Ces esprits tentateurs
sont sans cesse occupés à préparer notre perte. Les moyens
qu'ils emploient pour cela sont si subtils et si variés, qu'une âme
qui leur échappe est fort heureuse, et ne saurait trop témoigner
sa reconnaissance au Seigneur. Il n'est pas un instant du jour et de la nuit,
où ces cruels ennemis n'essayent d'une tentation ou d'une autre, afin
de lasser ceux qu'ils ne peuvent vaincre par la ruse ou la violence. La patience
est donc l'arme défensive par excellence. Malheur à qui la laisse
tomber de ses mains ! Lorsque ces tentateurs ordinaires rencontrent des âmes
fortes et patientes, qu'ils ne peuvent entamer, ils appellent à leur
secours des compagnons plus astucieux et plus malins, non pour combattre avec
eux ou à leur place, car Dieu ne le permet pas ; mais pour leur suggérer
des stratagèmes plus efficaces.
Françoise savait tout cela par expérience : il était rare qu'elle fût tentée par son démon seul. D'ordinaire il s'en associait d'autres ; et trop faibles encore, ils recouraient à la malice des esprits supérieurs qui demeuraient dans l'air. Elle était devenue si habile dans cette guerre, qu'en soutenant une attaque, elle savait à quel chœur avait appartenu celui dont le conseil la dirigeait, et qui il était.
Lorsque les démons veulent livrer un assaut à une âme habile
et forte, les uns l'attaquent de front, et les autres se placent derrière
elle. C'est de cette sorte qu’ils combattaient ordinairement contre notre
bienheureuse, et elle les voyait se faire des signes pour concerter leurs moyens.
Lorsqu'une âme, vaincue par les tentations, meurt dans son péché,
son tentateur habituel l'emporte avec promptitude, suivi de beaucoup d'autres
qui lui prodiguent des outrages, et ne cessent de la tourmenter jusqu'à
ce qu'elle soit précipitée dans l'enfer. Ces détestables
esprits se livrent ensuite à une joie féroce. Son ange gardien,
après l'avoir suivie jusqu'à l'entrée de l'abîme,
se retire aussitôt qu’elle a disparu, et remonte au ciel.
Lorsqu'une âme, au contraire, est condamnée au purgatoire, son
tentateur est cruellement battu par l'ordre de Lucifer pour avoir laissé
échapper sa proie. Il reste pourtant là, en dehors du purgatoire,
mais assez près pour que l'âme le voie et entende les reproches
qu'il lui fait sur les causes de ses tourments. Lorsqu'elle quitte le purgatoire
pour monter au ciel, ce démon revient sur la terre se mêler à
ceux qui nous tentent ; mais il est pour eux un objet de moqueries, pour avoir
mal rempli la mission dont il était chargé.
Tous ceux qui laissent ainsi échapper les âmes ne peuvent plus
remplir l'office de tentateurs. Ils vont, errant çà et là,
réduits à rendre aux hommes d'autres mauvais offices, quand ils
peuvent. Quelquefois Lucifer, pour les punir, les loge honteusement dans des
corps d'animaux, ou bien il s'en sert, avec la permission de Dieu, pour exercer
des possessions
qui leur attirent souvent de nouveaux châtiments et de nouvelles hontes.
Les démons, au contraire, qui ont réussi à
perdre les âmes auxquelles Lucifer les avait attachés, après
les avoir portées dans les enfers, reparaissent sur la terre, couverts
de gloire parmi leurs semblables, et jouent un plus grand rôle que jamais
dans la guerre qu'ils font aux enfants de Dieu. Ce sont eux que les autres appellent
à leur secours, comme plus expérimentés et plus habiles,
quand ils ont affaire à des âmes fortes et généreuses
qui se rient de leurs vains efforts.
Tout démon chargé de la mission de perdre une âme ne s'occupe
point des autres ; il n'en veut qu’à celle-là, et emploie
tous ses soins à la faire pécher ou à troubler sa paix.
Cependant, quand il l'a vaincue, il la pousse, autant qu'il peut, à tenter,
à molester ou à scandaliser d'autres âmes.
Il y a d'autres démons du même chœur que ceux qui nous tentent,
qui vivent au milieu de nous sans nous attaquer. Leur mission est de surveiller
ceux qui nous tentent, et de les châtier chaque fois qu'ils ne réussissent
pas à nous faire pécher.
Chaque fois qu'ils entendent prononcer dévotement le saint Nom de Jésus,
ils se prosternent spirituellement, non de bon cœur, mais par force. Françoise
en vit une fois plusieurs en forme humaine, qui à ce Nom sacré
qu'elle prononçait en conversant avec son confesseur, inclinèrent
leur front avec un profond respect, jusque dans la poussière. Ce Nom
sacré est pour eux un nouveau supplice, qui les fait souffrir d'autant
plus cruellement, que la personne qui le prononce est plus avancée dans
l'amour, et plus parfaite. Lorsque les impies profanent ce nom adorable, ces
esprits réprouvés ne s'en attristent pas ; mais ils sont forcés
de s'incliner, comme pour réparer l'injure qui Lui est faite. Ils en
agissent de même lorsqu'on le prend en vain. Sans cette adoration forcée,
ils seraient bien contents d'entendre blasphémer ce saint Nom. Les bons
anges, au contraire, en pareilles occasions, l'adorent profondément,
le louent et le bénissent avec un amour incomparable. Lorsqu'il est prononcé
avec un vrai sentiment de dévotion, ils lui rendent les mêmes hommages,
mais avec un vif sentiment de joie. Chaque fois que notre bienheureuse proférait
ce très saint Nom, elle voyait son archange prendre un air extraordinairement
joyeux, et s'incliner d'une manière si gracieuse, qu'elle en était
tout embrasée d'amour.
Lorsque les âmes vivent dans l'habitude du péché mortel,
les démons entrent en elles, et les dominent en plusieurs façons,
qui varient selon la qualité et la quantité de leurs crimes ;
mais quand elles reçoivent l'absolution avec un cœur contrit, ils
perdent leur domination, délogent au plus vite, et se remettent auprès
d'elles pour les tenter de nouveau ; mais leurs attaques sont moins vives, parce
que la confession a diminué leurs forces.
14 Août 2007